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2. Essai de définition conceptuelle du cadre

2.4. G ÉNÉALOGIE ET CADRE DE L ’ ÉCOLE

2.4.3. L’ordre et la discipline

Nous souhaitons revenir au plus près de ce qui fait la réalité de l’école à savoir le travail dans les classes, car il nous apparaît qu’il s’est bâti avec la méthode simultanée quelque chose qui reste collé à l’école et à son fonctionnement actuel. Mis en cause, en son temps, par les pédagogies nouvelles, « l’ordre et la discipline » nous semblent parler de ce qui fait une spécificité de l’Ecole en ce qu’elle accueille un groupe d’élèves.

Cet ordre et cette discipline jouent sur les corps pour venir s’inscrire dans le psychisme. Or, cette dimension est peu évoquée voire évacuée des questions de classe. C’est pourtant dans ce domaine de la fonction de socialisation qu’il se joue aujourd’hui quelque chose dans l’école. Pour autant, cette socialisation n’apparaît que sous la forme de « tenir la classe », et elle commence à peine à être abordée dans les lieux de formation des enseignants français. En 2002, Dubet constatait que cette dimension de socialisation de l’école n’avait pas beaucoup changé depuis les instituteurs jusqu’aux professeurs d’école et pouvait écrire que : « La fonction de socialisation reste stable parce qu’elle s’apprend sur le tas. … le véritable choc du métier c’est d’apprendre à tenir sa classe… » (p. 107)

Mais si c’est d’abord la forme scolaire qui fait la pédagogie, c’est « la discipline qui socialise et éduque à la fois » (Dubet, 2002, p. 91) dans l’école républicaine. La méthode mutuelle n’a pas du être dénigrée parce qu’inefficace. Elle ne devait pas correspondre au « programme institutionnel » mis en place. La place du maître n’était plus la même, celle des élèves non plus. Ces derniers pouvaient désormais apprendre à leurs pairs. La discipline qu’elle requérait n’était plus la même. Chaque méthode a sa discipline ou son absence de discipline jusqu’à la discipline coopérative45 qui exige bien d’autres qualités.

Cette analyse reprend les thèses de Surveiller et punir de Foucault (1975). Ce dernier distingue dans toute discipline deux composantes : les « techniques » et les « dispositifs »46. Les « techniques » imposent les contraintes de temps et d’espace. En ce sens, il s’agit bien d’un cadre qui s’ouvre et qui œuvre toujours. Dans le temps, on répartit le programme, des cycles, des séquences, des rythmes…Dans l’espace, on répartit les élèves, on ordonne les mouvements, on prescrit les postures… On s’adresse dans ces techniques aux corps des élèves. Cet espace-temps est bien le lieu d’une discipline des corps qui s’inscrit dans le psychisme à travers les rythmes, rituels, contention /libération des corps,… Ainsi le rythme de la classe ne supporte pas un temps qui ne serait pas intégralement utile par souci de maîtrise de l’activité et de l’ordre.

Les « dispositifs » disciplinaires visent la surveillance (le maître doit tout voir de peur de la tricherie, de la copie, par sécurité aujourd’hui), la sanction (punir les fautes d’orthographe, les écarts de conduites et de paroles,…), l’examen (vérifier les acquis, les progrès, valider les méthodes), le médium (essentiellement l’écrit à l’école),...

Ces « techniques » et « dispositifs » créent une réalité et donnent à voir les élèves suivant la grille mise en place par ces techniques et dispositifs et qui finissent par définir des caractéristiques d’élèves : sage/dissipé, agité/attentif, méthodique/brouillon, scolaire/non scolaire… En agissant sur les corps, elle relève et définit des comportements. La discipline, nous dit Foucault (1975, p. 162), « dissocie le pouvoir du corps ; elle en fait d’une part une « aptitude », une « capacité » qu’elle cherche à augmenter ; et elle inverse d’autre part l’énergie, la puissance qui pourrait résulter, et elle en fait un rapport de sujétion stricte ».

45De la classe coopérative à la classe institutionnelle cité par Imbert, F. (2010). Vocabulaire pour la Pédagogie

Institutionnelle. Vigneux : Matrice. pp. 81-82

46 Nous empruntons à Jacquet-Francillon (2010, p. 235) cette synthèse des analyses sur les techniques et les

Cette discipline crée également un ordre où l’homogénéisation issue de ce système donne l’image d’un tableau où chacun est à sa place, en somme une image nette et stable. Cette dimension d’ordre, l’Ecole la cultive notamment par le silence imposé dans les écoles chrétiennes lassaliennes tout autant que dans l’école de la République. Il y a quelque chose du sacré dans cette dimension donnant l’impression d’une machine fonctionnant parfaitement où chacun participe au Tout. Celui qui romprait cette harmonie ne pourrait être qu’un renégat, un provocateur ou autre agitateur. Du temple à la bibliothèque, il y règne la même atmosphère.

Ainsi, par la discipline, les élèves sont classés, triés en fonction de leur âge, de leur caractère. Ainsi J.-B. de La Salle dans son ouvrage Conduites des écoles chrétiennes, constitue des typologies d’élèves comme celle s’intitulant : « des enfants qu’il faut ou qu’il ne faut pas corriger ». L’ouvrage établit onze types d’enfants particuliers regroupés en quatre classes envers qui on doit adopter des attitudes adaptées. On peut relever les enfants mal élevés et volontaires, ceux qui sont naturellement hardis et insolents, ceux qui sont éventés et légers,… Il est à noter que les Frères proscrivent les châtiments corporels et tout le mouvement de créations des écoles entend éduquer sans user de la violence.

Ces propos pourraient sembler caricaturaux ou d’un autre temps mais ils nous semblent toujours constituer quelque chose d’un imaginaire auquel le maître actuel doit se référer. En cela, l’Ecole du XXIe siècle est aux prises avec les mêmes questions que celle du passé. La libération des corps dans toute la société et à l’école n’a pas permis de questionner certaines conditions d’apprentissage à l’école. L’élève français à partir du CP est soumis à l’immobilité et très souvent au silence. L’échange entre pairs est encore vu sous le signe du bavardage. La mise en rang, l’impossibilité de circuler librement sont toujours des données actuelles sur lesquelles se construisent les règlements des écoles et la vie dans les classes. Ainsi, ces aptitudes à maîtriser son corps deviennent des pré-requis nécessaires au travail dans les classes. Les enfants et les élèves sont toujours autant assujettis à l’autre dans leur rapport au temps et à l’espace. Modifier ces éléments est souvent synonyme de déstabilisation chez les élèves et leurs parents mais également chez les professeurs. Les expériences restent en marge de l’enseignement général qui ne parvient pas à sortir de pratiques et de conceptions construites sur un ordre et une discipline des corps et donc des comportements.

« Les institutions, en tant que systèmes culturels, symboliques et imaginaires, se présentent donc comme des ensembles englobants, visant à imprimer leur marque distinctive sur le corps, la pensée et la psyché de chacun de ses membres. »

L’institution, la discipline sont les noms du cadre de l’Institution Ecole dont nous sommes les héritiers. L’institution ouvre un pouvoir d’instituer, de symboliser. La discipline crée un espace-temps, une scène sur laquelle le corps de l’élève est pris dans des pratiques visant à l’éduquer.

Cette scène n’apparaît pas comme telle tant ces fondements sont enfouis voire cachés par le mythe qui la fonde. En même temps, ce mythe crée une langue qui ne permet pas de changer ce cadre. La visée universalisante, la dimension rationnelle du propos tendent à cacher la fondation. Nous allons nous attacher à décrire cette emprise du mythe de l’école républicaine à partir des analyses de Giust-Desprairies (2003).

2.4.4. Une approche clinique du malaise des enseignants : le