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Quelques définitions utiles sur l’oral

Partie 2 – Fondements théoriques : une approche pluridisciplinaire

1. Quelques définitions utiles sur l’oral

Poser des bases définitoires en ce qui concerne des termes comme dialogue/communication/conversation/discussion n’est pas une opération facile, notamment en raison de la multiplicité des sens qu’ils prennent en fonction des approches retenues. Cela nous parait pourtant essentiel du fait de la proximité sémantique que ces termes entretiennent. Nous poursuivrons cette phase de mise au point terminologique par l’exploration de quelques concepts qui figurent au cœur de notre ancrage théorique, de type pragmatique et interactionniste. Enfin, par mouvements concentriques vers l’objet de notre recherche, nous porterons l’analyse sur le terrain scolaire, en examinant les caractéristiques de l’oral dans la classe.

Notre démarche nous conduira généralement à commencer par la définition usuelle des termes, telle qu’elle est fournie dans un dictionnaire comme le Trésor de la Langue

Française Informatisé (désormais T.L.F.I.), pour ensuite cerner les spécificités de leurs usages grâce à des dictionnaires spécialisés comme le Dictionnaire de didactique du

français langue étrangère et seconde115 (sous la direction de Jean-Pierre Cuq) ou bien le

Guide terminologique pour l’analyse des discours. Lexique des approches pragmatiques du langage116 de Violaine De Nuchèze et Jean-Marc Colletta. L’ouvrage de Robert Vion,

La communication verbale117, fait également partie des ressources que nous mobiliserons pour mener à bien notre entreprise.

115 Cuq J.-P. (ss la dir.), 2003, Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, Asdifle/CLE international, Paris.

116 Nuchèze (de) V., Colletta J.-M., 2002, Guide terminologique pour l’analyse des discours. Lexique des

approches pragmatiques du langage, Peter Lang, Berne.

1.1. Premiers éléments de différenciation terminologique

Nous cherchons à poser les premières bases définitoires concernant le dialogue et la communication118, puis à dégager les principales caractéristiques de la conversation et de la discussion.

1.1.1. Dialogue et communication Le T.L.F.I. définit le dialogue comme

« une communication le plus souvent verbale entre deux personnes ou groupes de personnes »,

et désigne comme antonymes les termes « monologue », « soliloque ». Cette définition, à l’extension très large, va dans le même sens que celle avancée dans le Dictionnaire de

didactique du français, qui fait du dialogue un « hyperonyme renvoyant à la forme la plus commune de communication interpersonnelle » (Cuq (ss la dir.), p. 69), englobant la conversation, mais aussi le débat, l’entretien, etc. Le T.L.F.I. lui-même, lorsqu’est abordée l’entrée syndicale et politique, définit le dialogue comme une

« conversation, discussion, négociation menée avec la volonté commune d’aboutir à une solution acceptable par les deux parties en présence ».

Parmi les nombreuses acceptions que le terme admet et qui envisagent entre autre le dialogue comme une forme (périodicité, structure alternée, etc), un processus finalisé et ouvert, un outil/objet didactique, les auteurs du Guide terminologique pour l’analyse des

discours soulignent qu’il peut être posé comme un idéal, perceptible dans l’expression « homme de dialogue », avec une dimension « idéologique, éthique, voire militante », mise en avant par exemple dans le « dialogue des cultures ». V. de Nuchèze et J.-M. Colletta citent à ce titre Habermas : « le dialogue est la situation idéale de parole qui fonde le consensus social » (Nuchèze (de), Colletta (ss la dir.), p. 45).

Posé comme un objet de recherche, le dialogue se teinte d’acceptions spécifiques en fonction des approches qui sont retenues : ainsi, l’analyse conversationnelle va considérer le dialogue comme « un système organisé, une structure alternée de tours de parole et d’échanges sur fond de règles dépendant de la culture d’origine des locuteurs » (Cuq (ss la dir.), p. 69), et la mouvance interactionnelle s’intéresse à la dimension conjointe de l’activité qui s’y joue, à la co-construction des sujets, des significations et des contextes qu’il met en œuvre.

118 Ces cadrages terminologiques seront précisés dans le chapitre suivant, consacré à l’interaction et à l’approche interactionniste, en lien avec le contexte scolaire.

La communication, quant à elle, sur laquelle nous reviendrons au chapitre suivant pour l’envisager en contexte scolaire, signifie en contexte usuel « l’action de communiquer quelque chose », et « l’action de communiquer avec quelqu’un ou quelque chose ». L’accent est donc mis sur la transmission d’un message, et la mise en relation de deux interlocuteurs. On pense bien entendu à la langue comme code de communication, et le

T.L.F.I. indique d’ailleurs sous l’entrée « linguistique, psychologie, sciences sociales » que la communication fait référence au

« processus par lequel une personne (ou un groupe de personnes) émet un message et le transmet à une autre personne (ou groupe de personnes) qui le reçoit, avec une marge d'erreurs possibles (due, d'une part, au codage de la langue parlée ou écrite, langage gestuel ou autres signes et symboles, par l'émetteur, puis au décodage du message par le récepteur, d'autre part au véhicule ou canal de communication emprunté) ».

La définition retenue par ce dictionnaire n’est pas sans rappeler les travaux de R. Jakobson et son « schéma de la communication », qui évoque « la circulation d’un message entre un émetteur et un récepteur via un canal et au moyen d’un code ». Comme le soulignent les auteurs du Dictionnaire de didactique du français, cette conception tend aujourd’hui à être remplacée par une autre, plus dynamique, qui considère que l’information, au lieu de résulter d’un simple « transfert » entre un émetteur et un récepteur, « s’élabore, s’échange et se négocie entre des partenaires dans le cadre d’une interaction sociale » (Cuq (ss la dir.), p. 47). Le récepteur n’est plus envisagé comme passif, il joue un rôle actif dans la communication. L’ensemble de ces éléments seront repris et développés dans le chapitre suivant.

Ces premiers éléments de définition concernant le dialogue et la communication étant posés, nous allons nous attacher dans les lignes qui suivent à la distinction conversation/discussion.

1.1.2. Les deux « piliers » de la communication : la conversation et la discussion

Dans le langage usuel, la conversation fait référence à un « échange de propos, sur un ton

généralement familier et sur des thèmes variés, entre deux ou plusieurs personnes » (T.L.F.I.). Plusieurs traits méritent d’être soulignés : d’après cette première définition, la conversation possède un caractère informel, tant par rapport à son contenu que vis-à-vis de sa forme, et peut associer plus de deux interlocuteurs. Dans son ouvrage consacré à la communication verbale, Vion reprend, formalise et complète ces premiers jalons, en soulignant que la conversation se caractérise par la mise en jeu d’un rapport de places symétrique, une très forte prééminence de la coopérativité vis-à-vis de la compétition, une

finalité de type interne, centrée plutôt sur le contact et engendrant une implication modérée des interlocuteurs vis-à-vis des contenus des échanges, et une apparente « informalité » de fonctionnement (Vion, 1992, p. 135). Dans le Dictionnaire de didactique du français, les auteurs insistent sur la place de choix qu’occupe la conversation dans l’analyse des interactions verbales, dont elle semble la « forme prototypique » par son caractère nettement verbal, et notamment en pragmatique interactionniste. On parle ainsi d’analyse conversationnelle, pour désigner l’attention portée aux formes et au déroulement des interactions, ou encore dédiée à l’analyse de fonctionnements langagiers, cognitifs, sociaux (Nuchèze (de), Colletta (ss la dir.), 2002, p. 15).

La discussion, quant à elle, est définie dans le T.L.F.I. comme « l’action de discuter, d’examiner en faisant preuve d’esprit critique », ou encore une « conversation vive, altercation entre personnes ne parvenant pas à se mettre d’accord ». On notera aisément que contrairement à la conversation, la discussion ne semble pas revêtir un caractère badin et familier : décrite comme vive, elle met en jeu des arguments contradictoires. Vion souligne qu’elle présente un plus grand caractère de complexité que la conversation, ce qui se traduit sur le plan des critères qui la définissent, qui sont variables : le rapport de places en son sein peut être de type complémentaire ou symétrique, elle peut être à dominante consensuelle (coopérativité) mais aussi conflictuelle (compétitivité), de nature informelle (se rapprochant de la conversation) ou plus régulée (à la manière du débat). En terme de finalité, on retrouve une forme d’ambivalence : de type interne, car les contenus sont discutés pour eux-mêmes, mais aussi externe lorsque des enjeux symboliques ou des prolongements sous forme d’actions sont impliqués (Vion, 1992, p. 137). Vion clôt son analyse de la conversation et de la discussion en les posant comme les « deux piliers de la communication », la première étant centrée sur le consensus, et représentant un « instrument de cohésion et de réaffirmation du tissu social et des identités »119, la seconde sur l’expression de la divergence. Les travaux de J. Habermas vont dans le même sens, mais celui-ci instaure plutôt une dichotomie communication/discussion, en distinguant l’échange langagier ordinaire, orienté vers l’intercompréhension, de la discussion, qui fait intervenir l’argumentation pour examiner les éléments qui posent problème120. Dans tous les cas, la communication est envisagée comme un pilier de la vie sociale, garante de la stabilité des sociétés.

119 ibid.

Au-delà de ces premières clarifications terminologiques, il nous faut à présent considérer plus précisément quelques-unes des implications de l’ancrage pragmatique et interactionniste que nous avons retenu : il s’agira dans un premier temps d’envisager la définition et les liens qu’entretiennent les termes de « statut », « rôle », « place » et « face » dans l’interaction, puis de se pencher sur les actes de langage.

1.2. Premières implications d’un ancrage pragmatique et interactionniste

Nous étudierons dans un même mouvement les notions de « statut », de « place », mais aussi de « rôle » et de « face », car ils entretiennent des rapports étroits.

1.2.1. Statut, place, rôle et face dans l’interaction

Dans leur Dictionnaire critique de la sociologie, Raymond Boudon et François Bourricaud121 définissent le statut comme une donnée sociologique stable, désignant l’ensemble des relations sociales qu’un individu entretient avec les autres, ces relations pouvant être égalitaires ou hiérarchiques. Vion relie quant à lui le « statut » aux différentes positions sociales qu’un sujet assume, à ses « attributs sociaux » (Vion, 1992, p. 78). Partant des propositions de Ralph Linton122, qui envisage différents types de positions - celles concernant l’âge, le sexe, l’activité professionnelle, les relations familiales, associatives, et les positions de prestige -, et qui distingue le statut actuel (référant à la position actualisée par l’individu dans l’interaction) et les statuts latents (c’est-à-dire les autres positions, qu’il peut occuper en d’autres situations mais qui ne sont pas actualisées dans l’interaction), Vion note qu’il serait préférable d’utiliser le mot « statuts » au pluriel, et qu’il est d’ailleurs possible d’actualiser deux statuts différents lors d’une même interaction. Un médecin peut ainsi actualiser à la fois le statut correspondant à son activité professionnelle mais aussi celui qu’il occupe en tant qu’ami, avec des hiérarchies opposées des deux statuts en fonction de la nature de l’interaction (consultation ou conversation par exemple). Le chercheur nous invite également à nuancer voire dépasser la dichotomie qui oppose les positions « statutaires » (« objectives », « externes » à l’interaction) et les places « interactives » (occasionnelles, internes à l’interaction, liées au « hasard » des échanges). En effet, cette dichotomie ne permet pas de rendre compte précisément du caractère

interactif de l’échange, qui implique qu’un positionnement ne s’opère pas de manière isolée et unilatérale, mais nécessairement en corrélation avec le positionnement

121 Boudon R., Bourricaud F., 2000, Dictionnaire critique de la sociologie, P.U.F., cité par Nuchèze (de) V., Colletta J.-M., op.cit., p. 133.

complémentaire du partenaire de l’échange. Alors que le terme de « place » permet d’englober les différentes positions, qu’elles soient statutaires ou interactives, et fait preuve de souplesse et de plasticité par son caractère négociable et évolutif, c’est l’expression « rapport de places », initiée par François Flahaut, qui parait la mieux à même d’appréhender

« le positionnement comme une entité relationnelle, alors que le terme de place, utilisé seul, pouvait renvoyer plus volontiers à l’analyse sociologique « objective » d’un individu voire même, à une problématique du sujet libre, conscient et volontaire » (Vion, 1992, p. 80).

En fait, la place revendiquée par un interactant s’inscrit nécessairement à l’intérieur d’un rapport de places, l’interaction pouvant se définir comme le lieu où s’actualisent et se jouent ces rapports de place (Nuchèze (de), Colletta, p. 134). Selon Flahaut123,

«chacun accède à son identité à partir et à l’intérieur d’un système de places qui le dépasse ; ce concept implique qu’il n’est pas de parole qui ne soit émise d’une place et convoque l’interlocuteur à une place corrélative ; soit que cette parole présuppose seulement que le rapport de places est en vigueur, soit que le locuteur en attende la reconnaissance de sa place propre, ou oblige son interlocuteur à s’inscrire dans le rapport. » (Flahaut, 1978, p. 58 in Vion, id., p. 80).

Vion voit donc dans l’analyse menée en termes de rapports de places un moyen pertinent de dépasser la dichotomie entre les déterminations externes des places, antérieures à l’interaction (enseignant, médecin, etc) et les déterminations internes, liées aux places que les interactants négocient les uns par rapport aux autres pendant l’échange. « L’espace interactif entre deux sujets pourrait alors reposer sur la coarticulation de plusieurs rapports de places » (Vion, 1992, p. 107), variables en fonction des caractéristiques de la situation, plus ou moins institutionnelles/informelles.

Si la relation n’est plus pensée comme la rencontre de deux statuts mais comme la coexistence de positionnements évolutifs, liés à la fois au « social extérieur » et à « l’intérieur interactionnel », la négociation occupe une place centrale. Celle-ci se fait sur la base de la circulation d’ « insignes de place » (chez Flahaut), de « taxèmes » (chez Kerbrat-Orecchioni). Selon cette dernière, les rapports de place sont ainsi liés par

« un certain nombre de faits sémiotiques pertinents (appelés) « taxèmes » (ou plus trivialement « placèmes ») lesquels sont à considérer à la fois comme des indicateurs de place (i.e. des indices, ou des « insignes » pour reprendre la terminologie de Flahaut), et des donneurs de place (qu’ils « allouent » au cours du développement de l’échange). » (Kerbrat-Orecchioni, 1990, p. 321).

Enfin, comme le rappellent de Nuchèze et Colletta, on peut distinguer parmi les taxèmes, les taxèmes verbaux (marques de l’énonciation, termes d’adresse, apostrophes, verbes

performatifs) et non verbaux (tours de parole, proxémie, regards, attitudes corporelles,

etc).

Dans une représentation de la communication envisagée à partir de bases conceptuelles empruntées à la dramaturgie, la vie sociale étant conçue comme une scène, il nous reste à définir le « rôle », en articulation étroite avec la notion de « face ». Précisons d’emblée que cette conception s’enracine dans un renouvellement de la conception du sujet initié par les courants sociologiques américains à partir des années 1950/1960 (notamment l’école de Chicago), sujet qui n’est plus posé comme une substance homogène et identique en toutes circonstances, mais plutôt comme une pluralité de « soi », construits dans et par la vie sociale, et en particulier la communication. Une première définition, issue des travaux de Linton, permet de différencier le « rôle » du « statut », en mettant l’accent sur la variabilité et le caractère occasionnel du premier, qui correspondrait en quelque sorte au « versant

dynamique du statut » (Nuchèze (de), Colletta, p. 134). Linton estime en effet qu’il correspond à

« l’ensemble des modèles culturels associés à un statut donné. Il englobe par conséquent les attitudes, les valeurs et les comportements que la société assigne à une personne et à toutes les personnes qui occupent ce statut. (…) En tant qu’il représente un comportement explicite, le rôle est l’aspect dynamique du statut : ce que l’individu doit faire pour valider sa présence dans ce statut. »124.

Mais ce sont surtout les travaux d’Erving Goffman qui seront au cœur de notre propos dans les lignes qui suivent. En filant la métaphore théâtrale pour décrire les interactions du quotidien lorsqu’elles se produisent en « face à face », le sociologue pose que les acteurs sociaux y endossent des rôles variables selon les situations (au travail, dans un diner entre amis, dans une soirée mondaine, à leur domicile, etc). Dès la préface de son premier ouvrage, il décrit son projet en ces termes :

« La perspective adoptée ici est celle de la représentation théâtrale […]. J’examinerai de quelle façon une personne, dans les situations les plus banales, se présente elle-même et présente son activité aux autres, par quels moyens elle oriente et gouverne l’impression qu’elle produit sur eux, et quelles sortes de choses elle peut ou ne peut pas se permettre au cours de sa représentation. »125

D’après Vion, le rôle serait ainsi « une sorte de programme culturel de nature cognitive, destiné à faciliter la gestion d’un type d’échange » (Vion, 1992, p. 35). En effet, dans la

124 Linton R., op.cit., p. 71-72, cité par Vion R., op.cit., p. 82.

125 Goffman E., 1973, La mise en scène de la vie quotidienne, tome I : La présentation de soi, Paris, Editions de Minuit (trad. Française), p.9.

même préface, Goffman précise :

« Lorsqu’un individu est mis en présence d’autres personnes, celles-ci cherchent à obtenir des informations à son sujet ou mobilisent des informations dont elles disposent déjà […]. Cette information n’est pas recherchée seulement pour elle-même, mais aussi pour des raisons très pratiques : elle contribue à définir la situation, en permettant aux autres de prévoir ce que leur partenaire attend d’eux et corrélativement ce qu’ils peuvent en attendre. Ainsi informés, ils savent comment agir de façon à obtenir la réponse désirée. »126.

La notion de « rôle » ne peut donc pas être appréhendée au niveau de l’un des participants de l’échange : les rôles impliquent en effet des positionnements complémentaires, et un individu ne peut par exemple jouer le rôle d’enseignant(e) que vis-à-vis d’autres individus, auxquels est attribué corrélativement le rôle d’élèves. D’autre part, si les individus s’efforcent de définir la situation de l’échange, de prévoir « ce que leur partenaire attend d’eux » et « ce qu’ils peuvent en attendre », c’est qu’ils mettent en jeu à chaque interaction des images d’eux-mêmes, des identités sociales qu’ils s’efforcent de préserver dans la mesure où elles peuvent subir des atteintes. C’est dans cette configuration que la notion de « face » prend tout son sens :

« On peut définir le terme de face comme étant la valeur sociale positive qu’une personne revendique effectivement à travers la ligne d’action (…). La face est une image du moi (souligné par nous). »127

Plus précisément, les individus veillent à protéger leur propre face en adoptant une ligne de conduite conforme aux attentes anticipées des autres individus, tout en préservant dans le même temps celle de leur partenaire. L’ensemble des procédés mobilisés dans cette entreprise, à la fois verbaux et non verbaux, est rassemblé sous le vocable de « figuration ». Goffman distingue les échanges confirmatifs, au cours desquels « les deux sujets sont invités à effectuer conjointement des actions de même nature » (par exemple les salutations), et les échanges réparateurs, « menaçant pour l’ordre expressif dans la mesure où ils prennent leur origine dans une demande qui équivaut à une sommation » (Vion, 1992, p. 40). Dans cette seconde catégorie d’échanges, les processus de figuration jouent un rôle central dans la mesure où ils sont mobilisés pour atténuer la menace pesant sur les faces des interactants. Les auteurs du Dictionnaire de didactique du français exposent les prolongements des travaux de Goffman sur la notion de « face » (en particulier initiés par Penelope Brown et Stephen Levinson), en distinguant la face positive, qui comprend les images valorisantes de soi que l’individu s’efforce de donner aux autres participants, et la face négative, constituée par l’espace personnel (corporel, social, affectif, matériel

126 Goffman E., id., p.11.

etc) (Cuq (ss la dir.), 2003, p. 101) : même le fait d’adresser un compliment peut représenter une menace pour celui à qui il est adressé dans la mesure où il représente une intrusion dans son espace, dans son territoire. Ici apparait clairement le lien que l’on peut tisser entre ces développements et la pragmatique, qui envisage la parole en elle-même comme une action, et plus précisément les actes de langage, qui peuvent être menaçants pour la face positive de celui qui les accomplit comme de celui qui les reçoit. C’est ainsi