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cathédrale du temps

A. La phrase du côté de chez Proust

Jean Pierre Richard, parle dans son livre Proust et le monde sensible de l’objet qui prend entre autre, des dimensions constitutives, la capacité signifiante qui est la réquisition du sens en plus des formes diversement définies, et disposées les uns à côtés des autres ou sous les autres, en un certain espace spécifique. L’objet ne se manifeste jamais ici lors d’une temporalité, d’ailleurs complexe et qui s’étend selon plusieurs perspectives : L’enfoncée rétrospective du souvenir, la durée de l’histoire racontée, et le temps même du récit, avec des trous, ses oublis, sa mémoire spécifique, bref toute la dimension de cette géologie textuelle qu’a étudié Gérard Genette figure II. Comment s’organisent les formes des phrases proustiennes dans ce cadre d’un espace-temps, dans une succession réglée, ou, si l’on préfère, de rythme, de structure.1

Quelles que soient les variétés de phrases proustiennes2, les lecteurs et les spécialistes s’accordent à reconnaitre qu’il existe « une phrase de Proust » : Cette longueur heurtée, ce souffle interminable et pourtant discret, ces subornations qui mettent à l’épreuve la mémoire, cette musique des allitérations qui supplée les défaillances devant la ramification logique, cette syntaxe insolite et singulière, donne à l’écriture de Proust, l’esthétique de la mémoire involontaire sans prétendre traiter toute

1 Jean Pierre Richard, « Proust et le monde sensible » « la forme », Paris, coll. Le point, le seuil, 1974

2 Julia Kristeva, le temps sensible. Proust et l’expérience littéraire, Paris, NRF Essais, Gallimard, 1949, p. 342.

la composition de la phrase proustienne. Nous tacherons d’analyser d’une manière globale, une partie du Temps retrouvé, voici quelques exemples :

Deux phrases longues dans la même page :

Qui n’était pas un homme d’imagination et d’esprit et qui n’avait pour toute ressemblance avec le baron que cet air commun à tous qui maintenant chez lui,….1

La mauvaise réputation maintenant connue de M.de Charlus

faisait croire aux gens peu renseignés que c’était pour cela que

ne le fréquentaient point les gens que de son propre chef il

refusait de fréquenter. 2 4 lignes

De phrase proustienne dans laquelle se cristallise l’esthétique de la « mémoire involontaire », ou du souvenir, nous proposons juste une structure globale de ce que donne cette structure grammaticale pour pouvoir établir une analogie avec une autre structure dont nous allons étudier la composition formelle de l’arborescence. La phrase proustienne figure dans les écrits, en particulier le corpus de notre étude, très complexe, comparable au déploiement musical d’une séquence musicale de la sonate comme nous l’avons déjà expliqué.

Une phrase très longue :

« Mon oncle est au fond un monarchiste impénitent à qui on ferait avaler des carpes comme Mme Molé ou des escarpes comme Arthure Meyer. »3, Comme précédée juste après d’une phrase très courte comme « Par haine du drapeau tricolore »4 et puis une autre plus longue : « La seule chose où

1 Op.Cit., Le Temps Retrouvé, p. 624.

2 Idem., Le Temps Retrouvé, p. 624

3 Le Temps Retrouvé, p.622.

son oncle ne l’eût pas dépassé était cet état d’esprit du Faubourg Saint-Germain dont sont empreints ceux qui croient s’en être le plus détachés et qui leur donne à la fois ce respect des hommes intelligents pas nés, qui ne fleurit vraiment que dans la noblesse…1 » 4 lignes d’affilée.

Ou encore : « Des intellectuels que toute idée nouvelle intéresse et des causeurs de qui aucun interrupteur ne peut obtenir le silence » 2 lignes.

Des phrases qui nous encouragent à donner une interprétation rythmique musicale, une construction syntaxique de la phrase non linéaire et un sens polyphonique confus.

Très attiré par le chant et les sonorités du violon, soit les moyens les plus « humains » de l’expression musicale, Proust confère, par ailleurs, à la mélodie une importance extrême, une longue ligne ininterrompue magnifiquement suggérée : des interprètes en action, des bruits de la ville, des oiseaux, etc. Et parmi ces mélodies qui montent d’un peu partout, l’une possède une valeur particulière, dont le charme opère avec une telle force qu’on la répète sans éprouver de lassitude et dont l’aspect de leitmotiv wagnériens s’impose d’autant plus qu’elle est à la fois cyclique dans la Sonate de Vinteuil et dans le roman de Proust. Cette « petite phrase » qui comprend une ligne mélodique assez simple et un accompagnement d’arpèges :

A cette joie extra- temporelle causé, soit par le bruit de la cuiller, soit par le goût de la madeleine, je me disais : « Etait-ce cela, ce bonheur proposé par la petite phrase de la sonate à Swann qui s’était trompé en l’assimilant au plaisir de l’amour et n’avait pas su le trouver dans la création artistique.2

A quelques lignes il précise :

1 Idem.

Ce bonheur que m’avait fait pressentir comme plus supraterrestre encore que n’avait fait la petite phrase de la sonate, l’appel rouge et mystérieux de ce septuor que Swann n’avait pas pu connaître (…) Car cette phrase pouvait bien symboliser un appel, mais non créer des forces et faire de Swann l’écrivain qu’il n’était pas 1.

La petite phrase de la musique dans la Sonate de Vineuil inspire à l’écrivain toutes sortes d’images ou d’impressions, Mais pourquoi donc Proust fait-il de longues phrases ? Certains diront 2que c’est parce qu’il manquait de souffle et que l’écriture corrigeait ou vengeait la malédiction des asthmatiques. D’autres présenteront les longues phrases serpentines de la Recherche comme les circonvolutions des rapaces autour d’un objet qu’il faudrait saisir sans qu’il soit mort, dont il faudrait goûter la chair sans le tuer. D’autres, enfin, y verront l’œuvre d’un musicien qui met en arpèges la douceur, ou la douleur, d’exister.

Le fait est que, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, la Recherche du temps perdu est hantée du début à la fin par une « petite phrase » musicale, cinq notes qui, de

Swann au Narrateur, composent, rassemblent, incarnent, expriment et attisent la totalité de leurs sentiments... à quoi tient ce génie ? Cette puissance inouïe ? Ce privilège de la musique ? Quelle place occupe Vinteuil dans la composition de la Recherche du Temps perdu ? Comment la musique parvient-elle, mieux que le langage, à garantir l’éternité

des sensations, tandis que le piano s’apparente à un « clapotement liquide » et à la « mauve agitation des flots que charme et bémolise le clair de lune », qu’elle produit l’effet d’un « rideau transparent, incessant et sonore » ou, cette fois dans le Septuor,

1 Idem., Le Temps Retrouvé, P.711

2 La petite phrase de Vinteuil – Proust, real. François Caunac ,13.01.2013,

https://www.franceculture.fr/emissions/le-gai-savoir/la-petite-phrase-de-vinteuil-proust.Consulté le 07-02-2017.

qu’elle paraisse « harnachée d’argent, toute ruisselante de sonorités brillantes, légères et douces comme des écharpes ».1

C’est à travers, entre autre, de la métaphore que Proust emploie pour rendre compte de la réalité d’une telle émotion, Le souvenir involontaire est sensible, non intellectuel et ne doit rien au raisonnement. Il est rendu possible par la métaphore, l’image, la capacité de l'écrivain à allier au sein d'un même mouvement littéraire les objets divergents qu'il perçoit, juxtapose et unit. Ainsi peuvent s’expliquer la genèse et le style complexes, parcellaires proustiens. Selon Proust lui-même, le style « n'est pas un enjolivement comme le croient certaines personnes, ce n'est même pas une question

de technique, c'est – comme la couleur chez les peintres – une qualité de la vision, la

révélation de l'univers particulier que chacun de nous voit, et que ne voient pas les

autres »2. Le style est la jonction de la vision et de la composition textuelle. Le style et

la métaphore matérialisent l’impression singulière, la perception de l’écrivain, son rapport singulier au monde.