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cathédrale du temps

III. 3- 2- La musique dans Le Temps Retrouvé

III.4. De la forme arborescente

III.4.2. Arborescence en musique

En se basant sur l’analyse parue dans l’article de David Janin. Vers une modélisation combinatoire des structures rythmiques simples de la musique. 4, nous tentons donc de développer une réflexion sur la forme arborescente dans le texte de Proust et la description des structures rythmiques simples de la musique. Ce langage doit pouvoir représenter l’articulation séquentielle ou parallèle de motifs rythmiques en veillant tout à la fois à leur positionnement causal, traduisant par exemple une écriture de question/réponse, leur positionnement temporel ; il peut y avoir chevauchement entre plusieurs phrasés, notamment en présence d’anacrouses, leur mise en parallèle dans le cas de structures polyphoniques et/ou polyrythmiques, leur répétition, leur variation, etc...

Sur le plan musical ; l’analyse sur l’arborescence est basée sur une approche structuraliste. Les propositions suggérées par David Janin s’inscrivent dans la continuité des travaux de linguistique musicale formelle qui débutent, en particulier, avec Lerdahl et Jackendo avec l’outillage conceptuel, structuraliste, offert par les grammaires

1 C’est nous qui le soulignions.

2 Op.Cit., Mille Plateaux, p. 26.

3 Ibid., Mille Plateaux, p. 204.

4 David Janin. Vers une modélisation combinatoire des structures rythmiques simples de la musique. Revue Francophone d’Informatique Musicale, 2012, 2,

génératives de Chomsky. Pour la représentation de la musique, intrinsèquement parallèle dans le cas de séquences polyphoniques ou polyrythmiques, avec des recouvrements partiels, il n’est pas forcément nécessaire de séquentialiser les structures musicales comme l’approche grammaticale semble le forcer. A priori, le formalisme des grammaires génératives, intrinsèquement liée à la modélisation arborescente, n’a pas vocation à représenter ce parallélisme. Dès la fin des années 80, quelques auteurs proposent des langages de composition qui intègrent ce parallélisme.

Comme le langage tout court, le langage musical est organisé par une syntaxe. À l'instar d'un texte littéraire, une œuvre musicale repose sur des idées, à un sens, une finalité ; à cette fin, les éléments dont elle est constituée sont agencés d'une manière que l'on appelle structure musicale.

a. La structure musicale

De tous les éléments constitutifs de cette structure, le motif (ou cellule) est le plus fondamental. Il peut être considéré comme l'équivalent du mot ; comme lui, il est le plus petit ensemble ayant un sens, soit mélodique, soit rythmique, soit encore les deux. Comme le mot, qui peut comporter plusieurs syllabes, mais dont une seule est accentuée, le motif n'a en général qu'un seul accent (dans le cas de certains mouvements particulièrement lents, de mélodies très amples ou de certaines cadences, il peut en contenir plusieurs). Un motif est plus ou moins long : il peut être motif-temps (c'est-à-dire contenu dans un seul temps) ou être à cheval sur plusieurs temps ; il peut être motif-mesure ou occuper plusieurs mesures, mais son étendue métrique excède rarement deux mesures.

La phrase a pour principale caractéristique de présenter un sens mélodique fini. Elle comprend toujours plusieurs motifs et présente toujours un début, un point

culminant et une conclusion, qui peut être définitive si elle se termine par une cadence conclusive (enchaînement d'accords qui conclut un mouvement ou une pièce) ou suspensive si elle se termine sur une demi-cadence (repos sur la dominante). Son étendue métrique moyenne est de huit mesures.

Constituée par un ensemble de phrases, la période est généralement composée soit de motifs mélodico-rythmiques identiques transposés dans diverses tonalités, soit de motifs différents dans une même tonalité. Chaque période correspondant à l'expression d'une idée musicale est appelée thème. Un mouvement de sonate ou de symphonie est le plus souvent constitué de deux grandes périodes.

Comme dans le discours parlé, la ponctuation musicale est liée, d'une part, au sens et aux idées, et d'autre part à la respiration qui en découle. Le phrasé musical est en effet composé d'élans et de retombées d'énergie, et cette ponctuation musicale est parfaitement perceptible. Par analogie avec le discours verbal, dans lequel une séquence d'idées est organisée par des virgules et des points, dans la phrase musicale, un repos sur la dominante (demi-cadence) correspond à la virgule et un enchaînement d'accords de la dominante à la tonique (cadence parfaite) correspond au point final. Ces demi-cadences et cadences – qui constituent véritablement l'articulation du discours musical – jouent un rôle important dans l'organisation de la structure.1

Dans son Dictionnaire de musique, Jean-Jacques Rousseau définit la composition musicale comme « l'art d'inventer et d'écrire des chants, de les accompagner d'une harmonie convenable, de faire, en un mot, une pièce complète de musique avec toutes ses parties »2. Le mot composition engloberait donc, appliqué à la musique, toutes les techniques musicales, à l'exception de celles qui sont simplement

1 GARRIGUES, « STRUCTURE, musique », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 28 avril 2017. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/structure-musique

d'exécution (celles des interprètes). Toutefois, le terme composition n'a jamais été employé que pour désigner l'invention musicale réfléchie et donnant lieu à une véritable construction musicale ; il n'a jamais été utilisé pour décrire l'invention musicale spontanée, qu'elle soit individuelle et savante, comme celle des improvisateurs, ou collective et intuitive, comme celle du folklore. L'idée de composition paraît donc liée à celle de l'élaboration méthodique des œuvres musicales, qui est elle-même inséparable de leur traduction écrite sous forme de partitions.

À partir du début du xixe siècle, on vit s'établir une classification de plus en plus précise dans les diverses disciplines de l'écriture musicale. Les techniques d'écriture proprement dites, connues sous le nom de contrepoint, harmonie, instrumentation et orchestration, se trouvant séparées de la composition, cette dernière devint

essentiellement l'art du « faire » autant que celui « d’inventer ». On applique alors le mot composition à l'ensemble des procédés et des techniques utilisés lorsqu'on se livre à l'élaboration d'une œuvre musicale structurée. On parle alors généralement de la construction d'une œuvre. La cohérence et la logique d'une telle construction sont

évidemment indispensables dans le cas des œuvres ayant une certaine ampleur (sonate, symphonie, opéra, etc.) mais ne doivent jamais être absentes des œuvres courtes. Par exemple, la construction d'un simple lied de Schubert peut être tout à fait remarquable. De même, donc, que l'on peut comparer les diverses règles de l'écriture musicale1, les concepts associés à la manipulation d’arbre symbolique, déjà largement étudiés dans les contextes de recherche en langage (littéraire), comme on l’a déjà vu, doivent pouvoir être adaptables à notre comparaison.

1 PHILIPPOT, « COMPOSITION MUSICALE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 28 avril 2017. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/composition-musicale/

b. L’arborescence de la structure rythmique

La structure rythmique peut être représentée par l’un des arbres. Nous avons sélectionné une structure rythmique élémentaire telle qu’une note ou un silence par un arbre à un seul sommet étiqueté par la durée de cette note ou de ce silence. Ensuite, ces atomes rythmiques peuvent être composé séquentiellement, puis regroupés sous un nouveau nœud étiqueté par la somme des durées de ses successeurs. Ces nouveaux nœuds et le sous arbre étiqueté qu’ils induisent, représentent des structures rythmiques plus complexes qui peuvent elles-mêmes être regroupées et ainsi de suite. On peut de cette manière engendrer des structures rythmiques de complexité arbitraire. Les durées des structures rythmiques étant cotées dans un référentiel unique, on peut parler de représentation en durée absolue

c. La symphonie en arborescence

Du coté musicale nous retrouvons l’idée de la structure arborescente dans la création française du concerto pour violoncelle et orchestre Émergences – Nachlese IV de Michaël Jarrell1 à Lyon ce 1er mars 2012 a révélé à un public enthousiaste la grande maîtrise d’écriture que ce compositeur suisse né en 1958, manifeste dans le traitement de cet instrument, et la qualité de sa musique.

Depuis plus de 25 ans, Jarrell a consacré avec bonheur un certain nombre d’œuvres à cette voix basse tant et si bien que ce corpus peut suffire pour contribuer à donner quelques clés de sa pensée musicale.

Michaël Jarrell définit la série de ses Assonances comme un « cahier d’esquisses » où il peut exercer son « droit de se concentrer sur une idée et de s’y sentir libre  » Assonance III explore le registre grave en associant le violoncelle (dont la IVe

corde est désaccordée un ton plus bas) et la clarinette basse au piano, qui en prolongent les résonances : « la partition émerveille par son sens des proportions, de la nuance, par son raffinement », « son équilibre entre propriétés acoustiques et développement formel . Assonance V pour violoncelle et quatre groupes instrumentaux (1990), le violoncelle paraît tour à tour lisse, rugueux, « mat, métallique, sourd, translucide, vibratile », selon le fond orchestral. Une section fait entendre comme un mécanisme d’horlogerie (que l’on retrouvera fréquemment chez le compositeur helvétique) qui marque « le temps de la perte, ou celui de la polyphonie machinique, il se réfère à une technique du clavicorde, le « balancement » « sorte de vibrato […] obtenu par la modification de la pression du doigt sur la touche de l’instrument, ce qui a pour effet de produire de légères variations de hauteur. » La technique qui deviendra récurrente chez

1 Vincent Decleire, Michaël Jarrell et le violoncelle, Document téléchargé depuis www.cairn.info - - 105.105.31.76 – Consulté le : 29/03/2017 08h49. © S.E.R.

Jarrell, est appliquée de façons diverses : par exemple, lorsque l’un des instrumentistes donne l’attaque d’une note, […] l’autre tient et “module” celle-ci, ou bien des doigtés différents sont utilisés pour une même note. Ainsi, au début de l’œuvre, la clarinette joue un son multiphonique de deux notes (Sol et La), tandis que le violoncelle souligne ces deux mêmes notes par des sons harmoniques, plus flûtés. De nombreuses autres trouvailles sonores enrichissent le dialogue entre les solistes dont les parties peuvent si bien se suffire à elles-mêmes qu’elles constituent un duo en soi : Aus Bebung (1995), La pièce alterne, comme souvent chez Jarrell, passages où prédominent l’exploration des couleurs instrumentales, calmes et voluptueuses lignes entremêlées, et moments où la virtuosité synchrone des musiciens est requise, avec une forte armature rythmique, nuances et tempi emportés. Le même duo sera « relu », accompagné, prolongé et enrichi par un orchestre symphonique dans Es bleibt eine zitternde Bebung… (Nachlese III, 2007). En terme plus simple, on peut attribuer au changement d’instruments, d’un son à un autre et, d’un tempo à un autre, la forme arborescente car à partir d’un thème principal qui est la mélodie, s’entend un dialogue varié entre les instruments.

L’unique pièce pour violoncelle solo, Some leaves (1999), n’est pas originale : c’est la transcription une octave plus basse, à peine arrangée, de Some leaves II (1998) pour alto solo, pièce issue elle-même du concerto pour alto et orchestre From the Leaves of Shadow (1991), lequel sera à son tour amplifié et recontextualisé dans More

leaves (2000). La présence ou l’absence d’une « note-mère » ou note-pivot (procédé

fréquent chez Jarrell), ici le Ré, IIe corde de l’instrument, encadrée à certains moments par une note dans l’extrême grave et une autre dans l’extrême aigu, donne à la pièce des points de repère auditifs et contribue au sentiment d’une directionnalité. On retrouve également la structure arborescente dans Emergence, à chaque ramification, il faut choisir un chemin, élu d'après toute la dynamique de toute la pièce dans son ensemble.

L'idée de ce cycle (Nachlese)1 est de reprendre le travail d'idées musicales. Dans le premier mouvement par exemple, l'orchestre "émerge" de la ligne nerveuse que joue le soliste et, plus tard, le point culminant de ce mouvement "émerge" à nouveau de la dernière ligne jouée par l'orchestre. Nous notons la même structure chez Proust, où à partir d’une idée, une pensée déclenche ou émerge un ou plusieurs souvenirs.

On comprend que le terme d’arborescence revient souvent à propos de la musique de Jarrell. « Plus qu’aucun autre compositeur de sa génération, Jarrell présente effectivement chaque nouvelle partition dans sa relation de greffe, de bouture, de développements d’autres partitions. » Lui-même reconnaît : « Lorsque je compose, je suis systématiquement confronté à des choix qui affectent la succession immédiate des événements ou le décours de la forme : une fois un chemin choisi, on ne peut revenir en arrière »2. En ce sens, la composition ressemble à un système arborescent : un motif, une Gestalt peuvent se développer de différentes manières. La musique de Jarrell est aussi associée à la notion de rhizome – c’est d’ailleurs le titre d’Assonance VIIb (1993) – que Deleuze et Guattari décrivent comme n’ayant « pas de commencement ni de fin, mais toujours un milieu par lequel il pousse et déborde », comme « fait que de lignes. »3, pour reprendre la réflexion portée dans l’élément : la pensée comme réseau une stratégie esthétique chez Proust.