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Le territoire et son potentiel d’accueil : la cyclabilité

1. Etat de l’art : des sociétés et des cultures qui expliquent des différences dans l’usage du vélo

1.2. L’usage du vélo entre potentiel d’accueil et potentiel de mobilité

1.2.1. Le territoire et son potentiel d’accueil : la cyclabilité

Le potentiel d’accueil peut se définir en la capacité d’un territoire à accueillir des activités4. Dans le dictionnaire de Forum Vies Mobiles, Vincent Kaufmann en donne cette définition : « Chaque territoire offre un champ des possibles spécifique pour accueillir les projets des acteurs individuels et collectifs » (Kaufmann, 2012). Toujours selon Vincent Kaufmann, le potentiel de mobilité se compose d’une « série d’ingrédients » qui sont (a) les réseaux disponibles, (b) l’espace et l’ensemble de ses configurations territoriales, (c) le marché de l’emploi et (d) les institutions et lois régissant d’une manière ou d’une autre les activités humaines. Ainsi, potentiel et accueil renvoient à la notion d’attractivité des territoires.

Dans notre situation, ce potentiel rapporté au vélo peut se définir par la cyclabilité, c’est-à-dire la capacité d’un territoire à permettre des déplacements à vélo. Cette notion serait apparue il y a une dizaine d’années, et n’est donc pas encore définie clairement : certains auteurs évaluent la cyclabilité d’un territoire avec les déplacements effectifs de cyclistes. D’autres la mesurent par la présence d’infrastructures cyclables ou de zones « apaisées » (zones 30 ou contre-sens cyclables).

4 Ce potentiel peut se décliner à différentes disciplines, puisque les géographes et écologues parlent d’écopotentialité.

Accès

Compétences

Appropriations

Géophysique Construit Social

Individus Territoire

USAGES

Figure 7 : Articulation entre potentiel d'accueil et de mobilité

Sociologie Aménagement

Besoin

14 1.2.1.1. A petite échelle : la géographie

Contexte spatial

Le vélo, pour avancer, nécessite une activité physique de la part du cycliste. Logiquement, plus la distance à parcourir est importante, plus l’effort demandé le sera aussi, tout comme le temps nécessaire sachant que la vitesse moyenne d’un vélo est de 15 km/h. Ainsi, au-delà d’une certaine distance, on estime que le vélo n’est plus compétitif : elle est de 5km pour la France, 7,5 km pour les Pays-Bas5. La Figure 8 ci-dessous illustre la baisse de la part modale des modes alternatifs en fonction de la distance.

Figure 8 : Part du mode de transport selon la distance domicile-travail effectuée par les actifs ayant un emploi (extrait de

"Partir de bon matin, à bicyclette...", INSEE, 2017)

En outre, le relief et le climat peuvent rendre plus difficile l’utilisation du vélo en demandant un effort supplémentaire au cycliste qui souhaite gravir une côte, ou qui circule face au vent (« côte virtuelle »).

Pourtant, « certaines [villes étrangères], dont le relief et les conditions climatiques ne diffèrent guère de ceux de Lille réservent une place plus importante au vélo comme moyen de transport » (Chalon, 1992). Héran (2014) montre que « ville plate » ne signifie pas forcément « ville cyclable » en comparant les parts modales de Dunkerque (2%) et de Berne (11%). Quant au climat, des recherches ont montré

5 Pour le vélo « musculaire ». Cela passe respectivement à 10 et 15 km pour un vélo à assistance électrique (VAE).

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que le mauvais temps avait plus d’influence sur le vélo récréatif que sur les déplacements pendulaires (Nankervis, 1999).

La ville et sa forme

La question de la distance renvoie à la forme et à la taille des villes (Rérat et al., 2019, p.29), et en particulier aux notions de densités urbaines, d’étalement urbain et de localisation et mixité des activités et des services. Elle renvoie aussi à la présence de barrières – cette fois construites – telles que des autoroutes, voies de chemins de fer ou canaux qui, infranchissables à tout point, nécessitent des détours et allongent les distances. Concernant la densité urbaine, il est commun de dire que plus elle est forte, plus elle va favoriser l’usage du vélo utilitaire. Cela n’est qu’en partie vrai : dans des centres très denses, les gens ont plus tendance à se déplacer à pied (par exemple à Paris, un tiers des déplacements sont réalisés à pied) puisque les activités sont plus proches (Nous voyons sur la Figure 8 l’importance de la marche sur les premiers kilomètres). Pour illustrer, Amsterdam et ses 3800 hab/km² comptait 22% de déplacements à vélo en 2008, contre 19% pour La Haye et ses 5000 hab/km². En dessous de 1 km, le vélo est moins utilisé au profit de la marche.

La densité, la diversité et la mixité des fonctions urbaines, qui participent à l’attractivité ou non du paysage et de l’environnement construit, sont autant de facteurs favorisant la pratique du vélo, en particulier le long de itinéraires cyclables (Handy et al., 2014 ; Harms et al., 2014 ; Heinen et al., 2010

; Pucher et Buehler, 2012). Ces itinéraires cyclables le sont grâce aux aménagements que nous allons voir dans ce qui suit.

1.2.1.2. A grande échelle : les aménagements et infrastructures

Par aménagement cyclable on entend tout équipement destiné à organiser la circulation des cycles non motorisés. Cet aménagement peut être dédié au vélo ou partagé avec d’autres usagers. Les pistes cyclables uni ou bidirectionnelles, séparées de la circulation, ainsi que les bandes cyclables sont des aménagements réservés exclusivement aux cycles, tout autre véhicule n’a pas le droit ni d’y circuler ni d’y stationner. Les voies vertes, couloirs de bus ouverts aux vélos, double-sens cyclables ou

Figure 10 : piste cyclable bidirectionnelle (vendome.eu)

Figure 9 : double sens cyclable à Gent (gauche) et Lille (droite) (photo : Adrien Poisson, 2019)

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encore CVCB6 sont quant à eux des aménagements partagés avec les autres usagers. Les zones 30, qui existent depuis 1990, ne sont pas des aménagements cyclables en tant que tel, mais depuis 2008, elles généralisent les double-sens cyclables et ont

aujourd’hui tendance à se généraliser dans les centres-villes. Le CEREMA recommande par ailleurs certains seuils à ne pas dépasser (en termes de flux, de vitesse, etc.) pour développer cet aménagement de façon sécurisée.

Analyser ces aménagements peut s’avérer intéressant ; (a) à l’échelle de la ville pour rendre compte des disparités spatiales, en illustre à la Figure 12 le Bike Lane Score, IBICCS qui compare les grandes villes américaines et canadiennes (Branion-Calles et al., 2019) ; (b) à l’échelle de la voirie pour évaluer leur qualité de roulement et donc l’effort et le ressenti du cycliste, en illustre le « vél’audit » ci-contre développé par le CEREMA.

6 Chaussée à Voie Centrale Banalisée

Figure 12 : IBICC, distribution spatiale et accessibilité des infrastructures cyclables de (a) Boston, (b) Chicago, (c) New York, (d) Montréal, (e) Toronto et (f) Vancouver. L’indice varie de 0 à 100, ou 100 indique une très forte proximité et 0 indique aucune infrastructure cyclable dans un rayon de 1 km. (Extrait de Branion-Calles et al., 2019)

Figure 11 : "Vél'audit" (image : CEREMA)

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En outre, des auteurs ont mis en évidence des corrélations entre l’aménagement cyclable et le nombre de cycliste (Buehler & Pucher, 2012 ; Mitra et al., 2016), dont les résultats ont été largement diffusés et vulgarisés par la formule « if we build it, they will come / they will cycle ». Attention cependant aux effets structurants, comme pour le rail et le routier, la présence de l’infrastructure ne signifie pas son utilisation mais l’amplification de tendances déjà existantes (Offner, 2014, 1991) ; encore doit-elle répondre à des besoins et à certaines caractéristiques. Des auteurs ont en effet mis en exergue les caractéristiques pour un bon réseau cyclable : la cohérence, la rapidité, l’attractivité, la sécurité et le confort (Parkin & Koorey, 2012 ; Hull, 2014 ; De Groot, 2016). Ainsi, certaines collectivités cherchent à développer leurs réseaux de pistes cyclables ou bien à profiter de l’existant, comme par exemple la Région Pays de la Loire qui mesure le potentiel de ses véloroutes et voies vertes dans les mobilités quotidiennes (DREAL, 2018).

Les infrastructures cyclables ne se limitent pas à la circulation des vélos : il faut aussi permettre le stationnement, voire l’accès à des outils en libre-service ou bien à des douches. Encourager le vélo comme mode de déplacement, c’est considérer les freins pour les débloquer : il a été montré que le vol (ou le risque de vol) de vélo est l’un de principaux freins à son usage. Investir dans des abris sécurisés sur les lieux de travail permet à plus de personnes de venir à vélo, même les « cyclistes de loisir » (Damant-Sirois et al., 2014, p.14)

Si les aménagements et le territoire sont une condition au développement des modes alternatifs, ils n’expliquent pas à eux seuls l’usage du vélo.

1.2.1.3. La société et ses valeurs

Au-delà de la cyclabilité et de ses aspect physiques et matériels, les normes et valeurs de la société, qui sont d’ordre immatériels et symboliques (Rérat et al., 2019, p.34) vont aussi participer à rendre possible ou non la pratique cyclable sur un territoire. Ces normes peuvent être légales et concerner des règles et des lois impliquant les cyclistes. Par exemple, la France s’est peu à peu doté d’outils qui ont spécifié et modifié la place du vélo dans l’espace et ses rapports avec les autres usagers : le code de la route et ses révisions (1921, 1958, 2000), la LOTI (1982), la LAURE (1996), la Loi SRU (2000), le code de la rue (2008) ou encore la Loi de financement de sécurité sociale (Beroud & Ayana, 2012 ; Martin, 2011 ; Le Brethon, 2004).

Dans la construction de ces lois, il faut noter là encore l’importance des alliances entre les organisations cyclistes et automobilistes, dès les années 1880 : aux Pays-Bas, la DCU s’allie avec les automobilistes avec pour objectif la création commune de lois modernes de circulation, ainsi que le développement d’un réseau pour les vélos, financé en partie avec les différentes « taxes vélo » (1898, 1924). Idem au Danemark, où la DBC, en continuant les travaux de la Cycle Path Organisation (Cykelstiforeningen) devient la Danish Bicycle Federation (1905) et travaille en lien avec les automobilistes pour développer des pistes cyclables sécurisées et promouvoir le vélo de tourisme et de loisir (Carstensen & Ebert, 2012).

Ces alliances n’auront pas lieu ailleurs. C’est pour cela que dans les années 1990, alors que les pays européens commencent à se doter d’aménagements cyclables et visent à modérer la circulation dans les grands centres urbains, les Pays-Bas quant à eux, ayant déjà obtenus ces spécificités de « pays du

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vélo », réduisent le nombre d’arrêts imposés aux cyclistes7 (suppression des carrefours à feux, création de passages dénivelés, rectification du profil en long...) et augmentent la qualité de roulement des chaussées (amélioration du revêtement, meilleur éclairage, nettoyage régulier, traitement de la neige et du verglas...) (Héran, 2015, p.6).

La « Culture vélo » (Cox, 2015) des pays dont nous avons discuté, dépend ainsi de ces lois, mais pas uniquement. Les normes sociales vont influencer les comportements des individus, parce qu’elles auront été intériorisées, et qu’elles rendent, à un moment et à un contexte donné, légitime ou non un mode de transport qui véhicule avec lui des images et des valeurs le rendant plus ou moins attractif.

On peut citer comme exemple la voiture et les significations culturelles qui lui sont associées (symbole de liberté, statut social, etc) et qui ont participé à son essor (Urry, 2004, p.26). Le vélo, nous l’avons vu, a aussi été un « miroir de la société », d’abord réservé à la bourgeoisie qui le délaisse, instrument d’émancipation des femmes, véhicule des travailleurs, postiers et ouvriers, jeunes et pauvres, avant de permettre aux classes moyennes de s’évader lors des congés payés.

Ces approches historiques, basées sur les évolutions techniques et d’usage du vélo, font ainsi ressortir une dimension générationnelle, énoncée par le programme « Lillàvélo » de 1992 : « à chaque génération correspondent des formes de pratiques cyclistes et des représentations particulières du vélo » (Chalon et al., 1992). Frédéric Héran parle aussi de cette dimension : « Les personnes âgées qui ont vécu la dernière guerre auraient plutôt un souvenir cuisant du vélo, symbole de restriction et d’appauvrissement : elles n’imaginent guère qu’il puisse redevenir un véhicule utilitaire. Les ouvriers et employés qui ont abandonné le vélo pour accéder progressivement à la motorisation – difficilement et tardivement pour les plus pauvres – l’envisagent encore moins. Et ceux qui ont connus des balades à bicyclette aux beaux jours en ont gardé une certaine nostalgie et n’associent guère le vélo à un usage utilitaire » (Héran, 2014, p.4).

Finalement, pour avoir des territoires cyclables, il faut un élément indispensable : les cyclistes.