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Dispute – activité extrêmement interactive

Centration sur la personne de l’adversaire

Si le conflit discursif est particulièrement interactif, c’est parce qu’il est centré sur l’adversaire. Toutes les opérations mises en œuvre au cours d’une dispute (réfutation, manipulation, dé-placement, etc.) s’organisent en fonction de l’autre. Bien évidemment, tout discours est dirigé vers l’autre, mais le conflit discursif est construit principalement autour de la personne de l’adversaire. Il est impossible de participer à une dispute sans avoir à considérer un adversaire concret, peu importe si c’est un ennemi personnel, idéologique, politique ou encore un opposant d’un autre type.

« Et comme on l’a dit, l’Autre, c’est l’enfer. Au-delà de son caractère stéréotypé, cette phrase résume un autre trait fondamental de tout discours conflictuel : le fait que l’on va

nécessairement parler de l’Autre, de l’adversaire, de manière négative. »57

Le discours conflictuel se construit autour des réfutations des idées de l’autre et peut aller jusqu’à l’« argumentum ad personam ». L’interlocuteur qui tient le discours conflictuel se livre à une double activité pour remporter le combat : il disqualifie le discours et la personne même de l’adversaire. Les attaques disqualifiant la personne de l’adversaire sont souvent sans aucun rapport avec le fond du conflit. L’adversaire, en

plus de vouloir manipuler le discours, la place et la personne de l’autre, va souvent essayer de faire porter la responsabilité du conflit à son interlocuteur.

Centration sur le discours de l’adversaire

Il s’agit d’un discours qui contrarie un autre discours, d’où l’aspect interactif d’une dispute.

« Le discours conflictuel c’est un discours qui s’oppose à un autre discours : c’est un contre-discours, puisque l’activité principale de l’auteur d’un discours conflictuel consiste à reprendre, dans son propre discours, le discours de son adversaire pour le rejeter, le nier, le réfuter, le disqualifier. »58

Or, au cours d’un conflit discursif il s’agit de construire un contre-discours en mettant en œuvre des processus de reformulation. L’interlocuteur part du discours de son adversaire et l’introduit dans le sien pour le rejeter et pour imposer ses idées. Il s’approprie le discours de son adversaire en le modifiant, en le transformant ou même en le déformant dans le but de le réadapter afin d’imposer son point de vue. Le discours de l’interlocuteur est transformé par son opposant de manière à être utilisé pour obtenir un autre résultat que celui attendu par son émetteur premier. Puisque « parler, c’est anticiper le calcul interprétatif de l’interlocuteur »59

, le développement de la dispute favorise l’aptitude à cacher ou à dévoiler les informations en fonction des besoins communicationnels.

Dans la mesure où une dispute contient au moins deux points de vue qui s’entrechoquent constamment, elle représente un discours extrêmement interactif. Pour expliquer ce jeu interlocutif, D. Maingueneau (1983) utilise les notions de « discours-agent » (discours conflictuel) et de « discours-patient » (discours repris et reformulé par le discours-agent). Le nombre de modifications que fait subir l’auteur d’un discours conflictuel au discours de son adversaire est tellement grand que les notions proposées par D. Maingueneau, qui rendent compte de la dépendance réciproque, ne nous paraissent pas suffisamment fortes. Pour cette raison, nous retiendrons plutôt celles

58Ibid., p. 25.

d’Uli Windisch (1987 : 26-27) qui propose de parler de « discours manipulateur » (au lieu de discours-agent) et de « discours manipulé » (au lieu de discours-patient). Derrière le discours manipulateur et le discours manipulé se cachent toutes les violations qui sont mises en jeu lors d’une dispute car il ne s’agit pas d’avancer des idées opposées, mais de s’attaquer à leur fondement même. C’est par la manipulation du discours de l’autre, par la transformation du discours du rival que les interlocuteurs échangent les positions de dominé et de dominant.

Centration sur la réponse

Il est une autre règle qui témoigne de l’aspect extrêmement interactif d’un conflit discursif : le droit ou même le devoir de répondre. Comme lors de chaque communication verbale, les interlocuteurs ont ce droit, mais au cours d’une dispute la réponse est une nécessité qui structure le conflit. Si la personne dont le discours a été manipulé reste silencieuse c’est comme si elle donnait raison à l’adversaire.

Au cours d’une communication conflictuelle, il faut répondre pour se défendre, pour survivre à l’affrontement. Dans aucun autre type de discours le droit à la réponse est tout aussi important et significatif. La réponse constitue la clé d’une dispute. Dans le premier échange conflictuel, l’interlocuteur essaye d’imposer son point de vue à l’autre, celui-ci reprend et manipule le discours de son adversaire. Ainsi il devient le sujet manipulateur et son discours – le discours manipulateur. Le premier interlocuteur – le sujet manipulé, pour sortir vainqueur de l’affrontement, doit à son tour répondre et produire lui aussi un discours manipulateur dans lequel il reprend les paroles de son adversaire. Souvent pour se défendre la réponse de l’adversaire est agressive. Ce qui fait du conflit discursif une violente lutte verbale entre un manipulé et un manipulateur, où pour gagner il faut savoir répondre. Ainsi le processus de combat sans fin est déclenché et dure jusqu’au moment où l’un des adversaires décide de mettre un terme soit à la dispute, soit à la relation. Par ailleurs, les conflits discursifs sont des joutes verbales qui nécessitent « une grande habileté verbale, une vaste capacité discursive et argumentative et une grande maîtrise des possibilités langagières. »60

Au théâtre, on présuppose que les personnages parlent toujours en fonction de ce qui a été dit ou fait auparavant. Outre le fait que les allocutaires réagissent en fonction du sens accordé à l’intervention précédente, il est important de mentionner que le récepteur exerce aussi une influence constante sur la construction du discours de l’émetteur. Il est possible de vérifier si nous avons à considérer une dispute à l’aide de la grille d’analyse proposée par U. Windisch (1987 : 30). Pour ce dernier, au cours d’une dispute, l’attitude du locuteur est la suivante :

- il réfute les propos de l’adversaire, - il les malmène,

- il les disqualifie, - il les déstructure, - il les reformule, - il les traduit.

Toutes ces opérations expliquent la violence des propos dans des disputes dont le but « vital » pour les partenaires-adversaires est de faire triompher leurs propres idées et de minimiser celles de l’autre. Encore faut-il se demander ce qui se joue fondamentalement au cours d’une dispute, bref, pourquoi se dispute-t-on ?

Pourquoi se dispute-t-on ?

On sait que les fonctions langagières sont nombreuses, de même que les actes de langage et l’on peut s’interroger sur le statut de la dispute d’un point de vue communicationnel. L’objectif principal est de disqualifier l’adversaire, de le rendre silencieux, autrement dit de le mettre K.O. L’enjeu d’une dispute est d’imposer à l’adversaire une autre identité discursive et personnelle, ce qui est possible, comme nous allons le montrer, grâce à la tentative de « dé-placement ». L’attaquant ne demande pas bien sûr l’accord de son interlocuteur, il se fait plaisir en l’agressant. Comme le souligne U. Windisch, les adversaires essaient de se mettre réciproquement en K.O. verbal, de disqualifier leurs discours et leur identité même. Un K.O. verbal peut être suivi d’autres rounds et d’autres K.O. verbaux. La personne disqualifiée

symboliquement, le mort « symbolique » peut se relever et continuer l’affrontement. Vouloir gagner, l’emporter sur le rival, faire triompher son discours est l’enjeu principal d’une dispute. Certes, nombreuses sont les fonctions discursives qui entrent en jeu lors d’une dispute mais les principales consistent à abattre les idées, le point de vue de l’interlocuteur et à faire emporter ses propres idées tout en réussissant à convaincre un éventuel public à ses idées.