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Quels moyens juridiques pourrait-on mettre en œuvre pour atteindre l’objectif de ce type de clause ? On pourrait envisager, pour atteindre le même but de non

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DROIT D’AUTEUR

Chapitre 2 – Qualification négative de la chose : les objets étrangers à la qualification de licence

79. Quels moyens juridiques pourrait-on mettre en œuvre pour atteindre l’objectif de ce type de clause ? On pourrait envisager, pour atteindre le même but de non

§ 2 – Essai de qualification des clauses organisant la non-exploitation de l’œuvre

79. Quels moyens juridiques pourrait-on mettre en œuvre pour atteindre l’objectif de ce type de clause ? On pourrait envisager, pour atteindre le même but de non

exploitation d’une utilité de l’œuvre, l’adjonction d’une licence de droit d’auteur circonscrite

510 Les « droits exclusifs d’exploitation de l’œuvre audiovisuelle », art. L. 132-24 du CPI.

511 V. infra n° 686 (et n° 672).

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à l’exploitation non désirée et non assortie d’une obligation d’exploitation. Le procédé semble envisageable, mais n’est pas dénué de risques pour le licencié. D’une part, nous avons déjà mentionné le traitement réservé par le droit de la concurrence, spécialement dans le domaine de l’audiovisuel et de la télévision en particulier. D’autre part, en raison du dispositif impératif du CPI, la principale crainte avancée serait le risque de voir attachée à cette licence une rémunération proportionnelle. Certes, on nous objectera que cette obligation d’exploitation par le licencié n’est pas de droit positif en droit d’auteur, qui ne connaît pas d’obligation générale en ce sens513. Mais s’il est vrai que la licence de droit d’auteur ne porte pas en elle d’obligation pour le licencié d’exploiter l’œuvre, néanmoins, le régime impératif contrat de production audiovisuelle impose cette obligation514. Or, celle-ci est doublée par l’obligation de prévoir une rémunération proportionnelle pour chaque mode d’exploitation515. Dans ce cas, la licence en question serait considérée comme l’accessoire, voire une composante de la mise à disposition « principale », et pourrait donc se voir appliquer le même régime résultant de ce contrat spécial. Ce risque est-il encouru si la clause est insérée dans un contrat de représentation ou un autre contrat ne faisant pas de l’exploitation de l’œuvre une obligation ? Ce risque serait alors très limité, même si l’on comprend que le praticien souhaite s’en prémunir. L’état du droit positif, comme nous le verrons, n’étant peut-être pas définitivement arrêté.

80. Qualification proposée : la clause de garantie contre l’éviction. Pour

échapper à ce risque, la clause pourrait-elle être justifiée comme portant aménagement d’une obligation de garantie contre l’éviction ? Effectivement, cette obligation existe en droit d’auteur516. L’auteur doit s’abstenir de tout fait personnel de nature à porter atteinte à la jouissance paisible du droit, qu’il soit réel pour le cessionnaire ou personnel pour le licencié. Nous verrons que contrairement à ce que suggère la loi spéciale, elle trouve sa source principalement dans l’acte d’autorisation d’exploiter l’œuvre et non dans le contrat organisant

513 V. infra n° 756 et ss. sur l’obligation d’exploitation.

514 Art. L. 132-27 du CPI. V. par ex. Ch. Hugon, Le régime juridique de l’œuvre audiovisuelle, Litec, 1993, p. 345 et ss., n° 512 et ss. ; A. Françon, Le contrat de production audiovisuelle, RIDA, 1986, n°65, p. 71 ; du même auteur, Le contrat de production audiovisuelle, Droit d’auteur et droits voisins, La loi du 3 juillet 1985, Colloque de L’IRPI Paris 21 et 22 nov. 1985, Librairies Techniques, 1986. p. 88 ; R. Plaisant, L’œuvre audiovisuelle, Le contrat de production audiovisuelle, Petites affiches, n° 7, janv. 1987 p. 14 ; cette obligation comprend deux étapes principales : la réalisation et la diffusion. – Sur le premier point, v. : A. Singh, et C. Marinetti, L’obligation du producteur d’assurer la réalisation d’une œuvre audiovisuelle, Légipresse 2005, II, p. 16.

515 B. Montels, Contrats de l’audiovisuel, op. cit., n° 99 et ss. ; A. Françon, La rémunération des auteurs dans le contrat de production audiovisuelle, Mélanges M. Cabrillac, Dalloz-Litec, 1999, p. 118.

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cette exploitation517. Il est entendu que s’agissant du fait des tiers, seuls les troubles de droit et non de fait donneraient lieu à garantie518. La clause commentée serait donc une forme très particulière d’extension conventionnelle de garantie519. Mais quel serait le fait personnel mis en exergue par cette clause ? Vraisemblablement la mise à disposition du droit non cédé au producteur (dessin animé), à un tiers exploitant, mais qui empêcherait une pleine jouissance des modes d’exploitation concédés au licencié (film). La simple exploitation par un tiers n’engagerait la responsabilité de l’auteur que si ce dernier lui avait fautivement concédé son droit sur les dessins animés520. En effet, on peut raisonnablement penser que le tiers exploitant sans autorisation de l’auteur commettrait une contrefaçon, trouble de fait ; il appartiendrait justement à l’exploitant légitime de veiller au respect de ce droit521.

Cette qualification est-elle convaincante ? Pas pleinement, et ce en raison de la fonction même de la garantie d’éviction. Celle-ci empêche le vendeur comme le bailleur d’invoquer un droit sur la chose522 ou de se rendre auteur de faits de nature à entraver la jouissance de l’acquéreur ou du preneur : « qui doit garantie ne peut évincer ». Or, l’exploitation d’une œuvre sous une forme (celle du dessin animé dans notre exemple) n’entrave pas nécessairement la jouissance de l’utilité concédée (l’exploitation sous forme de film). Les actes d’exploitation d’un tiers, permis par le donneur de licence (l’auteur), ne porteraient pas sur la même chose mise à disposition, étant rappelé que cette chose mise à disposition est délimitée par le principe général du droit d’auteur, d’interprétation stricte des « cessions »523. Aussi, en dehors des cas d’ « autoplagiat »524, « double cession »525 ou

517 Sur la source de l’obligation de garantie, nous démontrerons (v. infra n° 812), qu’elle est à chercher dans la licence et non dans le contrat spécial d’exploitation. Ce sera un élément de plus pour opérer la distinction nécessaire entre la mise à disposition de l’œuvre (la licence ou la cession) et le contrat d’exploitation qu’elle a vocation à intégrer.

518 A. et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, 3e éd., Litec, 2006. Pour le contrat d’édition : n° 664. Pour le contrat de représentation, la solution se fonde nécessairement sur le droit commun : Ibid. n° 709. Pour le contrat de production audiovisuelle : Ibid. n° 732.

519 Art. 1627 C. civ. pour la vente. Le mécanisme est traité notamment à propos des licences de propriétés intellectuelles, in : J. M. Mousseron, Technique contractuelle, Editions Francis Lefebvre, 4e éd. par P. Mousseron, J. Raynard et J.-B. Seube, 2010, n° 1021 et ss.

520 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, 7e éd., PUF, 2010, n° 568 : « Attention : l’auteur n’est normalement pas responsable du fait d’autrui, sauf s’il lui a délégué tout ou partie de ses attributions. ».

521 La sanction attachée à cette interdiction proférée à l’encontre des tiers ne saurait évidemment les lier et ne saurait se traduire, au mieux, que par la responsabilité contractuelle de l’auteur. Si la clause devait jouer alors que l’auteur n’a pas commis la faute consistant à concéder le droit « bloqué », le comportement de l’auteur étant étranger à ce fait des tiers, la responsabilité ainsi stipulée serait objective, ce qui est assez difficilement concevable, car étranger à l’esprit comme à la pratique du droit d’auteur.

522 P.-H. Antonmattei, J. Raynard, Droit civil Contrats spéciaux, 5e éd., Litec, 2007, vente : n° 194 ; bail : n° 319 et ss.

523 V. P.-Y. Gautier, op. cit., n° 535 et s.

524 P.-Y. Gautier, Ibid., n° 569, par lequel l’auteur créée une œuvre similaire à l’œuvre cédée.

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« cession parallèle »526 qui relèvent clairement de la contrefaçon et rendent la clause inutile, la démonstration que l’exploitation concédée au tiers trouble la jouissance de l’exploitation première serait délicate. Certes, on peut craindre que cette exploitation, quoique différente de celle convenue au contrat, ne gêne cette exploitation principale, et donc qu’une éviction soit caractérisée, à charge pour le licencié d’en faire la démonstration. Mais l’analogie nous est permise avec le cas d’un bailleur qui louerait un second local commercial au voisin d’un premier preneur, pour un commerce similaire ou concurrent. L’opération est en principe valable527, et ne met pas nécessairement en jeu l’idée d’éviction. Dans le même esprit, en matière de brevet, la Cour de cassation admet que donneur de licence, même exclusive, puisse se livrer à une activité concurrençant celle du licencié, étant entendu que cette activité ne consiste pas en l’exploitation de ce brevet528. Pour en revenir au droit d’auteur, il est aussi généralement admis, sur le fondement du principe de la liberté de création, que l’auteur, dans une même inspiration, puisse réaliser une œuvre sur le même thème que celui de l’œuvre concédée ou cédée, pourvu que la forme en soit différente. Le fait que l’œuvre vise un public différent est un élément d’appréciation529. L’esprit de l’éviction n’est sans doute pas caractéristique de ces clauses qui ne devraient donc pas être considérées comme des extensions conventionnelles de cette garantie légale. On pourrait toutefois admettre que la clause de garantie d’éviction porte sur un objet autre que l’objet de la prestation promise. La garantie portant sur un mode d’exploitation non concédé par le donneur de licence dépasserait l’objet de son obligation. Autrement dit, cela reviendrait à garantir autre chose que le bien loué ou vendu : on songe donc plus volontiers à une autre qualification.

81. Qualification retenue : la clause de non-concurrence. De ce qui précède, on

privilégiera, pour donner un cadre juridique à ces formules, le recours au mécanisme de la clause de non-concurrence. Peu traitée en droit d’auteur, celle-ci peut être assimilée aux clauses que l’on rencontre à propos de l’exploitation de brevets ou de marques, quoique ces dernières interdissent généralement au licencié la commercialisation de produits concurrents à ceux du concédant et non l’inverse530. En droit d’auteur, on rappellera la possibilité ainsi que les conditions de validité qui répondent à celles du droit commun : « L’éditeur peut se faire

526 M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d’auteur, Dalloz, 2009, n° 735.

527 P.-H. Antonmattei, J. Raynard, op. cit., n° 321. La solution est différente lorsque le bail ne porte plus sur « les murs » mais sur le fonds de commerce, c'est-à-dire la clientèle.

528 Cass. com. 26 févr. 2002, Prop. ind., févr. 2003 p. 18, n° 8, obs. J. Raynard et P. Vigand.

529 Par ex. : Ch. Caron, op. cit. 2e éd., n° 434 ; M. Vivant et J.-M. Bruguière, op. cit., n° 735 ; F. Pollaud-Dulian,

op. cit., n° 1052.

530 A. Abello, La licence, instrument de régulation des droits de propriété intellectuelle, LGDJ, 2008, n° 679, pour leur traitement par le droit de la concurrence.

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consentir une clause de non-concurrence, plus étendue que la prévention des autoplagiats (ex. l’auteur s’interdit de publier ailleurs des ouvrages voisins), mais proportionnée dans le temps et l’espace – et peut être rémunérée. »531. Si la seconde licence, portant sur une utilité autre que la première licence, n’évince pas nécessairement le premier licencié de la jouissance de son droit, elle peut en revanche le concurrencer. Cette concurrence n’étant pas en elle-même déloyale, il y a tout intérêt à en stipuler l’interdiction par une clause. Un dernier point pourrait remettre en cause la validité de ces clauses : l’absence de cause objective. Mais ce grief ne semble pas les atteindre si elles s’intègrent de manière indivisible à un projet d’exploitation, c'est-à-dire si elles sont associées à une véritable licence comportant une contrepartie.

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