• Aucun résultat trouvé

Hoffmann ou le temps mythique

C- III-Conclusion (réexposition) : Auprès de l’opéra de Berlin

II.3. La notion de voix

Après avoir fait l’étude de la relation entre le temps de la fiction et le temps du fantastique, pour dégager une structure musicale à savoir la forme ternaire dans le conte étudié précédement Le Chevalier Gluck, nous nous pencherons dans un second lieu sur un autre aspect musical, La voix, vu l’importance prémordial de cet élément dans l’art musical ou tout est (son) qui doit s’entendre dans une harmonie mélodique, Hoffmann à travers le conte Le Majorat1, a tenté de rendre justice à chaque voix qui compose son récit, nous allons nous borner à l’étude de : la voix musicale, .la voix des sons dans la narration la voix narrative, et la voix de la morale .

II.3.1. La voix dans le Majorat

Pour commencer, il est necessaire de souligner que ce texte décrit les conditions de production de la littérature à l’époque où Hoffmann a décédé de publié son ouvrage, insistant sur l'excitation morale, physique et intellectuelle qui débouche sur la déformation fantastique du réel. Mais par sa structure double, il montre aussi que le résultat est toujours un sens décalé, qui n'est jamais là où il s'écrit, spectre d'écriture lui aussi. Plus que tous les autres Tableaux nocturnes, Le Majorat montre que, considérée du côté de la lecture, la littérature est d'abord ce que demande à être relu, pour, entre autre, dégager les différents niveaux de la narration et déceler les multiples voix qui s’entremêlent.

Pour comprendre combien il est improbable que Hoffmann ait voulu ici seulement critiquer une institution juridique nocive, rappelons ce qu'est un majorat : une institution reposant sur le droit d'aînesse, stipulant que les biens mobiliers et immobiliers d'une famille doivent revenir en entier, de façon inaliénable et inséparablement du titre

1 Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, Tableaux nocturne II : Le Majorat, Paris, (Editions Philippe Forget), Imprimerie Nationale, Collection la Salamandre, 2002.

nobiliaire, à l’aîné de la famille. Une telle disposition ne peut qu'avoir pour conséquence de dresser les frères les uns contre les autres, et c'est bien, entre autres choses, d'une telle haine fratricide que traite ce conte, et ce de façon si exemplaire qu'à chaque génération évoquée, Hoffmann choisit de mettre deux frères aux prises. Le majorat est donc d'abord l'occasion de sonder une nouvelle fois les ténèbres de rime, lieu si complexe que l'intention bonne peut y engendrer le pire. Le majorat en question est un château situé au bord de la Baltique, dans une contrée sauvage où ne manquent ni criaillements de mouettes, ni creusements lugubres de corbeaux, ni mugissements de tempête, auxquels se joindront bientôt personnages fantomatiques et sentiments diaboliques.

Le décor ainsi planté, on apprend que, si le premier titulaire du majorat, le baron Roderich de R...sitten avec qui s’ouvre le récit, a opté pour cette institution, c'est pour tenter de préserver l'intégrité du domaine que ses ascendants avaient abandonné.

Se dédommageant ainsi lui-même, puisque «tout ce qui troublait sa vie et qui lui était arrivé là-bas, il en attribuait la faute à ses ascendant, qui avaient eu le tort

d'abandonner le château fort des ancêtres»1. Impossible à abandonner, le château devrait permettre de conjurer des troubles familiaux qui pèsent comme «Un ténébreux secret de famille»2.

Ainsi, un acte de volonté individuel tente de s’opposer à l’irrationalité consubstantielle aux histoires de famille et qui les transforme en destin. Combat perdu d’avance donc, et qu’il contribue même à rendre encore un peu plus vain, puisque ce majorat est de nature à déchaîner la haine et le désir de vengeance d’être la victime d’une disposition inique.

1. E.T.A. Hoffmann, Le Majorat, p.120.

La narration elle-même n'est pas loin d'épouser une telle complexité, et on peut dire en simplifiant qu'elle se situe sur deux niveaux temporels, distincts : le premier étant postérieur au second, qui, de ce fait, jouera un rôle puissamment explicatif. Le narrateur est un jeune homme qui accompagne son grand-oncle appelé, comme tom les automnes, à venir administrer le domaine du baron Roderich. Ce grand-oncle, prénommé Théodore comme son petit-neveu (et comme Hoffmann lui-même), doit beaucoup â un grand-oncle de l'auteur, porteur lui-même d'un prénom qu'il partage avec Hoffmann, Ernst selon Hitzig, chaque fois qu'Hoffmann évoquait une visite chez ce grand-oncle, il insistait joyeusement sur la gravite, l’expérience et la dignité de ce vieillard. Le « justicier » du majorat se voit dépleint sous des traits voisins : pitié, sagesse, sens de la responsabilité et de la justice, mais il est tout autant enclin à l’humour, à l’ironie, à la facétie, voire à la plaisanterie un peu « drue », ce qui fait de lui un personnage tout à fait inhabituel dans les tableaux nocturnes. Juste avant l’arrivée du baron et de sa suite, ils sont témoins d’une scène spectrale dont le sens n’apparaîtra que bien plus loin, sur l’autre niveau temporel du récit.

II.3.2. La voix musicale

Publié en 1817, c'est à dire peu après Le marchand de sable (1816) et un an avant Le Chat Krespel (1818), le Majorat possède des caractères communs à ces deux textes.

En tant qu'histoire d'apparition de fantômes (nous utiliserons souvent le terme allemand `Spuk' qui traduit mieux une certaine tradition culturelle), le Majorat est traité, tout comme le marchand de sable sur le mode fantastique. Nous entendons par là que l'intention de l'écrivain était de faire osciller le lecteur entre deux tendances: j'y crois (présence de détails réalistes) / je n'y crois pas (présence ironique de l'auteur).

D'autre part, l'une des qualités de cette nouvelle est qu'Hoffmann insère habilement dans son texte la tradition littéraire triviale du "Roman gothique". C'est une

histoire littéralement épouvantable que ces grattements nocturnes contre le mur accompagnés de plaintes morbides. Sur le plan formel, le dispositif global est celui d'un récit dans le récit (sorte de mise en abyme), inspiré, on le verra, de la structure musicale dite "forme-sonate". Les instances narratives sont les suivantes: un narrateur hétérodiégétique omniscient de la p.3 à la p.5, un "narrateur" du nom de Theodor de la p.5 à la p.49, le grand-oncle de Theodor de la p.49 à la p.84, enfin de nouveau Theodor pour l'épilogue rédigé sur l'échelle de deux pages. A cela, il faut ajouter le truchement narratif que constitue la prise de connaissance par les actants et par le lecteur de la confession laissée par Hubert (deux pages).

La nouvelle d'Hoffmann est constituée de deux récits, ou si l'on veut deux fictions distinctes: d'abord celle dans laquelle Theodor est impliqué. C'est, en gros, la première moité du texte, ainsi que les pages conclusives. D'autre part, un flash-back dans le temps de la fiction, narré par le grand-oncle. Mais toute trace de sa présence en tant que narrateur disparaît, Theodor prétendant se souvenir tellement bien du récit qu'il est capable d'en rendre compte à la lettre près. Ce dispositif, quoiqu'artificiel à première vue, donne de la cohésion à l'ensemble du récit dans la mesure où il réduit l'hétérogénéité entre le récit-cadre et l'histoire enchâssée. Le lien entre les deux histoires repose sur les relations entre les personnages: dans le récit 1, Theodor est amoureux de Seraphine, la femme de Hubert von Roderich qui se trouve être le dernier descendant de la lignée des barons dont le récit 2 nous conte l'histoire.

Finalement, Le Majorat est dans sa composition laisse à comparaier avec la forme-sonate sans réexposition. Or il n'est pas question de parler de réexposition dans cette nouvelle, car la seconde narration ne concerne pas la même trame évènementielle que la première. Au contraire, le second récit qui nous plonge dans la généalogie des Roderich, n'est en définitive que le dévoilement de l'énigme du château hanté posée

dans le récit. Alors que le récit1 de Krespel, s'il relate des faits antérieurs pour une part à l'intrigue dans laquelle le narrateur est impliqué, englobe en revanche, à quelques pages près, les évènements auxquels il a été directement confronté. L'on tiendra donc pour acquis le fait qu'aucun schème musical d'école aussi strict que peut l'être la "forme-sonate" ne régisse la composition du Majorat.

II.3.3. Omniprésence du sonore

Dès la première lecture, le lecteur constate l'importance dans ce récit du domaine sonore: les verbes traduisant des bruits. Nous citerons quelques exemples éloquents: dans le second récit, le baron laisse retomber le lourd couvercle du coffre rempli de sacs d'argent découvert dans le cabinet du vieux Roderich. Cette action n'est pas directement liée à un évènement important dans la trame du récit. Mais le vacarme épouvantable qui s'ensuit participe de l'atmosphère angoissante de cette histoire de revenants: " Le baron, qui ne fait pas particulièrement attention aux paroles des anciens, aimer maintenant tomber le lourd couvercle de la poitrine, la limande toute la voûte est écrasé et drôhnte. Plus tard dans ce second récit, l'oncle cherche désespérément des preuves écrites de l'ancienne liaison de Wolfgang avec la jeune suissesse, toujours dans le bureau du vieux Roderich, lorsque d'inquiétants bruits de clé se font entendre: "Il était minuit, la pleine lune brillait dans la salle anstoBenden, dont la porte était ouverte. Comme il était quand quelqu'un marche lentement les escaliers et klirre et cliquetis des touches " (p.71). Daniel, quant à lui, respire toujours avec difficulté (p.56): "Le vieil homme, cependant, avait encore toutefois la porte fermée, il a pressé aujourd'hui même avec la force de tout le corps, comme il eut le souffle coupé …seulement la clé rugueux des serruriers très rouillées". Puis, p.71, l'on trouve, avec une légère variante lexicale: "... Daniel a commencé à deux mains pour se gratter le mur, … bientôt jailli le sang sous l’ongle, et il gémit…, comme tourmenté par une agonie sans nom." Ce même Daniel émet comme

un croassement discordant lorsqu'il précipite Wolfgang au fond du gouffre: " Mais comme Daniel hurla sauvagement:" avec vous, vous râudiger chien"(p.84). Il s'est quasiment métamorphosé en un corbeau, et l'on se remémore le corbeau qu'il avait effarouché en ouvrant la lourde porte donnant sur la tour effondrée.

Enfin, la meilleure illustration de l'omniprésence du sonore se situe sans doute au tout début du second récit, là où Wolfgang, devenu "Majoratsherr", brûle un document important, immédiatement après avoir lancé des invectives indécentes au défunt Roderich, l'opération s'effectue en quelque sorte par défaut, la bouche de Daniel n'émettant aucun son:

Le document, tiré de la bougie vacillait élevé sur, et sursauta comme le reflet de la flamme sur le visage du cadavre d'avant en arrière et a joué, quand touché les muscles et les mots détimbrées vieille langue était, de sorte que la situé à distance serviteurs profonde horreur et consternation sont arrivés1.

Une aberration visuelle expliquée, débouche sur une aberration sonore certes explicable au premier degré, mais qui en dit peut-être plus long qu'on ne pourrait le penser de prime abord: c'est comme si le vieux Roderich voulait parler et dire par exemple qu'il désavoue la liaison de son fils avec une jeune femme suisse parce qu'elle n'appartient pas à la noblesse germanique

p.81: le père redoutait la ruine de la fondation du majorat et voyait en Julie une émanation du diable.

Grâce à l'étude de la relation entre le temps de la fiction et le temps de la narration, on constate immédiatement - en laissant de côté le bref épilogue de la nouvelle - que le second récit s'achève sur l'explication de l'énigmatique disparition de Seraphine, qui, à deux ou trois pages près, clôturait le premier récit. "Il se trouve que je

ne verrai plus Seraphim à nouveau", disait Theodor de manière laconique en laissant le

lecteur "sur sa faim"; la fin du second récit lui narre les circonstances de la mort de la jeune femme.

Ceci a pour conséquence que, vers la fin de la seconde histoire, l'accent est mis sur la trame événementielle et que le narrateur disparaît quasiment en tant qu'actant du premier récit. Il n'est plus là que comme auditeur du récit de son oncle afin que le lecteur prenne connaissance des faits en même temps que lui. C'est une pure instance de réception de la fiction. Voici pourquoi Theodor (le narrateur de la nouvelle dans son intégralité), reprenant en main la conduite du récit pour à peine deux pages, s'étend si peu sur le chagrin qu'il devrait ressentir à l'annonce de cette mort - surtout en tant qu'archétype du personnage romantique hypersensible. Les évènements formant la substance du premier récit sont quasiment éludés, les transitions sont brutales: " Alors l'oncle rugueux dit tout, maintenant il a pris ma main...". Puis, à peine une quinzaine de lignes plus bas, après une énorme compression du temps de la narration, on trouve l'épilogue situé après la mort de l'oncle de Theodor.Les procédés peuvent sembler manquer de finesse mais, formellement, pour reprendre l'expression populaire: "la boucle est bouclée". Sur ce point donc, la composition est irréprochable.

II.3.4. La narration tambour battant

Il n'en va pas de même de l'organisation interne du récit. On dirait qu'Hoffmann a voulu mener la narration tambour battant, tout au moins à la fin de la nouvelle. Nous précisons " à la fin de la nouvelle" car la narration des évènements subit des variations de tempo considérables: accélération un peu intempestive après la chute de Wolfgang au fond du gouffre, qui va jusqu'au résumé pur et simple; longues pauses descriptives lors des scènes de rapprochement amoureux auprès du pianoforte ou explications juridiques "à rallonge" concernant la problématique du majorat.

Avant toute chose, c'est l'absence de structuration du récit qui frappe. Le texte est extrêmement compact, touffu. Il y a dilution de la forme en une sorte de continuum, émiettement des évènements qui semblent échapper à toute hiérarchisation. C'est là que réside le désordre et non pas dans le temps.