• Aucun résultat trouvé

Les Fonctions Exécutives (FE)

1. Introduction théorique

1.2. Les Fonctions Exécutives (FE)

Les FE seraient des processus de contrôle de la cognition lors de la résolution de problèmes complexes ou nouveaux. Il s’agit, selon Zesiger (2009), d’une notion apparue relativement récemment en neuropsychologie. Elle a remplacé le concept de fonctions frontales qui a été sujet à de nombreuses critiques. En effet, selon Zesiger (ibid), « la référence directe à des structures cérébrales pour définir des fonctions cognitives ne paraissait pas satisfaisante, d’autant plus que les réseaux sous-tendant ces fonctions se sont révélés plus largement distribués dans le cerveau » (p. 332). Afin de mieux cerner ce que sont réellement les FE, nous proposons la définition suivante.

Selon Seron, Van der Linden et Andrès (1999), les fonctions exécutives consistent en « un ensemble de processus dont la fonction principale est de faciliter l’adaptation du sujet à des situations nouvelles, notamment lorsque les routines d’actions, c’est-à-dire des habiletés cognitives surapprises, ne peuvent suffire ». Selon Chevalier (2010), les FE joueraient dès lors un rôle « régulateur » dans la cognition. Il distingue deux types de processus : les processus exécutifs et les processus contrôlés.

Les processus exécutifs vont permettre au sujet de « gérer la mise en place, l’exécution et le retrait des processus spécifiques à une activité donnée et de sélectionner les informations sur lesquelles les appliquer ».

Les processus contrôlés sont, quant à eux, plus spécifiques aux tâches à réaliser, ils sont plus ou moins automatisés et nécessitent de ce fait des degrés variables de contrôle.

Pour l’auteur, la fonction principale des processus exécutifs est de contrôler « l’attention » (p. 150).

L’auteur considère que les FE constituent la partie de la mémoire de travail ou MDT qui a pour fonction de contrôler les informations contenues dans le focus attentionnel et les traitements réalisés sur celles-ci. Il souligne l’importance des caractéristiques situationnelles,

car les ressources attentionnelles requises par ces traitements vont varier en fonction des situations. Les FE sont d’ailleurs particulièrement impliquées dans les situations conflictuelles. Les situations conflictuelles émergent lorsque « plusieurs informations, conduisant à des réponses différentes, interfèrent les unes avec les autres » (Chevalier, ibid, p. 151). En d’autres termes, « plus les informations sont saillantes et plus les traitements à réaliser sont automatisés, moins le niveau de contrôle exécutif requis est élevé » (p. 151).

A l’heure actuelle, on considère que l’inhibition, la flexibilité et la mise à jour sont les principales composantes des FE. Nous les définirons plus loin dans le modèle intégratif de Miyake et al. (2000). Dans les premiers modèles des FE, ces composantes étaient représentées dans un seul module de traitement de l’information comme « le système attentionnel superviseur » du modèle de Norman et Shallice (1986) ou « l’exécutif central » de Baddeley et Hitch (1974).

1.2.1. Le modèle tripartite de Baddeley et Hitch (1974)

Les auteurs ont conçu un modèle tripartite de la mémoire de travail avec un composant central, dénommé « l’exécutif central » ou « administrateur central ». La mémoire de travail fonctionne comme « un système de capacité limitée capable de stocker mais aussi de manipuler les informations, permettant ainsi l’accomplissement de tâches cognitives comme le raisonnement, la compréhension, la résolution de problèmes grâce au maintien et à la disponibilité temporaires des informations » (Gil, 2006, p. 175). Il s’agirait d’une « mémoire tampon » qui permettrait l’allocation des ressources attentionnelles, supervisée par un système de contrôle de l’attention dénommé « administrateur central ».

L’« administrateur central » coordonne deux systèmes esclaves, l’un permettant de stocker temporairement des informations verbales, « la boucle phonologique », l’autre de nature visuo-spatiale, « le calepin visuo-spatial », permet « le maintien temporaire des informations visuelles et des informations spatiales » (Gil, ibid, p. 175). Selon Baddeley (2003), les prérogatives de l’administrateur central seraient notamment « de focaliser, de diviser et de basculer l’attention » (p. 835), faisant ainsi de ce dernier le siège du contrôle exécutif.

Ces premières propositions théoriques concernant les FE ont un caractère unitaire, elles vont progressivement céder la place à des modèles en faveur d’une décomposition en sous-systèmes partiellement autonomes. C’est notamment ce que Miyake et collaborateurs ont proposé dans leur modèle intégratif des FE.

1.2.2. Le modèle intégratif de Miyake et al. (2000)

Ce n’est que plus tard qu’un nouveau courant a tenté de démontrer que ces FE étaient dissociables. Ce courant s’est appuyé sur les études factorielles (Monnette & Bigras, 2008).

Plusieurs modèles ont ainsi pu mettre en évidence différents construits.

C’est notamment le cas du modèle intégratif de Miyake, Friedman, Emerson, Witzki et Howerter (2000). Selon les auteurs, les FE sont organisées hiérarchiquement et sont conceptualisées comme étant à la fois un construit unitaire et un ensemble de composantes dissociables les unes des autres. Ils ont administré une batterie de tests mesurant l’inhibition, la flexibilité et la mémoire de travail à de jeunes adultes. Ils ont utilisé l’analyse factorielle confirmatoire pour tester différents modèles. Ce qui leur a permis de mettre en évidence trois facteurs à la fois distincts et modérément corrélés entre eux ; l’inhibition, la flexibilité et la mise à jour (updating). Monette et Bigras (ibid) ont proposé une définition pour chacun des construits :

La flexibilité : « La flexibilité correspond à la capacité d’alterner dynamiquement entre différentes tâches, différentes opérations ou différents registres mentaux » (p. 325) ;

La mise à jour : « La mise à jour est un terme utilisé par Miyake et al. (2000) et ce processus consiste à conserver l’information en mémoire à court terme visuelle ou auditive, à éliminer l’information non pertinente et à effectuer des transformations sur cette information » (p.

325). Le terme « manipulation mentale » est également utilisé. Les tests de mise à jour comprennent, entre autres, les tâches d’empan à rebours, le N-Back, etc. ;

L’inhibition : « l’inhibition est la capacité de retenir de façon délibérée une réponse prépondérante, activée, dominante, saillante, automatique, surapprise ou une réponse en cours et le contrôle de l’interférence » (p. 324).

A l’heure actuelle, on considère que ces trois construits sont les principales composantes des FE. Toutefois, Monette et Bigras (ibid) ajoutent à cette liste d’autres fonctions, telles que la planification ou la fluidité.

Miyake et al. (2000) ont également mis en évidence l’existence d’un mécanisme commun aux FE qui se caractériserait par un système central inhibiteur ou par l’attention. Les auteurs insistent sur le rôle clé de l’attention dans le développement des FE. En effet, selon Garon et al. (2008), plusieurs études concernant le développement précoce des FE indiquent que la maturation de la capacité attentionnelle forme une fondation pour le développement des FE

au cours de la période préscolaire. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous investiguons également le lien entre capacités attentionnelles et inhibition dans notre recherche.

Selon Garon et al. (ibid), ce modèle de Miyake et al. est abondamment cité et est considéré comme une intégration des modèles unitaires et des modèles fractionnés des FE. C’est pour cela qu’au cours de ce travail nous ferons surtout référence aux composantes mises en évidence par Miyake et al. (2000). Toutefois, nous nous centrerons plus spécifiquement sur l’une d’entre elle, l’inhibition.

1.2.3. Développement des FE

La question du développement des FE reste encore, à l’heure actuelle, largement débattue.

Il est non seulement difficile d’identifier les composants exécutifs de base, mais il est encore bien davantage de spécifier leur trajectoire développementale. Toutefois, deux conceptions s’opposent.

La première conception considère que le développement des FE semble intrinsèquement lié à la maturation du cortex préfrontal (CPF). Il semble de plus lié à d’autres structures, telles que le cortex pariétal supérieur (Crone, Wendelken, Donohue, Van Leijenhorst & Bunge, 2006, cités par Chevalier, 2010) et les ganglions de la base (Heyder, Suchan & Daum, 2004, cités par Chevalier, ibid). Le rythme de maturation du CPF est particulièrement intense de 2 à 6 ans (Kagan & Baird, 2004, cités par Chevalier, ibid). Ce qui expliquerait les progrès soutenus au niveau du développement des FE durant la période préscolaire. Selon Crone (2009), après cette période, les progrès semblent moins importants, en particulier pour la fonction d’inhibition, mais ils se poursuivent à un rythme relativement régulier.

D’autres données neurophysiologiques relèvent que les structures pré-frontales et les réseaux qui y sont liés se développent en différents stades. Le premier irait de la naissance à 6 ans et le second de 8 à 16 ans (Thatcher, 1991, cité par Zesiger, 2009).

La seconde conception considère que « les FE seraient recrutées chaque fois que l’enfant apprend une nouvelle habileté. Celle-ci étant par définition coûteuse en ressources cognitives puisque non automatisée, elle nécessiterait la mise en œuvre de processus en mémoire de travail et d’inhibition par exemple » (Zesiger, ibid, p. 334).

Diverses propositions théoriques ont été avancées en faveur de l’existence de grands stades de développement des FE chez les enfants d’âge préscolaire. Garon et al. (2008) ont effectué une revue des différentes études portant sur les FE chez les enfants d’âge

préscolaire, leur revue suggère que les aptitudes qui sous-tendent les FE se développent hiérarchiquement avec deux grands stades de développement. Avant 3 ans, ce sont des aptitudes basiques pour les FE qui émergent. Après 3 ans, c’est une période intégrative dans laquelle les aptitudes basiques se coordonnent. Garon et al. (2008) ainsi que d’autres auteurs soulignent clairement que la période entre 3 et 5 ans est très importante pour le développement des FE. Ils précisent que la littérature indique qu’il y a des améliorations liées à l’âge dans les trois composantes des FE au cours de cette période. Nous ne détaillerons pas ici le contenu de ces études pour les trois composants des FE, par contre, nous le ferons plus loin dans notre section dévolue au développement plus spécifique de l’inhibition.

Concernant plus précisément l’évolution conjointe de la MDT et de l’inhibition, les études menées chez les enfants d’âge préscolaire montrent que les épreuves évaluant l’inhibition et le maintien actif en mémoire de travail saturent un seul et même facteur, ce qui suggère que ces deux fonctions exécutives ne sont pas différentiables durant cette période du développement, en particulier à 3 ans (Wiebe, Espy & Charak, 2008, cités par Chevalier, 2010). En revanche, dès l’âge de 7 ans, on observe une certaine division des fonctions d’inhibition, de mise à jour de la MDT et de la flexibilité (Huizinga et al., 2006 ; Lehto et al., 2003 ; Miyake et al., 2000, cités par Chevalier, ibid). En d’autres termes, il semblerait que les FE se dissocient progressivement au cours de l’enfance.

Une autre conception du développement des FE a été exposée par Zelazo, Müller, Frye et Marcovitch (2003). Ils ont proposé l’idée de la « théorie de la complexité et du contrôle cognitif ». Dans cette théorie, les auteurs présentent un modèle qui repose sur la conception que le développement des FE se traduirait par une amélioration progressive des capacités à formuler et à utiliser des règles de plus en plus complexes permettant de contrôler le comportement. Pour ce faire, ils ont utilisé l’épreuve du « Dimensional Change Card Sort » dit DCCS. L’épreuve est constituée de cartes ayant deux dimensions, la forme et la couleur (cf. figure 1). Les enfants doivent alors trier ces cartes en fonction soit des couleurs, soit de la forme. Au cours de la première partie, on demande à l’enfant de trier en fonction d’une dimension (couleur), puis dans la seconde partie on lui demande de trier les cartes selon la dimension complémentaire (forme). Les résultats montrent une augmentation progressive des capacités de l’enfant. A 2 ans, les enfants utilisent une règle simple (« si rouge … là »), par contre ils n’arrivent pas à combiner cette règle avec la règle complémentaire (« si bleu…ici »). A 3-4 ans, les enfants réussissent le premier classement sans erreur, mais lorsque l’on change de jeu (jeu des formes), ils ne parviennent pas à trier les cartes en fonction de cette nouvelle règle. Les enfants n’auraient pas les habiletés nécessaires pour

intégrer ces deux types de règles en une « méta-règle » qui articulerait toutes les règles (par exemple, « pour le jeu des couleurs, bleu…là et rouge…là ; pour le jeu des formes, lapin…ici et bateau… là »).

Figure 1 : Illustration schématique de l’épreuve du DCCS tirée de Chevalier et Blaye (2006). Les flèches noires indiquent les tris corrects dans le « jeu de la couleur » tandis que les flèches grises représentent les

tris corrects dans le « jeu de la forme ». Le gris indique la couleur bleu. Le blanc indique la couleur rouge.

Cette capacité apparaîtrait vers 4 ans. Pour les auteurs, au cours du développement, plusieurs transitions de cet ordre seraient réalisées, chacune de ces transitions permettraient d’atteindre un nouveau niveau hiérarchique. Cette amélioration des performances avec l’âge correspondrait à une augmentation des capacités de métacognition et de réflexion, qui mènerait à un contrôle augmenté de la pensée et de l’action. Ce type d’épreuve ferait appel aux capacités d’inhibition, de mémoire de travail. Par conséquent, leur développement respectif déterminerait les performances des enfants.