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CHANGEMENTS PRINCIERS ET INTERVENTION FRANCAISE OU LE TEMPS DES BOULEVERSEMENTS

Chapitre 9 le temps des conversions

L’historiographie allemande a souvent mis en exergue le rôle important de la France pour la restauration du catholicisme dans la partie occidentale du Saint Empire, insistant notamment sur l’idée que cette Contre-réforme (Gegenreformation) prit rapidement des accents violents à l’encontre des protestants. Il est vrai que la perception des événements fut brouillée par la guerre de la Ligue d’Augsbourg et les ravages occasionnés par les Français dans le Palatinat, ainsi que par l’attitude de la monarchie à l’égard des calvinistes du royaume. Faut-il adhérer sans retenue à l’idée selon laquelle la monarchie nia d’emblée les droits des protestants pour les forcer à rejoindre le giron de l’Eglise romaine ? Certes non. La diversité des situations politiques – il faut inclure l’action des princes d’Empire catholiques - et géographiques appelle à nuancer cette interprétation, à peser davantage le poids des réalités géopolitiques de la rive gauche du Rhin. Il y a bien eu d’actives entreprises à l’égard des protestants, mais, à y regarder de plus près, celles-ci, sous leurs formes les plus violentes, sont circonscrites dans un espace relativement limité.

9.1. Mesures contre le culte protestant sur le cours de la Sarre.

Le 17 octobre 1685, le roi en son Conseil révoque l’édit de Nantes qui n’a plus lieu d’être, l’hérésie huguenote ayant été en majeure partie éradiquée. La situation désespérée des religionnaires du royaume de France ne peut qu’engendrer méfiance et inquiétude chez les nouveaux sujets du roi des pays réunis. Officiellement, l’édit de Fontainebleau n’a pas à être appliqué sur des terres non comprises par l’édit de Nantes. Pourtant, les choses sont-elles aussi simples ? Ce n’est pas sûr à observer de plus près l’attitude des autorités françaises à l’égard des protestants des terres nouvellement réunies. Quelle est la portée de l’édit de Fontainebleau sur ces terres ? Les protestants connaissent-ils partout un traitement identique de la part de la monarchie française ? Questions complexes qui nécessitent de se rendre à nouveau en plusieurs lieux pour forger une image de la politique française sur la rive gauche du Rhin après 1685.

a) La destruction des temples.

Le culte calviniste, dans le pays messin et dans la partie méridionale de la province de la Sarre, est directement touché par la révocation de l’édit de Nantes. La protection théorique accordée par la paix de 1648 ne joue plus sur les terres d’Empire du Nassau. Les mesures prises à l’encontre des espaces de culte protestants touchent les calvinistes, mais aussi les luthériens.

L’édit de Fontainebleau a pour corollaire la destruction des derniers temples calvinistes du royaume. Il y a déjà eu une vague importante de destructions au cours des années 1661-1664, sous l’impulsion du clergé, visant à une plus stricte et étroite lecture de l’édit de 1598890. Ces destructions ont lieu en présence d’un officier de justice, parfois de l’intendant, du lieutenant général de la province ou d’un officier supérieur du roi. Il s’agit, aux yeux des catholiques d’un acte de justice, rétablissant la religion romaine et le roi dans leurs droits. A Metz, l’édit du 17 octobre est à peine en cours d’enregistrement que le procureur général du parlement de

890 Voir Solange DEYON, « La destruction des temples », in : La Révocation de l’édit de Nantes, Actes du colloque, op. cit., 1986, p. 239-259, ici p. 244. L’auteur souligne en particulier que les destructions sont parfois le long aboutissement de procédures en cours depuis des décennies (p. 246).

Metz fait fermer en fin d’après-midi, le 20 octobre, les portes du temple « avec des cadenas comme aussi les coffres et armoires où étaient enfermés tous les linges, coupes, plats et autres ustensiles dont on se servait dans le temps que l’on administrait les saints sacrements du baptême et de l’eucharistie »891. L’intendant Charuel effectue l’inventaire du temple de Metz le 22 et la destruction débute le jour même d’après Jean Olry : « le lundi vingt-deuxième dudit mois, à neuf heures du matin, à l’audience du Parlement, l’on publia solennellement la révocation de l’édit de Nantes et de celui de Nîmes, dont M. le Procureur général requit l’enregistrement ; ce que la cour ayant ordonné être fait, on donna des ordres pour aller abattre et démolir notre temple avec les bâtiments qui en dépendaient, et on vit une grande populace courir avec précipitation à l’exécution de cet injuste projet, et à grands coups de haches, de marteaux, de cognées, de hoyaux et autres instruments de destruction, mettre en pièces toutes les portes du temple, abattre les toits et renverser les murailles jusques aux fondements. L’on peut croire que la chaire des ministres ne fut point épargnée, non plus que les galeries. Le tout fut mis en pièces et en morceaux, excepté les bancs, chaises et places des dames, qui furent mis à part, et depuis transportés dans les églises de nos persécuteurs, qui s’en sont servis fort utilement. Il faut remarquer en passant que leur diligence fut si grande à ruiner ces édifices, que le soir du même jour il ne paraissait pas qu’il y eût eu autrefois aucune forme ni apparence de temple en ce lieu-là »892. Destruction en effet bien prompte, qui dénote du souci d’éradiquer la moindre trace du souvenir calviniste, mais aussi teintée d’un pragmatisme qui laisse entrevoir une exécution des ordres du roi sous le contrôle des autorités. Le travail est parachevé dans les jours suivants : des lettres de Louvois des 27 et 29 octobre ordonnent à Charuel de faire raser les restes du temple de la ville ainsi que celui de Courcelles-Chaussy893. A l’emplacement du temple de Metz, les jésuites bâtissent l’église Saint-Louis, empêchant toute réunion calviniste sur les lieux et affirmant du même coup la supériorité de la foi catholique.

La vague de destruction des temples gagne une partie de la province de la Sarre. Un état des temples situés dans les lieux réunis a été fait et envoyé à Louvois par Mr de Corberon le 24 octobre 1685894. Le 8 novembre 1685, le secrétaire d’Etat à la Guerre indique au comte de Bissy que « l’intention du Roy est que tous les temples soit Luthérien ou Calviniste, lesquels sont situez dans les lieux qui estoient soubs la souveraineté du Duc de Lorraine en l’année 1669 soyent rasez, et qu’a l’esgard des Esglises basties dans les lieux qui ont reconnus le Duc de Lorraine en l’année 1665 dans lesquelles les luthériens faisoient le service concurremment avec les catholiques, que l’exercice de leur Religion y soit deffendu, et les dittes Esglises demeurent entierement aux Catholiques »895. Ce qui transparaît au-delà de ces ordres, c’est l’assimilation de la Lorraine au royaume. Le choix de l’année 1669 est vraisemblablement fondé sur le fait que le duc de Lorraine est à cette date encore maître de ses Etats et qu’il occupe de surcroît des terres d’Empire enclavées au sein de ses Etats, comme le comté de Sarrewerden. Les noms des temples à détruire sont mentionnés dans les jours suivants. Louvois fait savoir à la Goupillière, le 4 décembre 1685896, qu’il n’y a pas à tolérer « d’autre exercice de la religion que de la catholique dans les pays dont on a pris possession au nom de

891 La persécution de l’Eglise de Metz décrite part le Sieur Jean Olry ci devant avocat au Parlement et notaire

royal en ladite ville et dédiée à sa famille, Hanau, 1690, Paris, 1860 (2ème éd.), cité d’après Françoise DUCHASTELLE, « L’Eglise réformée de Metz (XVIe-XVIIe siècles) : le témoignage d’une exposition », in :

Protestant messins et mosellans, op. cit., p. 13-46, ici p. 38.

892 Jean Olry cité d’après Françoise DUCHASTELLE, « L’Eglise réformée de Metz (XVIe-XVIIe siècles) : le témoignage d’une exposition », op. cit., p. 40.

893 PERNOT, « La révocation de l’édit de Nantes », op. cit., p. 136.

894 SHAT A1 757, lettre du 6 novembre 1685.

895 SHAT A1 757, lettre du 8 novembre 1685.

896 SHAT A1 752 fol. 84. Un ordre identique a été donné à Charuel, intendant des Trois-Evêchés (SHAT A1 752 fol. 89).

Sa Ma depuis la retraite du dit duc de Lorraine de Nancy, Sa Ma desir que vous fassiez desmolir incessamment les temples de Bouquenom, Bousbach, Fenestrange et Loraintz ». La prudence est de mise avec l’annonce des lieux concernés par les destructions. En effet, au cours du même mois de décembre 1685, Louvois reçoit une lettre lui indiquant que « le Roy a fait détruire les temples de Bouquenom, Bourbac, Lorainz et Fénétrange »897. Or, ces indications sont pour partie erronées. En effet, seul le temple de Bourbach est effectivement détruit. Ceux de Bouquenom, de Fénétrange et de Lorenzen ne sont pas concernés par celles-ci, car ils servent aussi au culte catholique898. Dans ce cas là, le terme de destruction est à comprendre comme la disparition des traces du culte protestant ou du moins dans un sens symbolique. Une autre condition apparaît pour la destruction des temples : la date d’occupation par les Français. Pour le temple de Diemeringen, Louvois indique que « si le temple de la petite ville de dimmering doibt estre demoly, il faut scavoir si les troupes de Sa Majesté en ont pris possession aussy tost apres leur entrée dans le pais, lorsque le vieux duc de Lorraine se sauva de Nancy, et en ce cas il doidt estre abattu »899. A propos des temples du comté lorrain de Bitche, Louvois fait savoir à Bissy que ceux-ci « ne devant point estre desmolis, par ce que les armes du Roy n’ont point pris possession de la ditte Ville qu’après la paix de 1678, Sa Ma m’a commandé de Vous en advertir, afin que vous ne les fassiez point razer »900.

Début décembre, les événements suivent leur cours. Le 16/26 novembre, le capitaine Simon est apparu à Fénétrange avec une petite troupe de 8 à 10 archers. Dans les jours suivants, il se rend à Bitche avec le doyen François Pierron et réquisitionne sur ordre du comte de Bissy une compagnie de mousquetaires. Simon entreprend alors la destruction des temples, comme en témoigne le doyen Fénétrange : « le 29e, 30e novembre et premier decembre dernier [1685] les trois temples calvinistes de Bourbach, Alteville et Guerling furent rasé à fleur de terre »901. A Burbach, Simon est arrivé le mercredi 28 au soir avec 53 hommes et des charettes ; le lendemain, le temple est détruit et la cloche emportée à Bouquenom902. La vague de destruction touche également le temple luthérien de Miderch [Mittersheim]903 et peut-être ceux de Reisweiler904 et de Diemeringen905. Fin décembre 1685, Louvois ordonne au comte de Bissy de détruire le temple de Lixheim qui « doit estre raze comme les autres puisqu’il ne doibt rester aucun temple en Lorraine, non plus que tout le pays qui est presentement du ressort du parlement de Metz »906. Les destructions touchent ainsi des terres d’Empire, comme ces villages du comté de Sarrewerden qui ne sont pourtant pas concernés par la législation religieuse française. D’autres lieux appartenant à la famille de Nassau connaissent le même traitement : les temples calvinistes de Ludweiler907 et de Wilhelmsbrunn sont aussi détruits908. Nous sommes bien dans la logique d’éradication du calvinisme et d’ôter tout

897 SHAT A1 758.

898 Dans sa lettre à Corberon du 6 novembre, Louvois précise « qu’il ne faut point abattre les temples qui servoient aux luthériens conjointement avec les catholiques, par ce qu’ils doivent estre aux catholiques, et je crois que celuy de Bouquenom est de cette nature » (SHAT A1 757).

899 SHAT A1 758, lettre du 30 décembre 1685. Les troupes françaises étaient présentes en 1673.

900 SHAT A1 758, lettre du 11 décembre 1685.

901 BN Collection Lorraine n°939 fol. 247-248.

902 MATTHIS, Bilder der Grafschaft Saarwerden, op. cit., p. 7.

903 D’après le procès-verbal de la visite de 1686 (ADMM 1 F 172).

904 LASb NS II Nr. 5482 fol. 24. Malgré cette mention des archives, il n’est mentionné nulle part ailleurs une telle destruction.

905 SHAT A1 758, lettre du 30 décembre 1685 de Louvois à Bissy.

906 SHAT A1 756 fol. 304, lettre du 28 décembre 1685.

907 Louvois écrit au comte de Bissy le 26 novembre 1685 : « Vous ne devez pas manquer d’envoyer desmolir diligemment le temple de Loudweiler » (SHAT A1 757).

espoir de renouveau aux derniers hérétiques, que la persuasion et le temps doivent finir par vaincre.