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1. Introduction théorique

1.3. Le concept d’inhibition

1.3.1. Tests d’inhibition

A l’heure actuelle, il existe peu de mesures pour évaluer les capacités exécutives et, par conséquent, les capacités d’inhibition chez les enfants de moins de 6 ans et il en existe encore moins pour les enfants de moins de 3 ans. Welsh, Pennington, Rouse, Ozonoff et McCabe (1990) ont fourni les premiers exemples dans la littérature neuropsychologique pédiatrique de tâches développementales adaptées aux populations cliniques préscolaires et plus particulièrement dans ce cas avec des enfants souffrant de phénylcétonurie. Il est pourtant indispensable de pouvoir mettre au point des outils d’évaluation particulièrement pour les jeunes enfants. L’objectif majeur est de pouvoir évaluer les habiletés exécutives

avant l’entrée à l’école. Une intervention précoce pourrait réduire l’impact des déficits exécutifs particuliers au niveau scolaire, social et psychologique.

En ce qui concerne plus spécifiquement les tests évaluant les capacités d’inhibition chez les enfants d’âge préscolaire, Monette et Bigras (2008) établissent une distinction entre les tests d’inhibition « chaude » et « froide ». Les premiers tests se réfèrent « aux processus de contrôle lors de la prise de décision ayant un enjeu affectif ou motivationnel » (p. 324). Les seconds tests seraient liés à « la résolution de problèmes complexes ou nouveaux, sans charge affective ou motivationnelle » (p. 324).

Dans les tests d’inhibition « chaude », l’enfant ne doit pas réaliser une action ou doit se conformer à l’imposition d’un délai. Si l’enfant ne respecte pas la consigne, il a droit à une sanction immédiate. Dans ce type de tests, l’enfant retire un avantage ou un renforçateur contrairement aux tests d’inhibition « froide ». Par exemple, dans la tâche « Délai gratifié » l’enfant doit résister à la tentation de s’emparer d’une friandise à sa portée et l’on mesure le temps nécessaire pour que l’enfant s’en empare. Dans l’épreuve « Jouet interdit », l’examinateur demande à l’enfant de ne pas toucher à un objet attrayant pendant un certain temps. Selon Monette et Bigras (ibid), ces tests ont tendance à corréler entre eux et à corréler avec les tests d’inhibition froide. De plus, ces épreuves ont aussi moins tendance à corréler avec le fonctionnement cognitif général que les tests d’inhibition « froide », ce qui met encore en évidence la distinction à réaliser entre ces deux concepts.

Les tests d’inhibition « froide » contrôlent l’émission d’une réponse dominante. Par exemple, dans le test « Jour/Nuit », où l’enfant doit dire « nuit » en présence d’une carte représentant un soleil et « jour » sur présentation d’une carte représentant une lune.

C’est dans cette catégorie de tests que l’on retrouve le plus grand nombre de tests connus et utilisés à la période préscolaire.

Les tests les plus étudiés sont surtout les tests de type « Jour/Nuit », « Go/No-go » et les tests de performance continue « où le participant doit rapidement répondre à un stimulus (go), et ne pas répondre à un autre stimulus (no-go). Le stimulus go est toujours présenté plus souvent que le stimulus no-go, afin que la réponse motrice soit dominante » (Monette &

Bigras, ibid, p. 324). Ces tests sont sensibles à l’âge et démontrent de bons indices de fidélité. Ils ont aussi l’avantage de donner un score continu et plafonnent à un âge plus avancé que 4 ans. Schirlin (2001, cité par Mazeau, 2008) a d’ailleurs utilisé ce type d’épreuve (Go/No-Go) dans une étude portant sur 96 enfants de 3,5 ans à 6,5 ans. L’enfant devait taper en condition « Go » lorsqu’on lui présentait une carte bleue et ne pas taper en

condition « No-Go » lorsqu’on lui présentait une carte rose ; il y avait 16 essais (8 en condition « Go », 8 en condition « No-Go »). L’auteur relève que les enfants de 3,5 ans à 4,5 ans produisent en moyenne 12 réussites sur 16 essais. De 4,5 ans à 5,5 ans, les enfants produisent 15 réponses correctes sur 16 essais. Et de 5,5 ans à 6,5 ans le taux de réussite est de 100%. On observe donc de nets progrès avec l’âge à ce type d’épreuve. Toutefois, Levin et al. (1991) suggèrent que c’est surtout entre 7 et 9 ans que les plus grands progrès sont réalisés par les enfants pour ce type de tâche.

Les tests de « contrôle de l’interférence », de type « conflit cognitif » font également partie des tests d’inhibition « froide », notamment le test à effet Stroop, dans lequel le sujet doit nommer la couleur de l’encre d’une série de mots désignant des couleurs. Archibald et Kerns (1999) ont modifié et administré deux tests de type Stroop à des enfants de 7 à 12 ans, le Stroop « Soleil-Lune » adapté du Stroop « Jour-Nuit » de Gerstadt, Hong et Diamond (1993) et le Stroop « Fruit » adapté de la version de Santostefano (1988). Archibald et Kerns (1999) ont voulu obtenir des données normatives à partir de tests qui ne nécessitent pas de bonnes compétences en lecture. En effet, les auteurs partent du principe que les performances au traditionnel test Stroop sont sensiblement influencées par les aptitudes en lecture et, de ce fait, une telle tâche ne permettrait pas de mesurer précisément les capacités inhibitrices chez des sujets ayant de faibles aptitudes en lecture. Ces tâches sont également appropriées pour les enfants d’âge préscolaire, car les stimuli utilisés sont familiers et adaptés à leur développement. De plus, les mesures se font sur le nombre d’items complétés en 45 secondes, plutôt que sur le nombre total d’erreurs, ce qui nous donne un indice plus sensible par rapport aux performances et au développement de l’enfant. Enfin, l’étude a révélé que ces tests de type Stroop étaient tout à fait adaptés dans l’évaluation de l’inhibition chez les enfants. En effet, les deux épreuves corrélaient significativement avec le score d’interférence au Golden Stroop de Golden (1978) qui nécessite la mise en œuvre de capacités verbales inhibitrices. C’est pour ces différentes raisons que nous avons utilisé, dans le cadre de notre recherche, la version adaptée du Stroop « Fruit » de Archibald et Kerns (1999), cette tâche sera décrite plus précisément dans la section Méthode.

Pour l’ensemble de ces épreuves, de multiples études ont pu mettre en évidence une forte augmentation des performances durant la période préscolaire (Espy, 1997 ; Gerstadt, Hong

& Diamond, 1994 ; Gerardi-Caulton, 2000 ; Prevor & Diamond, 2005 ; Simpson & Riggs, 2007, cités par Chevalier, 2010). En effet, Prevor et Diamond (2005) ont utilisé une tâche de Stroop de type couleur/objet qu’ils ont administré à 168 enfants entre 3 ans et demie et 6 ans et demie. Dans cette épreuve, les expérimentateurs présentaient des lignes de dessins d’objets familiers avec une couleur congruente (une carotte orange) et une couleur non

congruente (une carotte verte) ou dans une couleur « neutre » pour les objets n’ayant pas une couleur canonique (un livre rouge), il y avait également des formes abstraites. Les résultats ont révélé que la tendance prédominante des enfants était de nommer l’objet plutôt que la couleur. Les enfants étaient également plus rapides et précis dans la dénomination de la couleur d’un stimulus dont la forme ne pouvait être nommée. Avec l’âge, les enfants étaient également beaucoup plus rapides dans la dénomination des couleurs.

Une seconde étude de Epsy, Kaufmann, Glisky et McDiarmid (2001) a permis de développer des données normatives pour les enfants d’âge préscolaire à des tâches exécutives adaptées à leur développement. Ils ont également déterminé si la performance aux tâches différait selon les groupes d’âge. Pour ce faire, ils ont administré une batterie de tests à 98 enfants âgés en moyenne de 30 à 60 mois. En matière d’inhibition, ils ont utilisé deux l’épreuve « Shape School » ont permis de démontrer qu’il y avait un effet significatif de l’âge au niveau du temps requis pour dénommer les figures pertinentes ainsi qu’une augmentation avec l’âge des stimuli correctement identifiés dans la condition d’Inhibition. Les enfants de 36 mois présentaient de plus faibles performances relativement aux enfants plus âgés aux conditions d’inhibition et de contrôle de la tâche. Les performances diffèrent ensuite significativement dans le sens d’une amélioration entre 42 mois et les enfants plus âgés.

Contrairement aux prédictions des auteurs, les résultats à l’épreuve « Self Control » ont montré qu’il n’y avait pas d’effet de l’âge à ce type d’épreuve.

Enfin, l’étude de Senn, Espy et Kaufmann (2004) a tenté de comprendre les relations entre les trois composants exécutifs (mémoire de travail, inhibition et flexibilité mentale) au cours de la période préscolaire (2,8 à 6 ans). Ils ont proposé trois tâches exécutives avec pour but de prédire les capacités de résolution de problèmes au cours du développement. L’épreuve utilisée pour mesurer l’inhibition « Shape School » était une variante de la tâche Stroop présentée précédemment. Ils ont ensuite utilisé une forme d’équations structurales et ont pu tester différents modèles. Le modèle qui rend le mieux compte des résultats est celui dans lequel la mémoire de travail et l’inhibition ont un effet direct sur les capacités de résolution de problèmes. Concernant plus particulièrement l’inhibition, l’étude a révélé que c’est l’inhibition

qui semble déterminer le plus fortement les capacités de résolution de problèmes chez les moins de 4 ans. Ce serait la mémoire de travail après 4 ans.

En conclusion, l’ensemble de ces épreuves mesurant les capacités inhibitrices chez les jeunes enfants mettent clairement en évidence qu’il existe une période développementale entre 3 et 6 ans où d’importants progrès sont réalisés. De ce fait, il nous semble important d’investiguer le développement de ce construit à la période préscolaire. C’est ce que nous allons approfondir dans la suite de notre travail. Nous effectuerons une revue des données de la littérature qui abondent dans le sens d’une amélioration significative des performances en matière d’inhibition.