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Les terrains d’investigation : où ? qui ? quand ? comment ?

Partie 1 - Recueil de données

1. Les terrains d’investigation : où ? qui ? quand ? comment ?

Prévoir un dispositif de recherche pertinent, c’est avant tout choisir ses terrains d’investigation. Nous allons nous intéresser à leurs principales caractéristiques : on va présenter les écoles, les élèves et les enseignant(e)s qui ont accepté de participer à notre recherche, mais aussi revenir sur les grandes étapes de notre recherche sur un plan longitudinal.

Après définition des variables jugées déterminantes par rapport à notre objet d’étude, nous avons sélectionné un groupe de quatre enseignant(e)s. Dans la mesure où nous souhaitions mesurer l’influence de l’activité de l’enseignant(e) sur la construction de compétences citoyennes dans et par les interactions verbales, nous avons défini les variables qui nous permettraient de sélectionner les participants à notre recherche : à la fois des variables liées aux écoles et aux classes (implantation géographique, profil socio-culturel, cycle), et des

variables liées aux enseignant(e)s (âge, sexe, parcours professionnel et ancienneté dans la profession).

1.1. Le choix des écoles

Nous avons mené notre recherche dans trois écoles varoises, dans le sud de la France314. L’une de ces écoles est située dans une commune de l’est varois comptant 7800 habitants, située entre Fréjus et Draguignan. Cette école comprend 11 classes, avec des effectifs relativement réduits (entre 20 et 25 élèves par classe). On y accueille de nombreux enfants dont la langue maternelle n’est pas le français. Le taux de chômage des parents y est relativement élevé. La deuxième école est située dans un village de 3500 habitants du centre Var, à une vingtaine de kilomètres de Brignoles. Près de trois cents élèves, dont les parents sont pour la plupart issus des classes moyennes315, y sont scolarisés dans 11 classes aux effectifs chargés, avoisinant souvent 30 élèves par classe. Enfin, la troisième école, de 5 classes, se situe en périphérie de l’agglomération toulonnaise, et accueille près de 150 élèves. Les professions et catégories socioprofessionnelles des parents sont variées, et relèvent pour la plupart des classes moyennes (tertiaire, commerces, administration, employés).

Nous avons donc choisi des écoles du même département, mais répondant à des implantations géographiques variées (Var ouest, centre Var et Var est), à la fois dans le secteur urbain et rural. Les caractéristiques sociologiques des publics scolaires mêlent classes moyennes et catégories dites « défavorisées » - pour reprendre la nomenclature utilisée dans les services académiques de l’Education nationale316. Les échanges menés de manière informelle avec les enseignant(e)s concerné(e)s font apparaitre le partage de caractéristiques communes : une hétérogénéité sociale, combinée à une pluralité culturelle et linguistique de plus ou moins grande amplitude selon les classes.

1.2. Le choix du cycle

Nous avons choisi de travailler au cycle 3 : précisons les raisons de ce choix.

Au cycle 1 de l’école primaire, une place centrale est dévolue à la socialisation, à travers l’apprentissage des règles de communication. Le langage occupe le devant de la scène

314 Une carte du département du Var est reproduite en Annexes (Annexe n° 1), afin que les agglomérations citées puissent être repérées.

315 Dont de nombreux militaires car une base militaire se situe à proximité.

316Voir par exemple : http://netia59a.ac-lille.fr/~rep-onnaing/tableau_bord/Lire_les_indicateurs.htm. La catégorie dite « défavorisée » comprend les ouvriers, qualifiés et non qualifiés, les ouvriers agricoles, les retraités employés ou ouvriers et les personnes sans activité professionnelle.

puisqu’il est présenté comme le pivot des apprentissages. Il parait légitime de se demander pourquoi nous n’avons pas choisi de mener notre recherche dans des classes de maternelle. En fait, comme l’indiquent nos hypothèses de recherche, nous n'entendions pas analyser la construction de compétences sociales en général. En outre, nous voulions analyser ce qui se joue dans les interactions verbales, une fois dépassé le stade des premiers apprentissages langagiers. Au cycle 3, l’activité langagière est variée, on peut attendre des élèves qu’ils soient capables de :

« participer aux échanges de manière constructive : rester dans le sujet, situer son propos par rapport aux autres, apporter des arguments, mobiliser des connaissances, respecter les règles habituelles de la communication » 317,

compétences mentionnées pour le CM2 dans les progressions proposées par le Ministère de l’Education Nationale, issues des programmes officiels de 2008. On peut donc supposer que les élèves observés en cycle 3 ont les ressources nécessaires pour interagir : leurs compétences orales, et en particulier leurs compétences de communication, sont en construction depuis le cycle 1.

Notre expérience du terrain, en tant qu’enseignante et formatrice, et nos lectures théoriques sur l’oral nous permettent également de supposer que les enseignant(e)s de cycle 3 sont moins sensibles aux problématiques de l'oral que leurs collègues de cycle 1 : au cycle 1, l’oral est un objet d’enseignement et d’apprentissage identifié et identifiable ; en témoigne la pratique régulière et quasiment institutionnalisée des ateliers de langage. Dans les cycles suivants, nous pensons qu’il est davantage un outil d’enseignement et qu’il est plus rare d’observer des séquences d’apprentissages et des progressions spécifiquement dédiées à l’oral. L’analyse des articulations entre pratique de l’oral et acquisition de compétences citoyennes sera donc liée aux choix de l’enseignant(e) : quelle place l’oral occupe-t-il dans sa classe ? En quoi le type d’oral privilégié par l’enseignant(e) influe-t-il sur les compétences citoyennes mises en avant ? Ces interrogations, qui occupent une place centrale dans notre recherche, se posent selon nous avec plus d’acuité au cycle 3, et pourront ainsi davantage être mises à l’épreuve de l’analyse des données recueillies sur le terrain.

Enfin, c'est au cycle 3 que l’écart constaté entre l’affirmation de la nécessité de former à l’école des futurs citoyens et la place dévolue à l'oral dans les instructions officielles actuellement en vigueur est sans doute le plus marqué. Comme nous l’avons souligné en partie théorique, les programmes scolaires de 2002 avaient réservé au débat oral une place

317 B.O.E.N., 19 juin 2008, Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire, numéro hors série n° 3.

importante dans les apprentissages du cycle 3 (en littérature, en sciences, etc), en particulier en ce qui concerne l’apprentissage de la citoyenneté (à travers la pratique d’une demi-heure hebdomadaire de débat). Cette orientation n’a pas été retenue dans les instructions les plus récentes : comment les enseignant(e)s s’y prennent-ils pour réaliser l’ambition de former de futur(e)s citoyen(ne)s - si c’est bien une de leurs ambitions? Dans quelle mesure l’oral est-il maintenu au cœur de cet apprentissage ?

1.3. Les classes choisies : regard des enseignant(e)s sur leurs élèves et éléments de caractérisation

Nos observations ont été réalisées dans quatre classes de cycle 3 : une classe de CE2 et trois classes de CM1.

Le tableau ci-dessous permet d’appréhender quelques-unes des caractéristiques des classes de cycle 3 dans lesquelles nous avons effectué nos observations, mais quelques précisions sont utiles avant d’en prendre connaissance : alors que les critères de la répartition filles/garçons et de l’âge sont des données factuelles, les qualificatifs relatifs au profil général de la classe fournis par les enseignant(e)s à la suite d’échanges informels peuvent nous renseigner sur l’appréciation qu’ils (elles) portent sur le groupe et/ou les élèves : alors que M1, l’enseignante du CE2, adopte une démarche « englobante », et met l’accent sur les difficultés rencontrées par les élèves, non seulement sur le plan scolaire, mais aussi social et affectif, M3 et M4 évaluent positivement le niveau d’ensemble (« correct », « bon »), tout en admettant que certains élèves, en nombre limité et figé, sont en difficulté dans leurs apprentissages. Enfin, M2 met en avant des comportements négatifs sur le plan scolaire (les bavardages), qu’elle nuance en indiquant que la classe est « effervescente », caractéristique qui peut constituer un atout, notamment sur le plan de la « dynamique des échanges ». Ces éléments témoignent d’une hétérogénéité dans l’appréciation que portent les enseignant(e)s sur leur classe, qui sont par contre homogènes sur le plan des effectifs (entre 24 et 25 élèves) et de la répartition filles/garçons. Enfin, nous souhaitions connaitre l’éventuelle diversité de langues parlées par les élèves des classes concernées, l’altérité et la pluralité occupant une place de premier plan dans notre recherche. Dans la mesure où nous n’avons pas mené d’enquête approfondie qui nous aurait permis de le constater, ce dernier critère a été renseigné d’après des éléments déclarés.

Tableau n° 2 - Classes choisies et élèves Profil général

décrit par les enseignant(e)s

Filles (F) /Garçons

(G)

Age

318 Langues parlées par les élèves Classe 1 CE2

Est varois

Beaucoup d’élèves en difficulté scolaire, mais aussi « en difficulté sociale et affective ».

13 F 11 G

8 - 10

turc arabe italien

Classe 2 CM1 Centre Var Niveau d’ensemble « très moyen ». « Beaucoup de bavardages » et d’ « effervescence » mais « dynamique d’échanges ». 12 F 13 G 9 - 10 arabe allemand Classe 3 CM1 Même école que classe 2

Niveau d’ensemble « correct ». 11 F 13 G 9 - 10 arabe allemand Classe 4 CM1 Agglomération toulonnaise

« Bon niveau d’ensemble ». 3 élèves « en difficulté ». 12 F 13 G 9 - 11 arabe italien 1.4. Les enseignant(e)s

Comme nous l’avons vu précédemment, l’une de nos hypothèses de recherche pose que le style pédagogique de l’enseignant(e) joue un rôle dans le développement de compétences citoyennes. Pour nous guider dans le choix des enseignant(e)s, nous avons sélectionné des variables qui nous paraissent influer sur le profil d’enseignement : sexe, âge et ancienneté dans la profession mais aussi lieu d’exercice. Ainsi, nous avons sollicité deux enseignantes d’une même école, dont l’ancienneté était comparable et qui enseignent toutes deux en CM1 : les classes de ces deux enseignantes sont issues de deux CE2 qui ont été « mixés » pour obtenir deux profils de classe comparables. D’autre part, nous souhaitions voir si le lieu d’exercice jouait un rôle : c’est pourquoi nous avons contacté une enseignante exerçant dans un contexte socioculturel « défavorisé », tandis que les deux premières travaillaient dans l’école d’un village de 3500 habitants dans laquelle l’origine sociale des élèves était davantage diversifiée. Enfin, le quatrième participant, un homme, exerce dans une école urbaine de l’agglomération toulonnaise, au sein de laquelle les catégories socioprofessionnelles d’appartenance des parents sont variées, mais relèvent dans l’ensemble de la classe moyenne (services, employés, commerces, administration...). Ces quelques informations sont synthétisées dans le tableau ci-dessous319.

318 Au moment où les observations ont été réalisées.

319 M1 (classe 1 CE2), M2 (classe 2 CM1), M3 (classe 3 CM1) et M4 (classe 4 CM1) font référence aux quatre enseignant(e)s ayant participé à la recherche.

Tableau n° 3 - Quelques informations concernant les enseignant(e)s impliqué(e)s dans la recherche

M1 CE2 M2 CM1 M3 CM1 M4 CM1

Age 52 46 50 51

Sexe féminin féminin féminin masculin

Parcours professionnel

-depuis près de 30 ans dans l’école dans laquelle nous effectué nos observations.

-poste de conseillère

pédagogique durant une

année (fonctions ne

correspondant pas, selon ses dires, à ses attentes professionnelles).

-titulaire du CAFIPEMF (Certificat d’Aptitude aux

Fonctions d’Institutrice et de Maitresse Formatrice) ; fonctions d’enseignement et de formation à l’IUFM pendant plusieurs années, comme l’année de nos

observations ; poste

d’enseignement à temps plein dès l’année suivante.

-dans l’école dans laquelle nous avons effectué nos observations de 1993 à 2009. -initialement institutrice, a

récemment sollicité

l’intégration dans le corps des professeurs des écoles.

-changement d’école l’année suivant nos observations pour enseigner en maternelle.

-débuts dans l’enseignement à partir d’un recrutement sur liste

complémentaire, avec

« formation sur le tas ».

-dans l’école depuis une vingtaine d’années.

-actuellement directrice de l’école dans laquelle nous avons effectué nos observations.

-après l’obtention d’un baccalauréat série C en 1980, formation à l’Ecole normale de 1980 à 1983.

-ancienneté dans l’éducation nationale : 29 ans

-instituteur de 1983 à 2001 puis professeur des écoles depuis 2001.

-directeur d’école depuis 2001, arrivé récemment dans l’école dans laquelle nous effectué nos observations.

-a réussi depuis notre passage dans l’école l’examen du CAFIPEMF et occupe un poste de conseiller pédagogique de circonscription. « Style» d’enseignement -pédagogie de type socioconstructiviste :

nombreux travaux de groupe, accueil de la parole des élèves et appui sur les interactions pour favoriser la

construction les

apprentissages.

-pédagogie de type

« traditionnel » incluant des travaux de groupe et des phases de recherche.

-gestion de la classe très souple, autonomie des élèves.

-pédagogie de type

« traditionnel » pouvant inclure des travaux de groupe.

-gestion de la classe très « cadrée ».

-mise en place de situations pédagogiques induisant les prises de parole, favorisant les

échanges oraux et la

communication entre enfants, entre enfants et adultes.

-suivi de stages de formation sur la langue orale et son rapport à l’écrit.

Le choix de ces enseignant(e)s repose sur une conjonction de facteurs : pour une part du hasard des rencontres, venant des liens entre notre activité professionnelle et la recherche menée, mais aussi des variables sélectionnées par rapport à nos objectifs de recherche. L’ensemble de ces éléments nous a permis de travailler avec trois enseignantes et un enseignant sensiblement du même âge, mais exerçant dans des contextes d’enseignement variés, et avec des profils d’enseignement différents. Deux d’entre eux ont été, avant nos observations, ou sont devenus depuis conseillers pédagogiques, ce qui permet de poser l’hypothèse selon laquelle ils sont habitués à l’analyse de pratiques et à l’acquisition d’une pratique réflexive.

1.5. La dimension longitudinale de la recherche

La phase d’enquête proprement dite a été précédée d’une phase de pré-enquête : les lignes qui suivent précisent les objectifs de ces phases et leur articulation.

1.5.1. La phase de pré-enquête

La phase d’observation en elle-même a été précédée d’une étape que l’on pourrait qualifier de « pré-enquête ». En effet, avant la prise de contact avec les enseignant(e)s susceptibles de collaborer à notre recherche, nous avons mené des observations dans des classes de différents cycles de l’école primaire : il s’agissait d’effectuer des visites de professeurs des écoles stagiaires, dans le cadre des missions qui nous étaient confiées à l’Institut Universitaire de Formation des Maitres en tant que professeur de français320. Ces visites se sont déroulées lors des stages en responsabilité des professeurs stagiaires : trois visites ont été effectuées entre le mois d’octobre et le mois de décembre 2008, suivies de trois nouvelles visites au mois de janvier 2009. Nous avions, à ce stade, commencé à définir notre problématique et nos hypothèses de recherche. Ces visites nous ont permis de prendre des indices sur le terrain, et de vérifier la faisabilité de notre enquête : cela nous a ainsi conduite à affiner les critères de choix des séances observées, que nous détaillons ultérieurement. Ayant observé des séances qui consistaient à faire effectuer individuellement aux élèves des exercices qui faisaient ensuite l’objet d’une correction collective, nous avons insisté auprès des enseignant(e)s sur le fait que les séances devaient permettre des échanges verbaux avec les élèves et entre élèves.

320 Plus précisément PRCE, professeure certifiée affectée dans le supérieur. Nous intervenions dans la préparation des étudiants au concours de professeurs des écoles, mais aussi la formation des professeurs des écoles stagiaires. C’est dans ce cadre que nous avons effectué des visites.

Nous avons également profité d’interventions dans des stages de formation continue pour prendre contact avec des enseignant(e)s du premier degré, et les solliciter pour participer à notre recherche. C’est à cette occasion que nous avons essuyé plusieurs refus. Les raisons avancées étaient le plus souvent liées au manque de temps, mais une enseignante a également mentionné la difficulté qu’elle éprouvait à faire pénétrer un regard « extérieur » dans la classe, et les réticences qu’elles avait vis-à-vis des enregistrements des séances menées que nous devions effectuer.

Cette phase de pré-enquête nous a donc permis de vérifier la faisabilité de la recherche, tout en mesurant les difficultés qui risquaient de se poser à nous dans le « recrutement » d’enseignant(e)s volontaires pour y participer, d’autant qu’il nous fallait tenir compte des variables présentées ci-dessus pour sélectionner les participant(e)s.

1.5.2. La phase d’enquête

En début d’année 2009, nous avons pris contact par téléphone avec les enseignant(e)s susceptibles de participer à la recherche, en leur présentant de façon très générale le projet et les modalités de leur collaboration. Nous avons prioritairement contacté des enseignant(e)s que nous connaissions du fait de notre exercice antérieur du métier de professeure des écoles : c’est le cas de deux des enseignantes qui ont adhéré à notre projet. Celles-ci étaient collègues de travail, et avaient l’habitude de travailler ensemble et de participer conjointement à différents projets professionnels. La troisième enseignante appartenait, au moment du lancement de la recherche, à l’équipe de formateurs de l’IUFM321 dans lequel nous exercions, ce qui a facilité la prise de contacts. Quant au dernier enseignant, nous ne le connaissions pas, et avions obtenu ses coordonnées par l’intermédiaire d’une mère d’élève dont la fille était scolarisée dans sa classe. Les contacts ont donc été pour la plupart facilités par nos réseaux professionnels.

En mars 2009, nous avons approfondi cette prise de contact lors d’une première rencontre : c’est à ce moment-là que nous avons présenté le contrat de recherche, des exemples de transcriptions anonymées, un exemplaire de thèse achevée. Après avoir conclu ce contrat de recherche, nous avons fait le choix de faire précéder dans chaque classe les observations filmées d’une observation plus informelle, afin de nous présenter aux élèves, sans matériel particulier. Nous avons ensuite procédé aux enregistrements entre les mois de mars et de

321 IUFM pour Institut Universitaire de Formation des Maitres. En France, au moment où la recherche a été menée, ces instituts sont intégrés aux universités et participent à la formation initiale et continue des enseignants des premier et second degrés.

juin 2009, soit au dernier trimestre de l’année scolaire. C’est ainsi que nous avons enregistré douze séances de travail en classe en cycle 3, et un conseil des écoliers322.