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Afin de proposer une définition de la scène qui sera pertinente pour notre recherche, nous l’envisagerons successivement en tant qu’organisateur spatial, textuel, fictionnel et imaginaire.

1.3.1. Organisateur spatial

Depuis la naissance du théâtre, l’espace matériel de la scène est signifiant en lui-même, la scène est un « acte de jeu du plateau »25 car si, au théâtre il est possible de réduire le nombre d’acteurs, d’objets, de mouvements, ou même de paroles, l’espace de la performance théâtrale est une dimension irréductible.

« 1) L’espace théâtral est d’abord un lieu scénique à construire, et sans lequel le texte ne

peut pas trouver sa place, son mode d’existence concret.

2) L’essentiel de la spatialité, les éléments qui permettent la construction du lieu scénique

sont tirés des didascalies qui fournissent, comme nous savons :

22 M-C. Hubert, Les grandes théories du théâtre, 1998, p. 212. 23

Ibid., p. 212.

24 R. Guinard, « Quai ouest les dérives atlantiques de Bernard-Marie Koltès » in Masques, 1986, pp. 20-22.

a) des indications de lieu, plus ou moins précises et détaillées selon les textes ;

b) les noms des personnages (qui font partie des didascalies, ne l’oublions pas) et, du même coup, un certain mode d’investissement de l’espace (nombre, nature, fonction des personnages) ;

c) des indications de gestes ou de mouvements, parfois rares, sinon nulles, mais permettant, si elles existent, d’imaginer le mode d’occupation de l’espace (exemple : « marchant à grand pas », ou « se faisant tout petit », ou « immobile »).

3) La spatialisation peut provenir du dialogue : la plupart des indications scéniques dans Shakespeare sont simplement tirées du dialogue par déduction (c’est ce qu’on nomme des « didascalies internes »). »26

L’écriture même du texte dramatique sera dépendante de l’espace dans lequel la pièce sera produite : le dramaturge prend toujours en considération l’espace, déterminé par la technique et l’histoire, où la parole sera représentée27

. Pour Koltès l’espace est un élément de son écriture particulièrement important, « il l’affirme, le point de départ de tout le processus de la construction imaginaire. »28 La relation entre la structure de l’œuvre et l’espace scénique est une constante de l’histoire du théâtre,29 car l’espace scénique est conçu à l’image d’un « tableau vivant » qu’il s’agit de mettre en valeur.

En outre, il convient de distinguer entre ce qui est montré au spectateur et ce qui ne l’est pas, entre l’espace scénique et extra-scénique. La scène peut-être agrandie vers des mondes qui pour ne pas être représentés ne sont pas moins existants dans la fiction, la fenêtre par exemple ouvre sur l’extérieur, ou un objet mobile qui arrive sur la scène présuppose qu’il y a un ailleurs par rapport à ce qui est présenté aux spectateurs. Par exemple, par l’indication didascalique du bruit de l’explosion du café Saïfi, (Le Retour au désert, p. 75), sans que Koltès ne décrive cette scène, nous apprenons que le

26 A. Ubersfeld, Lire le théâtre I, 1996, a), p. 114-115.

27 Aussi les objets, les couleurs, les costumes, la voix des acteurs, etc. déterminent la scène en tant qu’organisateur spatial. Cf. Ibid., p. 124-134 et p. 143-151, ou M. Issacharoff, Le spectacle du discours, 1985, p. 78-82.

28 A. Ubersfeld, Bernard-Marie Koltès, 1999, p. 110. 29 M. Pruner, La fabrique du théâtre, 2000, p. 46.

café a été saboté. Ou encore les paroles d’un personnage ouvrent sur un hors scène, par exemple la dernière scène de Le Retour au désert (p. 85-86), grâce aux paroles de Maame Queuleu nous apprenons que Fatima a accouché des jumeaux noirs. Nous savons que « toute perception d’espace suscite une image mentale qui peut s’élaborer en modèle mental. »30 Il s’agit de distinguer entre visible et invisible, entre perceptible et non perceptible ce qu’après M. Issacharoff nous appellerons respectivement mimétique et diégétique31. « L’espace mimétique est transmis sans médiation ; l’espace diégétique, tout au contraire, est médiatisé par les signes verbaux (le dialogue), communiqué donc verbalement et non visuellement. »32

La scène en tant qu’organisateur spatial n’existe que par les actions (verbales, non verbales) de l’acteur : « […] le lieu scénique ouvre, par l’action du comédien, sur une aire de jeu et sur un espace dramatique, ou théâtral – autrement dit sur un univers d’imagination proposé au comédien et aux praticiens, le plus souvent par un texte à dire et à interpréter […] »33. Il s’impose de compléter cette définition par ce qui écrit A. Ubersfeld34 « […] le lieu scénique étant toujours à la fois aire de jeu et lieu où figurent transposées les conditions concrètes de la vie des hommes. » Ou encore, c’est M-C. Hubert (1988) qui évoque à ce sujet les propos d’A. Ubersfeld :

« À l’espace scénique appartiennent non seulement des signes comme les praticables ou les accessoires, mais le nombre des comédiens et leur espacement, les figures qu’ils dessinent, leur rapport à l’éclairage et à l’acoustique. »35

De fait, A. Ubersfeld propose deux définitions de la scène. Elle la considère d’une part comme organisateur spatial « emplacement de praticiens, espace concret investi par les comédiens »36 et d’autre part comme organisateur textuel. La scène matérielle est ce lieu de la représentation tel qu’il est virtuellement « esquissé, dans le

30

B-N. Grunig, « La représentation théâtrale ou le pouvoir du verbal. Sur l’exemple de tragédies classiques françaises et de tragédies d’Eschyle » in Pratiques, n°119/120, 2003, pp. 101-107.

31 M. Issacharoff, Le spectacle du discours, op. cit., p. 72-78. 32Ibid., p. 69.

33

Ch. Biet et Ch. Triau, Qu’est ce que le théâtre ?, op. cit., p. 86. 34 A. Ubersfeld, Lire le théâtre I, op. cit., p. 117.

35 M-C. Hubert, Le théâtre, 1988, p. 18. 36Ibid., p. 18.

texte, à travers les didascalies et le dialogue »37. Ce qui nous conduit à adopter une perspective plus large quant à la scène et à considérer sa dimension d’organisateur textuel.