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Comment les technologies du cinéma ont permis l’émergence d’une expérience

Chapitre 2 : Petite histoire du jeu vidéo et de la réalité virtuelle

2.3 Comment les technologies du cinéma ont permis l’émergence d’une expérience

Les jeux vidéo sont reconnus aujourd’hui comme étant une forme d’art issue, entre autres, des technologies des médias de communication et du cinéma (Wolf 2002). En effet, plusieurs concepts clés du cinéma se retrouvent au sein du processus de création du jeu vidéo, que ce soit l’orientation spatiale, le spectateur actif ou encore la relation entre le son et l’image (Wolf 2002). Le sociologue Tim Recuber (2007) suggère que ces éléments constituent une expérience qui permet aux spectateurs de se sentir comme un acteur présent au sein du film:

Large-format theaters produce an “immersion cinema” in which the spectator experiences a participation in or interaction with the filmed spectacle through a series of technologically driven simulations on screen and in the theater. The utilization of first-person, “you-are-there” perspectives is one of the key aspects of these immersive spectacles. But this visual technique is dependent on spaces and technologies that enhance the absorbing nature of that camera perspective. With larger and larger screens, 3-D IMAX projection, stadium-style seating, and digital surround sound, first-person perspective is amplified to a new level of simulated audience participation. “We become morphed into the illusion through the numerous technologies that bombard our senses” (Ndalianis, 2000, p. 264). (2007:320)

Le cinéma immersif dépend donc d’une multitude de technologies et engendre le sentiment d’être un acteur au sein de l’univers du film. En utilisant l’environnement autour de l’écran, il devient possible de créer un sentiment d’immersion. Le spectateur ne peut pas interagir avec l’univers présenté, mais peut se sentir comme y étant un acteur présent (Nsalianis 2000). Le cinéma n’est donc pas une expérience de voyeurisme, mais bien un phénomène d’immersion et un précurseur de l’expérience de jeux vidéo et de l’expérience immersive sensorielle ludique.

À la différence de l'approche cinématographique, le média des jeux vidéo invite l’utilisateur à interagir au sein de l’histoire qui lui est proposé. Ce concept permet aux joueurs de vivre non seulement une expérience immersive, mais également une expérience interactive dans

Dans l’optique où l’immersion est abordée différemment dans ces deux champs artistiques, je propose ici d’analyser les études multidisciplinaires de l’immersion au sein des jeux vidéo en m’attardant à l’émergence du phénomène d’immersion induit par le cinéma. Pour ce faire, je propose de porter une attention particulière aux définitions de l’immersion offertes par les spécialistes du cinéma, des jeux vidéo et de la réalité virtuelle.

2.3.1 L’immersion: introduire l’utilisateur dans le monde imaginaire

Dans un premier temps, il convient de définir le concept d’immersion puisque cette expérience est commune, mais différente, au cinéma, aux jeux vidéo et à la réalité virtuelle. L’immersion dans ces circonstances partage beaucoup d’éléments avec les expériences immersives liées à la lecture, la musique, le théâtre, etc., puisque toutes ces expériences donnent l’opportunité aux personnes d’être transporté dans un autre environnement. Plus spécifiquement, Katja Kwastek (2016), professeure d’art contemporain à l’Université d’Amsterdam, propose qu’au sein des différentes formes d'arts médiatiques, l'immersion est une illusion visuospatiale, mais elle est également cognitive, c’est-à-dire qu’elle se déroule dans des mondes illusoires ou mis en scène artistiquement et qu’elles cherchent à faire ressentir certaines émotions aux spectateurs (Visch 2010). Dans le quotidien, cette immersion se fait au travers de divers médias tels que les livres, la télévision, la musique, le théâtre, etc. (Dyson 2009).

Pour ce qui est des médias de communications tels que le cinéma et les jeux vidéo, ce sont des processus technologiques spécifiques qui donnent ce sentiment d’immersion (Wolf 2002). Comprendre ces différents processus permet de mieux saisir les objectifs des créateurs des jeux vidéo, mais également de l’intérêt que ceux-ci portent pour la technologie de la RV.

2.3.1.1 L’expérience immersive au cinéma

Plusieurs études anthropologiques et dans différents domaines en sciences sociales (Catoir- Brisson 2016, Jackman 2015, Tom et Hinde 2011, Troscianko) portent sur le développement du phénomène d’immersion au sein du cinéma. Historiquement, les premiers cinémas des années 1920-30 mettaient de l’avant le théâtre même dans lequel le film allait être présenté.

L'attention du spectateur était détournée de l'écran vers les accessoires du théâtre (Kracauer 1987). Ces théâtres détenaient d’immenses salles de visionnage, mais possédaient que de petits écrans. L’effet immersif était donc de ce fait très limité (Kracauer 1987). Ce n’est qu’à partir des années 1950 que la recherche de l’immersion comme expérience s’est développée. Durant cette décennie, l’arrivée du cinérama et du CinémaScope a complètement changé l’expérience du spectateur grâce à leurs écrans larges courbés ainsi que des systèmes de sonorisation qui permettant la diffusion de plusieurs effets sonores différents (Recuber 2007). Les sons provenaient de différents lieux d'intervention dans le théâtre, tout dépendant de la position des actions au sein du film (Recuber 2007). Ces nouvelles technologies ont permis une:

[…] delineated segregation of spaces which had characterized previous conditions of motion picture spectatorship gave way to an illusory integration of spaces in which images and sounds from the “fictional” space of the motion picture appeared to enter the “actual” space of the audience; the audience, thus surrounded by images and sounds, felt itself to be part of the space depicted on the screen. (Belton, 1992, p. 154)

Dès ce moment, le spectateur s’est vu intégré dans un processus décrit comme immersif visant à faire vivre l’expérience de l’univers présenté par le film (Visch et al. 2010). En effet, le « film is a medium reputed for its potential to enhance the response to emotional stimuli due to its immersive capacities » (Visch et al., 2010:1439). Lors de la projection du film, les spectateurs assistent à un éventail d’évènements qui se déroulent tout au long du film. Ces différents évènements « have a seeming reality that helps in provoking strong emotions. These include fear, sympathy and joy […] » (Visch et al., 2010:1440). Ces émotions sont possibles grâce au son et à l’image qui permettent de guider le spectateur au sein de son expérience immersive. Plusieurs autres cinémas ont par la suite tenté d’optimiser l’immersion des spectateurs, mais c’est au cours des années 1980, avec le cinéma IMAX que l’expérience actuelle s’est développée (Recuber 2007). Ces nouvelles salles offrent des sièges de type stade qui permettent d’être plus élevé que la rangée devant, évitant de percevoir les têtes des personnes des autres rangées dans l’écran. De plus, les nouveaux écrans toujours plus gros et

CinémaScope: « Sucked in by giant screens and first-person camera perspectives and enveloped by powerful surround-sound effects, today’s spectator engages cinema on a physical level. This ideal of physical interaction is a leading motivation behind many new technological developments just beginning to be adopted in theaters » (Recuber 2007, 324). L’immersion est maintenant principalement sensorielle. L’ajout de bancs possédant une capacité de vibration liée aux évènements du film permet aux spectateurs de ressentir l’action. L’addition, en 2007, du port de lunettes 3D (trois dimensions) permet également l’amélioration de la sensation d’être au sein même de l’action. Celles-ci permettent de donner un effet de profondeur, ainsi que de « hiérarchiser les distances et de comprendre une scène dans sa complexité spatiale » (Blondé 2012:42). Ainsi, chaque élément présent au sein d'une salle de cinéma est conçu pour désengager le corps de l'expérience de regarder un film au cinéma (Stapleton et al. 2002).

L’expérience immersive s’est donc construite peu à peu en parallèle avec l’évolution des technologies des médias de communications. Ces outils technologiques préconisent l’expérimentation d’une immersion passive/active au sein de l’univers cinématographique proposée. Si le spectateur ne peut interagir avec les acteurs du film, il peut toutefois «sentir» l’action grâce aux diverses stimulations sensorielles (Nedelcu 2013). C’est cette passivité/incapacité d’interaction directe qui distingue le type d’immersion entre le cinéma et celui des jeux vidéo.

2.3.1.2 L’expérience immersive au sein des jeux vidéo

Tout comme au cinéma, les créateurs de jeux vidéo utilisent des techniques de l’image, du son et de la perception. Plusieurs anthropologues du champ de l’anthropologie digitale se sont intéressés à comprendre comment le phénomène de l’immersion était compris et vécu, autant auprès des créateurs que des joueurs. Cette immersion prend plusieurs formes chez les joueurs. Jeffrey Snograss et ses collègues (2013) affirment que : « […] some players lose themselves so fully in the game—or ‘‘dissociate’’— that they become unaware of events happening around them in the rooms where they play and feel fully identified with their characters as a kind of second self » (2013:241). L’immersion est ici comprise comme étant une déconnexion du monde qui entoure le joueur. L’écran, beaucoup plus petit qu’au cinéma

(écran d’ordinateur, télévision ou console portable) met l’accent sur d’autres stimulations telles que la possibilité d’interactions et la stimulation sensorielle : « Immersed’’ players are so concentrated in the richness of the game-world that they ‘‘lose themselves.’’ To a certain extent, they feel like they really are in the game and sometimes actually they are their avatar- character » (Snograss et al. 2011:4). Cette impression d’être soi-même au sein du jeu s’est accentuée avec l’introduction de jeux vidéo produits pour la RV. Cette nouvelle technologie s’est vu redéfinir le concept d’immersion en accentuant la stimulation sensorielle et la capacité d’interaction grâce à un avatar basé sur le corps de l’utilisateur. Analyser ces différentes manifestations et expériences sensorielles virtuelles permet une compréhension plus approfondie du phénomène d’immersion sensorielle issue de la culture du jeu vidéo.