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Ecole et Citoyenneté : préliminaires terminologiques, obstacles et enjeux

Partie 2 – Fondements théoriques : une approche pluridisciplinaire

2. Ecole et Citoyenneté : préliminaires terminologiques, obstacles et enjeux

Les développements qui suivent ont un double objectif : dans un premier temps, nous souhaitons clarifier le sens du terme « citoyenneté », diffusé par un usage social intense qui l’a en quelque sorte dilué et rendu flou. Nous évoquerons d’abord ses origines étymologiques et les liens qu’il entretient avec d’autres termes de la même famille, puis nous brosserons un historique de l’évolution de ses acceptions, ses acceptions actuelles ne pouvant se comprendre qu’à la lumière du passé propre à la France. Ce n’est que dans un deuxième temps que nous nous intéresserons à l’articulation citoyenneté/école, en posant la question du contenu que l’on pourrait assigner à une « éducation à la citoyenneté » dans et par l’école.

2.1. Pistes étymologiques et premiers éléments de définition : citoyen, citoyenneté,

civil/incivil/incivilités, civisme/incivisme/civique

Etymologiquement, le mot « citoyen » est dérivé du latin civis, « qui jouit des droits propres aux membres de l’Etat ». Nous retiendrons, à côté de civis, cinq mots relevant de la même famille. Il s’agit des noms, adjectifs et adverbes suivants :

- noms : civilitas, civitas ; - adjectifs : civicus, civilis ; - adverbe : civiliter.

Le dictionnaire Gaffiot Latin-Français (1934) en propose les définitions suivantes : - civis : citoyen, concitoyen ;

- civilitas : 1) qualité de citoyen ; 2) sociabilité, courtoisie, bonté ;

- civitas : 1) ensemble des citoyens qui constituent une ville, un Etat ; cité, Etat ; 2) droit des citoyens, droit de cité ;

- civicus : relatif à la cité ou au citoyen, civique, civil ;

- civilis : 1) de citoyen, civil ; 2) qui concerne l’ensemble des citoyens, la vie politique, l’Etat ; 3) qui convient à des citoyens, digne des citoyens ; 4) populaire, affable, doux, bienveillant ;

- civiliter : 1) en citoyen, en bon citoyen ; 2) dans les formes légales ; 3) avec modération, avec douceur ; 4) civilement, en matière civile.

A ce stade, nous retiendrons de ce rapide balayage étymologique les éléments suivants : - le citoyen est forcément un concitoyen, la définition du citoyen étant liée à la Cité. On retrouve d’ailleurs le même lien du côté grec, entre le « politès » et la « Polis » ;

- le « bon » citoyen est doté de qualités. Il faudra s’intéresser aux liens qu’entretiennent la « citoyenneté », la « civilité » et le « civisme » ;

- le citoyen jouit d’un certain nombre de droits.

Ces premières pistes de réflexion trouvent un écho dans les définitions actuelles des mots de la famille de « citoyen », telles qu’elles apparaissent par exemple dans le Trésor

Informatisé de la Langue Française. Ainsi, le « citoyen » y est défini comme étant « membre d'une communauté politique organisée ». Le dictionnaire organise la présentation des acceptions en deux dimensions, selon que l’accent est mis sur les droits attachés à la qualité de citoyen, ou sur les devoirs. Les droits du citoyen ont évolué historiquement, et le dictionnaire retient trois étapes préalables à la présentation de la définition actuelle : l’Antiquité grecque, romaine et la Révolution. Nous reprendrons ces mêmes moments lorsque nous nous intéresserons à la construction historique du concept. L’acception usuelle retenue fait référence au « membre d'un État et qui de ce fait jouit des droits civils et politiques garantis par cet État. » Elle est clairement associée à la nationalité, et laisse en suspens la question de l’organisation politique de l’Etat : la mention d’Etat « démocratique » est rangée parmi les acceptions particulières. Lorsque l’accent est mis sur les devoirs, le lien avec la dimension démocratique est plus clairement établi. Le citoyen est alors celui « qui respecte les libertés démocratiques ». Le civisme permet justement de qualifier « l’ensemble des qualités propres au bon citoyen », son « zèle », son « dévouement pour le bien commun de la nation ». Sous la Révolution française, les citoyens dévoués à la cause de la Révolution se voyaient ainsi attribuer un « certificat de civisme ». Le manque de dévouement est quant à lui traduit par la dérivation à partir du préfixe privatif « in- », sous le nom d’« incivisme ». L’adjectif « civique » qualifie les rapports des citoyens avec leur Etat. Utilisé en qualificatif dans les expressions « sens civique », « vertu civique », il permet de caractériser le « bon » citoyen. Un de ses emplois nous intéresse particulièrement : épithète des noms « éducation » et « instruction », il désigne la « préparation des élèves à leurs futures responsabilités de citoyens. »

L’Encyclopédie pratique de l'éducation en France (1960, p. 682) y fait référence en ces termes :

« Le but est de former des citoyennes et des citoyens efficaces et renseignés, des femmes et des hommes intelligents, capables d'agir dans leur temps, associant le sens critique et la

lucidité de l'esprit à une attitude courageuse et optimiste en face des tâches difficiles mais exaltantes qui les attendent. ».

A côté du diptyque «civique/(in)civisme» figure celui du « civil/(in)civilité». L’adjectif « civil » fait référence aux citoyens et à leurs rapports mutuels en tant que membres d’un même Etat. Ces relations sont organisées par les « lois civiles », et le législateur garantit à tout citoyen des « droits civils ». La liberté civile correspond quant à elle à la liberté garantie aux citoyens d’exercer ces droits. La « civilité » désigne l’ « observation des règles du savoir-vivre, (le) respect des convenances qui régissent la vie en société. ». Employé au pluriel, le terme évoque les témoignages d’estime et de respect offerts à quelqu’un. On retrouve donc dans le terme « civilité » la référence à la sociabilité et à la courtoisie présentes dans le latin « civilitas ». La dérivation avec préfixe privatif, à travers le terme d’ « incivilité » fait logiquement référence à l’ « oubli des convenances », à un manque de savoir-vivre. On peut néanmoins constater que l’emploi usuel du terme, notamment au pluriel, peut aller jusqu’à désigner des comportements violents. Selon Julien Damon,

« dans un mouvement d’extension et d’amalgame, le terme ne signifie plus seulement discourtoisie. Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, il est devenu synonyme de désordre, de nuisance, d’inconduite, d’incivisme, d’impolitesse, d’insolence, de petite délinquance. » 166 (Damon, 2000).

Il n’y a donc pas de symétrie entre « civilité » et « incivilité ». Quant à la « citoyenneté », objet de notre réflexion, elle est définie dans le TLFI par une formule lapidaire : elle désigne la « qualité de citoyen ». Le dictionnaire la présente comme le dérivé par affixation suffixale en « -eté » de « citoyen » au sens de « membre d'un Etat considéré du point de vue de ses droits ».

Cette définition ne permet pas d’appréhender la complexité et la densité du concept, qui résulte d’une construction historique et sociale. Il convient donc, pour en rendre compte, d’évoquer brièvement les étapes historiques charnières de son évolution.

2.2. Profondeur historique et sédimentation du concept

Notre ambition ne sera pas de retracer la totalité de l’historique du concept, mais il nous parait important d’insister sur deux étapes essentielles dans sa construction, car elles éclairent sa définition actuelle dans le contexte français, avant d’envisager plus précisément les évolutions que la modernité lui a fait subir.

2.2.1. Les premières manifestations de la citoyenneté dans l’Antiquité grecque et le « renversement de perspectives »167 en France au siècle des Lumières

Nous souhaitons en premier lieu exposer dans ses grandes lignes la première approche du citoyen, telle qu’elle s’est manifestée dans l’Antiquité grecque. En effet, comme le souligne Dominique Schnapper, nous devons l’invention de l’idée de citoyen aux Grecs, qui ont pensé et édifié une société abstraite distincte de la société réelle et de ses individus concrets. Cette « utopie créatrice » est fondée sur l’égalité de tous les citoyens par leur statut, quelles que puissent être les différences qui les caractérisent en tant qu’individus concrets. C’est dans ce cadre que le respect de la loi prend tout son sens : dans la mesure où les citoyens sont égaux devant elle et jouissent d’un droit égal à son élaboration, la soumission à la loi n’est plus la soumission à un homme, autonomie et liberté sont donc garanties168. Si l’on souhaite étudier ne serait-ce que brièvement les fondements de la citoyenneté en Grèce antique, il est indispensable de se pencher sur la définition de la Cité grecque, qui a constitué le cadre de vie et de réflexion des Grecs. Loin d’être homogène, la population de la Grèce antique se composait de nombreuses ethnies différentes, qui peuplaient le territoire de façon clairsemée. Diversité de la population, mais également caractéristiques géographiques d’un pays au relief morcelé, aux plaines étroites ouvertes sur la mer, comptant de nombreuses îles, expliquent la présence sur le sol grec d’une multitude de petits Etats indépendants.

« (Ces populations) formaient des sociétés différentes les unes des autres par leurs croyances, leurs modes de vie et de gouvernement, mais elles avaient en commun une chose fondamentale qui était l’organisation en polis, en cité, qui était considérée comme les différenciant radicalement des Barbares qui ne connaissaient pas la cité. » 169 (D.-G. Lavrov, 1999).

La mise en place d’une citoyenneté active se serait alors opérée en trois temps : elle serait passée en premier lieu par la conscience d’appartenir à une communauté qui se distingue des étrangers. C’est ce que nous soulignions à l’instant à travers l’organisation en Cité, que ne connaissaient pas les Barbares. Cette conscience d’un destin commun donna lieu ensuite à l’affirmation d’un certain nombre de garanties pour le citoyen à l’intérieur de sa communauté. Enfin, on assista à l’enrichissement du contenu de la citoyenneté,

167 L’expression est empruntée à Perrenoud P., 2003, L’école est-elle encore le creuset de la démocratie ?, Chronique sociale, p. 20.

168 Schnapper D., Qu’est-ce que la citoyenneté ?, Gallimard, Coll° Folio/Actuel, 2000.

accompagné d’une fermeture progressive de son extension170 (Ruzé, 2000). D’après Dmitri Georges Lavrov, au-delà de la diversité des modalités d’organisations propres à chaque cité, il est possible de dégager quelques-uns de leurs caractères communs :

- chaque cité constituait une unité géographique : elle se composait généralement d'une ville groupée autour d'une colline fortifiée où se trouvaient les temples (Acropolis, acropole), d'une place publique (Agora) où se tenaient les réunions politiques et les repas communs, des campagnes environnantes et des ports essentiels pour l’économie de la cité ; - chaque cité avait sa propre constitution et ses lois particulières. On prête ainsi à Héraclite d’Ephèse la formule suivante, particulièrement révélatrice de l’attachement des citoyens aux lois de leur cité : « Le peuple doit combattre pour ses lois comme pour ses murailles ». Elle avait généralement une religion qui lui était propre ;

- enfin, l’unité de la cité reposait sur un principe d’autarcie qui devait garantir son autonomie.

Nous ne détaillerons pas ici les modalités d’organisation des différentes cités grecques. Par contre, il peut être intéressant de s’arrêter brièvement sur l’exemple d’Athènes, symbolique de par le système politique qui y a vu le jour.

En ce qui concerne la cité athénienne, c’est la décision de Clisthène, en 507 av. J.C., de procéder au découpage de la population sur des critères artificiels, reposant sur le lieu de résidence, qui a permis l’unification du corps social et dans un même mouvement l’émergence d’individus « citoyens ». Alors que les institutions traditionnelles (phatries,

génè) perdent leur poids politique au profit d’un unique rôle religieux, le nouveau découpage donne naissance à une centaine de dèmes regroupés en dix tribus sur une base exclusivement géographique :

« Chaque tribu réalise ainsi le mélange des populations, des terroirs, des types d’activités dont est constituée la cité…l’organisation administrative répond donc à une volonté délibérée de fusion, d’unification du corps social » 171 (Vernant, 1988).

Dans les nouveaux groupes ainsi créés, les responsabilités sont limitées dans le temps et exercées tour à tour par les citoyens. La décision de la Cité toute entière devient la somme des choix individuels : il y a donc bien un double mouvement d’unification par la commune appartenance à un groupe, la Cité, et d’individualisation avec la personnalisation des fonctions, qui font sortir le citoyen de l’anonymat du groupe. L’organisation juridique de la démocratie athénienne repose ainsi sur des principes essentiels : l’isonomia, qui fait

170 Ruzé F., 2000, « Les premières manifestations de la citoyenneté en Grèce », in Invention et réinvention de

la citoyenneté, Actes du colloque international de Pau 9-11 déc. 1998, Université de Pau et des pays de l’Adour, Claude Fiévet (ss la dir.), Ed. Joëlle Sampy.

référence à l’égalité de tous devant la loi, et l’isagoria, qui garantit à tous le droit de prendre la parole devant l’assemblée. Ces deux principes nous paraissent particulièrement structurants du point de vue de la définition de la citoyenneté sous l’angle des droits des citoyens. Remarquons également le rapport étroit qu’établit l’isagoria entre la parole et l’exercice du pouvoir, dans un mouvement d’égalité. Les individus qui composent la polis sont jugés « égaux » quelles que soient leurs ressources et ainsi également dignes de prendre part à la gestion des affaires de la cité, nonobstant leurs différences sociales. Notons qu’il reste, comme on le sait, des restrictions majeures à l’accès à la citoyenneté, réservée aux seuls hommes libres par naissance. Les femmes en sont donc exclues, de même que les esclaves et les étrangers (O. Nay et al., 2005)172.

Une dernière remarque nous guidera vers la conclusion : comme le souligne Françoie Ruzé dans sa contribution, le politès se doit d’être actif politiquement : bénéficiaire de la protection de la cité et détenteur de droits quant à la participation au pouvoir, le citoyen doit contribuer à sa défense. Cette contribution se manifeste du plan financier jusqu’au plan militaire et à la prise d’armes. Ainsi, Solon aurait décidé que celui qui restait passif face aux conflits politiques dans la cité serait déchu de ses droits civiques. On peut donc affirmer que la citoyenneté se mérite (Ruzé, 2000). En fait, moins qu’un statut ou un

ensemble de droits, la citoyenneté athénienne est davantage un pouvoir – pouvoir de participation. C’est en cela qu’elle va de pair avec l’aspiration démocratique. D’ailleurs,

c’est par sa capacité à participer à une fonction judiciaire qu’Aristote choisit de définir le citoyen. C’est aussi la thèse défendue par Bruno Bernardi dans sa contribution « Démocratie et concept fort de la citoyenneté : éléments pour une problématique »173 :

« La définition que donne Aristote de la vertu du citoyen est très déterminée : elle n’est pas vertu d’obéissance, cela serait la vertu du sujet, elle n’est pas non plus vertu de commander, ce serait vertu d’aristocrate, elle n’est pas non plus l’une plus l’autre. Elle est

la vertu de commander propre à celui qui sait obéir, et le doit ; elle est la vertu d’obéir propre à celui qui sait commander, et le peut. Cette définition est solidaire de la façon

dont, dans ce contexte, Aristote définit la politique : une communauté d’égaux (souligné par nous). »174

172 Nay O., Michel J., Roger A., 2005, Dictionnaire de le pensée politique, A. Colin, p. 24.

173 Bernardi B., Démocratie et concept fort de la citoyenneté : éléments pour une problématique, consulté le 11 février 2012 à l’adresse suivante :

http://www.aixmrs.iufm.fr/formations/filieres/ecjs/reflexions/democratieecjs.htm

174 Voici la citation d’Aristote choisie par B. Bernardi à l’appui de son propos : "Mais il existe un certain pouvoir en vertu duquel on commande à des gens du même genre que soi,c’est-à-dire libres. Celui-là nous l’appelons le pouvoir politique ; le gouvernant l’apprend en étant lui même gouverné... Ces deux statuts de gouvernant et de gouverné ont des excellences différentes, mais le bon citoyen doit savoir et pouvoir obéir et commander, et l’excellence propre d’un citoyen c’est de connaître le gouvernement des hommes libres dans ces deux sens ".

Avec la citoyenneté grecque, plusieurs jalons du concept sont posés : les citoyens, en tant que membres de la Cité éligibles à ce statut, disposent de droits et devoirs. La

participation est de ce point de vue symbolique de la réciprocité entre les deux, puisqu’elle

correspond au droit de prendre part à la gestion des affaires de la Cité, qui constitue en même temps le premier des devoirs du citoyen. Le principe d’égalité de droit, et en particulier d’égalité devant la loi, est déjà posé. L’Antiquité romaine fait évoluer la définition de la citoyenneté : le cadre de réflexion n’est plus la Cité, et la citoyenneté ne relève plus d’une conception purement « ethnique ». Plus ouverte, la citoyenneté romaine est accessible aux étrangers, et porte en elle une prétention à l’universalisation, accentuée avec la diffusion du christianisme.

Ce bref survol de la construction de la citoyenneté dans l’Antiquité gréco-romaine suffit à rendre compte de l’épaisseur historique du concept. De ce point de vue, le Siècle des Lumières tient également une grande place pour la compréhension du contexte français. Perrenoud souligne en effet qu’un renversement de perspectives s’opère à la fin du XVIIIème siècle. Dans l’Antiquité,

« être citoyen est un statut, auquel sont attachés des droits et des devoirs, définis dans le cadre d’une cité comme organisation de la vie commune »,

et la citoyenneté n’est pas une obligation :

« On pouvait vivre sans être citoyen. C’était le statut le plus enviable, pas le seul possible. La notion de citoyenneté nous vient d’une époque où l’on ne rêvait pas, au contraire, que tous soient citoyens. La démocratie antique se limitait au cercle restreint des citoyens, nul ne souhaitait l’élargir par souci d’égalité. » (id., p. 20).

Avec la Révolution française, la citoyenneté ne relève plus d’un choix, et constituera de moins en moins un privilège, au fil de l’extension de son attribution automatique à la majorité « civique », « d’abord aux hommes autochtones, ensuite aux femmes et aux résidents, avec une tendance à l’abaissement de l’âge limite » (ibid.). Perrenoud synthétise le renversement de perspectives en ces termes :

« Alors que la citoyenneté n’était accordée qu’à ceux qui donnaient des gages suffisant de civisme, il s’agit désormais de préparer à être de bons citoyens tous ceux qui deviendront

de “ simples citoyens ” sans avoir rien demandé. Plus le cercle s’élargit aux classes

populaires et aux gens nés ailleurs, moins on peut faire confiance à leur éducation familiale. D’où un enjeu d’instruction et de socialisation qui dépasse la famille et se

trouve au principe de l’éducation civique confiée à l’école. Dans le cadre de

l’État-Nation, censé regrouper des citoyens, l’école est chargée de les former à ce rôle, c’est même le moteur principal de son extension au XIXème siècle. » (id., p. 20-21).

Au XVIIIème siècle, Condorcet s’est d’ailleurs attaché à définir les contours de la citoyenneté républicaine en étant particulièrement attentif au rôle que pouvait et devait jouer l’Ecole dans l’édification des citoyens. Dans ses Cinq mémoires sur

l’instruction publique, le philosophe rappelle qu’ « instituer » la citoyenneté revient à « fonder » la citoyenneté, en s’appuyant notamment sur l’ « instruction ». On retrouve d’ailleurs la même racine, « -st », comme référence à ce qui est solide, stable, fixe dans les termes « instituer » et « instituteur » (comme dans « institution », « stabilité », etc). Le lien est donc établi entre la formation de la citoyenneté et l’Ecole. Mais ne nous y trompons pas : si la racine « st » fait référence à la stabilité et à la fixité, la citoyenneté est quant à elle en perpétuel mouvement : en effet, selon Condorcet, « le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger »175. L’Ecole doit donc, par la qualité de l’instruction qu’elle dispense, former l’esprit critique de ses élèves, de telle sorte qu’ils soient capables non

seulement de connaitre les lois mais au besoin de les amender. Le régime républicain

devrait accepter de se laisser juger à l’Ecole et par l’Ecole : il est ainsi possible et souhaitable d’instituer la citoyenneté sans recourir à la transcendance, en se tournant vers