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Puisque la communication au théâtre s’inscrit dans un dispositif bien spécifique, elle n’est pas sans incidences sur les propriétés internes des énoncés dialogués. Nous étudierons le fonctionnement de la communication au théâtre qui s’organise sur trois niveaux : personnage/personnage, acteur/acteur et auteur/spectateur-lecteur ; le schéma de communication au théâtre mis en lumière par C. Kerbrat-Orecchioni (1984 : 48) servira d’illustration :

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C. Kerbrat-Orecchioni « Quelques aspects du fonctionnement du dialogue théâtral » in P. Léon et P. Pétron (éds), Le dialogue, 1983, pp.133-140.

90 Sans nous attarder sur la notion de trope communicationnel on dit que « le trope communicationnel théâtral possède au moins trois caractéristiques distinctives : – le spectateur est toujours le destinataire « indirect » des échanges du premier et du second niveau. – les règles du dialogue ordinaire sont souvent « systématisées ». – le discours théâtral est une pratique d’écriture. » in A. Petitjean, « La conversation au théâtre », Pratiques, nº41, 1984, pp. 63-88. À titre d’exemple l’auteur analyse la scène d’exposition et le quiproquo.

pôle d’émission pôle de réception auteur / personnage / acteur acteur / personnage / public

communication symétrique actants réels communication symétrique actants fictionnels communication dissymétrique actants réels

(N.B. : l’auteur comprend par « actant », tout individu qui est engagé dans la communication)

Ce schéma illustre la théorie selon laquelle, lors d’une communication dramatique, nous avons à considérer une « chaîne d’émetteurs/récepteurs ». Il peut paraître simpliste de constater que la communication au théâtre passe entre le dramaturge et le public, entre l’acteur et l’acteur et entre le personnage et le personnage. L. Jouvet91 les appelle les trois participants d’une traditionnelle association ; il confirme ainsi que l’acte de théâtre exige la participation de ces trois pôles ; aucun élément d’une analyse conversationnelle au théâtre ne peut alors être étudié sans prendre en compte cette relation. Cependant, même si le schéma ci-dessus ne prend pas en compte tous les aspects d’une communication au théâtre92

, il témoigne de sa complexité.

« La communication théâtrale se caractérise par un emboîtement des instances d’énonciation, et en particulier, par le fait que s’adressant, en apparence, à tel ou tel personnage, les énoncés proférés sur scène ont en fait pour destinataire principal le public : en ce sens, si l’on envisage ce qui se passe non plus entre actants énonciativement isotopes, mais entre actants relevant d’instances énonciativement hétérogènes, le discours

théâtral peut être considérés comme constituant un gigantesque trope

communicationnel.»93

L’emboîtement d’instances énonciatives constitue la particularité cardinale de tout type de communication au théâtre.

91 L. Jouvet, Témoignages sur le théâtre, op. cit., p. 26. 92 A. Ubersfeld, Lire le théâtre III, op. cit., p. 10-11.

« Tel est bien la particularité du discours théâtral : utiliser des mécanismes de la conversation ordinaire mais en intensifiant les effets à des fins (par-delà l’énonciation des

personnages) de séduction et de conviction du spectateur. »94

Cette multitude d’émetteurs :

« […] est à la base même de la communication théâtrale ; c’est elle qui fait du théâtre non pas un médium par lequel un individu parle à un autre individu, mais une activité par laquelle une collection d’artistes, unis dans le même projet, parle à une collection

d’individus unis dans la même activité, réception du théâtre. »95

En ce qui concerne l’échange au niveau acteur – acteur, O. Ducrot (1984) voit dans ce niveau la communication indirecte car les acteurs ne sont pas véritablement responsables de leurs séquences : ils sont les « sujets parlants » et non pas les « locuteurs » ; ils actualisent les répliques écrites auparavant. E-G. Craig (1999 : 36) les appelle « les super-marionnettes », c'est-à-dire les acteurs « avec le feu en plus, et l’égoïsme en moins ; […] ». Platon définit l’acteur comme « l’anneau moyen de la chaîne qui lie le spectateur au poète. » (in L. Jouvet, 1952 : 160). C’est l’acteur qui est chargé d’organiser et d’exploiter cette chaîne de complicité « cette union, cette entente et cette effusion de la cérémonie dramatique. » (Ibid.).

Cette complexité d’emboîtement d’instances énonciatives au théâtre rappelée, concentrons-nous uniquement sur le niveau personnage-personnage sur lequel s’appuie la présente recherche. Il s’impose de mentionner que le dramaturge ne met jamais les personnages en contact pour le seul plaisir de parler ; chaque réplique a un double rôle : « (con)vaincre » – elle fait avancer l’intrigue (relation personnage-personnage) et « informer » – elle influence l’auditeur silencieux qu’elle semble ignorer (relation auteur-lecteur/spectateur) ; ce procédé rend les personnages autonomes tout en établissant une connivence avec le lecteur. Précisons que les déictiques, les actes de langage, les maximes conversationnelles, les lois du discours fonctionnent par rapport aux seuls personnages qui restent alors les seules instances conversationnellement

94 A. Petitjean, « La conversation au théâtre », op. cit.

pertinentes96 au théâtre. C’est sur le fond de cette relation personnage-personnage que nous analyserons la dispute dans le théâtre de B-M. Koltès.

Conclusion

Avant d’entreprendre l’étude des scènes de conflit chez Koltès, il nous a paru nécessaire de préciser ce qu’il faut entendre, d’un point de vue discursif, par « scène de dispute ». Une dispute est un échange verbal entre au minimum deux individus qui représentent deux points de vue divergents et n’acceptent pas de compromis. Les participants d’une dispute sont en concurrence, en rivalité, chacun imposant ses faces essaie de détruire celles de l’autre. Ils veulent se mettre réciproquement dans l’embarras, afin de voir triompher leur avis et éventuellement exploiter cette victoire. Chaque participant met en œuvre de nombreuses stratégies linguistiques et extralinguistiques afin de sortir vainqueur du conflit verbal. Par ailleurs, les protagonistes d’une scène de dispute, au moyen de différentes techniques de manipulation, veulent se dé-placer afin de se mettre réciproquement en K.O. verbal.

Chapitre deuxième : Éléments pour une analyse des textes