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LE CONTEXTE POLITIQUE ET RELIGIEUX DES

Chapitre 1 : Les changements confessionnels au cours de la guerre de Trente Ans

1.2. La progression luthérienne

Le 6 et le 7 décembre 1631, Gustave Adolf franchit le Rhin à Mayence ; il se dirige vers le sud alors qu’une partie de ses troupes prennent la direction du sud-ouest. Les Suédois chassent les Espagnols et prennent leurs quartiers d’hiver dans le Bas-Palatinat : Oppenheim est occupée, ainsi que les villes et villages de la Bergstrasse. En janvier 1632, Frankenthal tombe aux mains des Suédois de même que de nombreuses villes de la rive gauche ; Heildelberg cède à son tour en mars 1632. Le comte de Nassau-Sarrebrück et le duc de Deux-Ponts ne peuvent plus rester inactifs et s’engagent aux côtés du roi de Suède. La ville de Deux-Ponts reçoit amicalement les Suédois alors que les habitants du bailliage de Lichtenberg, des bailliages de Sarrebrück et d’Ottweiler, s’associent aux soldats de Gustave Adolf pour piller à Noël 1631 l’abbaye de Tholey ; le prieur ne doit sa liberté qu’à une rançon payée de Luxembourg. Face à la progression suédoise, les moines de Wadgassen prennent la fuite103. Si des institutions catholiques sont ici mises à mal, on peut difficilement voir là une quelconque politique anti-catholique ; il ne s’agit guère que « d’émotions » favorisées par le contexte et il n’y a pas d’interdiction formelle du culte catholique là où il existe déjà.

L’occupation suédoise favorise la reconnaissance de la liberté du culte pour les luthériens de Heidelberg, Kreuznach et d’Oppenheim, en dépit des protestations de l’Electeur palatin Frédéric V qui meurt le 29 novembre 1632104. Le comte-palatin Ludwig Philipp, tuteur du jeune Karl Ludwig, reconnaît la liberté religieuse aux luthériens ainsi que le droit d’ouvrir des écoles par la signature du traité de Heilbronn, le 14 avril 1633. Les années 1633-1634 voient ainsi la reconnaissance officielle du culte luthérien dans le Palatinat105. Là encore, les Suédois n’ont en rien tenté d’imposer la religion luthérienne par la force à d’autres confessions. Leur force militaire leur a offert la possibilité d’imposer la liberté de culte dans des lieux où les communautés luthériennes ne sont pas des minorités marginales. Le traité de Heilbronn stipule entre autres que là où ils constituent la majorité de la population, les calvinistes doivent leur céder le temple et les revenus afférents106. A Oppenheim, le culte luthérien est déjà exercé de 1622 à 1626, pendant l’occupation espagnole : le pasteur Tobias Plaustrarius, à la demande de nobles d’Oppenheim et du Conseil urbain, officie dans la Katharinenkirche, sans l’aval du gouvernement espagnol de Kreuznach107. Cela ne dure guère : en 1625, le culte

103 HERRMANN, Landeskundes des Saarlandes, op. cit., p. 241.

104 FLEGEL, op. cit. p. 24.

105 Gustav BENRATH, « Die konfessionellen Unionsbestrebungen des Kurfürsten Karl Ludwig von der Pfalz »,

ZGO, 116, 1968, p. 187-252, ici p. 195 ; Burkard Gotthelf STRUVE, Ausführlischer Bericht von der Pfälzischen Kirchen-Historie, Francfort/Main, 1721, p. 571s.

106 A Kreuznach, Oppenheim et Mosbach, les Suédois mettent en application cet article de traité.

107 FLEGEL, op. cit. p. 25-26 ; ce dernier cite un passage de la Chronique de la ville d’Oppenheim, daté de 1728, p. 14s (LASp U 298/12) : « Als Anno 1623. Ein Ehrsamer Rath sich beführet [befürchtet] […] die Spanische Regirung möge die Evangelische Religion gar abschaffen, und ihre Papistische dagegen einführen, hatt desswegen zugefahren, und in die Cathrins Kirch einen Evangelischen Prediger Augspurgischer Confession eingesetzt, undt den Calvinischen M. Rhemum in St. Sebastian Kirch verschafft, aber diess hat leyder nicht helfen mögen, dann Anno 1624, im Obris [Octobris] seyndt beyden theilen die Kirchen genommen worden, undt

luthérien est interdit, en 1626 les Espagnols interdisent aux pasteurs d’exercer et en 1627 ils donnent le choix à la population de se convertir au catholicisme ou de quitter la ville. En 1632, les Suédois installent à nouveau un pasteur dans la Sebastiankirche et une école est ouverte. Le culte est simultané avec les calvinistes dans la Katharinenkirche. En 1637, le retour des Espagnols entraîne la dissolution de la paroisse luthérienne et le renvoi du pasteur108.

A Kreuznach109, les Suédois sont à l’origine de la paroisse luthérienne. En tant qu’administrateur des territoires occupés par les Suédois, Oxenstierna nomme en juillet 1632 un pasteur et effectue en 1633 un partage des lieux de culte entre les trois confessions : les calvinistes conservent la Wörthkirche, les catholiques restent à l’église franciscaine Sankt-Wolfgang et les luthériens obtiennent la Nikolauskirche où des enfants luthériens ont déjà été baptisés à l’automne 1632. Toutefois, malgré le soutien suédois, le pasteur luthérien, assisté depuis janvier 1633 par un diacre, rencontre des difficultés pour exercer son ministère en raison des réticences du Palatinat, en particulier pour la jouissance des dîmes. Le 1er mars 1635, l’écuyer palatin interdit de séjour le diacre qui meurt peu après de la peste dans la campagne alentour. D’ailleurs, en juillet 1635, les troupes impériales occupent Kreuznach et entreprennent la restauration de la religion catholique. Les carmes s’emparent de la

Nikolauskirche et si, au début, ils tolèrent encore le pasteur luthérien, un moine le chasse

définitivement en octobre 1636. Les luthériens se voient fermer les portes de l’église mais sont toutefois soutenus spirituellement par le pasteur de Bretzenheim jusqu’au décès de celui-ci en 1637. Malgré la résistance de l’écuyer palatin, une initiative du Rhingrave permet au pasteur de Wendelsheim, Justus Wilhelm Nigrinus, de prendre en main la paroisse luthérienne en 1638. La grange aux dîmes des Rhingraves du Simmerner Hof leur sert de lieu de culte. Les catholiques limitent les libertés de culte des luthériens qui parviennent cependant à exister en tant que communauté jusqu’à la fin de la guerre. Comme pour la progression du catholicisme jusqu’au début des années 1630, le sort des armes scelle pour un temps le destin des minorités luthériennes. Les troupes impériales s’emparent en 1635 de Heidelberg, les Espagnols d’Oppenheim, d’Alzey, de Kaiserslautern et de Frankenthal (automne 1635) ; Kreuznach est définitivement en leur possession à partir de 1641. Débute alors la seconde phase du renforcement catholique sur les deux rives du Rhin.

***

Quel bilan tirer de ces quelques événements ? L’année 1648 est souvent considérée comme une « année zéro » parce que les traités, en particulier celui d’Osnabrück, ont établi des règles religieuses qui sont restées la référence jusqu’à la dissolution du Saint Empire. Pourtant, le précédent développement veut montrer qu’il y a eu un « avant 1648 ». Celui-ci a une portée

hatt mann den Lutherischen allien verstatt im teutschen hauss zu predigen, welchess aber auch nicht länger gewähret, alss biss auf den Ersten Februarij 1626. Da hat die Regierung beyder Religionen diener gar abgeschafft, undt endlich die Inwohner im 9br [Novembre] ao. 1627 undt hernacher gantz Päbstischen glauben gezwungen, oder die statt zu räumen, mit hinterlasung dess Zehenden von alles anbefohlen, Diesse gewüssens angst hat aber auch nicht länger, als biss inss Endte dess 1631. Jahrs gewähret, da Gotte der allmächtige rettung durch den König in Schweden verliehen, das beyde Religionen wieder Ihr freyes Exercitium bekommen, undt gehabt, biss ins Jahr 1635. Hienauss, da dann die beyde Lutherische Pfarrer zu St. Sebastian gestorben, undt kein andere ahn deren stelle anzunhemen von der Spanischen Regirung gestattet worden. Bleibt also der Reformirten Kirchen wessen zu St. Catharina/ : wie wohl sehr bestrickt:/ neben der Catholischen biss dato, noch in übung da ».

108 FLEGEL, op. cit., p. 26-27.

bien plus grande que l’on a parfois voulu lui accorder si bien que toute généralisation reste abusive. Il est vrai que la situation humaine en 1648 n’est pas identique à celle de 1631 ou 1635. La guerre a poursuivi ses ravages et la dépopulation est fort grande dans la région étudiée. Toutefois, ce serait un bien étrange hasard que les victimes de la dernière décennie de la guerre n’aient été que des catholiques ou des luthériens dans le Palatinat calviniste ! Même si seuls des noyaux confessionnels subsistent, on ne peut les écarter de notre réflexion sur l’après-1648, comme nous allons le voir. Si en 1618, il n’y a pas d’uniformité religieuse territoriale, c’est encore moins vrai en 1648 : la trame confessionnelle est certainement encore plus diffuse. L'idée de « gel confessionnel » sur la rive gauche du Rhin est une notion à réviser même s’il est vrai qu’un nombre (important ?) des conversions à la religion catholique ont été suivies dès le retour à la paix par des abjurations. Quelle est alors la place des minorités après 1648 ? Quelle place leur accorde les traités de paix?