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LE CONTEXTE POLITIQUE ET RELIGIEUX DES

Chapitre 3 : reconstruction et confessions aux lendemains de la paix

3.1. Les restitutions territoriales

Dans tout le Saint-Empire, les changements militaires ont occasionné des mutations de bénéfices, des appropriations de biens et de revenus les plus divers. Les traités ne résolvent pas d’un seul coup les différends soulevés par la volonté des propriétaires légitimes de recouvrer leurs biens. Les choses évoluent lentement et les restitutions tardent : en juin 1649, 313 cas restent en suspend et en juillet 1651, date de clôture de la chambre d’exécution de Nuremberg, seuls 39 propriétaires ont effectivement retrouvé leurs biens226. La rive gauche du Rhin n’échappe bien entendu pas à ce bilan.

Au cours de la guerre de Trente ans, des centaines de milliers de soldats ont sillonné le Saint-Empire. A l’heure des traités, en dehors de troupes des membres de l’Empire, les Suédois, les Espagnols, les Français sont encore bien présents sur l’ensemble du territoire, soit au moins encore 150 000 hommes dont la moitié aux ordres de la Suède227. Le maintien de ces troupes, essentiellement sous la forme de garnisons dans des villes et des places fortes, constitue pour les puissances étrangères autant de garanties pour le respect des clauses et l’acquittement de leurs « satisfactions » financières228. Pour la France, encore en guerre contre l’Espagne, il s’agit de maintenir sa présence sur le Rhin. A Nuremberg, une conférence prolonge les traités de Westphalie en vue de préparer un plan d’évacuation des troupes ; un accord est signé le 26 juin 1650, mais la conférence siège jusqu’en juillet 1651 en raison des nombreuses difficultés à régler. Si à l’automne 1649, la moitié des troupes suédoises est démobilisée, ce n’est qu’en 1654 que les dernières troupes quittent l’Empire229. Sur la rive gauche du Rhin, les troupes du duc de Lorraine continuent de semer le trouble et les Espagnols occupent toujours Frankenthal (jusqu’en mai 1652). La France, entre autres sous la pression des événements intérieurs, retire ses garnisons entre 1649 et 1651 (Wissembourg, Sarrebrück, Landau, Oppenheim, Neustadt,

226 LUH, op. cit., p. 17. Dans 148 cas les catholiques portent plainte contre les protestants, dans 120 cas, c’est l’inverse. Les autres cas relèvent de plaintes au sein d’une même confession ou entre protestants.

227 Antje OSCHMANN, Der Nürnberger Exekutionstag 1649-1650. Das Ende des Dreißiggjährigen Krieges in

Deustchland, Münster, 1991, p. 473. Sur les questions militaires et de démobilisation, voir également Bernhard

R. KROENER, « Der Krieg hat ein Loch… Überlegungen zum Schicksal demobilisierter Söldner nach dem Dreißigjährigen Krieg », in : DURCHHARDT (dir.), Westfälische Friede, op. cit., p. 599-630.

228 Comme Antje Oschmann le montre très bien dans l’ouvrage cité ci-dessus, le paiement des 5,5 millions de thalers est à la fois un moyen de pression sur l’empereur et une nécessité pour congédier ses troupes, soit environ 60 000 hommes.

Kreuznach, Alzey, Bacarach, Germersheim)230. Le maintien de ces garnisons représente autant de soutiens potentiels aux diverses minorités religieuses. Tant que les troupes étrangères sont présentes dans le Palatinat, la restauration de l’Eglise réformée est bien difficile231. A Alzey, occupée par les Français, l’Inspecteur réformé ne peut réoccuper sa maison et son poste car les augustins refusent de partir, forts de la présence des officiers français232. L’affaire n’est pas unique. A Wissembourg, les chanoines empêchent le pasteur Frosch d’Altenstadt d’exercer son ministère et le chassent de l’église233. Les ordres religieux, restaurés au cours des deux périodes de recatholicisation – avant 1632 et après 1641 -, tentent de maintenir leur présence : les capucins sont à Hördt et à Eußerthal. A Spire, ils occupent l’église Saint-Aegidius depuis 1623, date à laquelle l’archiduc Léopold les en a pourvu. Karl Ludwig, prince électeur du Palatinat, décide de mettre fin à cette situation. Avec l’approbation du conseil de la ville et l’appui du commandant français de la garnison, qui est protestant, les Frères capucins sont vivement incités à quitter les lieux : le 24 décembre 1649, dans l’après-midi, des officiers palatins, accompagnés de trois soldats palatins et d’une douzaine de paysans, armés de haches, pistolets et bâtons, font irruption dans l’église Saint-Aegidius, détruisent la claire-voie située devant l’autel, malmènent le lecteur de la messe en cours. En dépit des protestations des capucins, quarante fantassins du Palatin occupent les lieux, ferment les portes et installent les insignes de prince électeur. Les capucins sont chassés, malgré leurs plaintes fondées sur l’année normative 1624 et l’église passe au culte réformé jusqu’en 1688234. Les capucins maintiennent tout de même une activité à l’Afrakapelle et à l’église Saint-Pierre de Spire235. L’Electeur palatin, fort du traité d’Osnabrück, met également la main sur les couvents de Hördt, repris par la force le 1er janvier 1650, de Klingenmünster et Eußerthal ; celui de Hornbach revient au duc de Deux-Ponts236. A Oppenheim, les franciscains sont aussi dépossédés du couvent où ils résident depuis 1620, même si la présence des Espagnols à Frankenthal leur permet de rester davantage : le gouverneur de Frankenthal leur assure encore en janvier 1650 sa protection et leur ordonne de ne pas quitter Oppenheim avant son départ. En dépit des appels des Français et des Impériaux à rester, la plupart des ordres réguliers quittent la région ; pour les franciscains d’Oppenheim, à la fin de l’année 1650, c’est chose faite237. Les jésuites se maintiennent à Neustadt jusqu’au milieu de l’année 1650, au moment où les troupes françaises quittent la région238. En 1650, les Pères de la Société de Jésus sont également en activité à Frankenthal239. Cependant, tant que les troupes catholiques sont présentes, les membres du clergé régulier continuent à percevoir les revenus et dîmes. Les jésuites de Neustadt, sous la protection du gouverneur de Frankenthal, peuvent encore à l’automne 1651 percevoir les revenus à Dirmstein, Laumersheim et Freinsheim240. A Herrnsheim, les capucins prétendent détenir la cure, en vertu de quoi ils lèvent encore des droits sur le vin et les céréales à l’automne 1650241. Les jésuites sont tout de même chassés de plusieurs endroits en vertu des traités de paix. Ceux d’entre eux qui

230 OSCHMANN, op. cit., p. 534 et 537.

231 ERNST, Die reformierte Kirche, op. cit., p. 79s.

232 GLAK 61/8822, 17.12.1649.

233 GLAK, 61/8822, 24.11.1649.

234 ERNST, Die reformierte Kirche, op. cit., p. 80 ; Ludwig STAMER, Kirchengeschichte der Pfalz, III, 1 : Das

Zeitalter der Reform (1556-1685), Spire, 1955, p . 181.

235 STAMER, ibid..

236 Joseph BAUR , « Das Fürstbistum Speyer in den Jahren 1635 bis 1652 », MHVP, 24, 1900, p. 1-163, ici, p. 128 et 132.

237 GLAK 61/8823, 23.12.1650.

238 Bernhard DUHR, Geschichte der Jesuiten in den Ländern deutscher Zunge in der ersten Hälfte des XVII.

Jahrhunderts, 2 tomes, Fribourg-en-Brisgau, 1913, ici tome 1, p. 174.

239 DUHR, Ibid., p. 178.

240 GLAK, 61/8825, 29.9. 1651 et 1.11. 1651 ; ERNST, Die reformierte Kirche, op. cit., p. 81.

desservent Schwabenheim se voient interdire au début de l’été 1652 l’entrée de l’église par le

Landschreiber palatin, un dénommé Elze, qui fait mettre sous surveillance armée le lieu de

culte242. L’encadrement catholique n’est cependant pas entièrement déstructuré. Des prêtres séculiers se maintiennent dans certaines paroisses ainsi que des maîtres d’école, comme à Ober-Ingelheim et Odernheim243.

Les restitutions ne se passent pas partout aussi « rapidement ». En effet, les troupes lorraines, sous la direction de l’impétueux Charles IV qui n’a pas signé la paix, poursuivent l’occupation de plusieurs lieux. A Nuremberg, le 2 mai 1650, une convention stipule que dans un délai de trois mois, les Lorrains doivent restituer au comte de Nassau-Sarrebrück le comté de Sarrewerden, la prévôté de Herbitzheim, le bailliage et le château de Hombourg. Le duc de Lorraine refuse de se soumettre au traité et poursuit son occupation ; ses soldats font régner la loi des armes sur les alentours. De Landstuhl et de Hombourg, qu’ils ne quittent respectivement qu’en 1668 et 1671, ils rançonnent le pays244. Le maintien de la présence du catholique duc de Lorraine dans le comté de Sarrewerden influe sur l’exercice de la religion luthérienne qui reste tout simplement interdite, même si un pasteur continue à résider à Bouquenom245. L’exercice public de la religion luthérienne a lieu uniquement dans les châteaux de Lorenzen et de Diedendorf. Les plaintes adressées en 1653 et 1654 par le comte Jean-Louis de Nassau-Sarrebrück à la Diète de Ratisbonne restent vaines. Le duc Charles IV s’emploie alors à recatholiciser le comté de Sarrewerden jusqu’à la rétrocession qui a lieu en 1670.

Les Suédois, à l’instar des princes catholiques, n’hésitent pas à faire valoir les droits des minorités luthériennes placées sous leur protection. Au cours de la guerre, Frédéric V avait refusé de reconnaître aux luthériens des droits identiques aux calvinistes. Son frère, le comte-palatin Ludwig Philipp, qui exerce la régence pour son neveu Karl Ludwig, accède quant à lui à la demande pressante des suédois au traité de Heilbronn signé le 14 avril 1633. Les luthériens se voient accorder le libre exercice de leur religion ainsi que le droit d’avoir des écoles ; la mise en place d’un consistoire luthérien est même prévue246. A Oppenheim, Kreuznach et Mosbach (rive droite), les luthériens majoritaires obtiennent même les revenus ecclésiastiques247. Bien que le départ des Suédois ait remis en cause ce traité, en 1648, la situation des luthériens dans le Palatinat est différente de celle des catholiques. En effet, la paix d’Osnabrück (art. 4 §19) assure le maintien des communautés luthériennes, de leur culte dans le temple ou dans une maison privée sous la direction de leur propre pasteur ou d’un pasteur voisin248. Cet article vise entre autres spécifiquement le culte luthérien à Oppenheim

242 GLAK 75/525, 21.07.1652.

243 ERNST, Die reformierte Kirche, op. cit., p. 81.

244 Bistumsarchiv Trier, Abt.71-120, n°64 : Dans une lettre de Granfort à monseigneur le baron de Rasfeld, datée de Bingen du 2 décembre 1648, celui-ci signale que la récolte de vin est mauvaise en raison de gelées importantes, mais aussi « que outre le danger tres grand que nous avons de ceux de Frankental pour n’oser mainer ny grain ny farine ny vin dicy vers Bretzenheim ou de la icy, que de plus nous sommes aussy en grande aprehension des lorrains de Homburg et Langstull, quy maintenant metent tout le pais en contribution avec grand rigueur. A quoy il me semble fermement monseigneur et ie le croy ainsi que sil plaisoit a Votre Exc. Nous faire avoir une sauvegarde et permission de pouvoir mainer en assurance dun coste et dautre toutes choses necessaires aux habitants de Bretzenheim et serviteurs de Mr Brün Ambassadeur despaigne et qua sa suite il en volut escrire tant au gouverneur de frankental que aux gouverneurs lorrains de Homburg et Langstull de la vouloir ratifier ».

245 FISCHER, L’ancien comté de Sarrewerden, op. cit., p. 132.

246 Meinraad SCHAAB, Geschichte der Kurpfalz, tome 2, Stuttgart, 1992, p. 171s ; Ludwig HÄUSSER,

Geschichte der rheinischen Pfalz, tome 2, Heidelberg, 1856, p. 522-524.

247 FLEGEL, op. cit., p. 25.

248 « Augustanae confessionis consortibus, qui in possessione templorum fuerant interque eos civibus et incolis Oppoenheimensibus, servetur status ecclesiasticus anni millesimi sexcentesimi vigesimi quarti, caeterisque id desideraturis Augustanae confessionis exercitium tam publice in templis ad statas horas quam privatim in

et proclame comme année de référence non pas 1618, comme pour l’ensemble du Palatinat, mais 1624. Le respect de cet article ne s’effectue cependant pas sans les réticences de Charles-Louis.

La question des restitutions nous indique la complexité de la situation confessionnelle sur la rive gauche du Rhin après 1648. La présence étrangère favorise la permanence du culte des luthériens comme des catholiques dans des lieux où les traités n’autorisent pas a priori le culte. La politique des restitutions entraîne le départ de l’encadrement spirituel mais les minorités catholiques poursuivent leur existence, certes dans des conditions en apparence plus difficiles que les luthériens. Ainsi, les dernières occupations étrangères ont consolidé des pôles religieux minoritaires dont les princes territoriaux doivent tenir compte, de même que des réalités humaines et économiques.