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Le temps fantastique et la forme musicale dans Le Chevalier Gluck

Hoffmann ou le temps mythique

II.2. Le temps mythique

II.2.3. De la forme musicale

II.3.3.3. Le temps fantastique et la forme musicale dans Le Chevalier Gluck

Après avoir démontrer l’influence de la musique et la forme musicale sur l’écrit littéraire à savoir le fantastique chez E.T.A. Hoffmann, et en étudiant l’évolution des trois séquences de l’intrigue du conte Le Chevalier Gluck du point de vue temporel, Nous tenterons à travers l’analyse suivante, d’établir une analogie avec les trois séquences dans la forme ternaire de la sonate en musique occidentale.

Considéré sous l'aspect de sa forme d'ensemble, le texte se décompose à première vue d’une introduction, un développement et une conclusion brutale en manière de chute.

Le conte est non daté chronologiquement, les évènements fantastiques se déroulent comme dans un hors temps dans la narration, ils se superposent avec le cours du récit mais le temps est manié d’une façon particulière, de la même manière que les évènements sont narrés au mode fantastique, qui déroge aux conventions logique dans l’esprit, le temps dans ce conte échappe également aux règles traditionnelles.

Temps réel de narration :

A-Introduction : Au zoo, sur la terrasse d’un café à Berlin.

Le narrateur décrit ce qu’il voit (la scène), les événements sont racontés en détail, les paroles ou les pensées des personnages rapportées avec précision, la durée du récit est la même que celle de l'histoire, d’une manière réaliste et paisible, au présent, le rythme est ralenti.

« L’arrière automne, à Berlin, compte habituellement quelques beaux jours. Un doux soleil perce les nuages, l’humidité s’évapore … l’air souffle par les rues, on voit s’avancer, dans la direction du Tiergarten, une longue file bariolée de promeneurs : élégants, bourgeois avec leur femme et leurs chers … On parle, on discute sur la guerre et la paix, …sur le ralentissement des affaires et la fausse monnaie. » P. 23 Sur la même page, on passe en quelques lignes d’une paisible description du zoo au dérangement d’un son cacophonique. « Jusqu’à ce que tout ce bruit se fonde dans un air de fanchon, où une harpe discordante, quelques violons mal accordés (…) se torturent tout en torturant les auditeurs. » P. 23

Le temps reste toujours au présent malgré l’évènement perturbateur.

B-Développement des évènements réels : A l’intérieur du café Weber (1ére Rencontre)

-Hoffmann brusque la narration pour attirer l’attention du lecteur sur le déclenchement de l’intrigue qui est en fait, l’apparition de l’inconnu, il s’attarde sur sa description physique et sur son attitude, pour montrer qu’il n’est pas un personnage ordinaire :

« Un homme a pris place à ma table, homme qui rive sur moi son regard et dont mon œil à présent ne peut plus se détacher…Jamais je n’ai vu une tête, jamais je n’ai vu un personnage qui eût produit sur moi, si vite, une si profonde impression. Un nez légèrement recourbé descendait du front large, découvert…les yeux brillaient d’un éclat qui quasi sauvage et plein de jeunesse (l’homme semblait avoir dépassé la cinquantaine). Le menton délicatement dessiné » P.P. 24-25.

-Un dialogue s’installe entre le narrateur et l’inconnu, la durée du dialogue n’est pas indiquée, si ce n’est le temps de la conjugaison qui change et varie entre description et narration, du passé simple au présent puis imparfait et passé simple. Le changement de tempo dans la description coïncide avec le changement de temps grammatical dans la narration, le temps du récit est toujours au passé simple : « Puis, en remuant doucement le pied gauche, il marqua l’entrée des voix. Alors il releva la tête, jeta un rapide coup d’œil autour de lui, posa sa main gauche sur la table, les doigts écartés comme s’il plaquait un accord sur le piano et leva en l’air la main droite...»

Passé simple : « la musique s’étant arrêté, je sentis la nécessité de lui adresser la parole » P. 25 Présent « Une vive rougeur envahit les joues blêmes de l’homme, les sourcils se rapprochent … une secrète fureur enflamme son regard d’un feu qui fait disparaître de plus en plus le sourire flottant encore autour de sa bouche à demi ouverte…, A présent, il s’adosse à son siège, …la profonde douleur de toute à l’heure se fond en un délire, qui saisit toutes les fibres de son être et les secoue convulsivement ; sa respiration devient profonde, sur son front perlent des gouttes de sueur. Il souligne du geste la reprise … » P.P. 26 .27.

Imparfait : « C’est ainsi qu’il animait, en le douant de muscles et de couleurs, le squelette que nous donnaient, de l’ouverture, quelques misérables violons. … » P. 27.

Passé simple : « Et j’entendis la douce et tendre plainte qu’élève la flûte quand la tempête des violons et des basses cesses de faire rage… J’entendis les sons légers des violoncelles et du basson qui remplissent le cœur d’une indicible mélancolie, puis le tutti revint, l’unisson poursuivit son chemin comme un géant majestueux, et la sourde plainte expira broyée sous ses pas. » P. 27

Passé composé et passé simple : « L’ouverture était finie. L’homme laissa retomber ses deux bras, et était là sur son siège, les yeux fermés, comme épuisé par un trop grand effort. » P. 27 Passé simple : « Il se leva brusquement et fit quelques pas de long en large » P. 29

Imparfait : « Je restais silencieux ». P. 29

Passé simple : L’inconnu prend une courte pause avant de continuer son récit au pays des songes, revient un moment rapide à la réalité en (six lignes.)

« Il se leva brusquement, les regards et les bras au ciel. Puis il se rassit et vida précipitamment le verre… » P. 30

« Il se fit un silence que je ne voulais pas rompre (…) Enfin il continua plus calme » P. 31. -l’inconnu se retire et disparait à nouveau : « Sur ces derniers mots il bondit de son siège et sortit précipitamment de la salle (…) J’attendis en vain son retour. » P. 32

C-Conclusion : Près de l’opéra de Berlin (2eme Rencontre)

La ligne suivante, le narrateur annonce la troisième apparition de l’inconnu, on ne sait pas combien de temps s’est écoulé entre la dernière disparition et cette apparition, tout ce qui est indiqué c’est le moment : la nuit, ce qui peut renforcer l’idée du nocturne du fantastique dans le conte : « J’étais déjà près de la porte de Brandebourg lorsque dans l’obscurité je vis marcher une longue silhouette dans laquelle je reconnus bientôt mon original ». P. 32

Présent : Un dialogue s’installe entre l’inconnu et le berlinois (le narrateur).

- « Je ne comprends pas ce que vous avez contre les berlinois. Ici où l’art est estimé et pratiqué ». P.33

- « Ne m’en parlez pas. Ils critiques sans cesse et raffinent tout jusqu’aux subtilités les plus insignifiantes ; ils bouleversent tout, pour ne trouver qu’une misérable pensée(…) »P.33

Temps imaginaire (le temps fantastique)

A-Introduction : A l’intérieur du café Weber dans un Zoo

Le sujet s’ouvre sur le narrateur dans une terrasse d’un Zoo, il décrit l’atmosphère de l’endroit vers la fin de l’automne, un glissement rapide vers l’imagination.

Présent de la rêverie ; « C’est là que je m’assois et me laisse aller au jeu de mon imagination elle m’amène des gens sympathiques avec lesquels je m’entretiens de science… » P. 24

Le présent dans ce cas est employé pour décrire des occupations routinières, le personnage habitué aux rêves et à l’imagination en plein jour : « Rien ne peut effaroucher ma société imaginaire, rien ne me distrait (…) seul le maudit trio d’une valse souverainement ignoble m’arrache du monde des rêves… » P. 24

On reste toujours au le présent malgré le déclenchement de l’intrigue, le retour à la réalité ne fait pas changer de temps : « Je m’écrie…L’on murmure…je regarde... » P. 24

Changement du temps (passé) pour décrire l’inconnue : énigme sur l’identité peut être un fantôme.

- On remarque que plusieurs temps conjugués, s’entremêlent en espace de quelques pages p.p. 23-24, dans un même endroit, aucune indication temporelle, ni la durée du dialogue, la seule indication, c’est la nuit, exprimant le nocturne du fantastique.

B-Développement des évènements fantastiques : A l’intérieur du café Weber (1ére

Rencontre)

L’usage du passé composé « jamais je n’ai vu » signale la mise en intrigue qui se déclenche par la description physique de l’inconnu P. 25

-Premier indice du phénomène fondateur de la fiction « L’énigme sur l’identité de l’inconnu » Le passé simple : pour décrire les manières bizarres de l’inconnu « Puis en remuant doucement le pied gauche Il marqua l’entrée des voix, il releva la tête, jeta… » P. 26

-Toujours à la même page on constate un léger changement de temps (revenir au passé) pour décrire l’inconnu et l’énigme sur son identité s’installe, c’est un fantôme, il jouait de vrai L’ouverture d’Iphigenie en Aulide.

Un autre comportement qui renforce encore l’hypothèse de l’énigme lorsque : « L’homme laisse retomber ses deux bras… les yeux fermés, comme épuisés par un grand effort ». P 27.

-L’homme décrit le monde étrange des rêves d’où il vient et dont-t-il arrive à composer de la musique : « Mais c’est par la porte d’ivoire qu’on entre dans le royaume des rêves, peu la voient, cette porte…Il est difficile de sortir…les monstres barrent le chemin… »

Présent : « Beaucoup pensent à rêver sous ce royaume des rêves…ils se dissolvent dans le rêve… Ils ne projettent plus aucune ombre » P. 30 -Imparfait : « autrement ils s’apercevraient à leur ombre du rayon de lumière qui parcourt ce monde », Présent : « Très peu seulement s’arrachent aux rêves, se redressent, traversent le royaume des songes et atteignent la vérité » P. 30

-Imparfait : -Pour quelques instants le personnage inconnu devient narrateur à son tour, lorsqu’il raconte ses aventures au royaume des rêves : « lorsque j’étais dans le royaume des rêves, mille angoisses, mille douleurs me torturèrent, Il faisait nuit et j’étais épouvanté par les fantômes ricanant des monstres qui se précipitaient sur moi et qui tantôt me jetaient dans les abîmes de la mer » P.31, « Un jour, j’étais assis dans une magnifique vallée et j’écoutais les fleurs chanter en chœur. » P. 32

La description à l’imparfait de ce royaume, au long de deux pages donne à la narration un

rythme lent.

-L’emploi du passé simple accélère le rythme qui change rapidement : « Des fils invisibles m’attiraient à lui. Il leva la tête…Le calice s’ouvrit...et l’œil brilla vers moi… » P. 32. Pendant 7 lignes de suites. Subitement l’inconnu se retire et disparait à nouveau : « Sur ces derniers mots il bondit de son siège et sortit précipitamment de la salle (…) J’attendis en vain son retour. » »

- Les accélérations du tempo constatées lors des disparitions subites de l’inconnu sont narrées avec la précipitation appropriée.

(2eme Rencontre) : « J’étais déjà près de la porte de Brandebourg lorsque dans l’obscurité je vis marcher mon original ». P.32.

Présent : « Vous vous trompez…pour mon tourment, je suis condamné à errer ici, comme une âme en peine, dans le désert ». - « Dans le désert ici, à Berlin ? » - « Oui autour de moi, c’est le désert, car je ne rencontre aucun esprit parent du mien, je suis seul. » P.33.

-Hoffmann fait usage du présent pour attirer l’attention sur la nature fantomatique de l’inconnu (il le fait à travers le jeu sur le temps).

-L’inconnu raconte une fois encore ses souvenirs dans son autre vie : P.-P.33-34-35.

- Le passé composé : A la fin du dialogue, l’inconnu disparait : « Au bout d’un instant, il avait disparu et pendant plusieurs jours je le cherchais en vain au Tiergarten… » P.35.

La ligne suivante : « Quelques mois s’étaient écoulés ; par un soir froid et pluvieux, m’étant attardé dans un quartier reculé de la ville (…) Il me fallait passer devant le théâtre ;(…) j’étais sur le point d’entrer quand un étrange monologue, tout contre les fenêtres, attira mon attention. »P.35

C-Conclusion : Auprès de l’opéra de Berlin, Devant le théâtre (3eme Rencontre)

-L’inconnu surgit de nulle part devant le théâtre où on jouait l’Armide de Gluck, décrit au moindre détail la scène d’Armide de Gluck en s’exprimant au présent : « Quel méchant esprit me tient ici soumis à sa fascination ? » P.35.- « La fascination est rompue, m’écriai-je. Venez. » P.35.

Passé simple : « Je saisis par le bras mon original de Tiergarten, car le monologueur n’était

autre que lui, et je l’entraînai avec moi.il parut surpris et me suivit en silence. » P.36.

-Déjà arriver au domicile du narrateur, quand soudain l’inconnu s’arrêta, au passé

composé : « Je vous connais, dit-il. Vous étiez au Tiergarten…Nous avons beaucoup

parlé…J’ai bu du vin…Je me suis échauffé…Et l’euphone a résonné deux jours

durant…j’ai bien souffert…maintenant c’est passé. »

- Hoffmann accentue le jeu sur le temps et dans le temps, la durée qui était de quelques mois pour le narrateur, n’était que de quelques jours pour l’inconnu, si ce n’est, qu’il se permet avec le temps du fantastique de manier également la durée des événements (le temps est relatif chez les deux personnages !)

-L’inconnu invite le narrateur dans sa demeure pour lui faire entendre Armide, au passé

simple : « Nous montâmes (…) vivement il tourna dans une rue latérale et j’avais de la peine

à le suivre, tellement il allait vite, jusqu’au moment où il finit par s’arrêter devant une maison sans apparence. » P.36

-Une fois chez lui, il lui joua l’Armide de Gluck.P.-P 37-38

« Je tournais les feuilles avec zèle, en suivant les indications de son regard. L’ouverture était achevée et il retomba épuiser, les yeux fermés, dans le fauteuil. Mais bientôt il se redressa et, tandis qu’il tournait rapidement plusieurs pages blanches du livre » P.38.

-L’inconnu à travers le « Je » qui fait de lui un narrateur, révéla au narrateur initial son être fantomatique sans lui annonça son identité :

- « Tout cela, monsieur, je l’ai écrit en revenant du royaume des rêves. (…) Je fus condamné à errer parmi les profanes, comme une âme en peine, sans personnalité précise, pour que personne ne me reconnût, jusqu’au jour où l’hélianthe m’élèvera de nouveau vers l’éternel. » P.39.

-Le narrateur s’exclama vivement sur l’identité du mystérieux musicien après avoir présenté une prestation extraordinaire de la finale d’Armide : « Mais qu’est-ce que cela ? Qui êtes- vous donc ? »

Forme musicale (Structure Ternaire) A-I-Introduction : Au Zoo sur une terrasse.

-Une description de l’atmosphère du zoo vers la fin de l’automne P. 23. Glissement vers la fiction « Un doux soleil perce les nuages, l’humidité s’évapore dans l’air tiède... » P. 23. « On parle, on discute (…) On y respire le grand air, on observe les allants et venants, On est éloigné du vacarme cacophonique de cet exécrable orchestre ». P. 24

- Déclenchement de l’intrigue : l’orchestre d’agrément veut s’insérer dans la multiplicité des sons ambiants et y ajoute sa note cacophonique : « Rien ne peut effaroucher ma société imaginaire. Seul le maudit trio d’une valse souverainement ignoble m’arrache au monde des rêves ». Le « On » se transforme en « Je », le narrateur passe de l’indéfini au « je » narrateur. Un homme a pris place à la table du narrateur « je » (1ére Rencontre) « jamais je n’ai vu une tête, jamais je n’ai vu un personnage qui ont produit sur moi, si vite une si profonde impression » P. 24

BI- Développement (exposition) contraste. A l’intérieur du café Weber

- La description physique de l’inconnu soulève un mystère autour de son identité (la véritable mise en intrigue) le suspense est maintenu jusqu’à la fin du récit.

- Un dialogue entre le narrateur et l’inconnu s’étale sur plusieurs pages. P.P. 25-40 - Le dialogue est interrompu par la description de l’inconnu et parfois par les souvenirs et les rêves de l’inconnu au royaume des rêves. Le jeu sur le temps de conjugaison dans le développement du récit se poursuit et induit une certaine dynamique narrative, c’est surtout la réintroduction du présent qui donne l’impression d’une accélération du tempo narratif, ainsi que la disparition de l’inconnu.

-Le narrateur est saisi par l’étrange comportement du personnage, par l’expression fantastique d’un talent musical peu commun. La description de l’inconnu, de ses souvenirs, de ses rêves… ralentissent entre rythme temporel qui ressemble au rythme de la musique classique dans la forme ternaire.