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LE TERRITOIRE, AU CŒUR DES ENJEUX DU GRAND ÂGE .1 Territoire et vieillissement : un objet de recherche transversal

Le territoire est bel et bien au cœur des enjeux du vieillissement et de la gérontocroissance La géographie trouve ici toute sa place pour tisser les liens entre les différents champs d'études associés au vieillissement, car cette thématique est transversale. Avec le grand âge, le territoire parcouru se retreint : il est impossible de l’appréhender sans prendre en considération la santé, les sociabilités, le cadre de vie, la trajectoire de la personne, les dynamiques démographiques, les politiques publiques, l’aménagement du territoire. La compréhension de la perte d’autonomie dépasse de loin la simple vision médicale et s’ouvre alors sur l’ensemble des sciences sociales dont la géographie fait partie : démographie, sociologie, anthropologie, philosophie, psychologie ont contribué depuis longtemps à éclairer la compréhension des vieillesses. La géographie est elle-même plurielle et a développé des géographies plus spécialisées que sont la géographie sociale, la géographie de la santé, la géographie urbaine … Notre objet de recherche se positionne au croisement des approches des sciences sociales et de fait au croisement de la gériatrie et de la gérontologie. La gériatrie est une spécialité médicale étudiant le vieillissement de l’organisme humain et de ses pathologies. La médecine gériatrique est concernée par les affections physiques, mentales, fonctionnelles et sociales des malades âgés en particulier lors des soins aigus, chroniques, de

18 Mouriesse B., Puijalon B., Regards croisés d’une anthropologue et d’une psychologue, « Vieillir dans son quartier, dans son village. Des aménagements à inventer ensemble ». Pages 33-35

33 réhabilitation, de prévention, et de fin de vie. La gérontologie est quant à elle une discipline qui étudie tous les aspects du vieillissement faisant ainsi appel à la médecine, la psychologie, la sociologie19, le droit… Si la gérontologie est pluridisciplinaire, elle est souvent associée à la gérontologie. Les Master de gérontologie comme celui de Montpellier créé par Le Professeur Claude Jeandel20 ou encore le Master européen de gérontologie des professeurs Kees Knsipscheer et Jean-Claude Henrard21 forment des professionnels qui seront des acteurs des territoires comme des coordinateurs du Centre de Liaison d'Information et de Coordination (CLIC), des directeurs d'Établissements d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) par exemple. Ainsi, les géographies s'inscrivent-elles dans cette démarche scientifique qui vise à appréhender globalement les personnes âgées pour mieux comprendre leur mode de vie, leurs pratiques spatiales, l'environnement dans lequel elles vivent. Les enjeux sont nombreux en matière de prévention, d'accompagnement au quotidien mais aussi en termes de politiques publiques et d'aménagement du territoire Les pratiques spatiales des personnes âgées sont un observatoire de leur état de santé, de leur intégration dans la société et, en retour, de la société tout entière.

1.2.2 Du territoire au territoire de vie : des débats aux perspectives.

Le territoire est devenu depuis trente ans l'axe majeur des recherches en géographie, supplantant de fait la notion d'espace communément admise. Des controverses disciplinaires ont animé la recherche en géographie depuis la consécration de la notion de territoire dans la politique de décentralisation mise en place à partir de 1982. Le territoire est avant tout un espace politique qui se décline dans l'aménagement du territoire à différentes échelles : État, région, département, commune, communauté de communes, pays, la liste est longue et sous-entend une action politique, donc, des territoires politiques. La géographie sociale a voulu se démarquer de ce regard institutionnel en privilégiant non l’espace politique mais l’espace social. Les deux approches avec d'une part le territoire en tant qu'espace vécu, ressenti approprié par les populations et s'inscrivant dans des limites incertaines et, d'autre part, le découpage administratif ou politique de l'espace à des échelles différentes sont à l'origine des controverses en sciences sociales22.

19 Dictionnaire de la gérontologie sociale, 2010, page 116

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http://master2geronto.étud.univ-montp1.fr/

21 http://www.hcsp.fr/docspdf/adsp/adsp-44/ad446767.pdf

22 Ces polémiques ont conduit au colloque « Territoires, territorialité, territorialisation, controverses et

34 Dans sa définition la plus courante, le territoire se définit comme « une portion de la surface terrestre, appropriée par un groupe social pour assurer sa reproduction et la satisfaction de ses besoins vitaux »((M. Le Berre, 1995). Le territoire est multiscalaire : « il s’élargit ou se rétrécit à la mesure des âges, des sexes, des classes sociales, des possibilités de déplacement » (A. Gilbert, 1985). Pour Claude Raffestin, le territoire s'analyse selon deux entrées : il résulte de l'action des sociétés et de celui des systèmes de représentation. Il réunit des lieux, des relations sociales et des valeurs psychologiques inhérentes de chaque individu. « Le territoire est un espace social un espace vécu, perçu et ressenti »(A. Bailly, 1995). L’individu développe un sentiment d’appartenance au territoire, chargé de valeurs et de symbolique. L’attachement au quartier se traduit par un sentiment de bien-être ou de mal-être fortement lié à la perception de chacun. « l’individu est de plus en plus au centre de la vie sociale, de ses pratiques et de ses représentations : par ce processus « d’individuation » il en retire une autonomie croissante des individus et une appropriation individuelle de plus en plus marquée de l’espace et du temps »( F.Ascher, 2008).

France Guérin-Pace23 évoque une manifestation de l’identité spatiale entraînant un sentiment d’inscription spatiale. Chaque individu possède une relation intime avec ses lieux de vie. Ti Fu Yuan24 insiste quant à lui sur l’expérience personnelle et le fait de faire corps avec le lieu et l’espace. Il évoque les capacités, les compétences et les connaissances spatiales des individus qui contribuent à produire de l’espace par leur expérience. Le territoire contient un caractère subjectif qui correspond aux expériences individuelles qui s’y déploient et que le territoire rend possible. Pour Hélène Velasco-Graciet25, « l’expérience individuelle permet d’acquérir et de développer une connaissance territoriale soit par les sens, soit par l’apprentissage (soit par les deux) ». Le territoire est un espace social idéel et matériel (G. Di Méo, 2005) : Bernard Debarbieux le définit comme un « agencement de ressources matérielles et symboliques capables de structurer les conditions pratiques de l’existence d’un individu ou d’un collectif social et d’informer en retour cet individu et ce collectif sur sa propre identité » Pour Antoine Frémont,26 le territoire est avant tout un espace de vie qui se confond avec l’aire de ses pratiques spatiales. Mais qu’entend-on par pratiques spatiales ? Il

de fréquenter les mêmes lieux font lien social ? Y aurait-il une territorialité qui serait le fruit de cette proximité des lieux de vie et qui transcenderait les configurations et l’appartenance de classe.

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Guérin-Pace F, (2007), Le quartier, enjeux scientifiques, actions publiques et pratiques sociales, La Découverte, Paris, p.151

24 Yuan T.F, (1977), Space and place, the perspective of experience, Edward Arnold Publishers, London, 235p.

25Op.cit

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35 s’agit des mobilités liées aux liens sociaux, aux modes de vie, aux besoins quotidiens qui contribuent à l’appropriation du territoire. Dominique Argoud décrit quant à lui des relations spatiales socialisées27. L’espace vécu se matérialise chez les habitants par le quartier qui représente l’espace des pratiques quotidiennes. Cet espace vécu se traduit par des territorialités individuelles ou collectives.

Le territoire, outre sa dimension matérielle et idéelle, est également pour Bernard Debarbieux une configuration spatiale où s’exerce un lien de pouvoir, une entité constituée selon un emboîtement d’échelles. Il est un construit social et un médiateur des relations sociales. Il est alors « support, produit et objet »28. Bernard Ellisale évoque le territoire comme un système complexe, « il s'insère dans un système spatial, au sein duquel il fonctionne selon une boucle de rétroaction avec la société, qui aménage, gère et organise le territoire, tandis que le territoire rétroagit sur la société ». Pour certains géographes cette idée de complexité permet de relativiser l’idée d’appropriation, souvent explicative du processus de territorialisation. Pour Ellissalde la notion de territoire sous-entend une indifférence scalaire « à partir du consensus autour de l’idée d’espace conscientisé, il y aurait autant de tailles de territoires que de possibilités pour des groupes de partager un même rapport aux milieux, une même territorialité. » Raymonde Séchet propose un schéma explicatif (Figure 1) de la dimension spatiale des sociétés dans lequel elle différencie deux entrées : d’une part, le territoire par le bas, vécus par les habitants, étudiés en tant qu’espaces de pratiques et d’appropriation et d’autre part, le territoire par le haut, territoires du politique, donnant un cadre réglementaire à l’origine des territorialités.

Figure 1 - La dimension spatiale des sociétés

Source : UMR 6590ESO©200829.

27 Argoud D. et al, (2004), Prévenir l’isolement des personnes âgées. Voisiner au grand âge ; Dunod, p.51-74

28 Cité par Hélène Velasco-Graciet op.cit

29 Séchet R., Keerle ,(2008), » Petite histoire des délicatesses » , Vanier M (dir)(2008), Territoires, territorialité, territorialisation. Controverses et perspectives, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, page 92

36 Entre appartenance sociale et appartenance territoriale (c'est-à-dire politique) quelle posture privilégier ? 30 Mais faut-il trancher ? Pourquoi ne pas considérer ces deux approches comme un tout, comme un entrelacement ? Si la notion de territoire fait appel aux politiques publiques, aux acteurs territorialisées, elle fait également appel aux pratiques spatiales des individus et à leur production d’espace qui produisent des types de territorialité, symboliques des besoins individuels et collectifs.

L'espace fait territoire, car il est à la fois le support, le produit et le théâtre des enjeux des rapports sociaux.31Espaces de vie ou territoire de vie, voilà la question posée. Quelle notion privilégiée pour évoquer les lieux parcourut au quotidien par les personnes âgées dans Paris, leurs pratiques spatiales, leur appropriation de l'espace? Gui Di Méo dans son dernier ouvrage, évoque l’espace de vie des femmes bordelaises : nous préférons la notion territoire de vie qui nous semble plus adaptée car elle intègre un véritable système32 Comprendre un territoire, c’est mettre en évidence les interactions entre ses différentes composantes et non pas les considérer comme des couches successives (B. Ellisalde, 2001)

Le territoire de vie des personnes âgées est un espace vécu qui s'insère dans un espace urbain ou rural, qui est à la fois le support de leur mobilité, de leur appropriation de l'espace par des pratiques spatiales associées à des liens sociaux qui forment leurs territorialités, un support dans lequel se trouve une offre de services et, donc, une multitude d'acteurs. L'échelle privilégiée est celle du quartier, de l‘îlot ou de la rue au sein desquels une personne habite et d'où elle se déplacera. Son territoire de vie se délimite aux lieux côtoyés du quotidien mais aussi temporairement dans le cas des doubles résidences : il est donc à géométrie variable. Le territoire de vie est aussi un produit de l'histoire locale et régionale, des différentes politiques publiques liées à la politique de la ville en matière d'aménagement du territoire, en matière de santé : le territoire de vie d'une personne âgée s'insère dans des territoires administratifs, sanitaires, gérontologiques, citoyens avec les conseils de quartier. Enfin, le territoire de vie d'une personne âgée est au cœur des enjeux actuels : maintenir sa mobilité et son autonomie dans un environnement qui favorise la qualité de vie et le bien-être et qui permet de rester

30 Renard J., « Vanier(M).(dir)-Territoires, territorialité, territorialisation, Controverses et perspectives », Norois

[en ligne], 210|2009/1, mis en ligne le 01 mars 2009, consulté le 1o octobre 2010. URL : http://norois.revues.org/2770

31 Salem G., La santé dans la ville, Editions Khartala–Orstom, 410p.

32 Moine, A., le territoire comme un système complexe, 21p ; en ligne http://foad.refer.org/IMG/pdf/4208-intelligence-territoriale-territoire-et-définitions.I;pdf

37 intégrer dans la société en prenant en considération les besoins de la personne : il y a autant de territoires de vie et d'appropriation que de manières de vieillir.