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Une analyse par le prisme du stock d’expérience des individus

4. Résultats et discussion

4.3. Une lecture du territoire qui contraste selon la pratique des cyclistes

4.3.2. Une analyse par le prisme du stock d’expérience des individus

En comparant le ressenti de la pratique cyclable des individus à leurs expériences (et en particulier à leurs scores des villes pratiquées), nous pouvons nous apercevoir que l’expérience acquise par les enquêtés dans d’autres villes plus cyclables va agir de façon négative sur le ressenti de la pratique à Saint-Etienne, et qu’inversement, des expériences cyclables dans des villes défavorables vont relativiser ce ressenti (ce qu’illustre le Tableau 6). En effet, Alban, qui n’a pratiqué le vélo utilitaire que pour se rendre à Roanne, effectue régulièrement 8 km (aller) dans un contexte plutôt défavorable selon le baromètre de la FUB, avant de s’installer à Saint-Etienne ou il ne se met pas tout de suite à faire du vélo, car il habitait à proximité de la fac et du centre-ville. Il se remet au vélo utilitaire quelques années plus tard, pour des raisons de rapidité :

« C’est vrai que je fais un métier ou je finis souvent tard, minuit ou minuit et demi des fois les soirs quand il faut rentrer un quart d’heure à pied, ça allait quand même plus vite à vélo, c’est de là que je me suis remis, c’était plus pour gagner du temps sur le trajet du travail » (Alban) Ainsi, n’ayant pas d’autres villes de référence par rapport à la pratique cyclable, il en a une plutôt bonne image (sauf pour les aménagements), qui est confortée par son comportement assez relax et son type de vélo (cruiser) qui lui procure une position confortable. Ainsi, ce qui rendra son trajet désagréable, cela sera surtout le mauvais temps.

Benoît, contrairement à Alban, a une pratique utilitaire du vélo un peu plus importante, mais toujours dans des villes ou des contextes assez peu favorables, illustré par son score plutôt bas. Il se met ainsi au vélo en arrivant à Saint-Etienne et, comme pour Alban, a une plutôt bonne image de la pratique cyclable qu’il compare à d’autres villes dans lesquelles il a fait du vélo :

« Après grosso-modo à Sainté je trouve que ça va, par exemple sur Lyon c'est beaucoup plus compliqué je trouve, la circulation et même les interactions avec les automobilistes, je trouve que c'est plus difficile. Sur Sainté je trouve que ça va globalement à part les double-sens uniques, des fois on est doublé un peu vite pour que le mec pile au feu rouge, globalement ça va je dirais, si des fois les mecs te collent un peu, sur les lignes 30, justement sur Durafour, où tu es à 30 parce que du coup tu dois bifurquer, c'est pour ça que j'ai arrêté et même si tu te serres le plus possible, c'est pas possible, une voiture peut pas passer, c'est fait pour je pense, l'aménagement de ce quartier c'est fait pour finir par gicler les voitures de là et du coup ils utilisent les double-sens cyclables, il y a besoin de faire ralentir les voitures et du coup j'ai

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l'impression que souvent les double-sens cyclables, les cyclistes sont un peu utilisés pour faire ralentir les voitures, donc j'ai un peu parfois l'impression d'être un ralentisseur mobile, mais à part ça je trouve qu'à Sainté ça va globalement […] c'est pas Paris, c'est pas Lyon, on est relativement peu nombreux je pense à faire du vélo […] Du coup je pense que les automobilistes font un peu gaffe […] A Brest c’était plus compliqué » (Benoît)

A l’inverse de ces deux hommes, les femmes ont un stock d’expérience plus important pour Julie, et plus qualitatif pour Alicia et Elena, dont il résulte des scores moyens et bons. En effet, ces deux dernières pratiquent le vélo dans des villes très cyclables, comme Amsterdam et Strasbourg. Elles acquièrent alors des compétences et des habitudes (qui peuvent même s’apparenter à des modes de vie) qui font qu’elles décident de se mettre au vélo à Saint-Etienne. Julie, quant à elle, pratique le vélo dans plus de villes certes, mais qui sont moins favorables au vélo. Là où le tableau d’analyse des retranscriptions est intéressant, c’est qu’il montre que ce sont ces trois cyclistes qui semblent avoir la moins bonne image de leur pratique cyclable – et du territoire en général – à Saint-Etienne. Alicia, après avoir appris tardivement à faire du vélo (à 16 ans) en ville, à Amsterdam, développe sa pratique dans d’autres villes – en particulier à Lille car pendant l’enfance c’était son rêve de faire du vélo dans cette ville. Cette prise d’habitude, de confiance et cette sensibilisation maintiennent tant bien que mal sa pratique dans une ville où elle ne se sent que très rarement à l’aise. Les mauvais aménagements et les rapports plutôt négatifs qu’elle entretient par conséquent avec les automobilistes la dégoûte de faire du vélo en ville :

« A Saint-Étienne j'arrive pas à trop penser parce que j'ai souvent ce truc de haine en mode : ils me saoulent [...] à un moment j'ai arrêté d'en faire parce que ça me saoulait, ma rue c'est infernal, de toutes façons c'est que en sens unique donc en fait je peux pas faire du vélo, je suis obligée de monter jusqu'à Jean Jaurès et puis je croise des voitures [...] j'aime pas faire du vélo ici. » (Alicia)

« Je ressens plus de l'énervement, à Saint-Étienne je fais du vélo sans prendre du plaisir, à part le soir quand je rentre et qu'il y a personne » (Alicia)

« Si j'avais commencé par faire du vélo à Saint-Étienne je pense que ça m'aurait dégoûté » (Alicia)

Elena, pour qui c’est naturel de faire du vélo, a aussi une mauvaise image du vélo, qu’elle pratique moins à Saint-Etienne « parce que les distances sont plus courtes donc des fois ça vaut pas le coup et c'est pas du tout fait pour les vélos, je parle pas trop du dénivelé mais vraiment des routes et du centre-ville ». Habituée à circuler dans des centre-villes mieux aménagées pour les vélos, Saint-Etienne l’oblige à emprunter certains trottoirs pour conserver l’avantage « pratique » du vélo :

« Souvent il y a pas de pistes cyclables, ou de bandes cyclables, ce qui fait qu'on perd tout intérêt à être en vélo parce que on peut pas passer le long des voitures et on se retrouve derrière les voitures à un feu rouge alors que s'il y avait une piste cyclable on pourrait passer beaucoup plus vite » (Elena)

Julie évoque aussi ce rapport de force avec les automobilistes, dans une ville « qui a été pensée pour la voiture » et qui est « restée bloquée dans les années 90 ». Cette inadaptation du centre-ville et encore moins de la périphérie au vélo rendent une pratique pas trop sécurisée, même pour les petits trajets qu’elle fait.

« Saint-Etienne, à vélo c’est vraiment naze, enfin j’arrive à me débrouiller mais c’est dangereux » (Julie)

59 Ainsi, pour reprendre les propos de Nathan :

« La cyclabilité de l’agglo de Sainté elle est quand même moyenne, c’est pas le paradis des cyclistes » (Nathan)

Tableau 6 : Comparaison des extrémités du tableau d'analyse des retranscriptions en fonction du ressenti de la pratique

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Figure 35 : La rue Michelet à Saint-Etienne, à sens unique, qui propose deux bandes cyclables sur 50m avant de passer en double-sens cyclable (photo : Adrien Poisson, juin 2019)

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