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URBAINE DU GRAND KHARTOUM

CHAPITRE 2. AGRICULTEURS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI

B. U N FACTEUR MOINS PREGNANT DANS LE CAS DE L ’ ELEVAGE

2. Organisation du travail dans les exploitations laitières

a. Des rythmes et des cycles agricoles qui dictent la temporalité des emplois et des tâches

Le type de produit exploité, les techniques de production impriment des rythmes et des cycles qui dictent en quelque sorte les formes d’emplois de l’activité pratiquée. Les productions culturales et laitières ne se déroulent pas dans la même temporalité, et alors que les cultures sont marquées par une multiplicité de produits, de stades de production et donc de rythmes différents, l’élevage est au contraire le fait d’un seul produit et d’un seul cycle de production qui donnent le rythme à l’activité tout entière.

La production laitière est annuelle. Rien d’étonnant donc à ce que les emplois y soient permanents et salariés à l’année sur une base mensuelle. Certes, l’activité est soumise aux cycles de lactation des bêtes (une année environ), mais à moins de jouer de malchance l’ensemble des vaches d’un troupeau ne sont pas taries en même temps et quand bien même, l’activité ne s’arrêterait pas pour autant– les bêtes demandant toujours soins et attentions. Avec la stabulation pérenne, les éleveurs gagnent en indépendance par rapport aux saisons climatiques, même s’ils ne peuvent en être totalement détachés : ils sont en particulier touchés indirectement mais durement par l’impact des saisons sur les prix du fourrage. Les éleveurs (de moins en moins nombreux) qui décident d’envoyer paître leurs bêtes à la saison des pluies sont eux touchés directement. Dans l’élevage laitier les emplois non permanents

correspondent principalement à des emplois de bergers (surveillance et surtout acheminement des troupeaux d’un point à un autre). Certaines bêtes taries peuvent par exemple être renvoyées dans les campagnes le temps de la saison des pluies en attendant qu’elles soient de nouveau pleines, de manière à diminuer les frais de nourriture de l’éleveur. Les services d’un berger sont alors loués, ce dernier étant généralement rémunéré à la tâche.

L’idée, on l’aura compris, était au travers de l’élevage laitier et des cultures de montrer que chacune de ces activités connaît des rythmes spécifiques et débute des cycles à des périodes différentes : il en découle des besoins singuliers en matière d’emplois.

On pourrait multiplier les exemples. Schématiquement, l’élevage de bovin d’embouche s’organise annuellement en deux temps, autour d’une saison, et dans deux espaces. La majeure partie du cheptel en provenance de l’ouest du Soudan effectue en effet le trajet pendant la saison des pluies ou juste après (de juillet à septembre, voire jusqu’à novembre), quand les bergers peuvent trouver sur leur route eau et pâturage en quantité abondante. Le gros du cheptel destiné à être abattu et consommé dans la capitale arrive ainsi dans le courant du mois d’octobre et novembre. Un acheminement d’hiver a lieu durant les mois de janvier et février quand les températures sont basses, mais il est moins important et souvent plus rapide pour réduire les risques de mortalité du bétail durant le trajet (YOUNG et

al., 2005, p. 58) Des conditions de l’acheminement dépendent ensuite le temps que passera le

troupeau à rengraisser dans la capitale. Les bêtes qui arrivent en début de saison des pluies ou hors saison des pluies étant en moins bon état, elles nécessiteront un engraissement plus long avant l’abattage. Les prix du marché influencent également le temps avant la vente et l’abattage du bétail dans la capitale. Tant que les prix ne sont pas bons, les marchands conservent leur bête dans les périmètres d’engraissement (feedlots).

On trouve dans l’élevage de bovins à viande deux grands types d’emplois. D’une part des bergers qui acheminent à pieds les troupeaux du Darfour au Grand Khartoum et qui sont rétribués à la tâche. Le prix du parcours est fixé à l’avance (500 000 L.S., soit environ 135 euros) et ne dépend pas de la durée qui est variable. Il faut compter approximativement deux/trois mois. Généralement il y a deux guides par troupeau de 50 têtes151. Ils sont accompagnés d’assistants et d’hommes à tout faire. D’autre part, une fois dans la capitale, on trouve des travailleurs qui assurent l’entretien et l’engraissement du troupeau le temps de sa vente et/ou de son abattage. Cet emploi prend alors la forme d’un salariat sur une base

mensuelle et dure en moyenne six mois. Il peut s’agir des mêmes personnes que celles qui effectuent le trajet avec le troupeau.

Ici encore l’activité et son rythme engendrent des besoins spécifiques en matière d’emplois, et les formes d’emploi conditionnent les rapports employé/propriétaires, et influence le rôle que joue le propriétaire dans son exploitation.

b. Rôle des éleveurs propriétaires dans les exploitations laitières

Comme dans le cas des cultures, le propriétaire du troupeau est par définition le chef d’exploitation, cependant le fait que l’activité d’élevage laitier soit largement dominée par le salariat n’est pas sans conséquence sur le rôle des propriétaires. En effet, ces derniers ne peuvent pas comme dans le cas des cultures confier entièrement la gestion de leur bien à une tierce personne. Cette forme d’emploi implique davantage le propriétaire dans la gestion de l’exploitation que le métayage ou le fermage.

Alors que la méthode d’enquête par questionnaire a été la même que dans le cas des cultures – soit exclusivement menée sur le lieu de travail des éleveurs –, l’échantillon d’éleveurs interrogés est plus équilibré puisqu’il est composé de 23 propriétaires et de 42 salariés. La disproportion quantitative entre les propriétaires et les travailleurs est bien moins forte que dans le cas des cultures152 et témoigne d’une présence plus assidue des chefs d’exploitation dans leurs élevages. Même lorsqu’ils ne participent pas directement au travail agricole de l’exploitation, ce qui dans le cadre de notre enquête est minoritaire, ils viennent au moins une fois par jour pour s’informer sur les ventes, les réaliser, ou au minimum récupérer l’argent qu’elles ont généré. Ils se chargent généralement directement d’acheter et d’amener la nourriture des bestiaux.

On retrouve la distinction opérée dans le cas des cultures entre des propriétaires qui travaillent et d’autres qui n’exercent pas directement d’activité agricole, néanmoins la participation des éleveurs propriétaires au travail d’élevage (soin aux bêtes, traite, etc.) est plus répandue que dans le cas des cultures. 74 % des propriétaires interrogés pratiquaient directement l’activité d’élevage. La typologie des éleveurs laitiers urbains réalisée sur le modèle de celle des cultivateurs, reflète la simplicité de l’organisation de la filière en termes d’emplois.

152 On se souvient que notre échantillon de cultivateurs ne comprend que 16 propriétaires pour 90 cultivateurs non propriétaires.

Graphique 5. Détails des différents emplois ou statuts agricoles chez les éleveurs laitiers du Grand Khartoum 9% 26% 65% Propriétaire Propriétaire-travailleur Salarié permanent

Source: enquête personnelle (1999-2005)

Il est intéressant de préciser que l’emploi familial est marqué chez les propriétaires éleveurs et plus visible que dans le cas des cultures. Il n’est pas rare que toute une fratrie travaille sur une même exploitation alors que l’on a vu que dans le domaine des cultures, la gestion de l’exploitation était souvent confiée à un seul membre de la famille. Les éleveurs dans cette situation s’ouvrent beaucoup plus facilement sur l’organisation familiale de leur exploitation qu’ils évoquent spontanément.

Enfin, pour 78 % des propriétaires interrogés comme pour l’ensemble des salariés, l’élevage est la seule activité pratiquée.

Ainsi, contrairement aux cultures, l’accès à la pratique de l’élevage laitier n’est pas, ou peu conditionné par l’ancienneté de la présence en ville. Si cette dernière semble jouer un rôle sur la capacité d’investissement, elle peut également n’être que le signe de la permanence d’une exploitation sur deux générations. Le clivage entre propriétaire et travailleurs y est bien moins marqué que dans le cas des cultures tant en matière de migration qu’en termes d’implication dans la pratique agricole. En tous cas dans l’élevage laitier. Les informations recueillies sur l’élevage de taureaux à viande et sur l’élevage avicole sont en effet plus nuancées.

Se lancer dans l’élevage avicole, activité nouvelle et "moderne" – l’élevage se fait en batterie, suppose un niveau d’éducation élevé ainsi qu’une capacité d’investissement de départ relativement importante puisque les poussins et la nourriture ne peuvent s’acquérir qu’auprès de grosses sociétés internationales d’agroalimentaires. L’ensemble de ces facteurs

Le cas de l’élevage à viande quant à lui, s’enracine dans l’histoire de l’agglomération du Grand Khartoum au même titre que les cultures au sens où il est dominé par des familles du Grand Khartoum généralement originaires des espaces d’arrivée traditionnels des troupeaux en provenance de l’ouest (Abu Seïd, et plus généralement Omdurman). Dans cet élevage, les besoins en matière d’investissements sont très importants puisqu’il faut pouvoir acheter les troupeaux à leur arrivée de l’ouest (principale région productrice de bovins d’embouche au Soudan) et avoir encore suffisamment d’argent pour l’engraissement des bêtes jusqu’à leur revente pour l’abattage. Mustafa Ismaël, Directeur de l’Animal ressource Company, affirme que le marché de la viande bovine de la capitale est entre les mains de 25 grossistes, tous issus de familles citadines, et plus spécifiquement d’Omdurman (entretien juin 2005).

Dans ces deux domaines d’élevage, le travail agricole (les soins aux animaux) est pourtant majoritairement assuré par une population migrante. Et c’est précisément le point commun à l’ensemble des activités agricoles urbaines du Grand Khartoum. La main-d’œuvre dans l’agriculture urbaine est massivement d’origine rurale et migrante.