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3. Penser l’archaïque et l’originaire freudiens

3.1. L E MYTHE DE LA HORDE PRIMITIVE

3.2.2. L’expérience de la satisfaction

Freud fonde sa théorie du fonctionnement psychique sur les concepts qui nous avons présentés à savoir que « les représentations propres à la névrose ont un « caractère

quantitatif » et d’autre part, « les processus à l’œuvre (excitation, substitution, conversion,

décharge) suggèrent la mobilité de cette quantité ». (Balestrière, 2008, p. 38)

Selon Freud, le système neuronique primaire fonctionne comme un arc réflexe : « tout stimulus sensible, toute réception de quantité est contrecarré par la stimulation des mécanismes musculaires qui en déchargent la quantité ». (Balestrière, 2008, p. 38) Ainsi, le système neuronique vise à se maintenir dans un état de non-excitation. Freud fait de ce processus de décharge la « fonction primaire du système neuronique ». Deux principes régulent le fonctionnement psychique primaire : le principe d’inertie et le principe de constance.

Néanmoins, si le stimulus venant de l’extérieur peut être déchargé d’après le schéma de l’arc réflexe, l’appareil psychique ne peut pas « gérer en circuit fermé ses excitations endogènes » (Balestrière, 2008, p.47) comme le besoin de nourriture. Freud avance que « ces excitations ne cessent que si des conditions bien déterminées se trouvent réalisées dans le monde extérieur ».

Pour penser cette proposition, il faut se référer à l’image du nourrisson au sein de sa mère comme l’archétype de l’expérience de satisfaction. A travers cette scène, le nourrisson fait l’expérience de la satisfaction mais également de « l’apaisement ». Balestrière (2008, p. 50) distingue les deux aspects de l’expérience de satisfaction. La satisfaction renvoie à un « avoir assez » que constitue l’objet nourriture par exemple. L’apaisement renvoie, lui, à un « mieux- être » qui se matérialise par « une action spécifique, comme une réponse aux activités musculaires » du nourrisson.

« La décharge qui a pour but l’extinction de la stimulation acquiert, grâce à l’action spécifique, fonction de communication, d’échange, de « compréhension mutuelle » pour reprend le mot de Freud. Selon Balestrière (2008, p. 51), « l’« action spécifique » « aurait l’apanage de lier » la tendance originelle, tendance à l’inertie,

« en introduisant un rythme entre le contact apaisant et la rupture du contact potentiellement tendant à l’inertie. L’expérience de satisfaction constituerait dès lors

l’expérience prototypique permettant la mise en œuvre du principe de constance, en tant que « forme modifiée », c’est-à-dire liée, du principe d’inertie. Rappelons que la définition même du principe de constance est énoncée à partir de la nécessité de théoriser le fait que le système neuronique a besoin d’emmagasiner une quantité d’énergie suffisante à « satisfaire les exigences d’un acte spécifique.» »

Nous percevons donc une différence entre le principe d’inertie qui viserait la décharge complète afin de revenir à un état de non-excitation et le principe de constance qui aurait pour fonction de maintenir une certaine quantité d’énergie à l’image d’un réservoir à énergie disponible. De plus, cette énergie doit être maintenue à un niveau suffisamment bas mais à un niveau constant. Or, par cette lecture, Balestrière relie les dimensions spatiale et temporelle : à « constant », l’auteur associe « continu ». D’où la notion de rythme qui apparaît dans ses propos.

Ainsi « l’action spécifique » maternelle semble

« rendre possible l’établissement d’une certaine continuité, de sorte que le contact finisse par s’enchaîner à la rupture de contact et celle-ci à un nouveau contact. C’est bien cela le rythme, la continuité dans une répétition alternée. » (Balestrière, 2008, p.52)

Balestrière (2008, p.55) fait de la figure de la Mère non pas un objet, comme Freud ou Lacan, mais un moyen, une action permettant « l’expérience d’un mouvement intérieur, d’une action intérieure, l’expérience de l’apaisement d’une tension qui d’insupportable devient supportable etde supportable source de plaisir. » Le nourrisson peut grâce à cette action « retrouver alors un pouvoir d’activité, devant actif alors qu’il était passif, puissant alors qu’il était impuissant ».

L’expérience d’apaisement est « une expérience de transformation. Le moi trouve son origine dans ce plaisir d’apaisement ». Car l’objectif n’est pas l’extinction de l’excitation ou son évitement mais la mise en place d’un « processus qu’est l’apaisement, processus de transformation qui laisse place au plaisir lié à l’activité de la psyché ». (Balestrière, 2008, p. 101).

La transformation de ce trop-plein de quantité d’affect, de sensation apparaît comme une des fonctions du principe secondaire. Or le nourrisson en est dépourvu. Aussi la question se pose de savoir comment s’autonomise cette secondarisation de l’appareil psychique ?

Roussillon (199, p. 159) souligne que le processus contenu dans le mythe de la horde et dans ce qu’il nomme « la métaphore des soins maternels »65 est le même. Ce processus suppose un jeu d’externalisation d’un excès pulsionnel qui est pris en charge par l’extérieur, Winnicott dirait « l’environnement », puis de réinternalisation secondaire.

Cette vision, nous renvoie à l’école anglaise dont Bion et Winnicott en sont des représentants. Bion voit dans la figure de la mère un « contenant-contenu ». Bizot (2008, p. 106) dans l’ouvrage collectif Le développement affectif et intellectuel de l’enfant, indique que

« selon ce modèle, le nourrisson projette dans le bon sein-« contenant », un « contenu » formé par les sensations ou les émotions insupportables, afin de les recevoir à leur retour désintoxiquées et par conséquent plus supportables. »

Ainsi par sa capacité de « rêverie », la mère pourrait « accueillir les projections-besoins du bébé » et ainsi « être plus qu’une source d’aliment, un « contenant » pour tous les ses sentiments de déplaisir, modifiant ainsi les sensations désagréables et le soulageant » (Bizot, 2008, p. 106)

De son côté, Winnicott pense que la mère a une capacité à s’identifier à son bébé qu’il nomme « la préoccupation maternelle primaire » basée notamment sur le développement d’une hypersensibilité. Cette capacité lui permet de réaliser la fonction de « holding » (de « maintien »). Le soutien physique, les routines, les prises en compte ses sensations de l’enfant, les adaptations aux changements de l’enfant lui-même constituent la fonction de « holding »66. Davis et Wallbridge (2012, p. 94) voient dans la fonction de « holding », en termes psychologiques, « un support au moi, particulièrement au stade de la dépendance absolue avant que l’intégration du moi ne soit réalisée ».

Golse (2008, p. 269) résume cela en posant que

« le système pare-excitation de l’enfant se montre d’emblée double : une partie est pris en charge par l’adulte qui assure la fonction maternante (holding, protection,…) tandis qu’une autre partie est prise en charge immédiatement par le bébé lui-même à travers la régulation de ses états de vigilance ».

65

Freud n’utilise que très rarement le terme de « mère » au profit des termes d’ « aide extérieure », « personne bien au courant », « personne secourable » « intervention étrangère ». in Balestrière (2008). Chap. 2 pp. 48-49

66

Winnicott D. W. (1989) « La théorie de la relation parent-nourrisson » Dans De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris : Editions Payot. p. 371

Roussillon (1995, p. 158) développe cette idée en indiquant que ce moment de jeu externalisation/réinternalisation est

« le temps pivot qui évite l’enfermement dans le masochisme originaire d’un côté, et ouvre d’un autre côté à la potentialité de l’organisation d’un topique interne plus complexe et capable d’autogérer une partie de ses propres restes ».

Ainsi ce dernier fait l’hypothèse d’un « fonctionnement transitionnel de la construction du mythe de la horde » ou « des métaphores biologiques, forme de l’originaire de l’archaïque maternel ». Freud aurait à travers ses deux manières de penser la « préhistoire de l’origine » mis en acte dans son travail de pensée, un « processus transitionnel » qui lui aurait permis de « secondairement de réintégrer ce qu’il avait mis en transit ».