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URBAINE DU GRAND KHARTOUM

Carte 9. Khartoum, la coloniale : plan initial de Kitchener

II. LE TEMPS DES « CRISES »

Khartoum, avec plus de cinq millions d’habitants sur une population nationale estimée à plus de 35 millions, fait aujourd’hui partie des plus grandes métropoles d’Afrique. Elle partage désormais la quatrième place avec Kinshasa, derrière Le Caire et Lagos, et devient donc la ville la plus peuplée du Sahel devant Dakar, mais aussi de l’Afrique de l’Est, devant Addis-Abeba et Nairobi (DENIS, 2005 (a), p. 93). Ce poids démographique de la capitale est relativement récent. Sa croissance s’est en effet poursuivie après l’Indépendance (1er janvier 1956) à un rythme soutenu, mais ce n’est qu’à partir de la fin des années 1970, qu’elle s’est littéralement envolée. De 260 600 habitants en 1955-1956, l’agglomération est ainsi passée à 784 300 en 1973, puis à 1 343 000 en 1983, 2 919 800 en 1993, pour vraisemblablement atteindre aujourd’hui 5,4 millions d’habitants84 ; elle bénéficie ou « subit » des taux de croissance annuelle autour de 6 % pour les deux premières périodes pour ensuite connaître entre 1983 et 1993 un taux de croissance annuelle de 8,1 %.

Digérer une telle croissance démographique en si peu de temps (1,6 millions environ durant la décennie 1983-1993) serait un défi pour toute ville dans tout pays. En outre, l’ampleur de l’afflux dans la capitale s’explique essentiellement par les crises environnementales (sécheresses) et politiques (guerre) qui affectent le pays, et qui déterminent souvent pour les populations déplacées des conditions d’arrivée particulièrement difficiles. Enfin, ces arrivées massives de populations interviennent dans un contexte général de crise économique, compliquant encore les possibilités d’intégration. La crise devient alors urbaine85, reflet du contexte de crises généralisées (politiques, économiques et sociales) qui secouent le pays.

Dans un premier temps, nous décrirons dans le détail les conditions et les multiples implications de cette crise multiforme sur la ville, de manière à prendre conscience de l’ampleur des difficultés. Une fois ce contexte dressé, il s’agira d’observer si la relation ville/agriculture qui s’était précédemment mise en place a été bouleversée. La question d’un éventuel repli sur une agriculture d’autoconsommation engendré par la crise constituera l’axe de cette analyse.

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Ces chiffres que l’on peut trouver dans l’article d’Eric Denis (DENIS, 2005a) proviennent des recensements soudanais successifs, à l’exception du dernier qui correspond à la fois à une estimation de l’auteur et à un pré-comptage de la statistique soudanaise. Les deux procédés ayant permis d’établir ce chiffre étant complexes, ils feront l’objet d’une description approfondie dans les pages qui suivent (cf. Planche.1).

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A.« M

EGAPOLISATION DES CRISES SOUDANAISES86

»

Dans cette expression empruntée à Eric Denis (DENIS, 2005a, p. 87) s’expriment à la fois l’ampleur des déplacements de populations qui ont affecté le Soudan mais également le fait que la capitale a été un lieu de refuge privilégié des populations. Le taux d’urbanisation du Nord-Soudan87 a été multiplié par trois depuis 1955 et est aujourd’hui élevé (36 % en 200488) et (DENIS, 2005a, pp. 88-89). Cependant, malgré la multiplication et la croissance des villes secondaires du Nord-Soudan89, un fossé considérable les sépare toujours de la capitale. Ainsi, toujours d’après l’analyse d’Eric Denis, l’indice de primatie a presque doublé entre 1955 et 1993. Alors qu’en 1955, la deuxième ville du pays (El Obeid) était 5,5 fois moins peuplée que la capitale, en 1993, Port Soudan (devenue alors deuxième ville du pays) était 9,5 fois moins peuplée que l’agglomération du Grand Khartoum. La décennie 1983-1993 est celle de l’ancrage de la suprématie de la capitale soudanaise dans la hiérarchie urbaine (en 1993 elle capitalise un tiers de la croissance urbaine du pays), donc celle de son explosion démographique (la capitale enregistre alors des taux de croissance annuelle dépassant les 8 %), et également celle des crises humanitaires.

1. Quand la ville déborde des cadres

L’idée n’est pas ici de nous concentrer sur les chiffres du Grand Khartoum (cf. Planche.1), mais plutôt de détailler les conditions et les tentatives de gestion de cette croissance, ainsi que leurs conséquences sur la morphologie et la vie de la capitale soudanaise.

86 Expression empruntée à ERIC DENIS,2005, « Khartoum: ville refuge et métropoles rentière. Mégapolisation des crises Vs métropolité », in Cahier du Gremamo, La ville arabe en mouvement, n°18, pp. 87-127.

87 Les données sur le sud du pays sont pour l’instant inexistantes. L’ensemble Nord-Soudan comprend 16 wilaya et s’étend d’ouest (du Darfour) en est (à Gedaref) ; il correspond à des territoires globalement repérés de longue date, même si le tracé exact de la frontière délimitant Nord et Sud Soudan demeure l’objet d’âpres discussions . L’ensemble Nord Soudan n’est pas qu’administratif mais correspond également à un ensemble culturel (DELMET, 1991, note 2, p. 57).

88 (CENTRAL BUREAU OF STATISTICS, 2005, Sudan in figures: 2000-2004, Khartoum, p. 3). Les chiffres postérieurs à 2002 contenus dans ce document correspondent à des projections basées sur le pré-comptage organisé en novembre 2002 par le bureau de la statistique soudanaise en vue du recensement de 2003. La mise

a. Histoire d’une explosion démographique

« Comme dans beaucoup d’autres pays, la période de construction nationale après la proclamation de l’indépendance en 1955 par un gouvernement uniquement constitué de Nord-Soudanais s’est traduite par un renforcement du rôle de la capitale, par l’essor de l’administration centrale et la poursuite d’une politique d’industrialisation centralisée qui ne cesse de drainer les migrants des provinces »(DENIS, 2005 (b), p. 25). Dans un premier temps cependant, il n’y a ni bouleversement dans la structure urbaine, ni recomposition démographique de la ville. Le flot régulier de migrants qui arrive à la capitale vient principalement du nord de la vallée du Nil. Leur longue tradition d’immigration vers la capitale leur assure d’importants réseaux d’intégration (villageois, tribaux et confrériques) (LAVERGNE, 1999).

Les autorités, dès le début soucieuses de faire face à la croissance de l’agglomération, font appel à plusieurs reprises à des bureaux d’étude étrangers pour l’élaboration de schémas directeurs. Le premier plan (effectué par le bureau Doxiadis en 1959), ne fut cependant pas mis en œuvre par manque de fonds et de réactivité des autorités, la croissance démographique l’ayant rapidement rendu caduc. Un nouveau schéma est défini par le bureau Mefit en 1974 et bien que rejeté par les autorités urbaines, il est suivi dans ses grandes lignes (MOHAMED ABDULLA etABU SIN,1991,p.80). Cependant, peut-on parler de gestion urbaine quand l’Etat se contente de guider la croissance à moindre frais et de garder le contrôle de la maîtrise foncière ? La croissance de la capitale s’effectue finalement à son rythme.

De nouveaux quartiers sont créés par allocation de terrains nus, l’Etat n’intervenant pas dans la construction. Dans l’environnement presque parfaitement plane de la capitale, les seules limites aux extensions spatiales sont les Nil. Aussi, Khartoum se développe vers le sud, Omdurman vers le nord puis vers l’ouest et Khartoum Nord, vers le nord puis l’est. On adopte un zonage résidentiel divisé en trois catégories (de la 1ère à la 3ème classe) qui déterminent la taille des lots (500 m² pour les plus grandes et 250 m² puis 200 m² pour les plus petites). Le plan en damier situe ces nouvelles extensions dans la continuité de la gestion britannique de la ville (carte 10). Une fois les terrains alloués, l’Etat les viabilise sommairement en y amenant l’eau et l’électricité.