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Chapitre deuxième : Linguistique conversationnelle au service de la dispute

2.3.1. Didascalies méta-énonciatives

Les informations contenues dans ce type de didascalies fournissent des indications soit sur le mode de production de l’énoncé, soit sur l’acte illocutoire à la base de l’énoncé. C’est pourquoi M. Pruner372

les appelle « didascalies expressives ».

2.3.1.1. Centrées sur la production de l’énoncé

Les indications concernant la production des énoncés livrent directement et explicitement des informations sur la façon de parler des personnages. Elles portent sur la réalisation de la parole comme la prosodie, le rythme, le tempo, l’intonation, la voix, les accentuations, les pauses, le timbre, le débit, le ton, etc. Avant d’observer ces éléments dans le texte didascalique koltésien, il convient de rappeler que la musique a joué un rôle important dans la vie de Koltès. Dans la mesure où ce fait ne reste pas sans écho dans son écriture, il influence le rythme de ses scènes de dispute dans lesquelles

nous retrouverons les indications sur la façon de parler, sur le débit « sans arrêt », sur le rythme « très rapide », sur le ton « murmure », sur l’intensité « plus fort », etc.

Les éléments paraverbaux sont assez nombreux chez Koltès et permettent d’un côté, au personnage de se positionner dans un rapport de domination et de l’autre côté, au lecteur, de s’imaginer la façon selon laquelle les adversaires entrent en conflit. Ce qu’illustrent les extraits suivants :

« Il répète cela pendant que Mikaïl parle. […] Il répète cela pendant que le Vieux parle. […] Temps. Début du gémissement de la Vielle. Le rythme est très rapide, presque l’un sur l’autre. »

B-M. Koltès, Les Amertumes, 1998 : 40-41

Ou

« Cal. – N’importe qui t’aurait proposé, alors, tu aurais suivi, hein ? (Il rit.) Cette femme a du tempérament.

Léone. – N’importe qui ne m’a pas proposé. Cal. – Et tu aimes les feux d’artifice, hein, bébé ? Léone. – Oui, aussi, il m’a parlé de cela aussi.

Cal. – Tu aimes rêver, hein ? et tu voudrai me faire rêver aussi, hein ? (Dur :) Mais moi, je rêve la vérité, je ne rêve pas des mensonges. »

B-M. Koltès, Combat de nègre et de chiens, 1989 : 47

Ou

« Cécile. – Idiote. Tu ne crois donc pas que ce sommeil-là, il faudra bien que tu le rattrapes ? Tu n’as pas gagné une minute avec tout ce café bu en cachette, idiote. Dépêche-toi.

Claire (pleurant). – Je ne veux pas rester seule, ce soir, à la maison. Cécile. – File. »

B-M. Koltès, Quai ouest, 1985 : 65

Ces didascalies concernent le processus d’énonciation et précisent concrètement la façon dont l’énoncé est produit. Sans doute, cet aspect est-il également

dans les didascalies suivantes mais elles ont en plus l’intérêt de manifester l’engagement émotionnel de l’interlocuteur.

« Ma (elle lui prend la main). – Je crains pour vous que vous n’ayez été aimée comme vous ne le savez plus, écoutée, sans doute, comme vous ne le serez plus. Alors maintenant, Carole, nous sommes là.

Carole (brusquement). – Non. Ma (surprise). – Pardon ? »

B-M. Koltès, Sallinger, 2005 : 48

Ou

« Rouquin (furieux). – Tu sais bien que ce n’est pas vrai. Tous, vous me détestez. Partout on me déteste ; »

B-M. Koltès, Sallinger, 2005 : 42

Ou

« Koch (s’énervant brusquement). – Pourquoi, mais pourquoi donc me poursuivez-vous avec cet argent ? »

B-M. Koltès, Quai ouest, 1985 : 67

Bien que l’écriture de Koltès insiste sur les comportements réactifs des personnages par la vivacité des mouvements, elle sait aussi exprimer les conflits à l’aide de réactions moins spectaculaires mais néanmoins significatives ; ses personnages parlent souvent à voix basse et leurs dialogues sont truffés de « silence » : « à voix basse », « bas », « après un temps »…

« Cal. – Je trouve que c’est encore plus con si c’est plus compliqué, ce jeu. Horn. – Alors, tu ne joue plus ?

Cal. – Je ne veux plus, non ; je trouve que l’on devient con, à jouer. Horn (après un temps). – Bon Dieu, non, je ne comprends pas. […]

Cal. – Non non non, je ne veux plus jouer à rien. Horn. – Alors, qu’est-ce qu’on doit faire ? Cal. – Je ne sais pas. Ne pas être con. Horn. – Eh bien, d’accord. (Ils boudent.)

B-M. Koltès, Combat de nègre et de chiens, 1989 : 53-54

Ou

« Horn (misant). – Joue.

Cal. – Je n’ai pas le cœur à jouer, vieux, non, je n’y ai pas le cœur. (Bas :) Alors, tu vas vraiment me lâcher, Horn, c’est cela, ton idée ? dis-le, dis-le : n’est-ce pas que tu me lâches, vieux ?

Horn. – Quoi ?

Cal. – Fais tirer dessus par les gardiens. On est dans notre droit, merde ! »

B-M. Koltès, Combat de nègre et de chiens, 1989 : 63

Ce type de didascalies méta-énonciatives présents dans les scènes de dispute, signale le rapport d’intimité entre les personnages. A. Petitjean373

attribue aussi ce régime énonciatif à une sorte de « phobie panoptique », omni-présente dans l’œuvre de Koltès. Autrement dit, les personnages koltésiens se sentent souvent surveillés, par exemple dans Quai ouest par Abad, dans Le Retour au désert par Adrien et dans Les Amertumes par Alexis. La quinzième page de cette dernière pièce est consacrée à la description d’Alexis :

« C’est le témoin, celui sans lequel l’action ne serait qu’un vain et écœurant gigotement, […]. Il n’est mentionné à aucun moment, mais il est toujours présent. Il regarde, se

détourne, s’introduit, s’oppose, encourage […] »374

.

« Cette présence / absence possible ou mystérieuse de récepteur additionnel hostile contribue à créer un climat d’inquiétude et de peur caractéristique des univers koltésiens »375 dans lequel éclatent des conflits de différents types.

2.3.1.2. Centrées sur la valeur illocutoire de l’énoncé

Quant aux didascalies centrées sur la valeur illocutoire de l’énoncé, elles regroupent les indications qui affectent le discours, son déroulement et la nature de l’acte accompli lors de l’énonciation de la réplique. Pour l’analyse des didascalies

373 A. Petitjean, « De l’usage du mot STYLE à propos des didascalies », op. cit.

374 B-M. Koltès, Les Amertumes, 1998, p. 15.

énonciatives il n’est pas toujours facile de faire la part entre les didascalies purement centrées sur la production de l’énoncé et celles centrée sur la valeur illocutoire de l’énoncé. C’est ainsi que dans les exemples suivants l’adjectif « menaçant » ou l’expression « en colère » en plus d’indiquer l’acte de menacer ou de renforcer l’ordre, donnent des indications sur la façon de produire les énonciations.

« Horn. – Imbécile.

Cal (menaçant). – Ne me traite pas d’imbécile, Horn, plus jamais. »

B-M. Koltès, Combat de nègre et de chiens, 1989 : 99

Ou

« Claire. – Tu es trop lourde, je ne pourrais pas te porter toute seule.

Cécile. – Idiote. (Bas :) Cache-moi, je ne veux pas que Rodolfe me voie, je l’entends rigoler là-derrière, va me chercher mon châle et cache-moi dessous, je veux avoir l’air d’un petit tas de cailloux. (En colère :) Nettoie autour de moi, c’est dégueulasse, va chercher le seau et lave. »

B-M. Koltès, Le Retour au désert, 2006 : 97

Ces indications, même si elles sont en nombre assez limité dans l’écriture koltésienne, permettent de mieux saisir la force illocutoire véhiculée dans l’énoncé et contribuent à la création du discours conflictuel.