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LE CONTEXTE POLITIQUE ET RELIGIEUX DES

Chapitre 3 : reconstruction et confessions aux lendemains de la paix

3.2. Reconstruction, migrants et confessions

La guerre de Trente ans constitue un grand choc démographique pour l’ensemble du Saint-Empire249 ainsi que pour la Lorraine250, même si la recherche des dernières décennies a nuancé « le mythe de la furie destructrice de la Guerre de Trente Ans »251. Georges Livet252 dresse le constat suivant : « pendant plus d’une génération la guerre désole l’Allemagne. Une enquête minutieuse ou plutôt une multitude d’enquêtes s’impose pour en préciser les effets. Il n’est pas aisé de dresser un bilan ; tout au plus peut-on tenter de dégager quelques lignes de force en fonction des travaux récents ». Il précise à juste titre que les pertes humaines ne constituent qu’un aspect du problème et qu’il faut prendre en compte les migrations et les déplacements de population pour saisir la complexité du phénomène démographique. Geoffrey Parker va dans le même sens en indiquant l’apport essentiel des monographies qui seules permettent après un important travail de comparaison d’ « avancer des évaluations moins hasardeuses que celles du siècle dernier »253. De plus, il convient d’accepter que l’impact démographique n’a pas été identique sur l’ensemble du territoire du Saint Empire, ne serait-ce qu’en raison de la périodicité des opérations militaires. Dans l’espace rhénan, quelle évaluation démographique peut-on dresser et surtout quelles sont les conséquences confessionnelles des bouleversements humains issus de cette guerre ?

a) Un dépeuplement important.

Le Rhin, axe de communication des armées, est un espace fortement touché par les destructions et les pertes humaines. Des villes comme Mayence, Heidelberg ou Spire subissent les conséquences de la présence des armées et de leurs maux : la population de

aedibus propiis aut alienis eirei destinatis per suos aut vicinos verbi divini ministros peragere liberum esto », cité d’après FLEGEL, op. cit., p. 34.

249 Voir à ce propos Gunther FRANZ, Der dreißigjährige Krieg und das deutsche Volk, Jena, 1943.

250 Sur la guerre de Trente Ans en Lorraine, voir le nouvel ouvrage de Philippe MARTIN, Une guerre de Trente

Ans en Lorraine, Metz, 2002 ; pour la région de la Sarre, voir Hans-Walter HERRMANN, « Der Dreissigjährige

Krieg », in : Kurt HOPPSTÄDTER , Hans-Walter HERRMANN (dir.), Geschichtliche Landeskunde des

Saarlandes. op. cit., p. 229-265.

251 PARKER, op. cit., p. 310.

252 Georges LIVET, La guerre de Trente ans, op. cit., p. 47.

253 PARKER, ibid. De son côté, G. Livet avance « que les épidémies et la guerre ont coûté à l’Allemagne 40 % de la population des campagnes et 30 % de celle des villes », La guerre de Trente Ans, op. cit. p. 60.

Mayence est décimée de moitié en 1635 par la peste et la famine ; la ville de Spire est occupée par les Suédois en janvier 1632, par les Espagnols en mai, à nouveau par les Suédois en juillet, en 1634 par les Bavarois et en 1635 par les Français254 ! La rive gauche du Rhin reste un théâtre d’opération tout au long du conflit. Une accentuation de la pression militaire se fait toutefois davantage sentir après 1635 en raison de l’intervention de la France : pour le comté de Sarrewerden, ce sont les « années terribles » qui débutent sur une terre jusqu’alors relativement épargnée. La dépopulation semble importante : en 1671, un mémoire d’un fonctionnaire du comté de Nassau estime que le nombre de sujets imposable est passé de 1500 avant-guerre à 277 à cette date. Des villages restent inoccupés pendant de longues années, comme Berg (24 années) ou Eyweiler (14 années)255 ; cette dépopulation s’explique cependant en partie par le transfert de population vers des espaces de refuge comme les bourgs fortifiés de Bouquenom, Diemeringen, Fénétrange ou la ville de Strasbourg256. Lixheim, en 1632, compte 116 maisons et 1356 habitants, mais avec la venue des Suédois et des épidémies, la ville ne possède plus que 375 âmes en 1651257. Fénétrange, bourg comparable à Lixheim en population ne compte quant à lui que 50 conduits en 1661, soit 200 à 250 habitants258. L’année 1635 reste dans les mémoires comme « l’année des Croates », ces soldats impériaux ayant laissé dans la mémoire populaire un triste souvenir. Sur les marges orientales de la Lorraine, la situation n’est guère plus satisfaisante. Au Nord et au Nord-Est les pertes sont très élevées259. L’office de Bitche a perdu 87% de ses habitants260. Dans une enquête sur 170 communautés, Marie-José Laperche-Fournel261 note qu’au début du XVIIIe siècle, la région de Boulay, Sierck, Saint-Avold, Siersburg et Vaudrevange fait partie des secteurs les moins peuplés de Lorraine. Il y a eu un effondrement du peuplement entre 1633 et 1640 et cette carence démographique perdure jusque vers 1655-1658. L’ensemble de la Lorraine aurait perdu de la moitié aux deux-tiers de sa population par rapport à 1585. Dans le pays de Siersburg, 14 communautés ont perdu 75% de leur population entre 1585 et 1668; dans les environs de Saint-Avold, le pourcentage de ces pertes est très proche pour 9 localités (72,6%)262.

Dans la Sarre voisine et sur la Blies, la dépopulation est quantitativement proche comme l’indique le document n°1263 :

254 Franz PETRI, Georg DROEGE (dir.), Rheinische Geschichte 2 : Neuzeit, Düsseldorf, 1980, p. 144.

255 Gustav MATTHIS, Bilder aus der Kirchen- und Dörfergeschichte der Grafschaft Saarwerden, Strasbourg, 1894, p. 250.

256 C’est ce que peuvent laisser penser les relevés de baptêmes effectués sur les villes du comté qui indiquent des chiffres élevés pour ces bourgs qui ne sont tout de même que de « gros villages » (voir le relevé dans MATTHIS,

Bilder aus der Grafschaft Saarwerden, op. cit., p. 241). Fénétrange sert ainsi de refuge à la communauté de

Wiebersweiler et Moscherosch indique que la ville est également peuplée des paysans des environs qui y trouvent la sécurité pour eux-mêmes et leur bétail (MATTHIS, ibid., p. 251). A Strasbourg s’est constituée une petite communauté issue du comté autour du pasteur de Bouquenom ; la famille Hans Schmidt de Hirschland porta d’ailleurs pendant quelques générations le surnom de « Strassburger Hans » (Robert GREIB, « L’immigration suisse dans les paroisses du comté de Nassau-Sarrewerden après la guerre de Trente Ans »,

SHAS, 75-76, 1971, p. 1-111, ici p. 13).

257 Heinrich EICHELMANN, op. cit., p. 26-27.

258 Albert EISELE, « Un « état » singulier et minuscule : la baronnie de Fénétrange », Cahiers lorrains, 1991-2, p. 111-145, ici p. 128-129.

259 La Lorraine aurait perdu 60% de sa population, mais avec des variations importantes selon les lieux.

260 Guy CABOURDIN, « Le repeuplement en Lorraine après la guerre de Trente ans », Généalogie lorraine, numéro spécial, supplément n°66 juillet 1987, p. 28-30, ici p.30.

261 Marie-José LAPERCHE-FOURNEL, « Le peuplement des pays de la Nied de la fin du XVIe au début du XVIIIe siècle », Cahiers lorrains, 1984 2-3, p. 143-151, ici p. 144.

262 Ibid., p. 146-147. L’auteur précise que pour l’office de Saint-Avold, de 1585 à 1672, le nombre de conduits est passé de 128 à 35, pour l’office de Sierck, de 116 à 15 et celui de Siersburg de 182 à 52.

Document n°1 : guerre de Trente Ans et dépopulation entre Sarre et Blies.

Pertes en pourcentage Années de comparaison

Bailliage de Sarrebruck 84%

Bailliage d’Ottweiler 83,5%

Bailliage de Homburg (sans la ville de Homburg)

Environ 100% Vers 1632 et 1648

Bailliage de Blieskastel 88% 1598 et 1651

Bailliage de Siesberg 72,8% 1590 et 1667

Duché de Deux-Ponts 90% 1600 et 1675

G. Franz indique de son côté que la région autour de Mettlach et Siersberg perd 72,8% de sa population au cours de la guerre, en particulier après 1634 lorsque la peste touche les comtés de Sarrebrück et d’Ottweiler. En 1639, dans le bailliage de Saarburg, seules 209 maisons sur 1121 dans 64 villages sont encore occupées ; 18 villages restent complètement vides264. Le rapport du Rentmeister Klicker daté du 7 décembre 1635 et adressé au général Walmerode mentionne le même état de désolation de ces lieux265. A Ottweiler, il n’y a plus que 17 habitants dont 7 malades ; dans ce bailliage, on compte pas moins de 5 villages vides et la nourriture manque partout. Dans les villes de Saint-Jean et de Sarrebrück, il ne reste plus que 70 habitants et les villages du comté sont désertés, soit en raison des décès soit des migrations, en particulier vers Metz, Trèves et Luxembourg. Au 1er mai 1648, les deux mêmes villes ne comptent plus guère que 100 maisons sur 453 (soit un recul de 78%), pour beaucoup occupées par des veuves. Les villages du bailliage de Sarrebrück connaissent quant à eux un recul plus important, de l’ordre de 89,7%266. A Ludweiler, implantation huguenote, nul ne sait si quelqu’un y vit encore car plus personne ne s’y est rendu depuis un moment. En 1651, seules 16 familles subsistent dans les paroisses de Kölln, Heusweiler et Wahlscheid, soit 10% de la population de 1635267. Dans le comté de Sarrebruck, en 1648, sur les 1162 maisonnées, il en reste 188, sans compter la prévôté de Herbitzheim268. Le village de Saarwellingen n’est plus habité de 1635 au début des années 1650269. Le bourg de Blieskastel a perdu 85% de ses habitants : avant la guerre, on y comptait une trentaine de maisons, puis seulement quatre. Dans les villages environnants, le constat est le même : Würzbach, Lautzkirchen sont complètement détruits, Ballweiler, Bebelsheim, Biesingen, Erschweiler, Halbkirchen, Mandelbach, Rubenheim et Wittersheim comptent chacun deux habitants ; à Ommersheim, il y en a seulement neuf270.

Le duché de Deux-Ponts n’échappe pas à la sinistre règle : il connaît d’importantes pertes humaines (près de 90%). Sur la Queich, en 1636, le village d’Albersweiler compte encore six familles mais en 1637, seize personnes meurent de faim et des violences. En 1645, le village est encore complètement vide et dévasté271. Il est difficile d’avancer avec certitude des

264 FRANZ, op. cit., p. 45-46.

265 Voir Albert RUPPERSBERG, Geschichte des Saargebietes, Sarrebrück, 1924, p. 125-127 ; HERRMANN,

Geschichtliche Landeskunde des Saarlandes, op. cit., p. 259-261.

266 HERRMANN, Ibid., p. 264.

267 Karl Ludwig RUG, Die Evangelischen Familien des Köllertales vor 1840, Sarrebrück, 1984, p. 30 ; LASb NS II 2662.

268 HERRMANN, Geschichtliche Landeskunde des Saarlandes, p. 262.

269 Le Rentmeister Klicker mentionne en 1635 : « Wellingen, kriechingisch und nassauisch in Gemeinschaft, ist nicht mehr bewohnt ». Voir également Klaus MEYER, Die Einwohner von Saarwellingen vor 1815, Sarrelouis, 1995 (Quellen zur Genealogie im Landkreis Saarlouis und angrezenden Gebieten, tome 8), p. 49.

270 Hermann Josef BECKER, Blieskastel und sein Gnadenbild. Ein Beitrag zur Geschichte der Marienverehrung

im Saargebiet, Sarrebrück, 1931, p. 24.

271 Le pasteur réformé de Frankweiler et Albersweiler indique en effet que « diess gantze Jar wegen Kriegs Vnsicherheit niemand zu Albertsweiler gewohnt vnd allso kein Kind daselbst geboren, ist auch kein getaufft

chiffres. Lothar K. Kinzinger272, sur la base des rôles d’imposition, offre une estimation d’environ 20 000 habitants en 1480. Les guerres du XVIIe siècle et la peste ont sensiblement réduit ce nombre. D’après une description du conseiller à la chambre (Kammerrater) David König, en 1675, seules 2850 familles vivent encore dans le duché en 1675, soit une dépopulation d’environ 70%273. Seules 141 familles vivent dans 30 villages, soit autant que dans la ville même de Deux-Ponts274. Le comptage effectué par l’intendant de la Sarre en 1688 donne une estimation proche – 2774 familles, à l’exclusion du bailliage de Bergzabern. En Alsace, les pertes varient entre le tiers et la moitié de la population. En Alsace moyenne, il ne reste que 40% de la population initiale et « d’autres sources viennent confirmer pour des régions voisines un phénomène identique de dépopulation »275. Dans l’Electorat de Trèves, le constat est très proche. La ville de Trèves ne compte plus guère que la moitié ou les 3/5e de sa population d’avant guerre (environ 3500 personnes)276. Dans la ville, le nombre de personnes soumises à l’impôt recule de 39,4%277.

Dans le Palatinat, comme dans l’Electorat de Trèves, la dépopulation atteint les deux-tiers278. Dans une lettre du 20 février 1654, en vue d’obtenir un allégement des contributions financières, l’Electeur palatin dresse un bilan de la désolation de ses terres à l’empereur Ferdinand III : ses terres seraient pour la plupart inhabitées, de nombreux villages dévastés, les terres incultes et là où il subsiste des hommes, ce ne sont que de pauvres ères à peine capable de redresser leur chaumière et de gagner leur nourriture279. Quelques années après la signature des traités de paix, le bilan humain est très lourd dans le Palatinat, comme le montre l’exemple du haut-bailliage de Mosbach (rive droite) développé par A. Ernst280. Dans de nombreux lieux, la perte s’élève à plus de 50% de la population d’avant-guerre, pour atteindre parfois 70%, 75% voire davantage ! L’auteur souligne que sur la rive gauche, la situation est parfois encore plus catastrophique, comme dans le bailliage de Lautern qui perd la moitié de ses villages ou dans la Kellerei Hohenecken où, sur 58 villages, on ne compte plus guère que 500 âmes, soit 1/8e du nombre de 1635281. La ville de Kaiserslautern voit son nombre

worden », d’après les registres paroissiaux réformés d’Albersweiler, baptêmes, cité par Karl HAMM, « Die kirchlichen Verhältnisse im löwensteinischen Amte Scharfeneck-Kanskirchen, Albersweiler-Nördhälfte, Dernbach und Ramberg, von der Reformation bis 1803 », BPKG, 1967, p. 231-255, ici p. 239.

272 Lothar K. KINZINGER, Schweden und Pfalz-Zweibrücken, Probleme einer gegenseitigen Integration. Das

Fürstentum Pfalz-Zweibrücken unter schwedischer Fremdherrschaft 1681-1719, Deux-Ponts, 1988, p. 88.

273 Frank KONERSMANN, Kirchenregiment und Kirchenzucht im frühneuzeitlichen Kleinstaat. Studien zu den

herrschaftlichen und gesellschaftlichen Grundlagen des Kirchenregiments der Herzöge von Pfalz-Zweibrücken 1410-1793, Cologne, 1996 (Schriftenreihe des Vereins für Rheinische Kirchengeschichte, 121), p. 67.

274 FRANZ, op. cit., p. 45.

275 Louis CHÂTELLIER, Tradition chrétienne, op. cit., p. 43.

276 DROEGE, op. cit., p. 158. Ferdinand PAULY, Aus der Geschichte des Bistums Trier. Die Bischöfe von

Richard von Greiffenklau (1511-1531) bis Matthias Eberhard (1867-1876), Trèves, p. 42, cite quant à lui la

réduction de la population de la ville de 5280 habitants en 1609 à 2868 en 1652.

277 HERRMANN, Geschichtliche Landeskunde des Saarlandes, op. cit., p. 263.

278 Heinz SCHILLING, Höfe und Allianzen. Deutschland 1648-1763. Das Reich und den Deutschen, Berlin, 1994, p. 78. Certains, comme HÄUSSER, op cit., p. 534, ont pu avancer que la population du Palatinat est passée de 100 000 âmes à 2000. Même si ces données sont exagérées, il n’empêche que cela peut donner une idée de l’ampleur du vide démographique. Voir également FRANZ, op. cit., p. 45.

279 « ...zum mehrern Teil unbewohnt blieben ; inmassen dann nicht allein die meiste Weingärten und Äcker mit Bäumen und Sträuchern dergestalt überwachsen, dass man nicht mehr erkennen kann, dass sir jemals fruchtbar gewesen, sondern es liegen auch viele Dörfer noch ganz wüste, ohne dass ein lebendiger Mensch sich darin aufhält. In den übrigen Flecken und Dörfern aber ist kaum der zehnte, fünftzehnte oder zwanzigste Mann zu befinden, welche dazu mehrenteils so blutarm, dass es ihnen schwerfället, ihre abgebrenneten oder sonsten niedergerissenen Hütten wieder aufzubauen und ein Stück Brot für sich und die Ihrengen zu erwerben », (cité par ERNST, Die reformierte Kirche, op. cit., p. 56).

280 ERNST, Ibid., p. 57s.

281 Ernst CHRISTMANN, Dörferuntergang und wiederaufbau im Oberamt Lautern während des 17.

d’habitants passer de 2000 à 350. Oppenheim perd au moins 75% de sa population. Pour le proche village d’Undenheim, on signale en 1650 que personne n’y a habité depuis de nombreuses années jusqu’à il y a un an ; à Odernheim, le nombre d’habitants est passé de 180 à 30 en 1649. Les villes d’Alzey et de Kreuznach ont perdu au moins 50% de leurs habitants282.

Force est de constater que la désolation perdure dans les décennies suivantes sur l’ensemble de la région, comme l’indiquent entre autres les Renovationsprotokollen que l’on trouve encore en 1684. Nous l’avons dit, les fuyards ne sont pas systématiquement revenus, pour cause de décès ou parce qu’ils ont reconstruit leur vie ailleurs283. Les départs n’ont pas cessé au cours de la décennie suivant 1648. Certes, ces phénomènes sont difficilement quantifiables, mais il faut cependant les prendre en compte. De plus, les mesures prises en faveur de l’immigration ne semblent pas avoir entraîné un apport humain suffisamment important pour compenser les pertes. La ville de Kaiserslautern, à la fin du XVIIIe siècle n’a pas encore retrouvé sa population d’avant guerre. En 1656, dans la région entre Weilerbach-Erzenhausen et Katzenbach-Niedermohr, qui comptait 12 villages, il n’y a aucun habitant284. En 1684, dans le bailliage de Lautern, 10 villages sont encore à l’abandon malgré les efforts des autorités. A Waldfischbach, possession du couvent de Hornbach, en 1684, seuls deux habitants sont comptés. Pour pallier la situation, le receveur du couvent a passé en 1673 un contrat285 avec un dénommé Melchior Schildt, un sujet de Hinterweidenthal (Suisse) ; celui-ci travaille à restaurer maison et écurie, mais peu d’années après, sous la menace de la guerre, il abandonne sa nouvelle maison pour s’en retourner en Suisse. Il revient tout de même, après 1685. Dans le duché de Deux-Ponts, en 1685 la population s’élève à un quinzième de celle de 1600286. Dans le comté de Sarrebrück, la dépopulation paraît également conséquente287 et durable : le « protocole de rénovation » du Köllerthal288, mentionne encore en 1684 des villages inoccupés comme Kölln, Sprengen, Numborn, Rittershoh, Überhofen, Sellerbach.

Les raisons de cette durée du vide démographique sont liées à l’importance des pertes de la guerre de Trente Ans qui a touché de nombreux territoires qui cherchent tous à se repeupler alors que la quantité de candidats à l’immigration reste limitée. Toutefois, il faut bien noter que des causes directement liées au contexte de la seconde moitié du XVIIe siècle expliquent cette situation. En 1666-1667, la peste frappe durement le Palatinat : à Osthofen, elle tue en quatre mois 256 personnes ; à Frankenthal on compte 1500 morts et à Neustadt il ne reste en vie que 400 habitants. La guerre et les mouvements de troupes n’épargnent pas la rive gauche

282 FRANZ, op. cit., p. 60 ; DROEGE, op. cit., p. 228.

283 Ce sont les premières vagues d’émigrations vers le continent américain.

284 CHRISTMANN, op. cit. p. 168.

285 « [Melchior Schidt] 15 jahre lang unter folgendes Bedingungen beziehen und geniessen soll : 1. Soll er das freie Wohnhaus und Stallung wieder aufbauen ; 2. Die ersten 5 Jahre solle er die Güter umsonst geniessen ; 3. Die folgenden 10 Jahren soll er jährlich dem kloster 10 Gulden als Pacht entrichten […] ; zugleich soll ihm erlaubt sein, solang kein Pfarrer da ist, die Pfarrgüter zu suchen und zu geniessen », cité d’après CHRISTMANN, ibid., p. 170-171.

286 Rudolf VIERHAUS, Staaten und Stände. Vom Westfälischen bis Hubertusburgen Frieden, 1648 bis 1763, Berlin, 1984 (Propyläen Geschichte Deutschlands, tome 5), p. 59.

287 En 1657, le pasteur Rudinger décrit une situation catastophique : « Denen durch Hunger, Entweichung oder auch durch tägliche Troublen von vieler Schwermut und Anfechtung abgematteten, gleichsam gemartet und darüber verstorbenen Pfarrern sein ihre verschmateten und halberstorbenen Schäflein zum Teil nachgefolgt oder durch den Hunger also ausgemattet, zum mehreren Teil eines schmählichen und bitteren Todes gestorben, daher es dann gekommen, dass das Land ohne Leute und die Kirchen ohne Prediger gelassen worden, ja aus vielen Kirchen Kühe-, Pferde- und Schweineställe gemacht worden und noch heutzutage ein grosser Mangel an Leuten sowohl, als Predigern gespürt wird, dass wo 20 oder 30 wohl bestellte Haushaltungen gewesen, jetzt kaum 5 oder 6 elende Hüttlein sind », cité d’après RICHTER, op. cit., p. 112-113.

du Rhin. En effet, rappelons la poursuite de la guerre entre la France et la couronne d’Espagne jusqu’en 1659. Ces hostilités se traduisent par la présence de troupes étrangères sur le sol du Saint Empire : les troupes espagnoles et lorraines occupent l’Electorat de Cologne et menacent la forteresse de l’Electeur de Trèves, Ehrenbreitstein, ce qui pousse ce dernier à entrer dans la Ligue du Rhin élaborée par la France (1658). Les troupes françaises pillent et rançonnent Merzig et le Saargau, occupent le château de Montclair. Nous l’avons évoqué plus haut, ce n’est que tardivement que les Espagnols et les Lorrains quittent certaines places fortes d’où ils rançonnent les régions alentour. La France ne restitue d’ailleurs la Lorraine à Charles IV qu’en 1661 (traité de Vincennes), c’est seulement en 1663 que les troupes françaises quittent cette terre.

Les querelles entre princes constituent également un frein à la reconstruction. Par exemple, dans sa logique de reconstruction, l’Electeur palatin remet en vigueur un droit féodal, le

Wildfang289 : les bâtards et les étrangers des territoires palatins et voisins sont considérés comme serfs et doivent s’acquitter d’un cens s’ils ne sont pas sous la protection d’un seigneur. Depuis 1454, plusieurs contrats ont été signés à ce propos avec les princes voisins et à la veille de la guerre de Trente Ans, le Wildfang est reconnu comme un privilège palatin. Or, la venue de nombreux immigrés de tous horizons dans les territoires voisins, la nécessité de trouver de l’argent pousse l’Electeur Karl Ludwig à exiger ce droit qui touche par exemple