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Méthode et matériel du projet Véléval et apports personnels

2. Méthodologie : intégrer un projet à la démarche définie

2.1. Méthode et matériel du projet Véléval et apports personnels

Le projet Véléval cherchant à interroger le « être à l’aise » des personnes qui réalisent à vélo leurs trajets domicile-travail, ainsi que leurs socialisations et habitudes / routines, la première étape a ainsi été de délimiter le panel afin de recruter une quarantaine de « vélotafeurs » volontaires au total, soit une vingtaine à Lyon et une vingtaine à Saint-Etienne. Etant donné le caractère qualitatif des résultats attendus, le panel n’a pas vocation à être radicalement représentatif des territoires étudiés d’une part, et des cyclistes sur ces territoires d’autre part. Au contraire, la diversité des profils était recherchée, en termes d’âge, de classes sociales, de trajets, de vélos ou encore de genre. Volontairement, des personnes ont été exclues du panel si elles répondaient à au moins l’un de ces deux critères suivant : le premier est d’étudier ou d’avoir étudié en sciences sociales, le second est d’être militant vélo. Les raisons sont les suivantes : nous souhaitons éviter le discours de personnes ayant déjà réfléchi à leurs habitudes et pratiques cyclables – ce que, nous pensons fortement, font les personnes en sciences sociales – afin d’avoir des réponses spontanées de la part des enquêtés. Les militants vélo quant à eux ont souvent le même discours, qui correspond par ailleurs à celui de la FUB et des associations de cyclistes dans lesquelles ils sont bien souvent bénévoles.

Ainsi, intégrant un projet à la méthode déjà en place, j’ai tout de même eu de la liberté, à la fois dans la constitution d’une partie11 du panel que je présenterai en 3.2, que dans les méthodes de recrutement qui ont beaucoup varié en fonction des moments. En effet, aussi bien pour Lyon que pour Saint-Etienne, j’ai eu recours à de la prospection, avec ou sans flyers, directement dans la rue lorsque je croisais des cyclistes ou lors d’événements particuliers (par exemple la « convergence Vélo » à Lyon le 02/06/2019). J’ai aussi démarché des entreprises et des administrations dans lesquelles les employés sont susceptibles de venir à vélo, afin de diffuser un appel à participation (en annexe). J’ai parfois patienté près des locaux à vélo des dites administrations afin de recruter les cyclistes qui rentraient chez eux. D’autres fois, nous avons été directement contactés par des personnes ayant entendu parler du projet par le biais de proches qui y participaient déjà ; c’est pour cette raison que nous avons deux couples, deux frères ainsi que des amis dans notre panel stéphanois.

11 Lorsque j’ai intégré l’équipe, un tiers du panel était déjà recruté (mais pas tous équipés).

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2.1.2. La caméra pour capter les comportements

La deuxième étape consiste à équiper d’une caméra les cyclistes recrutés, ce afin qu’ils puissent filmer une dizaine de trajets pendulaires, ou du moins habituels. Ces caméras sont de la marque GoPro®, modèle Hero 5 Black (Figure 16). Il existe peu de travaux sur l’analyse de vidéo de cycliste, la plupart porte sur l’analyse de la qualité des infrastructures et de la réactivité du cycliste en fonction de ces infrastructures (CEREMA, 2017 ; Vansteenkiste et al., 2013, 2014 ; Mantuano et al. 2016).

La caméra permet de voir comment la personne se comporte en situation réelle. Elle permet aussi de replacer précisément le cycliste dans l’espace, et donc de voir s’il circule sur le trottoir, sur une piste cyclable, sur une bande cyclable ou sur la route, et aussi s’il est plutôt positionné au milieu ou d’un côté. La vidéo est donc un outil utile à l’échelle de la rue, elle capte les décisions et d’autres comportements – par exemple le respect du code de la route, les rapports avec les autres usagers, l’utilisation du téléphone, etc – qui ne seraient pas visibles autrement, à moins de suivre le cycliste directement.

Si nous ne suivons pas les cyclistes, c’est d’une part que cette méthode demande une importante logistique du point de vue humain et de l’emploi du temps, et que d’autre part elle va modifier le comportement de l’enquêté12. Rien que la présence de la caméra sur le guidon (Figure 17) modifie le comportement du cycliste, qui va réfléchir à ses actions non pas de son point de vue mais de celui de la caméra. C’est en effet ce que certains enquêtés nous ont avoués. La caméra agirait comme une autorité silencieuse qui jugerai de façon indirecte les comportements des cyclistes. Si la présence de la caméra peut inciter l’enquêté à se comporter de façon plus prudente, elle peut aussi lui faire prendre plus de risques, pour filmer des situations périlleuses ou bien parce que la caméra pourrait servir en cas de litige, comme pour Elena :

« mais tu sais c'est comme les vidéos que tu regardes sur Youtube où tu as les automobilistes indiens ou pakistanais ou russes, ils filment leurs trajets pour prouver que s'ils ont un accident, pour l'assurance et tout […] je me sentais un peu comme ces gens là où je me dis : s'il m'arrive une merde c'est filmé, donc j'étais contente d'avoir ce truc-là » (Elena).

Certains enquêtés se sentaient un peu comme les cyclistes qui filment leurs trajets et les postent sur Internet, par exemple Benoît :

« il y avait des vidéos qui commençaient à tourner sur les cyclistes qui postaient, je suis pas sur Twitter ni sur Facebook donc j'ai eu ces vidéos avec un temps de décalage […] les gens me les transféraient ou j'en entendais parler, du coup ça me faisait rire d'imaginer, ça se trouve mes

12 Le cycliste ne se comporte pas de la même manière s’il est seul ou accompagné sur son trajet.

Figure 16 : une Gopro (la pile sert pour l'échelle)

« Une image vaut mille mots, et une caméra c’est 25 images par secondes, ça fait beaucoup de mots » (« Cinquante Euro »)

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vidéos seraient postées sur des conneries, du coup ça m'a fait rire, qu'à la fois il y ait cette actualité autour de cyclistes qui, de plus en plus, communiquent à travers les caméras et que du coup j'avais une caméra, c'était rigolo » (Benoît).

Après quelques trajets, la caméra se remarque moins, on finit même par l’oublier inconsciemment – voire littéralement car certains de nos enquêtés ont déjà oublié la caméra sur le guidon et ont donc filmé un mur ou la rue jusqu’à ce que la batterie se vide – et donc à retrouver un comportement habituel ou presque habituel, et non plus bridé.

C’est pour cela que lorsque nous sélectionnons une vidéo, nous évitons les premières qui sont les plus susceptibles de filmer des trajets dont le comportement est le moins naturel chez l’enquêté.

En tant que projet multidisciplinaire, les vidéos récupérées servent par ailleurs aux informaticiens qui les utilisent afin de développer des logiciels d’automatisation du traitement d’images mobiles. Les premiers résultats se sont montrés convainquants puisqu’ils permettent de qualifier la position du cycliste sur la chaussée (s’il est plus ou moins au milieu ou à droite), et ainsi de rapporter cette position à l’échelle du trajet. Nous le verrons, la position du cycliste semble corréler avec le traces pose un problème, puisqu’elle demande à passer la vidéo dans un algorithme développé par les informaticiens du projet afin de ne pas dépendre et de diffuser des données à Gopro, qui propose un logiciel s’adressant à la clientèle sportive qui souhaite avoir un récapitulatif des exploits filmés.

2.1.3. Les cartes pour spatialiser le trajet

Ces traces GPS sont extraites des vidéos par Hervé Rivano afin que l’équipe SIG puisse les intégrer aux cartes de cyclabilité théorique, développées dans le cadre du projet Véléval par L. Merchez et Y. Gaillou en 2018 et dont nous parlerons plus loin, et aussi replacer le trajet du cycliste à l’échelle du territoire parcouru par ce dernier, comme nous pouvons le voir à la Figure 18. Avec le fond de carte des aménagements cyclables, nous pouvons voir quel type d’itinéraire préfèrent les cyclistes, s’ils utilisent les aménagements ou non, s’ils privilègient un trajet plus court mais avec moins d’aménagements, etc.

Ces cartes et vidéos serviront par ailleurs de support à la phase des entretiens de réactivation avec les enquêtés qui seront alors confrontés à leurs parcours.

Figure 17 : une Gopro sur le vélo d'un enquêté, Saint-Etienne

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Figure 18 : Carte de l'itinéraire d'un des enquêté

31 2.1.4. Entretiens de réactivation

La dernière étape consiste en la réalisation d’un entretien dit « de réactivation » auprès des enquêtés.

Cet entretien dure en moyenne 1h30 et est enregistré pour les besoins de l’analyse. Le choix du lieu est alors important : un endroit bruyant ou animé perturbera les interlocuteurs et il sera plus désagréable de retranscrire l’échange à cause des bruits parasites. C’est pourquoi l’entretien prend le plus souvent place au domicile de l’enquêté – ce qui peut parfois donner quelques informations supplémentaires – comme sur la Figure 19, ou bien sur son lieu de travail.

Le principe de l’entretien de réactivation, apparenté à une « épreuve de réalité » (Martouzet et al., 2010), est de susciter un « discours d’existence » (Chalas, 2000) en mobilisant la capacité réflexive de l’enquêté pour atteindre les représentations qu’il se fait de ses pratiques de mobilité (Bailleul et Feildel, 2011 ; Martouzet et al., 2012). Ainsi, avec comme support les cartes de cyclabilité et la vidéo d’un trajet comme embrayeurs de discours, les individus seront amenés à se questionner sur leurs pratiques cyclistes, les représentations qu’ils s’en font, les conditions matérielles de la réalisation de leurs pratiques et enfin de la relation entre conditions et pratiques (Adam & Ortar, 2019). Pour cela, une grille d’entretien a déjà été réalisée, faisant de ces entretiens des entretiens semi-directifs. En effet, si cette grille ne comporte pas de question à poser directement, elle vise à aborder différents thèmes :

- L’apprentissage du vélo, sa pratique antérieure et actuelle par son développement ou ses ruptures éventuelles, ainsi que les motivations à se déplacer à vélo (sorte de récit de vie) ; - Le comportement du cycliste et ses justifications, son ressenti, à l’aide de la vidéo afin de

cerner leur attitude et leurs éventuelles interactions avec les autres usagers ;

- Les habitudes, les éventuelles lassitudes et routines vécues lors du trajet et ce qu’elles signifient pour l’enquêté ;

Figure 19 : Dispositif en place lors de l'entretien chez l'enquêté : cartes de cyclabilité, vidéos et dictaphone (photo : Adrien Poisson, 2019)

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- La pratique de façon plus générale, et ce qui fait que le cycliste se sent « à l’aise » ou non.

Ces entretiens, à la forte dimension sociologique, viseront la compréhension de ce qui, dans la situation comme dans la trajectoire sociale des enquêtés, explique leurs rapports à la ville, au vélo et finalement au vélo en ville, et ce que qu’ils peuvent raconter du territoire. En effet, à travers cet entretien, nous confrontons le potentiel de mobilité des individus et potentiel d’accueil du territoire