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CYCLISTES ET VILLES NON CYCLABLES : CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DE LA PRATIQUE UTILITAIRE

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Academic year: 2022

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CYCLISTES ET VILLES NON CYCLABLES : CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DE LA

PRATIQUE UTILITAIRE

Etude de cas de la ville de Saint-Etienne dans le cadre du projet Véléval

Adrien Poisson

Mémoire de stage de 2ème année Master Transport Mobilités Réseaux

Année universitaire 2018/2019 Université Paul-Valéry Montpellier III UFR 3 – Département Géographie et Aménagement

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1

Table des matières

Introduction ... 3

Contexte actuel et éléments de cadrage ... 3

Le projet Véléval ... 4

Problématiques et hypothèses... 4

Chronogramme ... 6

1. Etat de l’art : des sociétés et des cultures qui expliquent des différences dans l’usage du vélo urbain ... 7

1.1. Le vélo en Europe, quels « us’âges » ? ... 7

1.1.1. Les « âges » du vélo face à l’automobile ... 7

1.1.2. La « Culture vélo » des pays qui encre l’usage de la bicyclette... 9

1.1.3. En France, une reconsidération tardive du vélo utilitaire ... 10

1.2. L’usage du vélo entre potentiel d’accueil et potentiel de mobilité ... 12

1.2.1. Le territoire et son potentiel d’accueil : la cyclabilité ... 13

1.2.1.1. A petite échelle : la géographie ... 14

1.2.1.2. A grande échelle : les aménagements et infrastructures ... 15

1.2.1.3. La société et ses valeurs ... 17

1.2.2. Le potentiel de mobilité des individus : la motilité ... 18

1.2.2.1. Accès ... 19

1.2.2.2. Compétences ... 19

1.2.2.3. Appropriations ... 20

1.3. Devenir « cycliste urbain », quels processus ... 21

1.3.1. La socialisation « vélocipédique » ... 21

1.3.2. La sécurité liée au sentiment d’être à l’aise à vélo ... 23

1.3.3. Des types de cyclistes urbains selon plusieurs critères ... 24

2. Méthodologie : intégrer un projet à la démarche définie ... 27

2.1. Méthode et matériel du projet Véléval et apports personnels ... 27

2.1.1. Recruter des cyclistes utilitaires lyonnais et stéphanois ... 27

2.1.2. La caméra pour capter les comportements ... 28

2.1.3. Les cartes pour spatialiser le trajet ... 29

2.1.4. Entretiens de réactivation ... 31

2.2. Traitement de l’information ... 32

2.2.1. Réalisation d’une grille d’analyse commune aux retranscriptions ... 32

2.2.2. Comparaison et mise à plat des résultats ... 34

3. Terrain d’étude et panel de l’enquête ... 36

3.1. Saint-Etienne, une ville non cyclable ? ... 36

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2

3.1.1. Des évolutions démographiques liées à l’histoire de la ville ... 36

3.1.2. Une particularité concernant l’automobile ... 37

3.1.3. Le vélo qui cherche à se (re)faire une place ... 39

3.2. Panel ... 42

4. Résultats et discussion ... 44

4.1. Savoir rouler, une condition nécessaire mais pas suffisante ... 44

4.1.1. La pratique du vélo depuis son apprentissage : des variations biographiques ... 44

4.1.2. Des capacités qui se développent chez les individus ... 45

4.1.3. Faire l’expérience du vélo dans un contexte favorable : question de genre ... 46

4.2. S’approprier le vélo comme moyen de transport ... 47

4.2.1. Le déclenchement de la pratique utilitaire ... 47

4.2.2. L’importance des normes et des socialisations ... 48

4.2.2.1. L’image du vélo influence sa pratique ... 48

4.2.2.2. Une socialisation aux pratiques : l’effet culturel et l’effet de groupe ... 48

4.2.2.3. Des cas particuliers de résistances aux normes ... 50

4.2.3. Des raisons qui expliquent cette appropriation ... 51

4.2.3.1. Des motivations communes aux enquêtés ... 51

4.2.3.2. Des motivations particulières chez les femmes ... 52

4.2.3.3. Des stratégies qui se mettent en place ... 53

4.3. Une lecture du territoire qui contraste selon la pratique des cyclistes ... 53

4.3.1. Une pratique non agréable à Saint-Etienne en lien avec les aménagements ... 53

4.3.2. Une analyse par le prisme du stock d’expérience des individus ... 57

5. Conclusions et perspectives ... 61

Bibliographie... 62

Annexes ... 69

Table des illustrations ... 78

Index ... 79

(4)

3

Introduction

Contexte actuel et éléments de cadrage

En 2018 selon l’INRIX, Lyon était la 3ème ville la plus embouteillée de France derrière Marseille et Paris, avec 141 heures passées dans les bouchons en heure de pointe pour les automobilistes lyonnais. Pour Leeds, qui enregistre des résultats similaires, le coût estimé de cette congestion s’élevait à 1057£ (soit plus de 1200€) par conducteur pour cette même année. Ainsi, par les embouteillages et plus généralement par la présence des véhicules motorisés dans les zones urbaines, les sociétés doivent supporter d’importants coûts économiques mais aussi environnementaux, liés entre autre à la pollution atmosphérique.

C’est pourquoi de plus en plus de collectivités réduisent la place qu’elles avaient jusqu’alors accordées à la voiture individuelle, désignée responsable de ces problèmes, afin d’amorcer des changements et d’offrir plus d’espace aux mobilités alternatives et aux transports en commun. Plus écologique, économique, silencieux, le vélo qui avait presque disparu de la circulation au cours des années 1980 (Héran, 2015) est ainsi (ré)apparu comme un outil de transition des mobilités, et fait aujourd’hui l’objet de nombreux « Plans vélo », à l’échelle de la Nation ou des agglomérations.

Cependant, la mise en place du vélo semble difficile dans certains pays plus que d’autres. Manque de volonté politique, prise de conscience tardive, lobbies… sont autant d’éléments qui peuvent expliquer le retard de la France par rapport à ses voisins nordiques, belges ou encore allemands. Parmi ces éléments figurent aussi un manque de données qualitatives et quantitatives, mais aussi de prise de recul, nécessaires à l’analyse des comportements cyclistes.

Contexte du stage

C’est dans ce contexte qu’en 2017, un groupe de chercheurs a répondu à l’appel à projet du LabEx IMU (Intelligence des Mondes Urbains) sous le titre : « Evaluation de la praticabilité à vélo des espaces urbains ». Le LabEx IMU est un laboratoire d’excellence qui regroupe environ 530 chercheurs issus de 32 équipes et laboratoires de l’Université de Lyon, relevant de 29 disciplines différentes, ce qui en fait sa « pluralité radicale ». Coordonné par Nathalie Ortar, sociologue et directrice de recherche au LAET (Laboratoire Aménagement Economie Transports) et porté par Matthieu Adam, post-doctorant en géographie et urbanisme, le projet nommé Véléval regroupe des chercheurs en géomatique (Luc Merchez) et en informatique et automatisation de traitement d’images (Hervé Rivano), ainsi que des docteurs en urbanisme et aménagement de l’espace (Georges-Henry Laffont), ce qui en fait sa pluridisciplinarité.

Le projet Véléval cherche ainsi à interroger la « cyclabilité » des espaces urbains, c’est-à-dire à la fois les conditions matérielles, techniques et sociales qui font l’usage du vélo. La méthodologie originale du projet, dont nous reparlerons, se base en partie sur de l’enquête face à des cyclistes volontaires, et c’est sur cette partie qu’a émergé le stage auquel j’ai postulé. Moi-même intéressé et impliqué par les questions liées aux mobilités, et en particulier à l’usage du vélo, ce stage me permettra de découvrir le milieu de la recherche en sciences sociales, la pluralité scientifique rapporté à un sujet et aussi de préparer une thèse qui porterait sur ces mêmes questions. Dans le cadre de ce mémoire de Master 2, je vais en outre pouvoir confronter mon approche « aménagement » à une vision plus sociologique (voire psychologique) des comportements et usages du vélo.

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4

Le projet Véléval

Objectifs

Les objectifs du projet Véléval sont d’apporter de nouveaux éléments et de dépasser les recherches déjà effectuées sur les sujets liés à la cyclabilité, en particulier en ce qui concerne l’aspect social du vélo, de sa pratique et le profil des cyclistes. Ainsi, le projet a pour ambition de tirer de nouveaux leviers pour l’action publique et donc d’éclairer les politiques cyclables, d’encourager à une meilleure pratique du vélo, par l’approche de l’usager et non de l’aménageur.

L’objectif du stage est de renforcer l’équipe de Véléval sur les entretiens de réactivation et de confronter le discours des interviewés aux perspectives théoriques qui entourent la cyclabilité, afin de valider ou d’invalider certaines hypothèses et d’apporter une dimension « politiques publiques ».

Mes objectifs personnels sont, par le biais de ce stage, d’approfondir mes connaissances et de les diversifier par cette approche pluridisciplinaire, à laquelle adhérent bien plus de disciplines que je ne le pensais. Il s’agira donc, dans mon étude, de prendre en compte ces multiples champs disciplinaires tout en gardant une ligne de conduite claire.

Problématiques et hypothèses

La question générale de ce projet est de chercher comment améliorer la cyclabilité des villes, quels sont les leviers dont nous disposons afin d’intervenir sur la mobilité et le « bien-être » à vélo, mais aussi quels sont les freins à cette pratique, et surtout de comprendre les processus qui permettent à des personnes de se mettre à réaliser leurs trajets domicile-travail à vélo.

Dans le cadre de ce mémoire, ma problématique ne sera pas aussi large. En partant du constat que certaines villes françaises ont des parts modales vélo très faibles comparé à d’autres, et que certains pays sont plus cyclables que d’autres, je me suis interrogé sur les raisons qui expliquent ces différences.

Ma deuxième interrogation concerne les cyclistes qui circulent dans ces villes que l’on pourrait alors qualifier de non favorable à la pratique cyclable.

Ainsi, mes problématiques sont les suivantes :

- Quels sont les facteurs responsables de l’usage utilitaire et régulier du vélo ?

- Pourquoi on fait du vélo alors que le contexte est défavorable ? Quelles conditions poussent à faire du vélo utilitaire dans une ville qui ne s’y prêterait pas ?

Pour tenter d’y répondre, j’ai formulé d’autres sous-problématiques et des hypothèses que je validerai ou non, et que voici :

Formation Aménagement des transports

Stage Sciences sociales et Enquêtes

Approche complémentaire

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5

- Quels sont les facteurs et processus sociaux qui déterminent l’usage du vélo ?

Pour reprendre les recherches déjà effectuées (Rérat et al., 2019), le potentiel de mobilité des individus dépend de trois choses : l’accès (pouvoir), des compétences (savoir) et des appropriations (vouloir). Il s’agit ici d’interroger le parcours de vie des individus, de leurs socialisations (primaire et secondaire) et intégrations des normes et valeurs de la société, mais aussi leurs conditions actuelles voire futures (emploi, famille…) qui font leur usage du vélo en général. Nous voulons ici savoir, en interrogeant les parcours de vie, quelles conditions permettent à ces trois éléments de se réunir, et supposons que les variations de genre, de classe et d’âge « orientent » l’usage.

- L’expérience permet-elle aux cyclistes de se sentir « à l’aise » ? En quoi la pratique antérieure permet de se mettre au vélo dans une ville non cyclable ?

Il s’agit ici de questionner une impression très subjective : être « à l’aise ». En effet, en fonction de l’expérience, des habitudes, de l’éducation… les cyclistes peuvent se sentir plus ou moins à l’aise sur un même aménagement ou sur une même route. Ma première hypothèse est que ce sentiment dépend de l’expérience, et que plus un cycliste est expérimenté, plus il se sent à l’aise à vélo. Ma seconde hypothèse est que cette expérience est nécessaire pour circuler en ville, d’autant plus si le contexte n’est pas favorable, et que les cyclistes ont ainsi passé un certain seuil dans cette expérience, seuil sous lequel il ne serait pas possible de faire du vélo dans ce contexte. En d’autres termes, pour circuler dans une ville non favorable au vélo, il faut avoir déjà pratiqué le vélo dans des contextes « vélo friendly ».

- Comment les aménagements inscrivent les cyclistes et leurs représentations dans le paysage urbain et les rendent légitimes ou non auprès des autres usagers ?

Les aménagements cyclables permettent de rendre l’usage du vélo visible par les usagers de la voirie en l’intégrant physiquement dans l’espace, en matérialisant sa place. Ils peuvent ainsi conforter les cyclistes à circuler, mais aussi parfois les rendre moins légitimes (par exemple en circulant sur la voirie alors qu’une piste cyclable se trouve à proximité). L’hypothèse est que les cyclistes se sentent « à l’aise » dans leurs rapports aux autres et à l’image qu’ils dégagent, donc que plus ils se sentent légitimes de circuler, plus ils se sentent « à l’aise » et inversement.

- Le comportement des cyclistes est-il représentatif de leurs parcours de vie ? (Dis-moi comment tu roules, je te dirais qui tu es)

Ainsi, peut-on affirmer ou non que les comportements sur la route (respect ou non des feux rouges, position sur la route, utilisation des aménagements cyclables, des trottoirs, équipement du vélo et du cycliste…) dépendent des conditions sociales et d’apprentissage des individus ? Cela pourrait permettre d’étayer les recherches déjà existantes (RERAT et al., 2019 ; GELLER, 2006) sur les classifications de cyclistes, puisque notre hypothèse est que les trajectoires sociales individuelles permettent d’identifier des « types de cyclistes ».

- A quel point la présence d’aménagements cyclable et/ou leur performance est-elle une condition nécessaire au développement du vélo ? La mesure de la « cyclabilité » est-elle suffisante dans l’analyse de la pratique cyclable ?

Plusieurs auteurs (HULL, 2014 ; DE GROOT, 2016) ont dégagé, à partir d’enquêtes qualitatives et subjectives et de méthodes de niveau de service (« level of service concept »), des nécessités afin d’arriver à un réseau cyclable performant ; parmi eux, la cohérence, la rapidité, la sûreté, la sécurité ou encore le confort. Cependant, les aménagements cyclables, s’ils font stricto sensu la « cyclabilité »

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6

d’un espace, n’en font pas toujours l’usage, puisqu’il faut pour cela des cyclistes (d’une part) susceptibles de les utiliser (d’autre part). Là encore, pour reprendre les recherches sur le potentiel d’accueil, la cyclabilité semble dépendre de l’environnement physique (topographie…), construit (aménagements) mais aussi social (règles et normes) dans lequel évoluent les individus. Il apparaît que ce potentiel d’accueil influence le potentiel de mobilité des individus.

Chronogramme

Le stage s’est ainsi déroulé de la manière suivante :

Mars Avril Mai Juin Juillet Aout

Etat de l’art

Recrutement de cyclistes

Entretiens

Analyse des résultats

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7

1. Etat de l’art : des sociétés et des cultures qui expliquent des différences dans l’usage du vélo urbain

1.1.

Le vélo en Europe, quels « us’âges » ?

Le but ici est de dresser un bref historique du vélo, depuis son apparition, en nous focalisant sur des pays européens afin de comprendre les différences que l’on dit culturelles à sa pratique actuelle.

1.1.1. Les « âges » du vélo face à l’automobile

Inventée en 1817 par le Baron Karl Drais von Sauerbronn à la suite d’une pénurie de chevaux, la Laufmaschine (traduire « machine à courir »), va connaître différentes évolutions lexicales, techniques et sociales, jusqu’à nos jours.

La draisienne, du nom de son inventeur, aussi appelée

« Vélocipède » (velocis : rapide, pedis : pied), demande un certain sens de l’équilibre – c’est pour cette raison que les enfants apprennent le vélo sur ces petits engins.

Plutôt vue à l’époque comme une distraction et un signe de distinction, elle ne séduit que les classes aisées et les

« horse dandys » qui viennent s’exercer au Bois de Boulogne entre autres. Ses adorateurs n’étaient

appréciés ni en ville ni en campagne, parce qu’ils effrayaient les chevaux des charrettes et hippomobiles et passaient pour des marginaux. Des altercations sont alors relatées, dans lesquelles les paysans, par exemple, mettent littéralement des bâtons dans les roues pour en faire tomber les propriétaires (Carstensen & Ebert, 2012, p.28). Engin de parade peu pratique, la draisienne tombe un peu dans l’oubli.

Arrivent ensuite les pédales, fixées sur le moyeu de la roue avant, par Pierre Michaux et son fils dans les années 1860.

Le vélocipède, terme employé par l’administration française, sera abrégé par apocope en véloce (1868) puis vélo (1869). D’autres inventions se succèdent petit à petit, et nous voyons l’arrivée des premiers tricycles et bicycles, pour lesquels la dimension de la roue de propulsion déterminera la vitesse mais aussi la stabilité de l’engin. Le plus emblématique en est le grand bi des années 1870.

C’est d’ailleurs depuis ces années que le mot cycle est utilisé aussi bien du côté français qu’anglo-saxon pour désigner ces véhicules à propulsion musculaire (Papon, 2013, p.14).

Figure 1 : Laufmaschine, gravure (image : treehugger.com)

Figure 2 : Vélocipède à pédale (image : Janine Tissot)

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8 En 1885, s’inspirant l’invention de Henri Lawson (c-à-d la chaîne de vélo en 1879), John Kemp Starley crée le safety bicycle – dont la forme se rapproche des vélos que nous connaissons aujourd’hui, ce qui va mettre fin à « l’âge du vélocipède (1814-1880) » mentionné par Catherine Bertho-Lavenir. La transmission par chaîne va permettre de décupler le mouvement des pédales sur des roues plus petites et de n’utiliser la roue avant que pour la direction ; c’est « l’âge de la bicyclette (1880- 1914) ». De nombreuses inventions suivront – la pneumatique Dunlop, la chambre à air Michelin, la roue libre, le dérailleur, etc – qui vont permettre d’améliorer la bicyclette, dont le terme se retrouve employé dans d’autres pays (bicicletta, bicicleta, bisiklet…) (Robin, 2011). Nous pouvons par ailleurs constater l’arrivée des premiers clubs vélocipédiques qui, nous le verrons, vont jouer un rôle important dans la diffusion de la pratique du vélo (cf 1.1.2 ; 1.2.1.3) aussi bien à l’échelle nationale (National Cycling Club, Touring Club de France, etc) que locale dans les années 1880.

Jusqu’alors réservé à la bourgeoisie qui s’en fait un usage sportif ou de loisir, la bicyclette va peu à peu devenir accessible au plus grand nombre, et notamment à ceux qui la produisent, puisque le nombre d’heures de travail nécessaire pour acquérir une bicyclette va diminuer, en partie grâce à l’industrialisation. Elle deviendra le véhicule des travailleurs, policiers, militaires, postiers, etc. C’est « l’âge du vélo » (1914-1970). Nicolas Pressicaud, géographe de formation, consultant en mobilité douce, parle véritablement des

« Trente Glorieuses »du vélo utilitaire entre 1925 et 1955. Ainsi, la ville de Grenoble par exemple affichait une part modale cycliste de 45%

des modes mécanisés dans les années 1950 (Martin, 2011). Pourquoi aujourd’hui la part modale du vélo à Grenoble n’est que de 15% selon l’INSEE ?

Le vélo, dans tous ses « âges », est en concurrence1 avec les autres modes de déplacement qui composent un véritable système des mobilités. On remarque que dans cette approche historique, le vélo se retrouve toujours dans une relation instable avec l’automobile : lors de sa « vitesse bourgeoise », il inspire en quelque sorte l’automobile (Bertho-Lavenir), puisqu’en 1885 en Allemagne, Karl Benz fabriquait des tricycles à moteur, qu’on peut considérer comme les premières

« automobiles ». En 1891, la société Peugeot, de Valentigney, spécialisée dans l’outillage et le vélo,

1En milieu urbain, les individus ne vont pas forcément plus se déplacer s’il y a plus de modes de transport à disposition.

Figure 3 : Grand bi, 1884 (photo : archives départementales des Yvelines)

Figure 4 : Safety Bicycle, 1885 (image : renekmueller.com)

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inaugure sa première voiture, dont les quatre roues ne sont guère plus que des roues de vélo (Lequin, 2017, p.6). Puis le vélo passe la « vitesse populaire » et devient « la voiture du pauvre » pour Philippe Gaboriau. Enfin il s’en oppose lors de la « vitesse écologique » que Catherine Bertho-Lavenir considère dans « la bicyclette à l’âge de l’automobile (depuis 1970) ».

Cependant, la voiture n’est pas le seul mode avec lequel le vélo est en concurrence. Sur de courtes distances, la marche possède un avantage, et sur des plus longues distances, les transports en communs peuvent s’avérer plus pratiques. Dans son livre « Le retour de la bicyclette », Frédéric Héran estime que l’analyse du système-vélo doit être complétée par une approche qu’il qualifie d’omnimodale. Il souligne la nécessité de replacer l’évolution de l’usage de la bicyclette dans le développement plus général des divers modes de déplacement et non pas de la considérer de manière isolée (Rérat et al., 2019, p.20). Par ailleurs, il montre que le développement urbain du vélo dans les pays d’Europe du Nord s’est fait en limitant la place de la voiture, tandis qu’en France, où les élus et les technocrates, sensibles aux lobbies, ont préservé la place de cette dernière, la part modale du vélo a diminué. (Héran, 2014, p. 14). Nous pouvons par ailleurs ajouter que des pays comme la France, l’Italie ou l’Allemagne ont développé une industrie automobile très forte, ce qui a permis la démocratisation de la voiture, tout comme le vélo quelques années auparavant. Cette industrie automobile est bien moindre aux Pays-Bas ou au Danemark.

Pouvons-nous alors parler d’une culture vélo dans certains pays plus que dans d’autre ?

1.1.2. La « Culture vélo » des pays qui encre l’usage de la bicyclette

Les Pays-Bas et le Danemark font bien souvent, en matière de vélo, figure d’exemples à suivre pour des pays « en retard » ou avec une faible part modale cyclable, et les expressions « culture vélo » ou

« culture cyclable » reviennent. Comme le fait remarquer Stein Van Oosteren2, un exemple vaut bien des mots : il suffit de chercher, sur Internet, des images de cyclistes et de faire varier la langue. En tapant « cycliste », on tombe (presque) uniquement sur des photos de coureurs du Tour de France, donc des hommes sportifs en lycra sur des vélos de route, alors qu’en écrivant « fietser », c’est-à-dire cycliste en néerlandais, ce sont des images aussi bien d’hommes que de femmes et de tous les âges, principalement en ville et sans casque, qui apparaissent en nombre. Pour lui c’est quelque chose de

« structurel dans la société ». L’image du vélo en France serait alors principalement liée au sport, tandis qu’aux Pays-Bas il s’agirait d’un moyen de transport ou de tourisme. Il est d’ailleurs intéressant et assez révélateur de répéter l’exercice pour d’autres pays. Comment alors expliquer cette différence de l’usage du vélo dans nos sociétés ? Il faut pour cela revenir dans les années 1880, périodes des organisations et clubs de cyclistes.

En France, ainsi qu’en Italie ou en Allemagne, les « horse dandys » aiment se montrer et se mesurer à vélo. Des vélodromes sont construits, le « véloce » représente avant tout la vitesse. Il s’avère bien plus rapide et fiable que le cheval. L’Union Vélocipédique de France (UVF, ancêtre de la FFC) est créée en 1881, et se limite à la compétition, tout comme la Federazione Ciclistica Italiana (FCI) en 1885. Ainsi, les courses de longues distances se multiplient (Bordeaux-Paris et Paris-Brest-Paris en 1891, Vienne- Berlin en 1893) et deviennent de plus en plus populaires (Laget, 1990 ; Héran, 2014), pour ne citer que le Tour de France, créé en 1903 ou le Giro d’Italia, en 1909. Face à cette montée en puissance des compétitions à vélo sera créé en 1890 le Touring Club de France (TCF), afin de promouvoir au début le

2 Attaché diplomatique auprès de l’UNESCO, président du collectif FARàVélo et porte-parole du collectif Vélo Ile- de-France

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cyclotourisme, puis quelques années plus tard, toutes les formes de tourisme (pédestre, automobile, camping, etc). Le TCF joua un rôle important dans la promotion du tourisme jusqu’à la première moitié du XXe siècle, avant de péricliter et disparaitre en 1983.

Les pays nordiques prennent une autre route : inquiets par une Allemagne unifiée par la Bismarck depuis 1870, les Pays-Bas vont promouvoir le vélo comme moyen de découvrir le pays par le tourisme et comme un retour à l’Âge d’Or (Ebert, 2004 ; Héran, 2014). Au Danemark et Pays-Bas, on constate que l’engouement autour des courses de vélo se perd face à l’augmentation des cyclistes utilitaires et de tourisme. Le Danish Bicyle Club (DBC), créé en 1881 et initialement porté sur les courses, va perdre cet intérêt sportif avec l’arrivée des courses automobiles, qui plaisent à la bourgeoisie, et rapidement se tourner vers le tourisme. Le vélo va là aussi jouer un rôle important dans l’établissement d’une identité nationale : « Since the bicycle combines a cultural, mental and embodied staging of nationality, touring played an important rôle in the establishment of the Danish feeling of nationality. The bicycle was viewed as a way to cultivate and educate the citizens when they were travelling around enjoying the varied national landscape » (Carstensen & Ebert, 2012, p.31). Aux Pays_Bas, l’association générale néerlandaise des cyclistes (ANWB), créée en 1883, est dominée par les libéraux progressistes et préfère promouvoir le tourisme à bicyclette que les courses cyclistes (Héran, 2014). La Dutch Cyclist’s Union (DCU) se positionne même contre les courses à vélo en 1898, et la loi des motorisés et des bicyclettes (Motor en rijwielwet) de 1905 interdit les compétitions urbaines, ce qui renforcera la DCU dans la promotion du vélo de tourisme.

Ainsi, à cette période, les organisations nationales de cyclistes choisissent entre le vélo de course ou de tourisme. La Deutscher Radfahrer-Bund, créé en 1884 en Allemagne et à l’origine portée sur la compétition, a quant à elle essayé de garder les deux (Carstensen & Ebert, 2012, p.32).

1.1.3. En France, une reconsidération tardive du vélo utilitaire

Nous avons pu le voir (1.1.1), l’industrie du cycle et des pièces détachées se développe en France, en particulier dans certaines régions et villes, comme Paris, la Haute Normandie et Rouen, l’Alsace, Montbéliard ou encore la Loire et Saint-Etienne (cf. Vant, 1974). A Saint-Etienne, cette industrie ne prend naissance que tardivement, à la fin du XIXe siècle, mais connut un remarquable essor par la suite (Devun, 1947, p.7), ce qui fait qu’aujourd’hui, même s’il n’y est plus beaucoup pratiqué (à raison d’une part modale de moins de 1%), le vélo est resté dans l’imaginaire collectif stéphanois, comme l’illustre la collection de cycles du musée de l’art et de l’industrie, ou l’engouement pour le passage du Tour de France 2019.

Figure 5 : Le tramway de Saint-Etienne et sa livrée « Tour de France 2019 » (photo : Adrien Poisson, juillet 2019)

Mais si les ouvriers sont nombreux à aller travailler à vélo pendant l’entre-deux guerre, et que les congés payés vont populariser le tandem auprès des ménages français, la démocratisation de la voiture

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mais aussi du cyclomoteur vont faire chuter l’usage du vélo en le rendant plus dangereux et « ringard » (Razemon, 2014 ; Héran, 2014).

Les années 1970 sont marquées en France par des associations écologistes qui prônent l’usage du vélo en ville, en particulier à Paris (cf : les Amis de la Terre). A cette époque, l’urbanisme moderne promeut la séparation des fonctions (habiter, travailler, se récréer et circuler) (Rérat et al., 2019, p.30) et aussi la fluidification du trafic par sa hiérarchisation en fonction de la vitesse du flux (Paquot, 2016). Les décideurs politiques ne considèrent pas le vélo, qui reste sur le bord de la chaussée en tant que véhicule lent, avec les piétons. Georges Pompidou déclarera en 1971 cette phrase aujourd’hui décriée :

« il faut adapter la ville à l’automobile ». Ce n’est qu’en 1982, après l’accident de Jacques Essel, militant, que les premières bandes vertes cyclables apparaissent, mais de façon maladroite, entre les voies de bus et de voitures. L’effet médiatique est très négatif et signe l’arrêt du programme. L’Hôtel de Ville ne voudra plus entendre parler d’aménagements cyclables pendant une dizaine d’années.

Ainsi, en janvier 1990, au colloque “Vivre et circuler en ville”, à Paris, les intervenants étrangers parlaient systématiquement des quatre composantes du trafic, à savoir piétons, vélos, autobus et autos. Les Français n’en voyaient jamais que trois (Lesens, 1998, p.168).

Petit à petit, et par la motivation de particuliers, le vélo utilitaire va émerger comme mode de transport à part entière à Paris (et plus généralement dans les grandes villes). En 1994, sous l’impulsion de l’association Vélo XV, le premier aménagement cyclable utile3 voit le jour, ainsi que les premiers sas vélo et stationnements. C’est aussi cette année qu’à la demande du ministre de l’Environnement, les voies sur berges sont fermées aux voitures et ouvertes aux piétons et vélos dont on ne soupçonnait pas l’existence, toute la journée du dimanche 10 Juillet, et que cela est renouvelé plusieurs fois, jusqu’à la fermeture définitive de 2018. Les parisiens possèdent donc des vélos, que certains vont ressortir lors de la grande grève des transports en Décembre 1995, dont l’enquête révèlera que « circuler à Paris à vélo s’est révélé possible, facile et agréable […] et a donné une image valorisant de soi » (Sofres, 1995 ; Lesens, 1998). La même année, Jacques Chirac, alors maire de Paris, reconnaît que la circulation en ville entraîne de nombreuses nuisances et qu’il faut « adapter la voiture à la ville et non l’inverse », et inverse donc les propos de Georges Pompidou vingt ans auparavant.

➔ Changement de paradigme, mais on pense toujours le duo ville-voiture

Le vélo continue de se développer, mais l’automobile, symbole de modernité et de progrès, prend le pas, et donne au vélo une image désuète. Dans tous les pays Européens, après la Seconde Guerre Mondiale, la voiture concurrence le vélo qui, abandonné par les pouvoirs publics, décline fortement.

Seuls les pays qui avaient développé une forte identité et culture autour du vélo continuent à le porter, même s’ils doivent faire face eux aussi à ce fort déclin (Carstensen & Ebert, 2012), comme l’illustre la Figure 6 ci-dessous.

3 Cf. 1.2.1.2

(13)

12

Figure 6 : Reconstitution de l’évolution de la quote-part du vélo dans le total des déplacements en voiture, vélo, vélomoteur et TEC dans plusieurs villes d’Europe occidentale entre 1920 et 1995 (en %) (Source : de la Bruheze et Veraart, 1999)

Après avoir dressé un bref historique du vélo, nous allons nous intéresser aux processus et facteurs qui font l’usage du vélo, en particulier utilitaire.

1.2.

L’usage du vélo entre potentiel d’accueil et potentiel de mobilité

Nous allons dans cette partie nous concentrer sur deux des disciplines qui étudient l’usage du vélo, et en particulier sur l’articulation entre potentiel de mobilité et potentiel d’accueil. Ces deux potentiels renvoient chacun à des notions propres aux champs des sciences sociales et de la sociologie mais aussi de l’aménagement et de la politique, que j’ai essayé de représenter dans la Figure 7 qui suit.

Je m’inspire ici grandement de l’ouvrage de RÉRAT, Patrick, GIACOMEL, Gianluigi et DURO MARTÍN, Antonio : Au travail à vélo...: la pratique utilitaire de la bicylette en Suisse (2019).

(14)

13

1.2.1. Le territoire et son potentiel d’accueil : la cyclabilité

Le potentiel d’accueil peut se définir en la capacité d’un territoire à accueillir des activités4. Dans le dictionnaire de Forum Vies Mobiles, Vincent Kaufmann en donne cette définition : « Chaque territoire offre un champ des possibles spécifique pour accueillir les projets des acteurs individuels et collectifs » (Kaufmann, 2012). Toujours selon Vincent Kaufmann, le potentiel de mobilité se compose d’une « série d’ingrédients » qui sont (a) les réseaux disponibles, (b) l’espace et l’ensemble de ses configurations territoriales, (c) le marché de l’emploi et (d) les institutions et lois régissant d’une manière ou d’une autre les activités humaines. Ainsi, potentiel et accueil renvoient à la notion d’attractivité des territoires.

Dans notre situation, ce potentiel rapporté au vélo peut se définir par la cyclabilité, c’est-à-dire la capacité d’un territoire à permettre des déplacements à vélo. Cette notion serait apparue il y a une dizaine d’années, et n’est donc pas encore définie clairement : certains auteurs évaluent la cyclabilité d’un territoire avec les déplacements effectifs de cyclistes. D’autres la mesurent par la présence d’infrastructures cyclables ou de zones « apaisées » (zones 30 ou contre-sens cyclables).

4 Ce potentiel peut se décliner à différentes disciplines, puisque les géographes et écologues parlent d’écopotentialité.

Accès

Compétences

Appropriations

Géophysique Construit Social

Individus Territoire

USAGES

Figure 7 : Articulation entre potentiel d'accueil et de mobilité

Sociologie Aménagement

Besoin

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14 1.2.1.1. A petite échelle : la géographie

Contexte spatial

Le vélo, pour avancer, nécessite une activité physique de la part du cycliste. Logiquement, plus la distance à parcourir est importante, plus l’effort demandé le sera aussi, tout comme le temps nécessaire sachant que la vitesse moyenne d’un vélo est de 15 km/h. Ainsi, au-delà d’une certaine distance, on estime que le vélo n’est plus compétitif : elle est de 5km pour la France, 7,5 km pour les Pays-Bas5. La Figure 8 ci-dessous illustre la baisse de la part modale des modes alternatifs en fonction de la distance.

Figure 8 : Part du mode de transport selon la distance domicile-travail effectuée par les actifs ayant un emploi (extrait de

"Partir de bon matin, à bicyclette...", INSEE, 2017)

En outre, le relief et le climat peuvent rendre plus difficile l’utilisation du vélo en demandant un effort supplémentaire au cycliste qui souhaite gravir une côte, ou qui circule face au vent (« côte virtuelle »).

Pourtant, « certaines [villes étrangères], dont le relief et les conditions climatiques ne diffèrent guère de ceux de Lille réservent une place plus importante au vélo comme moyen de transport » (Chalon, 1992). Héran (2014) montre que « ville plate » ne signifie pas forcément « ville cyclable » en comparant les parts modales de Dunkerque (2%) et de Berne (11%). Quant au climat, des recherches ont montré

5 Pour le vélo « musculaire ». Cela passe respectivement à 10 et 15 km pour un vélo à assistance électrique (VAE).

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15

que le mauvais temps avait plus d’influence sur le vélo récréatif que sur les déplacements pendulaires (Nankervis, 1999).

La ville et sa forme

La question de la distance renvoie à la forme et à la taille des villes (Rérat et al., 2019, p.29), et en particulier aux notions de densités urbaines, d’étalement urbain et de localisation et mixité des activités et des services. Elle renvoie aussi à la présence de barrières – cette fois construites – telles que des autoroutes, voies de chemins de fer ou canaux qui, infranchissables à tout point, nécessitent des détours et allongent les distances. Concernant la densité urbaine, il est commun de dire que plus elle est forte, plus elle va favoriser l’usage du vélo utilitaire. Cela n’est qu’en partie vrai : dans des centres très denses, les gens ont plus tendance à se déplacer à pied (par exemple à Paris, un tiers des déplacements sont réalisés à pied) puisque les activités sont plus proches (Nous voyons sur la Figure 8 l’importance de la marche sur les premiers kilomètres). Pour illustrer, Amsterdam et ses 3800 hab/km² comptait 22% de déplacements à vélo en 2008, contre 19% pour La Haye et ses 5000 hab/km². En dessous de 1 km, le vélo est moins utilisé au profit de la marche.

La densité, la diversité et la mixité des fonctions urbaines, qui participent à l’attractivité ou non du paysage et de l’environnement construit, sont autant de facteurs favorisant la pratique du vélo, en particulier le long de itinéraires cyclables (Handy et al., 2014 ; Harms et al., 2014 ; Heinen et al., 2010

; Pucher et Buehler, 2012). Ces itinéraires cyclables le sont grâce aux aménagements que nous allons voir dans ce qui suit.

1.2.1.2. A grande échelle : les aménagements et infrastructures

Par aménagement cyclable on entend tout équipement destiné à organiser la circulation des cycles non motorisés. Cet aménagement peut être dédié au vélo ou partagé avec d’autres usagers. Les pistes cyclables uni ou bidirectionnelles, séparées de la circulation, ainsi que les bandes cyclables sont des aménagements réservés exclusivement aux cycles, tout autre véhicule n’a pas le droit ni d’y circuler ni d’y stationner. Les voies vertes, couloirs de bus ouverts aux vélos, double-sens cyclables ou

Figure 10 : piste cyclable bidirectionnelle (vendome.eu)

Figure 9 : double sens cyclable à Gent (gauche) et Lille (droite) (photo : Adrien Poisson, 2019)

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16

encore CVCB6 sont quant à eux des aménagements partagés avec les autres usagers. Les zones 30, qui existent depuis 1990, ne sont pas des aménagements cyclables en tant que tel, mais depuis 2008, elles généralisent les double-sens cyclables et ont

aujourd’hui tendance à se généraliser dans les centres-villes. Le CEREMA recommande par ailleurs certains seuils à ne pas dépasser (en termes de flux, de vitesse, etc.) pour développer cet aménagement de façon sécurisée.

Analyser ces aménagements peut s’avérer intéressant ; (a) à l’échelle de la ville pour rendre compte des disparités spatiales, en illustre à la Figure 12 le Bike Lane Score, IBICCS qui compare les grandes villes américaines et canadiennes (Branion-Calles et al., 2019) ; (b) à l’échelle de la voirie pour évaluer leur qualité de roulement et donc l’effort et le ressenti du cycliste, en illustre le « vél’audit » ci-contre développé par le CEREMA.

6 Chaussée à Voie Centrale Banalisée

Figure 12 : IBICC, distribution spatiale et accessibilité des infrastructures cyclables de (a) Boston, (b) Chicago, (c) New York, (d) Montréal, (e) Toronto et (f) Vancouver. L’indice varie de 0 à 100, ou 100 indique une très forte proximité et 0 indique aucune infrastructure cyclable dans un rayon de 1 km. (Extrait de Branion-Calles et al., 2019)

Figure 11 : "Vél'audit" (image : CEREMA)

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17

En outre, des auteurs ont mis en évidence des corrélations entre l’aménagement cyclable et le nombre de cycliste (Buehler & Pucher, 2012 ; Mitra et al., 2016), dont les résultats ont été largement diffusés et vulgarisés par la formule « if we build it, they will come / they will cycle ». Attention cependant aux effets structurants, comme pour le rail et le routier, la présence de l’infrastructure ne signifie pas son utilisation mais l’amplification de tendances déjà existantes (Offner, 2014, 1991) ; encore doit-elle répondre à des besoins et à certaines caractéristiques. Des auteurs ont en effet mis en exergue les caractéristiques pour un bon réseau cyclable : la cohérence, la rapidité, l’attractivité, la sécurité et le confort (Parkin & Koorey, 2012 ; Hull, 2014 ; De Groot, 2016). Ainsi, certaines collectivités cherchent à développer leurs réseaux de pistes cyclables ou bien à profiter de l’existant, comme par exemple la Région Pays de la Loire qui mesure le potentiel de ses véloroutes et voies vertes dans les mobilités quotidiennes (DREAL, 2018).

Les infrastructures cyclables ne se limitent pas à la circulation des vélos : il faut aussi permettre le stationnement, voire l’accès à des outils en libre-service ou bien à des douches. Encourager le vélo comme mode de déplacement, c’est considérer les freins pour les débloquer : il a été montré que le vol (ou le risque de vol) de vélo est l’un de principaux freins à son usage. Investir dans des abris sécurisés sur les lieux de travail permet à plus de personnes de venir à vélo, même les « cyclistes de loisir » (Damant-Sirois et al., 2014, p.14)

Si les aménagements et le territoire sont une condition au développement des modes alternatifs, ils n’expliquent pas à eux seuls l’usage du vélo.

1.2.1.3. La société et ses valeurs

Au-delà de la cyclabilité et de ses aspect physiques et matériels, les normes et valeurs de la société, qui sont d’ordre immatériels et symboliques (Rérat et al., 2019, p.34) vont aussi participer à rendre possible ou non la pratique cyclable sur un territoire. Ces normes peuvent être légales et concerner des règles et des lois impliquant les cyclistes. Par exemple, la France s’est peu à peu doté d’outils qui ont spécifié et modifié la place du vélo dans l’espace et ses rapports avec les autres usagers : le code de la route et ses révisions (1921, 1958, 2000), la LOTI (1982), la LAURE (1996), la Loi SRU (2000), le code de la rue (2008) ou encore la Loi de financement de sécurité sociale (Beroud & Ayana, 2012 ; Martin, 2011 ; Le Brethon, 2004).

Dans la construction de ces lois, il faut noter là encore l’importance des alliances entre les organisations cyclistes et automobilistes, dès les années 1880 : aux Pays-Bas, la DCU s’allie avec les automobilistes avec pour objectif la création commune de lois modernes de circulation, ainsi que le développement d’un réseau pour les vélos, financé en partie avec les différentes « taxes vélo » (1898, 1924). Idem au Danemark, où la DBC, en continuant les travaux de la Cycle Path Organisation (Cykelstiforeningen) devient la Danish Bicycle Federation (1905) et travaille en lien avec les automobilistes pour développer des pistes cyclables sécurisées et promouvoir le vélo de tourisme et de loisir (Carstensen & Ebert, 2012).

Ces alliances n’auront pas lieu ailleurs. C’est pour cela que dans les années 1990, alors que les pays européens commencent à se doter d’aménagements cyclables et visent à modérer la circulation dans les grands centres urbains, les Pays-Bas quant à eux, ayant déjà obtenus ces spécificités de « pays du

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18

vélo », réduisent le nombre d’arrêts imposés aux cyclistes7 (suppression des carrefours à feux, création de passages dénivelés, rectification du profil en long...) et augmentent la qualité de roulement des chaussées (amélioration du revêtement, meilleur éclairage, nettoyage régulier, traitement de la neige et du verglas...) (Héran, 2015, p.6).

La « Culture vélo » (Cox, 2015) des pays dont nous avons discuté, dépend ainsi de ces lois, mais pas uniquement. Les normes sociales vont influencer les comportements des individus, parce qu’elles auront été intériorisées, et qu’elles rendent, à un moment et à un contexte donné, légitime ou non un mode de transport qui véhicule avec lui des images et des valeurs le rendant plus ou moins attractif.

On peut citer comme exemple la voiture et les significations culturelles qui lui sont associées (symbole de liberté, statut social, etc) et qui ont participé à son essor (Urry, 2004, p.26). Le vélo, nous l’avons vu, a aussi été un « miroir de la société », d’abord réservé à la bourgeoisie qui le délaisse, instrument d’émancipation des femmes, véhicule des travailleurs, postiers et ouvriers, jeunes et pauvres, avant de permettre aux classes moyennes de s’évader lors des congés payés.

Ces approches historiques, basées sur les évolutions techniques et d’usage du vélo, font ainsi ressortir une dimension générationnelle, énoncée par le programme « Lillàvélo » de 1992 : « à chaque génération correspondent des formes de pratiques cyclistes et des représentations particulières du vélo » (Chalon et al., 1992). Frédéric Héran parle aussi de cette dimension : « Les personnes âgées qui ont vécu la dernière guerre auraient plutôt un souvenir cuisant du vélo, symbole de restriction et d’appauvrissement : elles n’imaginent guère qu’il puisse redevenir un véhicule utilitaire. Les ouvriers et employés qui ont abandonné le vélo pour accéder progressivement à la motorisation – difficilement et tardivement pour les plus pauvres – l’envisagent encore moins. Et ceux qui ont connus des balades à bicyclette aux beaux jours en ont gardé une certaine nostalgie et n’associent guère le vélo à un usage utilitaire » (Héran, 2014, p.4).

Finalement, pour avoir des territoires cyclables, il faut un élément indispensable : les cyclistes.

1.2.2. Le potentiel de mobilité des individus : la motilité

Nous allons maintenant nous intéresser au deuxième potentiel : celui de la mobilité à l’échelle de l’individu. Il s’agit alors de la motilité, c’est-à-dire la manière dont un individu ou un groupe fait sien le champ du possible en matière de mobilité et en fait usage (Kaufmann, Widmer, 2005, p.200) Cette notion permet de penser la mobilité non seulement en termes de déplacements effectifs, mais aussi en termes d’expériences, d’imaginaires, de capacité à être mobile (RÉRAT et al., 2019, p.22). Ce

« capital de mobilité », tout comme les autres types de capitaux, n’est pas acquis par des individus isolés mais au contraire par le biais d’une socialisation marquée par le cadre familial, ses structures, son fonctionnement (Kaufmann et Widmer, 2005, p.212). Nous allons nous pencher sur trois composantes de ce capital, qui sont « Pouvoir, Savoir, Vouloir », sans oublier que la mobilité est régie par des besoins (aller au travail, faire des achats, se sociabiliser, etc.) et qu’elle peut être source d’inégalités (Vallée et al., 2015).

7 En moyenne, redémarrer après un arrêt demande au cycliste autant d’effort que de rallonger la distance parcourue de 80m (Héran, 2014)

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19 1.2.2.1. Accès

L’accès recouvre les options de mobilités dont dispose une personne à un moment et à un endroit donné (Rérat et al., 2019, p.23). Flamm (2004, p.159) utilise les notions de droits d’accès et de portefeuille de droits d’accès pour dire que la capacité de mouvement d’un individu se fonde sur les possibilités que ce dernier se donne d’avoir accès à des moyens de transport : « face à un marché offrant une gamme étendue de ressources instrumentales de déplacement, chaque individu constitue un portefeuille personnel de droits d’accès, c’est-à-dire un assortiment plus ou moins grand et plus ou moins diversifié de droits d’avoir accès à de telles ressources » (Flamm, 2004, p.161). La possession d’un moyen de transport (voiture, moto, vélo, etc.) et/ou d’un abonnement de transport collectif constituent ce portefeuille. Aujourd’hui, ce portefeuille s’est étoffé avec les nouvelles technologies qui permettent de commander des VTC ou d’utiliser d’autres engins, par exemple des trottinettes en free- floating, et change le regard que l’on porte à la mobilité. Il n’est plus question de posséder mais de concevoir la mobilité comme un service permettant d’effectuer un trajet d’un point A à un point B.

Cependant, ce concept de « Mobility as a Service » (MaaS) ne peut s’appliquer sur tout le territoire, puisque les ressources ne sont pas réparties de façon égale. Si le transport à la demande suscite beaucoup d’engouement en milieu urbain où l’offre et la demande sont fortes, il reste très archaïque en milieu rural.

Ainsi, pour qu’un individu se donne les moyens de faire du vélo, il lui faut accéder à un vélo fonctionnel qu’il peut soit posséder, soit louer8. Comme pour tous les autres modes, l’aspect financier qui entoure l’acquisition ou la location peut, pour certaines personnes, constituer un frein. Si un vélo neuf représente un investissement relativement important – bien que moindre comparé à une voiture, les associations vélo peuvent permettre d’acquérir des bicyclettes à bon marché, par exemple lors de

« bourses aux vélos ». Le marché de l’occasion entre particuliers ou via des magasins spécialisés est aussi une solution que choisissent bon nombre de personnes. Le prix du vélo dépendra de la qualité de ses composants et consommables mais aussi de son type et de l’engouement qu’il suscite. Par exemple, le fixie (vélo à pignon fixe) était très à la mode il y a quelques années, et les « hipsters » mettaient la main au portefeuille pour s’en procurer un. Aujourd’hui, la tendance est plus au CX, vélo de cyclocross, hybride entre un vélo de route et un vtt, qui s’avère très agile en ville, mais aussi au vélo pliant, très utile dans les situations d’intermodalité, ou bien encore au vélo cargo qui permet le transport de charges lourdes et même d’enfants et d’animaux.

Avoir accès à un mode de transport ne veut pas dire pour autant que les individus vont l’utiliser, encore faut-il savoir l’utiliser.

1.2.2.2. Compétences

Utiliser un mode de transport nécessite de savoir s’en servir. Pour la voiture, les compétences nécessaires sont validées par le passage du code et du permis de conduire, qui prouvent que son possesseur sait conduire son véhicule mais aussi qu’il a appris les règles lui permettant de circuler en sécurité, pour lui et pour les autres usagers. Il en va de même pour le vélo : son utilisation nécessite des compétences acquises par son apprentissage. Bien souvent, cet apprentissage se fait dans le cadre familial lors de l’enfance. C’est une sorte de rite de passage, qui fait que la grande majorité des français

8 Il existe différentes façon de louer un vélo, du vélocation en libre-service à la location longue durée en passant par les vélos en free-floating.

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20

sait faire du vélo (97.9% des français ont appris à faire du vélo selon l’Observatoire des Mobilités Actives, 2013). La maîtrise de l’engin peut même se parfaire avec des cours, ou bien par une pratique intense ou sportive. Ensuite, d’autres compétences sont requises afin de savoir faire du vélo en ville : en effet, faire du vélo seul dans une cour de maison n’a rien à voir avec en faire en cohabitant avec d’autres véhicules à moteur, ou même avec d’autres vélos. Cela implique de savoir se déplacer au milieu de la circulation et de connaître les bases des règles de bonne conduite et du code de la route.

Enfin, pour pouvoir circuler avec un vélo fonctionnel, il faut savoir le réparer et l’entretenir. Des connaissances sont ainsi requises afin de procéder à des réparations courantes (changer une chambre à air, régler des freins, etc.) ou plus techniques (réglages de dérailleur, dévoilage de roue, changement de boitier de pédalier, etc.), ou bien encore savoir où trouver un réparateur.

Ces compétences évoluent dans le temps, en fonction de la pratique que l’on se fait du vélo (même si, selon le dicton, « le vélo, ça ne s’oublie pas »). Ainsi, plus un individu circule à vélo, plus il maîtrisera son véhicule et sera à l’aise dessus. Cela modifiera aussi ses connaissances de l’environnement qui l’entoure, des dangers qu’il perçoit ou encore du territoire. En plus des compétences liées au vélo, se déplacer demande des connaissances territoriales afin de se repérer dans l’espace. Il faut connaître l’environnement dans lequel on est afin de pouvoir s’y orienter. Certains auteurs évoquent même des arts de faire ou des tactiques (de Certeau et al., 2010), voire des stratégies que les cyclistes mettent en œuvre pour s’adapter à un territoire pensé pour la voiture, comme par exemple les stratégies de l’écart ou de l’intégration à la circulation (Carré, 2001).

1.2.2.3. Appropriations

Avoir accès à un vélo et savoir en faire ne suffisent pas à mettre les individus en selle, sans quoi, à la vue des chiffres de l’Observatoire des Mobilités Actives, presque tout le monde circulerait à vélo. Cela n’est pourtant pas le cas, puisqu’il manque une composante tout autant essentielle : l’appropriation.

« Vouloir », c’est la manière dont les individus perçoivent et sélectionnent les options de mobilité à leur disposition en fonction de leurs besoins, aspirations, stratégies, valeurs et habitudes. C’est pourquoi l’image qu’ont les individus des modes de transport est centrale à cet égard (Rérat et al., 2019, p.26). Pour Cresswell, la perception qu’ont les individus de la mobilité peut s’interpréter comme un enchevêtrement de trois dimensions alors fondamentales : le mouvement, la signification et l’expérience (Cresswell, 2010 ; Cresswell et al., 2016). Le mouvement correspond au fait d’aller d’un point A à un point B, et il est mesurable par son efficacité, sa durée, sa longueur, son coût, etc. Il est plus difficile de mesurer les deux autres dimensions.

Elles peuvent dépendre de processus acquis par les individus, par le biais des socialisations primaires et secondaires mais aussi des facteurs extérieurs tels que les normes de la société (cf. 1.2.1.3), qui appliqueraient des valeurs derrière les modes de transports. C’est ce qui expliquait en partie le principe de prédispositions à l’usage de la voiture (Kaufmann, 2015). La voiture, par son côté pratique, intime ou encore par le plaisir que peut procurer sa conduite, a longtemps été considérée dans la société française comme un bien individuel dont la possession était perçue comme positive (par effet ostentatoire). D’autres auteurs parlent même d’une dépendance, qui peut concerner n’importe quel mode. Cette dépendance induit l’usage exclusif d’un seul mode de transport, la voiture, les transports en commun ou encore le vélo. La dépendance peut correspondre à une absence de choix9 et donc à

9Une telle situation est jugée anormale par le législateur, puisque la LOTI (Loi d’Orientation des Transports Intérieurs) du 30 décembre 1982 garantit dans son premier article « le droit qu’à tout usager de se déplacer et la liberté d’en choisir les moyens »

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21

l’idée d’être “captif” d’un mode. Mais selon Xavier Brisbois, la perception du « champ des possibles » est réduite par le poids des habitudes. Le choix perçu se réduit alors au seul mode qu’utilise un individu, même s’il a à sa disposition d’autres modes de transports, il ne les considérera plus. Pour favoriser un report modal, plusieurs leviers sont à activer simultanément, comme la valorisation du mode à privilégier par de la communication ou une meilleure accessibilité, qui permettront de contraindre le mode actuel.

Ces trois composantes sont requises afin de faire du vélo en ville, elles font système, et l’absence de l’une des trois peut compromettre cet achèvement, par exemple, une personne qui possède un vélo et qui veut en faire ne le pourra pas si elle ne sait pas faire de vélo. Derrière ces composantes, il existe des processus

1.3.

Devenir « cycliste urbain », quels processus

1.3.1. La socialisation « vélocipédique »

Nous avons vu en 1.2.2 que Kaufmann et Widmer parlent d’un « capital de mobilité acquis par le biais d’une socialisation marquée par le cadre familial, ses structures, son fonctionnement ». Ces dernières années, cette notion de socialisation est de plus en plus utilisée dans la recherche portant sur les transports et les mobilités, qu’elle soit objet central d’enquêtes dans le domaine ou intégrée de façon plus implicite à l’analyse (Cacciari, 2018 ; Lequin, 2017 ; Devaux & Oppenchaim, 2017 ; Vincent-Geslin

& Authier, 2015 ; Döring et al., 2014 ; Kaufmann & Widmer, 2005 ; Flamm, 2005 ; Chalon, 1992). Dans le champ de la sociologie, cette socialisation se définie comme : « ensemble des processus par lesquels l’individu est construit […] modelé, façonné, fabriqué, conditionné, par la société globale et locale dans laquelle il vit, processus au cours desquels l’individu acquiert, apprend, intériorise, incorpore, intègre, des façons de faire, de penser et d’être qui sont situées socialement » (Darmon, 2006, p.6). On distingue la socialisation primaire, transmise par les parents, des socialisations secondaires, qui arrivent de l’école, des proches, des amis et de l’environnement dans lequel on évolue. La seconde ne substitue jamais totalement la première, on dit alors qu’elles sont en tensions et continues (voir encadré ci- après). Les recherches en sciences sociales, menées sur des domaines de pratiques variés (pratiques alimentaires, énergétiques, scolaires, culturelles) ont permis d’identifier quatre dimensions ayant fait considérablement progresser la connaissance des mécanismes de la socialisation. « La première est l’apprentissage de références pour agir, indexé à des contextes, des propriétés sociales, qui peuvent varier au cours de l’existence des individus. La deuxième stipule que la socialisation est déterminée par le monde matériel environnant et déterminant pour l’action collective des individus (Authier, 2012), et que cet environnement est lui aussi soumis à des changements importants. La troisième dimension porte sur la transmission (qui transmet à qui, quoi et comment) au cours de la socialisation, ce qui permet de préciser notamment l’action des normes sociales. Enfin, la quatrième est l’existence d’une instabilité des agents socialisateurs liés à des contextes, des conditions matérielles, des propriétés sociales ou de l’identité des individus sur lesquels les individus ont plus ou moins de prise » (Ortar &

Adam, 2019). Ainsi, la pratique du vélo dépend de la « socialisation vélocipédique » reçue et intériorisée par les individus, et qui opère à la fois lors de la socialisation primaire mais aussi secondaire (Chalon, 1992). Ceci explique en partie le lien entre la pratique pendant l’enfance et la pratique une fois adulte. Aldred a mis en avant l’influence des apprentissages initiaux du vélo puis des expériences continues dans la montée en compétences des cyclistes urbains (2013) mais aussi dans la constitution de leur identité en tant que cyclistes (2013b), c’est pourquoi Héran recommande de communiquer

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22 autour du vélo pour reconquérir le

jeune public (2012, p.102). D’autres auteurs montrent ce lien à partir des résultats de Geller (2006) : “There is a correlation between cycling to school as a child and levels of comfort cycling as an adult. The Enthused and Confident adults were most likely to have cycled frequently to school as a child, while the majority of No Way No How adults said that they never rode to school as a child » (Dill, 2013, p.16). Thigpen parle quant à lui de l’importance de l’expérience par la pratique antérieure des individus dans la pratique actuelle et dans sa considération : “Based on the available evidence that early travel experiences influence later travel behavior (Smart and Klein, 2017), the development of motility may provide a causal mechanism behind the observed association. For example, with respect to mode choice, individuals’ early travel experiences can shape their motility,

which in turn may influence the modes they later travel by or consider traveling by (i.e. their mode choice set)” (Thigpen, 2019, p. 69). C’est ce qu’il appelle le “stock of experience” (Thigpen, 2017). Ces expériences et pratiques dépendent du genre (elles sont moins variées et valorisées chez les filles) mais aussi de l’appartenance sociale (elles sont moins importantes dans les milieux issus de classes populaires) et résidentielle des adolescents (Sayagh, 2018 ; Devaux et Oppenchaim, 2017 ; Devaux, 2014). Elles finissent toutefois par se ressembler après l’adolescence (Devaux, 2014).

La socialisation ne se fait pas uniquement par les pratiques de mobilité. Il existe une articulation entre socialisation aux pratiques de mobilité et socialisation par les pratiques de mobilité. C’est l’idée que les pratiques de mobilité font et sont faites par la socialisation continue des individus. Ce double mouvement est en train d’être repensé, en particulier par les recherches effectuées par l’IFSTTAR sur les processus de démotorisation des ménages urbains. Thigpen (2019) montre à quelle mesure la mobilité des individus peut être influencée non pas seulement par la pratique, mais aussi par l’exposition à cette pratique, et trouve que c’est surtout pendant l’enfance, et moins l’adolescence, que l’exposition à des hauts niveaux de cyclabilité semble influencer des pratiques de mobilités futures. La socialisation par les pairs joue ici un rôle important dans la construction des futurs cyclistes, comme le montrent ces auteurs : “Within the « Interested but Concerned » group, levels of social support and influence appear to be significantly lower for the non-cyclists and recreational cyclists, compared with the utilitarian cyclists. For example only 17% of non-cyclists live with people who bicycle for transportation, compared with 53% of the utilitarian cyclists. Fewer of the non-cyclists also indicated that they have co-workers who bike to work or see people similar to them bicycling on city streets.” (Dill et McNeil, 2013, p.14). Ainsi l’on semble devenir un cycliste urbain en partie grâce à l’environnement social qui nous entoure. « La reconduction ou la reformulation d’une pratique sont le plus souvent référées aux possibilités de coordination et d’efficacité sociale de l’action » (Bessin, 2010

Nombreux sont les travaux qui soulignent le rôle important des socialisations primaires comme secondaires dans les choix des modes de transport et dans la construction des pratiques de déplacement (Baslington, 2008 ; Kaufman, Widmer, 2007 ; Oppenchaim, 2016 ; Rau, Manton, 2016 ; Ortar et al. 2018). La socialisation primaire relève de différences genrées dans l’appréhension de l’espace public qui sont socialement normées (Ortar et al. 2018), de la nature du territoire résidentiel qui joue un rôle central dans les dispositions incorporées par les adolescents (Depeau, 2008 ; Devaux, 2016), selon ses caractéristiques géographiques (proximité à la ville, desserte en transport en commun, équipements de loisirs...) et sa configuration sociorésidentielle (rôle des pairs, contexte plus ou moins favorable à l’autonomie des adolescents...). De même, les différences d’environnement social et familial induisent une diversité de mobilités adolescentes, variables par exemple selon la trajectoire résidentielle des parents (Goyon, 2009 ; Devaux, 2018) ou le fonctionnement de la cellule familiale (Kaufmann et Widmer, 2005). L’appartenance sociale et résidentielle des enfants puis des adolescents influence ainsi aussi bien les déplacements des adolescents en dehors de leur territoire de résidence que leur ancrage résidentiel, c’est-à-dire leurs usages du quartier, leurs pratiques de sociabilité avec les autres habitants et le rôle du quartier dans la construction de leur identité sociale (Authier, 2001). (Adam & Ortar, 2019)

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; Cacciari, 2017). Une pratique peut ainsi se maintenir un temps malgré des tournants biographiques, si elle permet de conserver, même difficilement, ce que l’individu considère comme l’agir légitime (Adam & Ortar, 2019).

1.3.2. La sécurité liée au sentiment d’être à l’aise à vélo

Il existe cependant plusieurs obstacles à l’utilisation du vélo pour les trajets domicile- travail, qui n’ont pas la même importance selon les individus, leurs expériences et habitudes. Par conséquent, je ne tenterai pas de les hiérarchiser, d’autant que nous en avons déjà vu certains dans la partie 1.2.1, à savoir le relief, la distance à parcourir ou encore le climat et les intempéries, qui dépendent des conditions physiques des individus, de leurs types de vélo, et de leurs motivations.

L’une des principales barrières à l’utilisation du vélo est le sentiment d’insécurité, non pas en termes de vol de vélo vu en 1.2.1.2, mais d’intégrité. A partir de l’analyse des EMD, le CERTU a fait ressortir que « les adeptes du vélo le trouvent moins dangereux et mettent surtout bien davantage l'accent sur l'autonomie (pratique, rapide) que leur permet ce moyen de transport » (CERTU, 2013, p.39). Les non-usagers du vélo sont ainsi plus nombreux à le considérer comme dangereux, et cela pourrait s’expliquer par leur non pratique. Pourtant, lorsque l’on regarde ce que pensent les participants à Bike to Work qui n’utilisaient pas le vélo dans leurs trajets pendulaires, ils sont 11% à trouver le trajet moins sûr qu’avant, contre 7% plus sûr qu’avant et 81% autant sûr qu’avant (Rérat et al., 2019, p.89 et 90). Les cyclistes néophytes ont ainsi, par cette expérience, pris conscience des risques et des

« points noirs », qu’ils relient presque systématiquement à la circulation et à leurs rapports avec les autres usagers de la route, en particulier les automobilistes comme le montre ce témoignage issu du même ouvrage (p.90) : « La prise de confiance dans la circulation n’est pas forcément positive, on prend plus de risques ! Et les automobilistes sont vraiment agressifs avec les cyclistes, je me suis fait insulter à plusieurs reprises ! ». D’autres recherches vont dans ce sens en mettant en évidence que la peur du trafic motorisé est une barrière à l’usage du vélo (Jacobsen et al., 2009 : Pooley et al., 2013).

Figure 13 : Les adjectifs utilisés pour qualifier le vélo selon la fréquence d'usage (extrait de CERTU, 2013)

Figure 14 : Walking and bicycling in 68 California cities in 2000 (Jacobsen, 2003, p.207)

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