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Pratiques spatiales du grand âge : reflets des mobilités et de l’accessibilité

AU CŒUR DE LA DÉMARCHE GÉOGRAPHIQUE

5.1 DES PRATIQUES SPATIALES, AGENTS DE L’APPROPRIATION DE L’ESPACE

5.1.2 Pratiques spatiales du grand âge : reflets des mobilités et de l’accessibilité

La littérature concernant la mobilité des personnes âgées en ville aborde la question sous l’angle des freins à la mobilité. « La personne y est souvent définie en termes de handicaps et de limitations physiques ; elle n’existe pas comme usager tant qu’elle n’est pas touchée par des problèmes de mobilité » (Dartiguenave, 1998)134. Or, considérer les pratiques spatiales en tant que production d’espace, en tant qu’action spatiale permet de donner une vision plus dynamique aux déplacements des personnes âgées. Alors que l’avancée en âge est souvent synonyme de rétrécissement du territoire de vie (J. Morval, 2006), considérer qu’exister c’est se déplacer, entretenir un réseau social et produire de l’espace est une vision plus dynamique que celle des études sur les déplacements des personnes âgées qui se cantonnent souvent aux difficultés de déplacements, cependant bien réelles. Si les psychologues de l’environnement évoquent une désappropriation de l’espace pour les personnes arrivées à un âge avancé, il est pertinent de comprendre ce qui fait l’appropriation et ce qui y contribue au grand âge. La condition sociale, le degré d’avancée dans le grand âge, le genre, les trajectoires personnelles, l’état de santé sont un des socles de l’appropriation du territoire déterminant en partie le type

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Citée par S. Clément et al, (2005), Usages, normes, autonomie : analyse critique de la bibliographie

concernant le vieillissement de la population. Université Toulouse le Mirail et CIRUS-CIEU, UMR 5193,CNRS, 197 p. En ligne :

137 de pratiques spatiales ainsi que leurs temporalités. L’accessibilité des services, l’offre de transport, leurs coûts constituent le second socle de l’appropriation et des pratiques spatiales : on comprend bien ici que les pratiques spatiales individuelles ou collectives sont multifactorielles.

L'accessibilité est au cœur des pratiques spatiales, car elle renvoie aux notions d'aménagement de l'environnement urbain, de l'offre de proximité et aux obstacles du déplacement. « L'accessibilité permet l'autonomie et la participation des personnes ayant un handicap, en réduisant, voire supprimant les discordances entre leur capacité, leurs besoins et leurs souhaits, d'une part, et les différentes composantes physiques, organisationnelles et culturelles de leur environnement, d'autre part. L’accessibilité requiert la mise en œuvre des éléments complémentaires, nécessaires à toute personne en incapacité permanente ou temporaire de se déplacer et d’accéder librement et en sécurité au cadre de vie ainsi qu’à tous les lieux, services, produits et activités. La société, en s’inscrivant dans cette démarche d’accessibilité, fait progresser également la qualité de vie de tous ses membres » (Ministère du développement durable, 2010). Cette définition de l’accessibilité est commune à tous les habitants et ne privilégie plus simplement les personnes handicapées mais englobe l’ensemble de la population. L’accessibilité est ainsi liée à l’exercice de la centralité et se développe grâce à l’aménagement d’infrastructures de communication (D. Pumain, 2006).

Le dictionnaire du Petit Robert définit la mobilité comme étant « le caractère de ce qui peut se mouvoir ou être mûr, changer de place, de position ». La mobilité se définit également comme étant « l’ensemble des pratiques de déplacements d’une population dans son cadre habituel » (J.P Orfeuil, 2003). « La mobilité est un concept défini comme étant un ensemble de manifestations liées aux mouvements des réalités sociales (hommes, objet matériels et immatériels dans l’espace » (J. Levy, M. Lussault, 2003). Cette définition associe les notions de mobilité et de valeurs sociales et économiques tout en s’appuyant sur l’environnement en tant que support avec ses aménagements, ses acteurs et les politiques publiques qui lui sont associées. La mobilité se traduit par des déplacements, des flux. « Elle est appréhendée en termes de pratiques, d’usages, de représentations : la mobilité quotidienne s’intègre dans les études consacrées aux pratiques spatiales des urbains » (M. Lussault, 2000).

Pour mesurer la mobilité, plusieurs indicateurs sont à notre disposition : l’accès aux moyens de transport, le nombre de déplacements par personne et par jour, la distance parcourue par personne et par jour, la durée du déplacement et son coût ainsi que le partage modal soit en nombre de déplacements soit en proportion des distances parcourues dans chacun des modes

138 utilisés. Le rapport du CERTU de 2001 s’est penché sur la mobilité des personnes âgées, habitant dans des grandes agglomérations de plus 10 000 habitants. L’enquête « Ménages et déplacements », de 1999, évoque une pratique de mobilité quotidienne. 71% des séniors interrogés, vivant en milieu urbain, déclarent s'être déplacés la veille. La mobilité diminue avec l’avancée en âge à partir de 80 ans, les femmes sortent moins et sont moins mobiles que les hommes quel que soit l’âge. Les séniors effectuent 2,61 déplacements par personne et par jour, les 80 ans et plus 1,8 en moyenne. Les motifs du déplacement sont les achats, la santé, les visites, les promenades, les démarches administratives. Les modes de déplacements utilisés sont avant tout la marche, la voiture, les transports en commun.

De nombreuses études ont vu le jour au Canada, en Allemagne, en Angleterre ou en France concernant les mobilités des retraités dans les banlieues ou les espaces péri-urbains. Ces études intègrent la possession d’une voiture, essentielle pour se déplacer 135. L’étude de Nicolas Luxembourg sur la mobilité des personnes âgées en banlieue pavillonnaire montre la dépendance des personnes âgées à la voiture, car les situations d’inégalités dans l’accessibilité aux services de proximité sont bien plus marquées qu’en ville ou centre-ville. Catherine Espinasse a travaillé sur le deuil de la voiture comme étant une phase importante dans la négociation de la vieillesse. Elle va également plus loin en montrant l’importance du deuil du bus, des transports en commun en général. Certains chercheurs évoquent le droit à la ville au grand âge.

Deux études ont retenu notre attention, celle du centre-ville de Toulouse qui est une des seules études récentes sur les mobilités, et l’intégration de personnes âgées en centre-ville. (S. Mantovani, 1994) et celle du centre de Marseille (M. Haicault ; S. Mazzella, 1996). Ces deux études sociologiques appréhendent les mobilités des personnes âgées en centre-ville. A Marseille, les personnes enracinées dans le quartier privilégient une micro-mobilité à l’échelle du quartier. Avec l’âge et les deuils, des pratiques urbaines plus étendues disparaissent, mais les personnes s’enracinent et privilégient l’espace proche du domicile. Peu d'études nouvelles sont publiées sur les centres ville car l'ampleur du vieillissement touche maintenant les banlieues et les espaces péri-urbains où les déplacements et l'accessibilité sont des enjeux majeurs pour maintenir les aînés dans la société.

La marche demeure en ville le mode de transport privilégié avec l’avancée en âge (CERTU, 1999). Quelques études ont analysé le parcours des personnes âgées afin d’identifier les habitudes, les trajets et les facteurs facilitant ou aggravant l’autonomie, comme l’éclairage, le

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139 manque de signalisation, les trottoirs étroits ou encombrés (J. Yerpes, 1998). Béatrice Chaudet (2008) a suivi à Angers les personnes qu'elle avait interrogées pour comparer les mobilités déclarées et les mobilités effectives des aînés : les stratégies d'évitement et de contournement sont importantes pour continuer à se déplacer malgré les obstacles urbains. Pierre-Marie Chapon (2010) a utilisé le GPS pour identifier l'aire parcourue de personnes âgées en milieu urbain pour mieux identifier les besoins en service de proximité. Les aires parcourues oscillent entre 300 et 500 mètres en centre-ville, à pied. Les Canadiens préfèrent la notion de temps plutôt que la notion de distance : marcher 10 minutes autour de son domicile pour faire ses achats (S. Lord 2008). Peu d'études s'attachent à la perception de la mobilité en même temps qu'à la perception du territoire.

L’étude de l’IAURIF en 2001, met en exergue les nombreux obstacles dans l’accès aux transports en Ile-de-France : la station debout, le compostage, la montée ou la descente du bus sont autant de gênes qui augmentent après 70 ans. 70% de la population des 60 ans et plus seraient à mobilité réduite ou en situation de handicap dans l’autobus, en prenant en considération les problèmes de vue, d’ouïe et d’équilibre. Des difficultés plus importantes portent encore sur les réseaux ferrés : sentiment d’insécurité, utilisation des billetteries automatiques, montée des escaliers (problème de souffle ou de membres inférieurs), trop longues correspondances, 67 % des 60 ans et plus montent difficilement les escaliers, et pour 39% la difficulté est importante. L’usage des escaliers mécaniques est également problématique. La signalisation est également un frein pour les personnes mal voyantes. Types d’habitat et environnement peuvent contribuer à accentuer la dépendance ou au contraire favoriser l’autonomie. Or, « la pratique de l’espace urbain constitue un droit de la personne âgée »136.

Au grand âge, les types de pratiques spatiales se modifient pour la plupart des personnes, rares sont celles qui conservent une activité professionnelle (souvent sous forme associative) : les déplacements sont de ce fait liés aux besoins quotidiens et aux liens sociaux plus ou moins développés mais également à l’accessibilité matérielle, financière et sociale des lieux côtoyés. Les déplacements du quotidien associés aux besoins essentiels forment un premier type de pratiques spatiales. L’espace vécu se matérialise chez les habitants par le quartier qui représente l’espace des pratiques quotidiennes. Les études menées par France Guérin-Pace montrent que quel que soit l’âge, l’aire parcourue oscille entre 300 et 500 mètres : la distance parcourue est en partie conditionnée par le réseau des commerces de proximité : le lien social

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140 est régulier avec le pharmacien, le boulanger, le boucher. Cette sociabilité est essentielle pour les personnes âgées : ce sont parfois les seuls liens de la journée. Les déplacements familiaux constituent un second type de pratiques spatiales, associant déplacements et liens sociaux. Les déplacements liés à la participation sociale forment un troisième type de pratiques spatiales : la participation sociale regroupe l’ensemble des liens sociaux établis en dehors du domicile : activité politique ou citoyenne, activité récréative, sportive, religieuse, bénévolat sont autant d’activités qui permettent aux personnes de rester intégrées dans la société (M-A. Delisle, 2006). Ces déplacements sont encore plus conditionnés par le niveau de diplôme, les revenus, le genre mais également l’accessibilité, la connaissance de l’offre existante. Un dernier type de pratiques spatiales est lié aux déplacements médicaux. Les visites chez le médecin généraliste ou les spécialistes constituent un lien ponctuel majeur dès que les problèmes de santé surviennent.

Les pratiques spatiales vont ainsi matérialiser une intégration au sein de la société et dans un territoire de vie. Ces pratiques sont collectives mais également individuelles. Ces pratiques spatiales constituent la matérialisation des liens sociaux, la marque de la territorialisation des individus mais également des groupes. Comprendre les pratiques spatiales individuelles et collectives et leurs dynamiques est riche d'enseignements en matière de besoins, de qualité de vie et de bien-être au sein d'un territoire.