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Interactions verbales et compétences citoyennes : pluralisme et altérité

Partie 2 – Fondements théoriques : une approche pluridisciplinaire

4. Interactions verbales et compétences citoyennes : pluralisme et altérité

Dans un premier temps, nous chercherons à définir le pluriel, la pluralité et le pluralisme, en les confrontant à des termes a priori proches comme l’hétérogénéité et la diversité. Nous explorerons les soubassements idéologiques de ces notions, afin de déterminer leurs implications dans le contexte d’échanges langagiers menés en classe. Enfin, nous envisagerons l’interaction en tant que lieu du rapport à l’autre à partir des travaux de De Nuchèze sur l’archétype d’altérité.

4.1. Pluriel, pluralité, pluralisme

Pour envisager l’impact que peuvent avoir ces notions dans l’appréhension et l’analyse des interactions didactiques, on peut opérer un retour aux sources, en posant les bases définitoires de ces termes telles qu’elles apparaissent dans le dictionnaire. Pour ce faire, nous avons choisi de travailler à partir du Trésor Informatisé de la Langue Française

(TLFI) et du Larousse.

283 Nous n’en citerons que trois exemples très récents : l’organisation d’un colloque international de socio-didactique des langues (laboratoire LISA, équipe ICPP), Faire société dans un cadre pluriculturel. L’école

peut-elle didactiser la pluralité culturelle et linguistique des sociétés modernes ?, les 11 et 12 juillet 2012 à l’Université de Corte ; la publication d’un ouvrage sous la direction de Cécile Goï (équipe PREFics-DYNADIV), Quelles recherches qualitatives en sciences humaines ?, Approches interdisciplinaires de la

diversité, paru en 2012 aux éditions L’Harmattan ; à l’occasion de la parution du numéro 46 de la revue

Repères (2012) coordonné par B. Daunay et F. Grossmann et consacré au bilan de vingt ans de recherches en didactique du français, M.-M. Bertucci et V. Castellotti ont rédigé un article intitulé « Variation et pluralité dans l’enseignement du français : quelle prise en compte ? ».

En tant qu’antonyme de « singulier », le terme « pluriel » fait d’abord référence à la « catégorie grammaticale du nombre ». Etymologiquement, le mot nous vient du latin

pluralis, adjectif signifiant «composé de plusieurs ». La pluralité, du latin pluralitas, est donc associée à une « multiplicité » (d’êtres, de choses, d’idées). Comme le laisse supposer la suffixation en –isme, le terme pluralisme ne relève pas, comme le pluriel et la pluralité, de l’ordre du seul constat reposant sur l’idée de nombre. D’apparition plus tardive, il désigne d’abord en philosophie une doctrine qui, en face du monisme,

« admet la nécessité de postuler plusieurs principes pour expliquer la constitution du monde, et affirme que les êtres qui le composent sont irréductibles à une substance unique et absolue ».

Il n’est pas étonnant que le même type de définition se retrouve sur le plan sociologique, avec la référence à une doctrine ou pratique qui

« admet la coexistence d'éléments culturels, économiques, politiques, religieux, sociaux différents au sein d'une collectivité organisée ».

Sur le plan politique, il est fait référence au pluralisme libéral pour désigner un courant qui « intègre au socle du libéralisme politique les exigences du pluralisme des valeurs », et qui possède trois grandes acceptions :

« sur un plan factuel, c’est d’abord une manière de nommer le constat de la diversité des croyances morales et des visions du bien dans les sociétés démocratiques contemporaines. C’est ensuite une thèse d’épistémologie morale portant sur la structure de notre univers moral et consistant à affirmer que les valeurs sont conflictuelles et incommensurables. C’est enfin une thèse normative qui valorise l’existence de cette pluralité irréductible de valeurs et de conceptions du bien 284».

Avec le pluralisme apparait l’idée de différence associée à celle de nombre : le pluralisme renvoie à un pluriel hétérogène, et non à l’addition d’individualités semblables. Ces individualités différentes sont amenées à « coexister », à vivre ensemble au sein d’un même tout. Tandis que la pluralité peut théoriquement renvoyer à un pluriel homogène285, le pluralisme insiste sur la nécessaire et irréductible hétérogénéité286de la pluralité. Une pluralité qui serait cosmopolite, éclectique, mélangée.

« Diversité » et « hétérogénéité » gravitent donc autour du « pluralisme » : la diversité fait écho à la différence, la variété, et entretient justement un lien avec l’hétérogénéité. On parle d’éléments « divers », lorsque dans une perspective comparatiste on note entre eux des différences caractéristiques, lorsque ces éléments sont de plusieurs sortes. Différence

284 « Le pluralisme libéral et ses critiques », Appel à contribution, Calenda, publié le jeudi 22 mars 2012, http://calenda.revues.org/nouvelle23338.html

285 Du grec ancien ὁ ογενης, homogenês, « de même race, de même sorte, semblable ».

286 Du grec ancien ἑτερογενής, heterogen s, composé de ἕτερος, héteros, « autre » et γένος, génos, « origine ».

et pluralité ont donc une nouvelle fois partie liée, et nous voyons se dessiner, à côté du couple singulier/pluriel, un second binôme : celui du même et de l’autre. Ces deux couples entretiennent des liens, et nous souhaitons particulièrement mettre en relation le pluriel et l’altérité, qui nous semblent être au cœur des échanges langagiers.

4.2. Altérité et interaction

En quoi l’interaction est-elle un lieu de rencontre de l’altérité ? Quels liens entretiennent identité et altérité ? Peut-on trouver dans les interactions verbales des traces de la construction de soi dans et par la rencontre avec l’autre? Autrement dit, comment

« mettre l’accent sur les liens qui nouent interactions et altérité, dans le sens où l’autre vers qui je vais dans l’échange ne peut pas totalement être disjoint de moi, sans toutefois se confondre avec moi : entre coïncidence et ressemblance, quel espace fait respirer l’échange pour me permettre d’y évoluer et même de m’y épanouir ? »287.

Dans son article « Quand l’altérité vient aux enfants …, réflexions sur des interactions en ateliers de philo », Rispail confirme l’hypothèse selon laquelle « c’est bien dans l’espace interactionnel que se construit le rapport à l’autre288 ». Elle montre également combien le couple identité/altérité fonctionne dans les interactions enfantines analysées davantage sur le mode du continuum que sur celui de la rupture :

« (…) une étude linguistique des interactions dément l’idée d’une rupture entre identité et altérité : on ne passe pas de l’identité à l’altérité, ou d’une phase identitaire à une phase « altéritaire ». Nombreux sont les indices, énonciatifs et syntaxiques entre autre, qui montrent que l’enfant approfondit son identité par sa découverte de l’altérité, plus qu’il ne quitte son moi pour aller vers l’autre. Son discours ne désigne pas deux espaces disjoints mais des espaces en mouvement, qui se cherchent et s’entrecroisent, par des procédés discursifs souvent difficiles à démêler. 289»

La rencontre de l’autre impulse une dynamique complexe. Identité et altérité ne sont pas à envisager comme des entités disjointes, définies, clôturées : elles sont au contraire mouvantes, entremêlées, en perpétuelle construction. Une nouvelle fois, les concepts d’hétérogénéité et de pluralité peuvent aider à caractériser ces déplacements, et ces constructions :

« Il y a donc différents niveaux d’altérités entremêlés qui s’expriment dans lesinteractions de notre corpus : de l’autre que je peux comprendre et intégrer dans mon discours, que je peux même appeler à la rescousse pour en compléter le puzzle, à celui qui m’étonne au point que j’en perds (pour un temps limité) la parole :

(17, 24 : Est-ce qu’il faut rêver ?)

287 Rispail M., (article encore non publié), « Quand l’altérité vient aux enfants …, réflexions sur des interactions en ateliers de philo », Figures de l’interaction, L’Harmattan.

288 id., p. 26.

Wassila – quand on rêve et bê on voit que / on voit des enfants qui jouent dans la cour et on voit des filles qui jouent à l’élastique ou à la corde à sauter et bê / on veut une élastique ou une corde à sauter /

Anthony – on rêve / c’est obligé on rêve /

(la classe réagit : chuchotements de quelques élèves)

ou que je m’oppose à lui (cf. le non répété de Laurie en 31, 77 et 89, Annexe 2). Mais il n’y a aucune raison d’essayer de réduire cette variation : l’autre est pluriel autant que je le suis, et c’est dans cette pluralité que se situe la rencontre. » 290.

Les interactions déploient de multiples ponts entre identité et altérité, qui permettent la construction de ce que nous appellons une alteridentité plurielle, comme un tissage complexe entre ces deux notions.

Dans une autre perspective, les travaux de De Nuchèze placent également l’altérité au cœur de l’interaction. Plus exactement, cette dernière développe dans son ouvrage Sous les

discours, l’interaction291 la notion d’archétype d’altérité : partant du principe que le langage est action, elle développe l’idée selon laquelle dans une interaction, l’acte ne peut réussir ou échouer qu’en fonction de l’autre (que ce soit avec, malgré ou contre lui). Ce qui compte par-dessus tout, c’est la relation interlocutive et l’analyse des actes de langage ne peut être menée à bien qu’en lui accordant la place qui lui revient. Se plaçant dans la lignée des réflexions du philosophe Francis Jacques, elle évoque l’importance des manifestations linguistiques du dialogisme et la pluralité (encore !) du sujet énonciateur qu’elle consacre. Face aux données abondantes et complexes de l’interaction, elle pose que l’altérité constitue l’un des universaux de l’interaction, facilement identifié et disponible pour les interactants, mais également « élément basique d’un modèle de description de l’interaction ». Nous retiendrons cette approche des interactions dans l’analyse menée sur notre corpus.

L’interaction est donc par excellence le lieu de rencontre de l’altérité, c’est même l’une de ses principales caractéristiques, et l’analyse permet de dégager les traces de ce voyage vers l’autre. Isabelle Delcambre et Isabelle Laborde Milaa, dans leur présentation du numéro du

Français aujourd’hui intitulé « Oral : le rapport à l’autre »292, rappellent ce lien intime et vont au-delà en envisageant trois angles d’approche de l’altérité dans le langage :

- le premier corrobore les développements qui précèdent, en reliant le rapport à l’autre à la notion d’interaction elle-même. Comme le soulignent les auteures, l’autre représente à la fois la justification de l’échange et son moteur dans la mesure où il influence les

290 id., p. 19.

291 Nuchèze (de) V., 1998, Sous les discours, l’interaction, L’Harmattan, collection « Sémantiques ».

292 Delcambre I., Laborde Milaa I. (ss la dir.), 2004, « Oral : le rapport à l’autre », Le Français aujourd’hui, N°146.

comportements langagiers du langagiers du locuteur : « L’autre est ce qui modifie le locuteur, ce qui le fait penser, sur les autres et sur lui-même.» 293 ;

- le deuxième souligne la double construction d’images – image du locuteur et image de l’autre – qui se joue dans l’interaction, et dont il est possible de trouver les traces dans le discours ;

- enfin, le troisième angle d’approche du rapport à l’autre consiste à poser l’altérité comme une valeur.

« La situation orale est alors envisagée pour ses enjeux politiques, civiques, démocratiques, lesquels sont sans doute une finalité ultime en situation d’enseignement mais non didactisée en tant que telle. À ce niveau, le rapport à l’autre tient du respect de l’autre ».294

Cette dernière dimension retient toute notre attention : nous aurons l’occasion d’y revenir en envisageant les liens qu’entretiennent langage, éthique et citoyenneté dans une perspective éducative. Auparavant, et la question des valeurs nous y engage, nous souhaitons rappeler la dimension idéologique assumée de la posture de recherche adoptée.

4.3. « Penser au pluriel » : les enjeux éthiques d’une « révolution intellectuelle »295

Il s’agit ici d’envisager un autre aspect de la pluralité et de l’altérité dans l’interaction, telles qu’elles se manifestent dans la diversité des formes employées par les locuteurs, et plus précisément de s’intéresser au traitement ou à l’absence de traitement didactique de cette diversité. Selon Didier de Robillard, cela constitue une des difficultés majeures de la didactique du français, qui occulte « l’altérité dans sa dimension conflictuelle ». Le chercheur note que cette dimension n’est pas prise en compte dans la définition même des

langues : on lui préfère une définition « aseptisée », vidée de tout potentiel conflictuel. Le modèle dominant relèverait d’une linguistique « homogénéisante », qui exclut la « diversité » et la pluralité. De Robillard tisse un lien, sur le plan historique, entre ce modèle scientifique dominant et la politique nationaliste des Etats-Nations, organisée autour du diptyque un peuple/une langue.

Loin d’être dépassé, ce modèle serait à présent relayé au niveau des instances européennes, et en particulier du Conseil de l’Europe. L’analyse des textes produits révèle en effet que la pluralité est vue comme un « morcellement “ quantitatif ” d’un grand tout et non pas comme une composante ontologique ». Le chercheur nous invite à ouvrir une brèche dans

293 id., p.3.

294 Ibid.

295 Ces expressions sont employées par de Robillard dans un article dont voici les références : Robillard (de) D., 2008, « Langue(s) / systèmes / didactiques, diversité, identités », Le Français aujourd’hui, Dossier

cette conception, seul moyen d’adopter une posture plurielle de recherche, qui intègre la diversité à la réflexion, dans sa dimension ontologique. Il faudrait donc non seulement cesser d’occulter les enjeux identitaires et politiques, mais les mettre au jour, les expliciter, et leur donner leur place au sein de la didactique des langues – ce qui ne peut se faire que dans une perspective sociolinguistique qui assume la complexité des tâches qui lui incombent. Delamotte-Legrand ne dit pas autre chose lorsqu’elle affirme que

« toute éthique linguistique commence par l’acceptation du fait de la diversité des langues et du droit des personnes à disposer de leurs langues. »296.

En se proposant de « positionner le problème de la variation langagière face à l’action didactique »297, elle rappelle que l’éducation à la variation langagière ne peut se faire qu’à la condition d’une profonde remise en question de la didactique « traditionnelle » du français langue maternelle : cette remise en cause concerne à la fois la représentation du français comme langue « au singulier, unifiée et unifiante », pour ne pas dire « uniformisée et uniformisante », et le rapport à la norme qui en découle. En effet, si le constat de l’hétérogénéité des pratiques langagières est acquis, les choix didactiques opérés divergent : selon Delamotte-Legrand, on peut schématiquement retenir trois options différentes. La première, basée sur la surnorme et l’hypercorrection, ignore volontairement la variation. Ce choix élitiste occasionne chez les élèves dont les usages sont ignorés, quand ils ne sont pas stigmatisés comme fautifs, une « insécurité linguistique » et un « rapport douloureux à la langue ». La deuxième option se situe à l’autre extrémité de l’échelle et entend valoriser la variation : Delamotte-Legrand rejoint de Robillard en soulignant que ce choix ne tient pas assez compte du potentiel conflictuel des réalisations langagières dans la société. Les « repères socio-pragmatiques nécessaires dans les relations sociales » ne seront pas fournis aux élèves qui en auraient besoin. La dernière option, que défend la chercheuse, se base sur la reconnaissance de la pluralité des normes pour apprendre à l’enfant que « si le langage est régi par des règles sociales, il est tout autant un instrument de contestation de ces règles ». Delamotte-Legrand parle d’éducation à une « autogestion langagière », adossée à un idéal de liberté. Savoirs sur la langue (son fonctionnement, ses usages variés) et éducation à l’« intertolérance langagière » vont ainsi de pair pour permettre à tous les élèves de se repérer dans la société, d’opérer des choix en connaissance de cause, de mieux maitriser le monde dans lequel ils vivent.

296 Legrand R., 1997, « Langage, socialisation et constitution de la personne », in R. Delamotte-Legrand, F. François, L. Porcher (dirs.), Langage, éthique, éducation – perspectives croisées, Publications de l’Université de Rouen, p. 103.

Nous entendons modestement participer de cette entreprise, en mettant au centre de l’analyse des interactions leur dimension éthique et notamment la construction « alteridentitaire » qu’elles autorisent, et en étant particulièrement attentive aux enjeux éthiques des choix didactiques opérés par les enseignant(e)s dans leur gestion des échanges. Dans un article précédemment cité, Rispail met justement en lumière ce qui se joue dans les interactions menées en contexte scolaire :

« Accepter l’autre et sa culture est moins un acte qu’un regard ou peut-être un discours, une posture dont on rend l’élève capable. Il s’agit, de la part de l’école, d’affirmer un premier choix fondamental, qui est celui du contact privilégié à l’autre par les mots et la parole, de la force des mots pour découvrir, comprendre et toucher l’autre : les mots contre la force, pourrait-on dire autrement (…) Par le lien à l’autre patiemment tissé dans les échanges, par le passage du familier à l’inconnu, de situations reconnues sans être identiques à des situations moins identifiables, par l’élargissement progressif de la sphère du familier, les interactions, dans une séance et dans les séances entre elles, permettent que soit découvert l’autre, qu’on le dise et le maitrise, qu’on le fasse sien jusqu’à ne plus pouvoir s’en passer. »298

Nous pensons, dans la lignée des travaux évoqués ci-dessus, que les enjeux éthiques des interactions à visée didactique interviennent à plusieurs niveaux. Il y a d’abord un enjeu éthique pour les élèves, qui apprennent à se connaitre et à connaitre l’autre dans les interactions. Cet enjeu éthique inter-élèves intervient également au niveau de la relation enseignant(e)-élève : les choix didactiques de l’enseignant(e) comportent un versant éthique - par la représentation de la langue qui leur sert de fondement, par le rapport à la norme qu’ils instituent, mais aussi par les dispositifs de parole choisis. Enfin, ces enjeux éthiques nous touchent en tant que chercheuse, puisque la mise en œuvre d’une « pensée plurielle » repose sur des présupposés idéologiques que nous avons tentés d’exposer, et qui traduisent le choix assumé d’une posture de recherche engagée.

Il nous reste à présent à établir en quoi ces enjeux éthiques et sociaux se doublent d’enjeux « citoyens » : quels liens entretiennent interactions et citoyenneté dans la salle de classe ?

4.4. Langage et citoyenneté dans la classe : quelques pistes de réflexion

Dans une contribution intitulée Que fait-on quand on cherche à élucider des

« principes » ?299, François montre en quoi le recours au cadre théorique posé dans l’Antiquité grecque, en particulier par Aristote, est encore d’actualité pour penser le

298 Rispail M., (article encore non publié), « Quand l’altérité vient aux enfants …, réflexions sur des interactions en ateliers de philo », Figures de l’interaction, L’Harmattan, p. 70.

299 François F., 2001, « Que fait-on quand on cherche à élucider des principes ? », in M. Verdelhan-Bourgade (dir.), Ecole, langage, et citoyenneté, L’Harmattan, pp. 251-270.

Politique. Selon Bernard Combettes,

« le début de la Politique d’Aristote souligne parfaitement la nécessaire liaison, quasiment imposée de façon logique, pourrait-on dire, qui s’institue entre le langage et la citoyenneté (souligné par nous). »300

Si certains des éléments posés par Aristote sont toujours pertinents pour aider à penser « l’espace théorique de ceux qui ont droit à la parole »301, c’est dire à quel point les liens entre citoyenneté et langage ont des racines historiques profondes. En nous attachant à l’étude de ces liens, nous avons conscience d’inscrire notre réflexion dans ce substrat historique, dans toutes ses strates et son épaisseur.

Le contexte de réflexion actuel possède toutefois un certain nombre de spécificités : toujours selon François, il se caractérise d’une part par l’ « urgence » et d’autre part par l’ « affect ». L’urgence est liée aux menaces de notre temps, l’affect est ce qui nous met en

mouvement : « D’où la tension perpétuelle entre la prétention à l’universalité des principes et les conditions concrètes de leur énonciation et de leur application »302, conclut le philosophe. En parcourant les articles parus dans deux opus consacrés à la question, respectivement intitulés Savoir, langages et citoyenneté303 et Ecole, langage, et

citoyenneté304, c’est la ligne de fracture qui nous est apparue, entre citoyenneté « idéelle » voire « idéale », et citoyenneté « pratique », « réelle », « concrète ». Ce couple « citoyenneté de droit / citoyenneté de fait » constitue en quelque sorte la toile de fond sur laquelle viennent s’inscrire les différents liens entre langage et citoyenneté, que nous allons à présent évoquer.

Ces liens se manifestent d’abord sur le plan de l’expression et de la communication qui s’opèrent par le langage : ainsi, comme le souligne Combettes,

« La citoyenneté se caractérise avant tout par la mise en commun de certaines valeurs, et l’expression de ces valeurs passe obligatoirement par le langage ; à la différence des simples « sensations », qui peuvent se traduire par des cris, les notions telles