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Développement de l’inhibition

1. Introduction théorique

1.4. Développement de l’inhibition

Selon Houdé (2000), l’inhibition constitue un facteur central dans le développement cognitif de l’enfant. L’auteur considère que « se développer, c’est apprendre à inhiber ». En effet, selon Houdé (ibid), le développement de l’intelligence ne consiste pas seulement à construire et à activer des stratégies cognitives nouvelles. L’enfant doit aussi apprendre à bloquer des stratégies qui entrent en compétition. Houdé (1999) précise que c’est dans

« des domaines variés tels la construction de l’objet, le nombre, la catégorisation et le raisonnement que le développement cognitif ne doit pas seulement être conçu comme l’acquisition progressive de connaissances (ou de structures de complexité croissante), mais aussi comme relevant de la capacité d’inhibition (en MDT) de réactions qui entravent l’expression de connaissances déjà présentes » (p. 184).

En d’autres termes, l’enfant développe sa capacité à inhiber une structure concurrente qui interfère en MDT. Car, selon Houdé (1999), l’esprit humain est « une sorte de jungle où les multiples compétences du bébé, de l’enfant et de l’adulte sont à tout moment susceptibles de se téléscoper, d’entrer en compétition (en même temps qu’elles se construisent). D’où la nécessité d’un mécanisme de blocage : l’inhibition » (p. 184). Il nous paraît, dès lors, intéressant de mettre en évidence les périodes charnières du développement de l’inhibition au cours de l’enfance.

1.4.1. Du bébé à la période préscolaire

L’inhibition commence à se développer dès les premiers mois de vie du nourrisson. Comme le suggèrent Garon et al. (2008), de simples formes d’inhibition de la réponse se développent au cours de la dernière moitié de la première année. Ce qui reflète l’habileté

grandissante de l’enfant à imposer un contrôle cognitif sur son comportement. En effet, selon Diamond (1998) citée par Gillet, Hommet et Billard (2000), le nourrisson de 1 an est capable de résister à l’attraction visuelle d’un objet placé dans une boîte transparente. Pour le saisir, le bébé effectue un détour et glisse sa main dans l’ouverture située sur le côté de la boîte.

Alors que quelques mois plus tôt, il aurait recherché directement l’objet, en essayant de l’attraper malgré la cloison transparente.

Diamond (1985) a également examiné les performances de bébés humains âgés de 7 à 12 mois dans la situation de « delayed response » (réponse différée) et dans le paradigme piagétien classique « A-non-B ». Dans l’épreuve « A-non-B », on place sous les yeux de l’enfant un objet dans un premier emplacement puis, après une série d’essais, dans un second emplacement. A 8 mois, les enfants ont tendance à chercher l’objet là où ils l’ont précédemment retrouvé, même si l’objet a été déplacé dans le nouvel emplacement. En revanche, dès 12 mois, les enfants sont capables d’inhiber la tendance à chercher l’objet à l’emplacement initial. Selon Diamond (ibid), il s’agirait d’un problème lié conjointement à la MDT et à l’inhibition d’une réponse dominante.

La coordination de la MDT et de l’inhibition de la réponse se développe autour des 2 ans lorsque les enfants sont capables d’utiliser une règle gardée à l’esprit afin d’inhiber une réponse prédominante (Garon et al., 2008).

Les capacités d’inhibition continuent à croître au cours de la période préscolaire comme le montre l’amélioration rapide des performances des enfants entre 3 et 6 ans à l’épreuve de la Statue (NEPSY). Cette tâche implique une résistance aux distracteurs sonores (Klenberg et al., 2001, cités par Roy, 2007). On demande à l’enfant de rester immobile, les yeux fermés pendant 75 secondes. Pendant ce temps, l’examinateur le distrait pour voir s’il est capable de « résister à la tentation » de réagir aux stimulations (Bastin & Deroux, 2007).

Des progrès de 3 à 7 ans ont également été mis en évidence lorsqu’il faut inhiber une réponse en cours au « Stop signal » (Williams, Ponesse, Schachar, Logan & Tannock, 1999, cités par Roy, ibid).

Mischel et Mischel (1983) se sont intéressés au contrôle de l’inhibition sur le comportement chez des enfants de 3 à 6 ans. Ils ont utilisé le paradigme du délai de la récompense. Les enfants devaient faire le choix entre une petite récompense immédiate ou une plus grande récompense, mais qui serait plus tardive. Les enfants de 3-4 ans sont incapables d’inhiber leur tendance à aller vers la récompense immédiate, bien qu’ils préfèrent la plus grande récompense. Ils ont beaucoup plus de difficulté à garder deux choses à l’esprit. A 5-6 ans, les enfants arrivent mieux à attendre la plus grande récompense.

Livesey et Morgan (1991) ont également pu mettre en évidence qu’à 3-4 ans les enfants ont tendance à échouer aux tâches Go/No-Go (tâche discriminative représentée par des jeux de lumières de type rouge « appuyer », bleu « ne pas appuyer »), car ils ne peuvent inhiber leur réponse. Ils comprennent et se souviennent des instructions, ils peuvent les verbaliser, mais ils ne peuvent agir en accord avec ces instructions. A 5-6 ans, ils réussissent très bien à ces tâches. Bell et Livesey (1985) ont rapporté des résultats similaires avec des enfants de 3 à 6 ans. Ils suggèrent que bien que les jeunes enfants comprennent la signification des cibles à discriminer dans une tâche de Go/No-Go et ce en indiquant la réponse verbale correcte, ils montrent toutefois une inhabilité à retenir leur réponse motrice. En effet, selon Reed, Pien et Rothbart (1984), l’emploi flexible du contrôle inhibiteur dans les situations de résolution de problème pourrait impliquer non seulement la suppression d’une réponse dominante (mais incorrecte), mais aussi l’activation d’une réponse sous-dominante (mais adaptative), ou alors l’alternance entre l’initiation et l’inhibition d’une réponse prédominante. C’est ce qui poserait problème aux très jeunes enfants. Par exemple, dans la tâche du « dragon et de l’ours »,

Cette capacité à contrôler l’impulsivité s’observe aussi chez les enfants plus âgés. En effet, Diamond (2001) s’est intéressée à l’amélioration développementale de ces habiletés chez les enfants de 3 ans et demi à 7 ans. Elle a utilisé trois tâches :

• Le Stroop « Jour/Nuit » (Gerstadt, Hong & Diamond, 1994)

• La tâche de « Tapping » de Luria (1996) (l’enfant tape une fois quand l’expérimentateur tape deux fois et inversement)

• La tâche des « Trois chevilles de couleurs » (taper les chevilles dans le même ordre de couleur, par exemple, rouge-vert-jaune, mais l’ordre spatial diffère)

Selon Diamond (ibid), toutes ces situations nécessitent que le sujet se souvienne de consignes complexes et qu’il parvienne à inhiber une tendance à répondre en utilisant la réponse la plus immédiate.

Pour la tâche « Jour/Nuit », les enfants doivent garder deux règles à l’esprit et doivent inhiber la tendance à dire ce que le stimulus représente réellement, ils doivent dire le

contraire. Les enfants de 3 ans et demi à 4 ans et demi trouvent la tâche très difficile ; à 6-7 ans, la tâche est très facile. De plus, les enfants de 3 ans et demi à 4 ans et demi commettent plus d’erreurs et présentent des temps de réponses plus longs que les enfants de 6-7 ans. Il en est de même pour la tâche de « Tapping », les enfants s’améliorent de façon significative entre 3 ans et demi et 7 ans, ils sont plus rapides et plus précis, mais l’amélioration la plus marquante apparaît à partir de 6 ans. Pour la tâche des « Trois chevilles de couleurs », les enfants présentent une amélioration développementale au cours de la même période d’âge que pour les deux tâches précédentes.

En d’autres termes, les performances à ces trois tâches suivent un développement progressif et parallèle. Ces tâches sont fortement corrélées entre elles.

Selon Diamond (2001), ces améliorations seraient dues aux changements maturationnels au niveau du cortex préfrontal dorso-latéral, elles nécessitent de la MDT et de l’inhibition. Les progrès à ce niveau-là apparaissent surtout entre 3 et 6 ans.

Une étude plus récente de Tsujimoto, Kuwajima et Sawaguchi (2007) met aussi en exergue la relation entre MDT et Inhibition au cours de l’enfance. En effet, comme nous venons de le préciser MDT et inhibition sont étroitement liées l’une à l’autre. C’est pourquoi, nous avons jugé utile d’investiguer leur évolution conjointe en vous présentant cette étude.

Les chercheurs ont examiné la performance de deux groupes d’enfants à des tâches de MDT visuo-spatiales et auditives et à une tâche d’inhibition de la réponse de type Go/No-Go.

Chez les jeunes enfants de 5 à 6 ans, la performance à la tâche visuo-spatiale de MDT était significativement corrélée à la tâche de MDT auditive. De plus, ces tâches étaient corrélées significativement à la performance à la tâche d’inhibition de la réponse, particulièrement aux items de type No-Go. Par contre, aucune corrélation significative n’a été mise en évidence parmi ces tâches chez les enfants plus âgés de 8 à 9 ans. systèmes différents. Les auteurs parlent de « fractionnement développemental » au cours de l’enfance. Il semble donc que ces deux fonctions exécutives se séparent et se spécialisent progressivement au cours de la période préscolaire.

C’est d’ailleurs ce que Beveridge, Jarrold et Petit (2002) ont pu mettre en évidence dans leur étude menée chez des enfants de 6 à 8 ans à qui ils ont administré trois tâches (Tâche de

performance continue, Stroop ainsi qu’un Stop Signal). Les résultats ont montré que les enfants avaient de meilleures performances à 8 ans qu’à 6 ans. Mais, ils ont surtout relevé qu’il n’y avait jamais d’interaction entre les effets de MDT et d’inhibition. Pour les auteurs, les aspects de MDT et d’inhibition constituent des entités séparables au sein des fonctions exécutives puisqu’il n’y a pas d’interaction entre ces deux composantes.

1.4.2. Développement de l’enfance à l’âge adulte

Afin de clore ce chapitre sur le développement de l’inhibition au cours de l’enfance, il nous paraissait pertinent de vous présenter l’évolution de ce construit depuis la période scolaire à l’âge adulte et cela dans le but d’avoir une vision globale du développement de l’inhibition.

C’est dans cette optique que nous avons sélectionné la recherche menée par Jonkman (2006). Cette étude avait pour objectif de montrer les changements dans la réponse d’attente, de préparation, de « conflict monitoring » et dans la réponse d’inhibition subséquente de 6 ans à l’âge adulte. Pour ce faire, ils ont utilisé une épreuve de type

« Go/No-Go » informatisée, plus précisément la tâche CPT-AX dans laquelle le sujet devait presser sur un bouton avec la main droite quand la lettre X apparaissait, mais uniquement quand elle était précédée par la lettre A. Par contre, le sujet devait inhiber sa réponse quand le A était suivi d’une autre lettre que le X.

Les données comportementales ont révélé des patterns développementaux clairs. Les mesures en lien avec les processus attentionnels comme le pourcentage des scores de détections correctes et d’inattention montrent de larges progrès développementaux entre le début de l’enfance (6-7 ans) et la fin de l’enfance (9-10 ans). Après 10 ans, le développement des processus attentionnels se prolonge, toutefois, la différence aux mesures comportementales des processus attentionnels entre les enfants plus âgés et les adultes est plus réduite.

En revanche, au niveau du comportement impulsif (fausses alarmes et score d’impulsivité), celui-ci ne diffère pas entre 6-7 ans et 9-10 ans, mais une réduction significative du comportement impulsif a lieu après 10 ans.

En d’autres termes, l’habileté à inhiber montre un développement progressif depuis le début de l’enfance jusqu’à l’âge adulte. L’étude ne précise pas l’âge ou la période développementale où l’on considère que les capacités d’inhibition ont atteint leur pleine maturité.

Huizinga, Dolan et Van der Molen (2006) se sont justement intéressés aux changements développementaux chez des sujets âgés de 7 à 21 ans au niveau de trois composants des

FE (MDT, Shifting et Inhbition). Pour les tâches d’inhibition, ils ont utilisé des épreuves de type « Stop-Signal » dans laquelle l’enfant doit répondre rapidement à un stimulus et retenir sa réponse lors de la présentation d’un stimulus différent et une épreuve de type Stroop. Ils ont effectué des analyses de variance. En matière d’inhibition, l’étude a ainsi révélé que les capacités d’inhibition atteignent des niveaux adultes entre 11 et 15 ans.

En conclusion, au vu des différents éléments théoriques et résultats empiriques exposés concernant l’inhibition, nous constatons que cette fonction évolue de façon considérable au cours de l’enfance et ce dès la naissance.