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Chapitre deuxième : Éléments pour une analyse des textes dramatiques

2.2.6. Art du texte

Comprendre un texte, c’est également pouvoir répondre à une question pragmatique : pourquoi, pour accomplir quel but, quelle visée argumentative, ce texte a-t-il été produit ?

J-M. Adam, Linguistique textuelle : des genres de discours aux textes, 1999 : 79

Le théâtre est un art, et « si la beauté est la raison d’être de l’art, le théâtre doit être création de beauté dans toutes ses parties, à commencer par le texte qui en est la partie centrale. »172 Dans le domaine du théâtre « une pièce est une œuvre écrite avant d’être une œuvre parlée »173

, le texte est alors un élément premier de l’œuvre dramatique, c’est « le centre solide autour duquel viennent s’ordonner les autres éléments »174. Nous avons déjà vu les problèmes liés à l’écriture auxquelles doit se confronter un dramaturge pour créer un texte de théâtre. La longévité d’un texte dramatique tient au fait qu’il n’est pas exclusivement livré à l’instant de sa mise en scène, mais qu’il peut être lu et relu par différents lecteurs, dans différents contextes et époques.

Une belle métaphore de H. Gouhier (1943) illustre cette idée :

171

C. Blanche-Benveniste, Approches de la langue parlée en français, op. cit., p. 9. 172 H. Gouhier, L’essence du théâtre, op. cit., p. 18.

173Ibid., p. 17. 174Ibid., p. 66.

« Une fois le fruit savouré, le noyau reste pour assurer la croissance d’autres fruits semblables, le texte ; lorsque se sont évanouis les prestiges de la représentation, attend

dans une bibliothèque de les ressusciter quelque jours. »175

Pour l’essentiel, nous avons suivi les indications d’A. Ubersfeld176

dans le but de déterminer les particularités d’une œuvre théâtrale écrite. L’auteur identifie un certain nombre de caractéristiques du texte dramatique, toujours par opposition à la représentation scénique. Le texte de théâtre, tel qu’il se présente entre les mains du lecteur est une manifestation linguistique par opposition à l’expressivité verbale et non verbale de la représentation. Impliquant la lecture linéaire, le texte dramatique présente ses signes dans une disposition diachronique par opposition à la synchronie des signes lors d’une représentation. Le texte est impliqué dans l’ordre du temps par opposition à l’organisation spatio-temporelle de signes multiples lors d’une représentation. D’emblée dansnotre travail, la ligne de partage entre le théâtre compris comme l’art du spectacle et l’art du texte littéraire s’impose. La richesse du texte dramatique selon A. Ubersfeld (1996 : 20) réside dans le fait qu’il peut être analysé d’une part, selon les règles linguistiques puisqu’il est construit avec un code linguistique, et d’autre part, selon les règles de communication puisqu’il y a un émetteur, un récepteur, un code, un message et un contexte.

Le texte dramatique ne se limite pas uniquement aux didascalies et aux dialogues que cette thèse tente d’analyser comme les éléments textuels qui représentent la dispute. Le texte dramatique est aussi constitué d’autres formes écrites que nous observerons brièvement dans le sous-chapitre qui suit.

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2..33..DDiifffféérreennttsstteexxtteessddeetthhééââttrree

La question qui se pose est la suivante : quelle est exactement la matérialité du texte dramatique ? Quand on pense « texte de théâtre », on visualise premièrement cette forme particulière du discours qui a ses règles propres de « mise en texte » permettant de coder le langage dramatique et d’en dégager des structures énonciatives matérialisées

175Ibid., p. 66.

sous la forme des dialogues et des didascalies au service du développement de l’action de la pièce (actes, scènes, tableaux). Et pourtant, le texte de théâtre est « une littérature, un ensemble de textes faits pour la représentation. » (A. Viala, 1997 : 35). On sait alors que dans la catégorie « texte de théâtre » entrent d’autres types de textes. A. Petitjean177 souscrit à la classification de J-M Thomasseau (1984, 2005) qui propose les différents états des écrits de théâtre : texte embryonnaire, dialogué, livret, lu, en répétition, joué, adapté, dé-joué, imprimé, etc. Nous en présenterons quelques exemples ci-dessous.

Paratexte

Par textualité dramatique, nous entendons l’ensemble du texte produit par le dramaturge : sa forme imprimée (dialogues, didascalies, etc.,) sur laquelle nous reviendrons et le paratexte. Si le texte écrit est indispensable, le paratexte est plus ou moins facultatif ; c’est un texte informatif destiné aux professionnels de théâtre ou au lecteur. Nous pensons particulièrement aux textes comme : Carnets de combat de nègre et de chiens ou Pour mettre en scène « Quai ouest ». Le paratexte organise l’action de la pièce dans l’imagination du lecteur ou précise les intentions et les choix esthétiques de l’auteur. Le paratexte se remarque également par ses qualités littéraires, c’est un texte littéraire et technique à la fois. Selon la terminologie de G. Genette178, le paratexte définit les éléments venant en complément du texte principal, ce sont les préfaces, les notes, les glossaires, etc.

« Un élément de paratexte, si du moins il consiste en un message matérialisé, a nécessairement un emplacement que l’on peut situer par rapport à celui du texte lui-même : autour du texte, dans l’espace du même volume, comme le titre ou la préface, et parfois inséré dans les interstices du texte, comme les titres de chapitres ou certaines notes ;

j’appellerai péritexte cette première catégorie spatiale, certainement la plus typique […]

autour du texte encore, mais a une distance plus respectueuse (ou plus prudente), tous les messages qui se situent, au moins à l’origine, à l’extérieur du livre : généralement sur un support médiatique (interviews, entretiens), ou sous le couvert d’une communication privée (correspondance, journaux intimes, et autres). C’est cette deuxième catégorie que

je baptise, faute de mieux, épitexte. […] Comme il doit désormais aller de soi, péritexte et

épitexte se partagent exhaustivement et sans reste le champ spatial du paratexte ;

autrement dit, pour les amateurs de formules, paratexte = péritexte + épitexte. »

177 A. Petitjean, « Pour une problématisation linguistique de la notion de genre : l’exemple du texte dramatique », op. cit.

Le texte de théâtre, c’est aussi bien le texte manuscrit, les brouillons, les croquis, ou encore les notes informelles comme le « livret de mise en scène ». Une explication plus fine nous incite à préciser que c’est un cahier de travail n’obéissant à aucune règle de composition, souvent créé dans un langage sommaire de formules codées. J-M. Thomasseau écrit que « Ce texte particularise le para-texte, le débarrasse de ses scories littéraires, et le réduit à l’essentiel de ses fonctions utilitaires : la mise en espace d’un texte dialogué. »179

L’auteur ajoute que le livret de mise en scène aménage les indications paratextuelles car il cherche à combler les blancs du paratexte. Le livret apporte des caractéristiques plus techniques que le paratexte plus littéraire omet souvent de préciser. Le rapport entre ces deux types de texte de théâtre met à jour les dispositifs du passage du texte à la scène, il définit les dimensions des décors et des accessoires, les techniques de mise en scène, le jeu des acteurs, etc. Il fournit des informations détaillées sur les relations entre les personnages et les objets constituant les cadres de la scène. Ce type de texte est souvent mis à l’écart ou voué à l’oubli et pourtant, il offre une richesse d’indications historiques et structurales sur l’évolution du théâtre.