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Chapitre deuxième : Éléments pour une analyse des textes dramatiques

2.3.2. Texte troué

À présent, il est nécessaire d’expliquer l’élément-clé du texte de théâtre qui est son caractère incomplet. Globalement, le texte de théâtre, souvent qualifié de « texte troué », ne dévoile jamais tout, il est incomplet, laisse une importante marge de liberté d’interprétation. « La part des silences y est essentielle, irrémédiable et indispensable. »182

2.3.2. Texte troué

Le texte dramatique peut alors apparaître comme une proposition incomplète, dotée d’une dramaturgie en devenirsur laquelle le lecteur doit, par son activité propre,

intervenir, et supposée donner lieu à un exercice d’imagination.

Ch. Biet et Ch. Triau, Qu’est-ce que le théâtre ?, 2006 : 549

Le texte dramatique – les dialogues et les didascalies – est incomplet, il ne dévoile jamais toutes les caractéristiques d’un personnage, d’une situation, ou d’un lieu : il incite le lecteur à participer, à imaginer la scène avec ses détails. D’un point de

181Ibid. 182Ibid.

vue informationnel le texte dramatique a un aspect plus « troué » que le texte romanesque, cependant cet aspect elliptique est atténué par l’utilisation possible des didascalies. De ce fait, le texte dramatique se livre en permanence à toutes les subjectivités interprétatives. Le texte dramatique « laisse là des vides à combler, du travail à faire, est un texte ouvert. »183 Selon D. Maingueneau c’est là une invitation faite au lecteur à participer à la résolution de l’énigme, et par là même c’est un moyen par lequel le dramaturge établit une connivence avec le récepteur de son œuvre.

« Le texte dialogué semble, en outre, selon la formule d’A. Ubersfeld, « marqué d’incomplétude » : il ne saurait tout dire. »184 A. Ubersfeld (1996, a) appelle les non-dits du texte « les points aveugles », « les trous », ou encore « les inconscients du texte ». Ces non-dits conditionnent la nature et la forme des énoncés, ils peuvent expliquer ou au contraire compliquer l’intrigue, ils laissent le lecteur deviner ce que Stanislavski appelle le « sous-texte »185. Selon J-M. Thomasseau :

« […] le texte dialogué et ses tropes semblent s’effacer au profit de ce qu’on appelle « le discours de la mise en scène » ou le « sous-texte », qui fait entrer en jeu l’exprimé et

l’inexprimé des discours visuels et dialogués, leurs accords et leurs écarts. »186

« Puisque « l’œuvre littéraire est par essence vouée à susciter la quête des implicites »187, tout texte dramatique est incomplet. En effet, il est comme « un sable mouvant, à la surface duquel on localise périodiquement et diversement des signaux guidant la réception et des signaux maintenant l’indétermination ou l’ambiguïté. »188

D. Maingueneau (1990 : 36) confirme que comprendre un texte nécessite pour le lecteur de savoir combler les « trous » du texte et composer avec les informations du contexte, en fonction de ses savoirs linguistiques, encyclopédiques et de ses croyances.

183

Ch. Biet et Ch. Triau, Qu’est ce que le théâtre ?, op. cit., p. 581. 184 J-M. Thomasseau, « Les différents états du texte théâtral », op. cit.

185 En guise de rappel : Stanislavski parle d’un « sous-texte » pour stimuler les acteurs qu’il dirige à ne pas seulement « prononcer » le discours d’un auteur, mais à manifester par leur jeu les émotions qu’il implique, « comme s’il fallait rendre l’écriture à la vie ». J. Duvignaud, Sous texte, 2005.

186 J-M. Thomasseau, « Les différents états du texte théâtral », op. cit. 187 D. Maingueneau, Pragmatique pour le discours littéraire, op. cit., p. 78. 188 P. Pavis, Dictionnaire du théâtre, op cit., p. 354.

Autrement dit : « le texte renferme un sens important mais caché »189 dont la compréhension nécessite la mise en œuvre des compétences appropriées. Comme le souligne D. Maingueneau (Ibid., p. 28) l’acte de lire fait surgir « un univers imaginaire à partir d’indices lacunaire et peu déterminés. » D. Maingueneau souligne le travail accompli par le lecteur qui pour construire cet univers doit être capable de repérer les présupposés et les sous-entendus pour identifier les personnages et l’intrigue : « la lecture construit des chemins toujours inédits à partir d’un agencement d’indices lacunaire ; » (Ibid., p. 28). Par ailleurs, U. Eco perçoit l’acte de lire comme une « […] activité coopérative qui amène le destinataire à tirer du texte ce que le texte ne dit pas mais qu’il présuppose, promet, implique ou implicite, à remplir les espaces vides, […] » (Eco, 1985 : 7). Et finalement, la lecture du texte dramatique permet d’y « retrouver la mémoire de manières de faire ou d’interpréter le théâtre à des instants précis de l’histoire. » (A. Helbo, 2007 : 28).

A. Petitjean190 de son côté montre que :

« dans la mesure où il [le texte dramatique] relève d’une mimésis formelle dialogale et en raison de sa recréation scénique possiblement anticipée selon les auteurs, il est, compositionnellement parlant, à la fois déterminé et indéterminé, complet et incomplet, fermé et ouvert, achevé et inachevé... »

Le texte dramatique se distingue par la présence des blancs espacés sur une page, « les lieux topographiques vides laissés au regard »191 qui figurent des silences. Ces espaces découpent le texte et invitent le lecteur à les compléter, à organiser sa lecture : « […] le texte de théâtre est découpé en fonction de l’utilisation lectoriale et scénique qu’on peut en faire. » 192

A. Petitjean ajoute :

« Ces « blancs » textuels, qu’ils soient intentionnels, structurels ou qu’ils résultent du déport du texte de son contexte de production, sont particulièrement congruents dans de nombreuses pièces contemporaines qui s’évertuent, depuis Adamov, Ionesco ou Beckett,

189 D. Maingueneau, Pragmatique pour le discours littéraire, op. cit., p. 78. 190

A. Petitjean, « Pour une problématisation linguistique de la notion de genre : l’exemple du texte dramatique », op. cit .

191 Biet Ch. et Triau Ch., Qu’est ce que le théâtre ?, op. cit., p. 544. 192Ibid., p. 544.

à déconstruire l’identité du personnage, les repères spatio-temporels, l’organisation

narrative, les lois du discours… »193

N’oublions pas qu'un texte « est une machine paresseuse qui exige du lecteur un travail coopératif acharné pour remplir les espaces de non-dit ou de déjà-dit resté en blanc »194 et que les phénomènes de « narcotisation » sont plus prégnants dans un texte dramatique. Outre les dialogues, les didascalies et les blancs distincts les uns des autres graphiquement sur une page, le texte dramatique est composé des encadrements ou des indications de l’organisation de la pièce comme les notations des actes, des scènes, des tableaux, qu’à la suite d’A. Petitjean195 nous appellerons les « bornes ».