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Autre aspect important d’une dispute, la présence d’actes de langage qui s’enchaînent au fil de son développement. C’est à l’aide de l’analyse des actes de langage dans le texte du théâtre que nous pourrons déterminer tous les autres éléments de la relation interpersonnelle comme par exemple la gestion des faces ou des positions interactionnelles.

« Quant à la textualité dramatique, il est, aujourd’hui, reconnu (Laillou Savona, J., 1980) que les textes de théâtre sont saturés d’actes de langage, que ces derniers soient marqués explicitement ou non, qu’ils soient littéraux ou dérivés mais que ces actes de langage, assumés par les personnages, ont un statut particulier. En effet, d’une part, grâce aux assertifs dont le contenu propositionnel porte sur la diégèse (description des personnages, mise en place de l’espace-temps, évocation d’événements antérieurs...), il s’agit, pour les personnages, d’accomplir la fonction narrative dévolue au narrateur romanesque. D’autre part, les actes de langage tiennent lieu, énonciation mimétique oblige, d’actions qui développent l’intrigue tout au moins pour les pièces qui reposent sur une fable construite.»67

L’approche interactionnelle apporte un éclairage important sur la question des actes de langage car ces derniers « constituent un réservoir de « relationèmes » aussi divers que puissant. » (C. Kerbrat – Orecchioni, 2001 : 68). Les actes de langage sont appelés « relationèmes », dans la mesure où ils constituent autant d’« indicateurs » et de « créateurs » de la relation interpersonnelle. Leur rôle est alors essentiel pour l’instauration de l’interaction. Effectivement, la relation interpersonnelle change selon que les locuteurs utilisent l’ordre, l’excuse ou la félicitation, etc. Certains actes de langage sont attachés à la relation complémentaire, d’autres à la symétrique. Ils sont alors en mesure d’inverser le rapport de position des interlocuteurs et sont à l’origine du type d’interaction instaurée. En ce qui concerne la dispute, comme nous l’avons constaté, la relation entre les interlocuteurs relève de la symétrie et de l’axe horizontal sous la forme d’un non respect des distances entre les interlocuteurs. Chaque acte de

67A. Petitjean, « Actes de langage et textualité dramatique: aspects linguistiques et didactiques », 2010, p. 241-254, article disponible sur :

langage contient une force illocutoire, et par là même exerce un effet illocutoire sur le destinataire. Le développement d’une dispute dépend de l’effet qui est exercé par tel ou tel acte de langage et de ce qu’il réussit ou échoue perlocutoirement68

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À côté de la valeur illocutoire des actes de langage, il existe deux autres types de valeurs pragmatiques appelées par C. Kerbrat – Orecchioni « conversationnelles », (actes d’ouverture et de clôture de la conversation) et « socio-relationnelles » établissant la relation interpersonnelle par la relation des faces. Nous nous centrerons ici sur ces dernières, car lors d’une dispute, vouloir imposer sa face positive est essentiel pour gagner l’affrontement verbal. Et pour ce faire le locuteur a à sa disposition les actes de langage dont la fonction première, interactive, est de menacer les faces de l’adversaire. La dispute est créée par le jeu constant des actes de langage agressant la face de l’autre. Il n’y a pas de place, ici, pour les adoucissements proposés par Brown et Levinson dans leur théorie de FTA (Faces Threatening Act, théorie proposée en 197869 dont le modèle a inspiré les recherches de C. Kerbrat-Orecchioni).

Faces

Procédons à présent à un court détour théorique afin de préciser la notion des faces interactionnelles, concept tellement important lors d’une dispute. E. Goffman (1973) voit dans les interactants d’une dispute des individus qui essayent de protéger leurs territoires et leurs faces et en même temps menacent ceux de l’adversaire. Rappelons que tout individu possède une « face négative », qui correspond pour C. Kerbrat-Orecchioni (1996 : 81) au « territoire du moi », c'est-à-dire le territoire corporel, spatial, matériel ou cognitif. À quoi s’ajoute le fait qu’il essaye de protéger ou même d’imposer sa « face positive », qui pour E. Goffman correspond à l’ensemble des images gratifiant les valeurs, les comportements de cet individu. À partir du moment où l’équilibre interactionnel est rompu par la domination d’un des protagonistes, la face positive de l’autre est menacée. Celle-ci est d’une part un objet d’agressions et de

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J-L. Austin, Quand dire, c’est faire, 1970.

69 B. Penelop, S. C. Levinson, (1987) « Politeness : some universals in language usage », Cambridge : Cambridge University Press. Première publication en 1978 dans Esther N. Goody (ed.) Questions and Politeness, 1978, pp. 56-289.

l’autre un objet de protection permanente, par conséquent sa perte apparaît comme une défaite symbolique. Par ailleurs, E. Goffman propose la notion de « figuration » (« face-work ») qui rend compte des actions entreprises par les locuteurs, afin de ne pas perdre la face.Un conflit peut avoir pour origine le fait qu’un individu ne respecte pas la face de l’autre. Rappelons que la position haute d’un des allocutaires lui permet d’assurer le contrôle du dialogue, afin d’imposer ses raisons et de menacer la face de l’autre. L’accord avec des arguments de l’adversaire met l’interlocuteur en position basse, car cette action constitue une menace pour sa propre face. En effet, si un des interactants se défavorise lui-même, il favorise indirectement son opposant. Le locuteur se met en position haute en agressant la face du récepteur quand il accomplit certains actes verbaux et non verbaux, il peut se mettre en position basse en acceptant ces actes ou en en accomplissant d’autres. La plupart des actes de langage mis en jeu au cours d’une dispute sont susceptibles de menacer les faces, ce que nous analysons en particulier lors du chapitre consacré aux actes de langage.

Revenons au sujet d’actes de langage présents lors d’une dispute. Selon F. Jacques (1979), les actes de langage intervenant lors d’une dispute échappent à la praxis interactionnelle qui caractérise les autres types de discours. Cela veut dire que les activités linguistiques employées en vue d’un résultat communicationnel sont suspendues au cours d’un conflit discursif. Ce qui compte au cours d’un tel échange, ce n’est pas d’essayer de comprendre l’autre, mais de savoir se prévaloir sur lui, autrement dit, les protagonistes visent un même résultat communicationnel (l’emporter sur l’autre) mais il n’est pas commun. Dans ce but, les adversaires emploient des actes de langage « directifs » comme ordonner, persuader, argumenter, convaincre, etc. et « expressifs » comme se vanter, désapprouver, blâmer, critiquer, etc., (D. Vanderveken, 1988 : 181).

Actes directifs

Les actes de langage au cours d’une dispute sont contraignants effectivement par leur caractère « directifs », ils marquent la position haute de l’émetteur, attaquent et rabaissent le récepteur, ils constituent donc un « taxème » (marqueur) de position haute. Le classement des verbes fournit par D. Vanderveken (1988 : 181) nous permet de retrouver les actes directifs comme l’ordre, l’interdiction, l’autorisation, le conseil, le reproche et les autres actes impératifs particulièrement menaçant pour les faces de leur destinataire. Le chercheur décrit les actes de langage directifs comme les verbes ayant des « forces illocutoires directives avec des conditions spéciales. » (Ibid., p. 182).

L’ordre par exemple, acte direct et directif présent dans la situation d’affrontement, est d’après E. Goffman (1973), particulièrement menaçant pour la face d’autrui. Pour défendre ses faces le récepteur est amené à exprimer son désaccord, en attaquant la face du locuteur. En accomplissant un acte qui agresse les faces de celui-ci, le récepteur a toujours la possibilité d’accepter ou de refuser l’acte reçu. Si celui-ci ne l’accepte pas et répond par la réfutation, la critique, la moquerie ou l’insulte, il instaure la relation dominante explicite et se situe lui-même sur la position haute. C’est ainsi que le mécanisme de la dispute est déclenché et alimenté.

Actes expressifs

Un autre trait renforçant les actes de langage présents dans une dispute est leur caractère « expressif », tel qu’il est manifesté par les verbes comme se plaindre, déplorer, se vanter, désapprouver. Ces actes décrits également par D. Vanderveken (1988 : 199) servent à transmettre, grâce à leur force illocutoire expressive, les états mentaux de l’émetteur. Autrement dit, le locuteur manifeste son engagement affectif, tout en adoptant une attitude menaçante vis-à-vis du destinataire. Ces actes de langage, générés par la situation immédiate et/ou par le contexte plus large, sont employés dans le but de combattre le récepteur. Cette donnée interactionnelle pousse les interactants à continuer les agressions de leurs faces réciproques en vue de se dé-placer.

Or, dans une dispute les formulations sont durcies par leur caractère « directif » et « expressif ». Lors de ce type d’échange verbal il n’y a de place pour les « euphémismes syntaxique », c’est-à-dire pour les opérations qui selon C. Kerbrat – Orecchioni servent à tempérer les actes de langage. Le discours s’y présente sous la forme d’un acte direct et expressif dont témoigne, entre autres, l’ordre des syntagmes.

Verbal, non verbal, para verbal et la dispute

Les attitudes conflictuelles se réalisent aussi à l’aide d’unités de nature phatique ou régulatrice comme les indices verbaux, non verbaux et para verbaux. À ce propos, nous mentionnons l’intensité articulatoire, le timbre de la voix, le débit, la hauteur et la rapidité des échanges. Souvent, les variations d’intonation signifient que les interactants sont en train de se disputer. L’intonation traduit aussi l’expressivité du locuteur et marque la mise en valeur des mots. Elle joue un rôle de signal, avertissant le récepteur des émotions qui accompagnent le discours de l’énonciateur. Le paralangage constitue l’un des facteurs essentiels au sein d’une dispute puisqu’il influence l’interprétation réciproque des énoncés. Lors d’un conflit discursif l’individu a à sa disposition différents codes utilisables en fonction des besoins pratiques de la lutte verbale engagée. Nous n’insisterons pas ici sur les silences, les gestes, le contact oculaire, les mimiques faciales et les autres éléments kinésiques et proxémiques, dans la mesure où nous revenons à ce sujet au cours de l’analyse des didascalies qui transmettent ce type d’informations présent dans les disputes koltésiennes.

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Pour comprendre quels mécanismes régissent la communication en général et la communication conflictuelle dans l’œuvre de B-M. Koltès en particulier, nous allons observer, dans les pages qui suivent, la complexité des composants qui la gouvernent. Étant donné que la communication conflictuelle fait partie de la communication dramatique en général, les lois qui l’organisent sont alors les mêmes que celles de la communication non conflictuelle. Les éléments de la communication dramatique serviront de base pour le recensement de composants de la dispute.