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2. Essai de définition conceptuelle du cadre

2.4. G ÉNÉALOGIE ET CADRE DE L ’ ÉCOLE

2.4.1. De l’école religieuse à l’école laïque : une même école

Nous inscrivons la mise en place d’écoles au sens contemporain du terme dans le mouvement de grand renfermement qu’a développé Foucault35. En effet, « les petites écoles » se multiplient au cours du XVIIe siècle. Charles Démia à Lyon inaugure un mouvement de créations d’écoles. Les écoles chrétiennes de Jean-Baptiste La Salle36 viendront donner la forme de l’école primaire par sa méthode de l’enseignement simultané, qui consiste pour le maître non plus de s’occuper des élèves un à un -comme c’était le modèle dans les écoles rurales du Moyen Age- mais à diriger les exercices de tout un groupe, homogène, quant à son niveau d’acquisition (si ce n’est quant à son âge)37. En outre, pour se faire, cette méthode met en œuvre des programmes et une discipline scolaires propres à rendre effectif cet enseignement simultané.

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Foucault, M. (1972). Histoire de la folie à l’âge classique. Paris : Gallimard. collection Tel.

Même si la thèse de Foucault est contestée dans la forme et le sens d’un grand renfermement, les sources historiques marquent bien la création à cette période d’écoles pour les enfants du peuple qui viennent radicalement changer la forme scolaire dans sa mise en œuvre et dans sa dimension.

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J.-B. de La Salle écrivit plusieurs ouvrages dans lesquels sont méthodiquement décrits les principes et les méthodes à mettre en œuvre dans les établissements créés par sa congrégation, Les Frères des écoles chrétiennes. Nous pouvons citer Conduite des écoles chrétiennes à partir duquel nous illustrerons nos propos.

37 dir. F. Jacquet-Francillon, R. d’ Enfert., L. Loeffel. (2010). Une histoire de l’école – Anthologie de l’éducation

Cet enseignement est pris en charge par des congrégations religieuses qui œuvrent dans un double mouvement : sortir les enfants de la vie sociale des adultes et en faire un nouveau groupe social pour les protéger tout en s’en protégeant en visant à « éduquer » les âmes de ces petits êtres proches de l’animalité et du démon.

Le mouvement des XVIIIe puis XIXe siècle visant à soustraire l’éducation des congrégations religieuses en créant une école publique et laïque, reste empreint de cette volonté d’une visée civilisatrice dont le nom a changé. On substitue à Dieu, la référence de la Rationalité. Mais ces deux systèmes de pensée font de l’Universel la valeur centrale.

Le paradigme des méthodes d’enseignement des grandes écoles de ville se développe et devient le modèle dominant : un maître, un groupe homogène d’élèves, des programmes par « niveau », une discipline scolaire qui vise à (ré-)éduquer le corps tout autant que l’esprit. Bien avant les Ecoles Normales qui contribueront à fixer et figer un ordre et un imaginaire propre aux maîtres, J.-B. de La Salle avait déjà établi une forme de formation dont les préceptes sont inscrits dans ses ouvrages allant des qualités nécessaires à l’enseignement « aux moyens nécessaires et utiles dont les maîtres doivent se servir pour établir et maintenir l’ordre dans les écoles ». Le maître est un modèle qui doit lui-même « respect et soumission envers l’Inspecteur et le premier Maître étant commandés par la Règle et même par la Raison… »

A noter qu’en termes de fonctionnement de classe, la méthode simultanée n’était pas la seule au début du XIXe siècle. La méthode mutuelle38 qui consistait « à confier à des élèves plus avancés, nommés « moniteurs », de petits groupes de huit à neuf enfants pour qu’ils effectuent une série d’exercices dans une matière donnée », se développe au début du XIXe siècle en Angleterre. La fin du XIXe siècle voit le triomphe de la méthode simultanée : « l’enseignement individuel a presque disparu, le mode mutuel survit à peine et, c’est donc le mode simultané qui s’érige en norme universelle » nous indique d’Enfert et Jacquet-Fancillon dans la notice sur la classe et l’organisation pédagogie. (2010, p. 230)

La classe organisée, structurée par des règles précises va permettre la mise en place d’une discipline scolaire. A noter que la discipline demande un ordre et une structuration à laquelle

38 Pour un plus long développement de cette méthode nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de Querrien, A.

semble ne pas pouvoir prétendre la classe rurale de type « classe unique » de l’Ancien régime. En effet, Jacquet-Francillon (2010, p. 235) dans l’article Discipline et punitions, note :

« là, où le maître exerce dans des conditions précaires, avec des élèves divers, qui viennent auprès de lui successivement tandis que les autres sont dans l’attente ou désœuvrés: telle est la manière archaïque qu’on appelle alors le « mode d’enseignement individuel »

Et l’auteur de poursuivre que « l’instauration d’un ordre de travail collectif et régulier » est « la forme et le fond de la discipline » et prend racine dans les ordres religieux comme les Jésuites ou les congrégations de Frères des écoles chrétiennes que nous mentionnons au début de notre propos.

Cet ordre à établir et à maintenir va jusqu’à prescrire « la structure et l’uniformité des Ecoles et des meubles » (de La Salle, 1706, réed. 1951, p. 119). Le corps va être l’objet de toutes les attentions de la part des maîtres. En ce sens l’école n’est pas seulement le lieu d’apprentissage de connaissances, c’est l’occasion d’une formation de comportements qui formeront l’esprit. Ainsi les élèves doivent marcher dans l’école « les bras croisés, […] posément, sans traîner les pieds sur le plancher ». L’immobilisation du corps dans une position spécifique est requise pour pouvoir faire facilement observer le silence. Le corps devient l’objet d’un contrôle social qui se codifie. Le XVIIe siècle voit se constituer un idéal de la posture que J.-B. de La Salle prescrit :

« Le maître aura égard que les écoliers aient le corps le plus droit qu’il sera possible et qu’ils le penchent que tant soit peu sans toucher la table, le menton puisse être appuyé sur le poing ; il faut qu’ils aient le corps un peu tourné et dégagé vers le côté gauche. Il aura égard qu’ils n’écartent pas leurs bras doit trop loin du corps et qu’ils n’appuient pas leur estomac sur la table»

L’immobilité et le silence deviennent de rigueur. Ils ne sont pas seulement l’objet de comportements nécessaires à l’apprentissage, ils deviennent des moyens d’obtenir une discipline qui forme les esprits et qui maintient l’ordre dans les classes.

Nous pourrions multiplier les exemples et les analyses de cet ouvrage très précis et savant que constitue Conduite des écoles chrétiennes39. Nous voyons par ce court détour historique que l’école de Jules Ferry ne fait que reprendre et généraliser des éléments qui se sont constitués bien avant et portés par l’Eglise. Il nous semble important de relier cet héritage à l’école du

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Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur aux ouvrages de Prairat, E. (1994). Eduquer et punir. Nancy : Presse Universitaire de Nancy et de Poucet, Y. (1995) Genèse et caractéristiques de la pédagogie lassalienne. Paris :Editions Don Bosco

XIXe siècle afin d’une part de sortir du mythe de l’école qui se crée au temps de la République toute puissante afin d’en comprendre les logiques qui inscrivent l’Ecole dans une origine qui ne fait pas rupture avec les écoles pensées par les mouvements religieux. Les signifiants changent mais les logiques restent et avec elles les pratiques et les conceptions de l’enfant à éduquer40.