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4. Soudure : retour sur le cadre

4.3. S YMBOLISATION ET INSTITUTIONS

4.3.3. Se tenir, tenir debout

Nous avions souligné la différence entre institution et dispositif, entre l’école et la psychanalyse à partir des commentaires que faisait Paturet (2012, p. 55) sur l’étymologie de ces termes. Si la racine indo-européenne d’institution, « sta », signifie « être debout », nous avons analysé comment la solidité, la stabilité peuvent devenir ordre et conversation, normalisation voire domestication. Or, à l’Institution-Toute se substitue un réseau d’institutions qui viennent désengluer, délier les imaginaires et devenir quelque chose de l’ordre de dispositifs, espaces de liberté, au sens où l’entend Paturet.

L’institution comprise dans sa dimension symbolique assure ce qu’Imbert (2010, p. 131) qualifie de « s’tenir ». La forme réfléchie permet de distinguer « se tenir », « d’être tenu ». Il s’agit que le sujet tienne debout même adossé aux institutions. L’enjeu est ici l’Homme debout, l’Homme digne. Imbert nous renvoie au signifiant in-stituteur, arrêté durant la période révolutionnaire (1792), comme

« celui qu a le souci des in-stitutions aptes à mobiliser et à soutenir le s’tenir des enfants comme le sien. S’tenir engage à ne pas se dérober à la marque de la castration, de se séparer, se mettre en marche, s’ouvrir à la dimension du « avec » Marque et marche appartiennent à un même thème : mark : « signe » en germanique, marka : « signe marquant une frontière » ; markôn : « laisser des empreintes sur le sol » L’homme qui marche de Giacometti... »

L’auteur poursuit en citant J. Oury90

« ce qui fait que l’homme n’est pas un animal c’est qu’il a et la parole et le geste, et la main, et la marche, et qu’il tient droit, debout ».

J. Oury reprend dans Il donc cette question de « porter-tenir ». Elle n’est pas une question de maternage dans le sens où ce qui est en jeu, pour le psychiatre-psychanalyste, « c’est tout le vecteur » dans le sens du « halage », du « halten »

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« Liberté de circulation et espace du dire » Extrait du Site officiel des Ceméa - Mouvement national d'éducation nouvelle http://www.cemea.asso.fr [consulté le 10 mai 2014]

« c’est aussi bien lâcher, retenir, partir à la recherche ; comment pourvoir orienter pour qu’il y ait reconstitution à partir d’un système transitionnel, comment pourvoir arriver à ce qu’il y ait « partir à la recherche ». (1998, p. 76)

L’enjeu pour dans la clinique du psychotique est de porter « sans tomber dans quelque chose qui clôture ». Nous pouvons reprendre cette proposition pour tout sujet. Nous avons croisé bien des enfants qui avaient du mal avec leur propre portage sans être psychotiques pour autant. Cela rejoint le « holding » de Winnicott ou la « fonction phorique » de Delion tout en ajoutant cette dimension de vecteur, d’orientation plutôt que de visée ou de but qui sous- tendent que le point d’arrivée est déjà fixé.

Dans un repositionnement dans le champ pédagogique, Canat (2011) développe le concept d’ « obstacle psychopédagogique ». Outre qu’il nous permet de nous situer en dialogue avec le concept de symptôme propre à la psychanalyse et la médecine tout en nous en distinguant, l’étymologie d’obstacle nous renvoie au thème « de tenir ». La racine latine « obstaculum » signifie « obstacle, empêchement » et dérive de « obstare » «se tenir devant», composé de « ob » «devant» et stare «être debout, dressé».91 Ainsi cet obstacle peut devenir ce sur quoi on peut s’appuyer, se reposer, se repositionner. Il engendre également « une dynamique de pensée où l’après et le franchissement sont indiqués. » Alors que les termes d’échec ou de difficulté nous renseignent plus l’état d’un processus comme manque, impossibilité, l’obstacle nous permet de nous remettre au travail afin de produire des propositions en lien avec l’enfant et la situation.

Nous terminerons cette partie en reprenant un moment de classe où cette dimension du porter- tenir, d’obstacle est mise en jeu. Robinson, un enfant de 9 ans, tombe régulièrement durant les temps de récréation et de jeux périscolaire. Il ne se fait jamais mal au point d’être immobilisé mais ses chutes répétées orientent le regard. Lors du premier passage de ceinture de comportement de l’année, je me vois obliger de mettre mon véto92 à l’obtention de sa ceinture jaune. A cette annonce, son buste et sa tête s’effondrent sur sa table. La matinée touche à sa fin et tous les élèves sortent excepté Robinson qui reste couché sur son bureau. Deux élèves essaient de lui parler et de le réconforter mais rien n’y fait. Je reste avec lui quelques minutes

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http://www.cnrtl.fr/definition/obstacle [consulté le 10/05/2014] 92

Les élèves avaient bien pointé ses progrès en termes d’attitude avec les autres et face aux apprentissages mais Robinson incapable de passer les journées avec nous ne pouvait valider tous les items de la ceinture demandée. Pour autant, la classe vote à l’unanimité son passage de ceinture plus élevée. Après une semaine d’essai, ce n’est pas concluant. Mais la classe vote à nouveau pour que Robinson puisse accéder à une ceinture plus élevée.

alors que les autres descendent. Je lui parle de ce qui vient de se passer. Je lui demande s’il pensait vraiment avoir la ceinture. Il me dit « oui » et puis plus rien. Je monologue. Je le raccompagnerai jusque dans la cour en me demandant dans quel état il rentrera en classe après le repas.

Je retrouve Robinson dans la classe, après la pause de midi, tout souriant avec un drôle de chapeau sur la tête. Il m’indique qu’il est ou qu’il a le chapeau de Napoléon et se met en position de garde à vous. Je lui rends son salut et il part faire le tour de la classe façon marche militaire. Julien lui emboîte le pas. Le tumulte monte. J’essaie de faire asseoir tout le monde.

Robinson veut colorier son chapeau fait de papier blanc. Je lui propose de le peindre. Un atelier de peinture noire est en place au fond pour finir les cartes à gratter. Il s’y rend et commence à peindre le temps que nous finissions le conseil de ceinture. Je le vois ne pas arrêter de peindre. Je lui apporte des feuilles. Il continue. Nous le rejoignons à la peinture. Il continue à peindre me renvoie à Basquiat que nous avons travaillé. Je lui renvoie que son travail me fait penser à un peintre qui s’appelle Soulage qui ne travaille qu’avec du noir. Il me dit ne pas connaître et que donc il n’a pas pu le copier. J’en conviens.

J’ai mis à sécher son chapeau. Il me dit vouloir y mettre du rouge. Je lui donne un documentaire contenant des images de Napoléon. Il constate qu’il lui faudra faire un liseré jaune.

J’ai le temps de reparler avec lui de sa ceinture. Je relativise cet « échec ». Je parle de sa douleur, du statut de la ceinture blanche, de ses progrès, du fait que des élèves de la classe s’occupent de lui. Il me dit que ce qui l’embête c’est que son père pensait qu’il pourrait l’avoir. Je lui demande s’il souhaite que j’écrive un mot à son père pour lui expliquer. Il me répond : « oui ».

Nous continuons son chapeau durant la récréation. Assis ensemble, il a ce mot : « je fais de « l’histoire manuelle » ». Je lui dis que je trouve son mot génial. Et qu’effectivement il fait de l’histoire en construisant un « chapeau Napoléon ». Il essaie son chapeau, le quitte et une fois fini, il le pose et s’en va jouer, dans la cour, avec d’autres enfants de la classe.

Dès son retour de récréation, il poursuit son chapeau à sa place. Il est avec nous. J’ai l’impression que nous l’entourons, voire que nous faisons contenance. Sa table est pleine : scotch, feuilles de couleur… Il sort en fin de journée avec son chapeau.

Robinson s’effondre mais n’éclate pas en morceaux. Peur imaginaire du maître ? Il a déjà montré qu’il pouvait tout emporter dans des moments de « crise ». Mais contrairement à ma peur, il revient même très vertébré à l’image du pas cadencé et du salut militaire qu’il me fait. Suis-je assigné au grade de général, de chef ? La dimension symbolique du véto aurait-il pu lui permettre de prendre appui ? En même temps, le véto a été la rencontre d’un point de butée, bien réel en chair et en os. En lui rendant son salut, nous reprenons contact. La peinture puis le documentaire nous permettent de revenir dans la réalité de la classe. Le jeu de rôle tombe et chacun reprend un rôle conforme à la vie de la classe. En outre, le registre de la culture via le chapeau de Napoléon fonctionne et prend le relais à l’imaginaire. Il devient même médiation entre nous, puisque, il nous permet un échange sur sa place, sur la mienne, sur ce qui l’affecte et ce qui le porte.

De retour de week-end, Robinson me dit du tact au tact : « Tu as fait pleurer mon père ! » Un épisode personnel me permettra d’associer ces larmes que j’aurais tirées, provoquées à « tirer l’alarme ».