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2. Essai de définition conceptuelle du cadre

2.4. G ÉNÉALOGIE ET CADRE DE L ’ ÉCOLE

2.4.2. L’Institution Ecole

L’œuvre majeure du XIXe siècle finissant est sans doute de constituer l’école élémentaire comme une Institution et plus précisément, pour paraphraser Dubet (2002, p. 88) comme l’Institution de la République par excellence où son « programme institutionnel y a pris une forme quasiment pure » faisant de l’école élémentaire « une sorte d’incarnation du type idéal de l’institution laïque ».

En constituant l’école élémentaire comme une institution, nous pouvons faire l’hypothèse que c’est désormais l’institution qui aura fonction de cadre. L’institution, création de la Révolution française, pensée par Saint Just pour régler le rapport du plus faible au plus fort41 , relève de cet étai, cette fonction cadre.

C’est d’ailleurs en ce sens, nous rappelle Paturet (2012, p. 55), que la scène psychanalytique se différencie de la scène éducative. La scène psychanalytique renvoie plus à un dispositif alors que la scène éducative relève d’une institution. L’auteur renvoie le terme institution à son étymologie grecque « sta » « tenir debout » et « staurosé », « le pieu ou le pilier », pour en rappeler l’idée de solidité, de stabilité voire de fixité, d’ordre et de conservation. A l’opposé, le dispositif relève pour Paturet du

« site qui rend possible, qui ouvre des champs de possibilités. Il indique une certaine position d’interdépendance, le dispositif dispose, organise, arrange dans un certain ordre, les pièces ou les parties qui le composent. »

Nous pourrions noter à la suite de Dubet (2002) que cette institution possède : un lieu spécifique posé comme un sanctuaire, une formation pour ces agents dont un des principes d’action est la vocation, une organisation, des valeurs d’universalisme et de rationalité, de

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Cette thèse est notamment développée par Dubet (2002).

41 Nous renvoyons le lecteur au livre de Milner, J.-C. (2011). Pour une politique des êtres parlants- Court traité

discipline, des rites, un imaginaire faisant fonction de « cadres cognitifs et moraux ». La force de ce cadre institution vient toujours selon le même auteur de «… sa cohérence et ses capacités magiques de réduction d’un nombre considérable de tensions et de paradoxes ».

Il faut entendre par là que cette institution donne un cadre à penser en ce qu’elle forme un Tout, une cohérence, une stabilité. Mais là où elle a pu apparaître « répressive et intolérable » dans les années 70, on la rêve aujourd’hui dans une forme de nostalgie qui évacue les faits42 et les affects éprouvés lors de son propre parcours scolaire43.

Nous touchons là au pouvoir de l’Institution comme « machine » (Dubet, 2002, p. 47) à transformer

« des valeurs et des principes abstraits, hors du monde, en pratiques et en disciplines, de grands rites spectaculaires parfois lors des inaugurations et des distributions de médailles et de prix, mais surtout, petits rites quotidiens comme les remises de notes aux élèves, … Mille gestes et mille « acte de parole » attribuent des statuts, distribuent des valeurs morales et des biens symboliques transformés souvent en bien matériels, rites de dégradations et rites de salut qui sanctionnent le parcours des élèves, des malades et des pauvres. Le programme institutionnel confère immédiatement un sens à la plupart des gestes et des relations qui constituent la trame banale du travail sur autrui, pour les professionnels et, le plus souvent, pour leurs « objets ». »

Enriquez (2012, p. 66) dans Le travail de la mort dans les institutions44 pose que les

institutions se présentent comme des ensembles culturels, symboliques et imaginaires.

L’institution Ecole républicaine va construire une culture propre aux maîtres passant par les Ecoles Normales véritables séminaires laïcs où les maîtres vont apprendre les codes et les formes de ce qui sera à enseigner tout autant de comment l’enseigner en ce sens que la manière forme autant l’esprit que le contenu. Cette culture va produire un mode de vie qui ira au-delà du métier.

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Un élément nous est apparu « intolérable » voire synonyme de l’inefficacité du système scolaire mais caractéristique de cette institution : en 1962, 52% des élèves rentrant au collège avaient déjà redoublé au moins

une fois. Aujourd’hui attaqué aussi bien par les parents que par les cadres de l’institution elle-même, ce « redoublement » devenu maintien, fait toujours parler les acteurs de l’institution Ecole en termes « de pour ou de contre » !

43 Dans les comparaisons internationales, il apparaît que l’Ecole française est une des écoles où les enfants se

sentent le moins bien dans le sens d’un lieu peu accueillant où les élèves se sentent en échec, pas à la hauteur…

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Dans Kaës, R.(coord.) L’institution et les institutions – Etudes psychanalytiques. publié en 1987 chez Bordas et réédité en 2012 chez Dunod

Pour autant, ce qui fascine et marque les esprits c’est bien cette « machine » et sa « magie» que décrit Dubet. Enriquez (2002, p. 67) montre qu’il s’agit de l’effet symbolique propre aux institutions.

« Une institution ne peut vivre sans sécréter un ou des mythes unificateurs, sans instituer des rites d’initiation, de passage et d’accomplissement, sans se donner des héros tutélaires (pris souvent parmi les fondateurs réels ou les fondateurs imaginaires de l’institution), sans raconter et/ou inventer une histoire qui tiendra de mémoire collective : mythes, rites, héros sagas ayant pour fonction de sédimenter l’action des membres de l’institution, de leur servir de système de légitimation et de donner ainsi sens à leurs pratiques et à leur vie. L’institution peut alors s’offrir comme objet idéal à intérioriser, à faire vivre auquel chacun doit manifester sa loyauté, sinon se sacrifier. Elle pose ses exigences et enjoint à chacun d’être mû par l’orgueil du travail accompli, véritable mission salvatrice. »

Cet ordre symbolique vient faire tension avec une construction imaginaire qui

« va essayer de prendre les sujets au piège de leurs propres désirs d’affirmation narcissique et d’identification, dans leurs fantasmes de toute-puissance ou de leur demande d’amour, en se faisant fort de pouvoir répondre à leurs désirs dans ce qu’ils ont de plus excessifs et de plus archaïques, et de transformer leurs fantasmes en réalité. [Construction imaginaire] également en tant que l’Institution va les assurer de ses capacités à les protéger de la possibilité du vacillement de leur identité, de leurs craintes d’effondrement, de l’angoisse de morcellement réveillée et alimentée par toute vie communautaire, en leur procurant les cuirasses du statut et du rôle (constitutives de l’identité sociale) et de l’identité massive de l’Institution. »