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Les représentations sociales de la vieillesse sont différentes de la notion d’âge

Le vocable ni la tranche d’âge ne font le vieux ou le jeune et les représentations personnelles sont souvent bien différentes de ces classifications économiques, gérontologiques ou sociales. Le vieillissement individuel est d’ordre biologique. C’est la sénescence. « L’aboutissement de l’avancée en âge et de la sénescence représente les étapes ultimes de la vie. La vieillesse est plurielle, fonction du vécu et de l’histoire, variables selon les lieux et les époques » (J-C Henrard, 2004).

Les représentations de la vieillesse en Occident sont trop souvent négatives et s'accompagnent d'idées reçues, de clichés communément admis. Les médias véhiculent deux images la première correspond au sportif d’âge mûr et l’autre au vieux dépendant, « abandonné par sa famille lors de la canicule de 2003 »13 Les clichés ont la vie dure. Le vieillissement est souvent associé au déclin. Il est associé au fait « de ne plus pouvoir faire », aux problèmes fonctionnels. Les clichés séparent souvent les plus jeunes, les séniors « dont l’âge passe pour un privilège. Ils sont bien portants et bénéficient d'une retraite qui leur permet de vivre dans l'aisance.[…] » des plus vieux « Dans le grand âge, la vieillesse fait figure de malédiction, les vieux sont porteurs de la décrépitude et de la finitude humaine et comme tels ils font peur.14» Cette vision est l’héritage de l’histoire de la démographie française. Alfred Sauvy introduisit dès 1928 une représentation négative de la vieillesse : l’augmentation du nombre

11 Cité par Bernard Ennuyer « A quel âge devient-on vieux ? », Gérontologie et société n°138, 2011 pages 127-142

12 Godot C., Wisnia-Weill V., Vivre ensemble plus longtemps. Enjeux et opportunités pour l’action publique du vieillissement de la population française, Centre d’analyse stratégiques, 306 pages. En ligne sur le site de la documentation française.

13 Henrard J-C.,(2008), « Vieillissement et vieillesse : idées reçues, idées nouvelles », conférence d’ouverture du colloque Vieillissement et santé : idées reçues, idées nouvelles, Santé, société et solidarité n°1 pp 13-15

14 Puijalon B., (2008), Repenser le discours social à l’endroit des vieux, in Vieillissement et santé : idées reçues, idées nouvelles. Santé ,société et solidarité n°1, p41

29 de vieillards associée à une dénatalité fut analysée comme les facteurs du déclin. Patrice Bourdelais explique que la notion du vieillissement a contribué à figer la représentation, et instaurer une résignation de la société de sa vieillesse fléau (P. Bourdelais, 2007). Cette vision explique le phénomène de l’âgisme qui pour François de Singly permet de nier l’avancée en âge, de la dévaloriser. Utilisé, en 1969, par Robert Butler aux États-Unis, l'âgisme apparaît comme un mécanisme de discrimination par l'âge, « toutes les formes de discrimination, de ségrégation, de mépris fondées sur l'âge sont qualifiées d'âgisme ». Il existe plusieurs formes d’âgisme. Le premier est l'âgisme compatissant, ce que Louis Ploton appelle « la gentillothérapie ». « Le vieux devient objet de soin et d'assistance. Le vieux qui a des désirs, le vieux qui veut rendre service, le vieux qui peut agir sur sa vie disparaît ; il n'existe, plus »15.

Le deuxième type est l'âgisme marchand : le marketing, le même qui évoque la typologie des Masters, libérées paisibles…donnant une image du vieux qui ne vieillit pas et qui met de côté le quatrième âge ou encore les personnes en fin de vie Enfin il y a l'âgisme conflictuel, la guerre des âges des actifs envers les personnes âgées les accusant de tous les maux. Alors oui, la fin de vie fait peur. Car la vieillesse est associée à la mort, «la majorité des décès sont dans la vieillesse, mais dans la représentation sociale, cela renforce l'image négative du vieux »16, « le fait que la vieillesse soit taboue interdit aux personnes âgées d'en parler comme expérience personnelle » (J-C Henrard, 2007).

Les trajectoires du vieillissement sont multiples : elles dépendent des facteurs culturels, génétiques mais elles dépendent également de l'environnement social plus ou moins porteur. Caradec rappelle que la vieillesse n’est pas forcément subie. Chaque personne développe des stratégies. Le grand âge est celui de la déprise qui désigne « le processus de réaménagement de la vie qui de produit au grand âge et qui consiste en une baisse des activités et s’opère à travers des stratégies et des capacités d’adaptation qui permettent de conserver les activités qui font le plus d’importance pour soi et donnent un sens à sa vie ». Ce processus de déprise sera plus ou moins fort en fonction des conditions de vie et de la notion de bien-être qui permettent de conserver l'estime de soi, l'acceptation de ne plus avoir les mêmes activités qu'autrefois. Redonner une place à la vieillesse passe par l’acceptation de la différence d’âge. Bernadette Puijalon rappelle que la différence à prendre est celle de l’expérience des différents temps de la vie. Elles distinguent ainsi trois figures, le guide, le témoin et le passeur. Le sénior représenterait celui du guide qui répond au junior, une altérité qui permet

15 Cité par François Blanchard., « La vieillesse, c’est le déclin on n’y peut rien » ,Vieillissement et santé : idées reçues, idées nouvelles. Santé ,société et solidarité n°1, 2008.

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30 de poser une différence, une possibilité d’échange qui permet au sénior d’être reconnu et de marquer son utilité sociale. La deuxième figure est celle du témoin celui qui établit le lien entre le passé et le présent faisant le lien entre la mémoire et l’histoire. Le passeur est quant à lui dans une autre dimension : il témoigne par sa longévité et « ouvre l’avenir au jeune en lui prouvant que la vie est longue ». Si le guide est dans le « faire » et le témoin dans le « dire », le passeur est quant à lui dans « l’être », celui qui change de rive sans la connaître. Cette typologie vise à modifier le regard de nos sociétés qui tend à considérer « les âges de la vie comme une ascension suivi d’un déclin plateau et d’un déclin. » (B. Puyjalon, 2008).

L’été 2011 est sans doute emblématique du changement de regard de la vieillesse. Deux documentaires sont sortis entre le mois d’août et le mois de septembre : « L’art de vieillir » de Jean-Luc Reynault17 dont l’objectif majeur est de « balayer l’idée reçue de la vieillesse naufrage ». Le 14 septembre 2011 le film « le sens de la vie » est sorti à Paris dans deux salles. Ce film va aussi à l’encontre des préjugés. Ce documentaire interroge six personnes de 73 à 85 ans sur la façon dont elles vivent leur vieillesse. Le réalisateur n’a pas voulu réaliser un film sur les vieillesses, comprenant alors toutes formes du vieillir. Ce qui l’a intéressé c’est le regard des aînés sur leur propre vieillesse. Les octogénaires parlent de leur quotidien avec sérénité et apparaissent bien pour certain comme étant dans le chemin entre le témoin et le passeur : « Je ne vois pas en moi l’image d’un nonagénaire, je ne tiens pas que l’on me le fasse remarquer. Tant que je suis valide, je suis chez moi, je suis mon maître, j’apprécie ma grande indépendance, je suis bien comme çà. C’est le meilleur moment de ma vie »Jean 89 ans, ancien instituteur, fait du yoga tous les matins.

« La nature nous rappelle qu’on vieillit, mourir ça peut aller, souffrir c’est autre chose. Faire le deuil de ses oreilles, de marcher vite, tu es essoufflée, on ne peut plus être comme avant

Qu’est- ce qu’il y a au bout de vie ? Il y a une légèreté dans la vieillesse, on se débarrasse

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« Deux hommes et deux femmes, de 77 à 90 ans, libérés du jugement d'autrui, entrelacent leur art de vieillir dans une plénitude inattendue. D'un autre côté, les parents de l'auteur vivent une vieillesse douloureuse, sous l'empire de la maladie. Dans cet entre-deux, entre peine et plénitude, le film se fraye un passage et se propose de balayer l'idée reçue que la vieillesse est un naufrage. Il donne à voir, tout simplement, qu'elle peut être un très bel age. Car ils existent, ces vieux sans vieillesse, ces vieux fous, ces vieilles folles, ces vieux amoureux, ces vieux qui jouissent, ces vieux qui s'accomplissent, ils existent entre horreur et merveille, comme des funambules sur le fil du temps. Ce film s'adresse à tous ceux qui ont peur de vieillir : il les invite à se lancer, sans appréhension, dans l'exploration d'un continent trop mal connu : le pôle Nord de l'existence humaine. » http://www.les-films-en-hiver.com/art-de-vieillir.html

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des choses inutiles », Jacqueline 81 ans ancienne psychanalyste. « La vieillesse, ce n’est pas une perte de quelque chose, c’est un autre état » Roger, 84 ans ancien ouvrier forestier.

Illustration n° 1 : affiche du f'lm .de Ludovic Virot, Le sens de l’âge

L'avancée en âge oblige à avoir un autre rythme de vie, à repenser son rapport à l'autre et à l'espace et au temps : « les personnes qui vieillissent mettent en place sur des temporalités plus ou moins déployées de nouvelles donnes dans leur rapport à l'environnement urbain, certains lieux sont délaissés, car étant bruyants, difficiles d'accès, d'autres sont au contraire privilégiés car correspondant davantage à leur rythme, leur attentes. Les personnes âgées se ménagent et se risquent afin de préserver des liens avec divers espaces et activités privilégiées parcourus et vécus en bonne concordance » (S. Clément Mantovani M. Membrado 1996). Françoise Bouchayer reprend la réflexion de Chombart de Lowe en 1977 dans laquelle on peut remplacer le mot enfant par personnes âgées : « le territoire actuel des enfants n’est qu’une solution d’ajustement au milieu plus ou moins difficile selon les univers de socialisation, une forme de réponse aux projets de la planification urbaine, tous deux

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relevant du système social ». Il y a opposition entre l’ajustement naturel des temporalités et du rapport à l’espace des personnes âgées et le rapport spatio-temporel des actifs qui pensent la ville.

Les sociologues préfèrent la notion de profils plutôt que des catégories d’âge, de niveau de dépendance ou de catégories sociales. Quatre profils sont repérés18: les « sédentaires vieillissants », « les travailleurs extérieurs» retraités ayant eu des différenciations marquées entre le lieu de résidence et le lieu professionnel, les « habitants nouveaux résidents » qui ont migré vers d’autres territoires pour leur retraite et enfin « les habitants intermittents à la double résidence ». Ces quatre profils « sociologiques » sont des chemins de réflexion géographique car ces personnes s’investissent différemment dans leur territoire de vie et ont donc, en fonction des périodes de leur vieillesse, des dynamiques spatiales contrastées.

1.2 LE TERRITOIRE, AU CŒUR DES ENJEUX DU GRAND ÂGE