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Chapitre 4 : Analyse ethnographique; simuler et stimuler les sens

4.4.1 Être un prisonnier; concevoir vs vivre cette expérience (virtuelle)

Lorsqu’on parle d’expérience en virtuel, l’idée première qui émerge est la sensation d’être présent au sein de ce nouvel environnement. Alexandre explique ce phénomène ainsi :

Le sentiment de présence on en parle beaucoup généralement en design, en VR, ça va revenir souvent et tu … la présence vient souvent du fait que tu, comme si tu as des personnages humains dans le jeu, le fait qu’ils te regardent, juste le fait d’avoir les yeux qui tournent, qui se tournent face à toi, des genres de simulations de gestuels ça joue beaucoup sur ça aussi, pour donner au joueur l’impression qu’il est là pour vrai. Qu’il n’est pas juste un fantôme qui se balade dans un monde.

Grâce à l’utilisation des sens au sein du virtuel, l’utilisateur peut voir ce qui l’entoure, entendre et bouger. Il n’est pas seulement spectateur du monde virtuel, mais il est également un acteur au sein de celui-ci. Il y est présent. Toujours en lien avec cette notion de présence, Alexandre a également souligné que :

choses qui font que ça vient te rappeler que tu es juste dans un jeu de VR. Des fois ce n’est pas grave parce que ça dépend de qu’est-ce que le jeu essaie de faire. Moi, je sais que dans Prison Boss y’a plein de petits trucs comme ça, mais vu que le cœur du jeu ce n’est pas nécessairement d’être émerveillé par l’environnement virtuel dans lequel tu es, mais c’est plus être pris dans l’action de faire les choses toi-même. C’est moins grave d’être comme … de perdre, d’avoir cette dissonance en termes d’interactions puisque le cœur du jeu est concentré sur un aspect qui est clair pour le joueur dès le départ. C’est comme fabriquer des choses et les vendre. Ça dépend vraiment du jeu, des dynamiques recherchées par le designer puis le noyau de l’expérience qu’est-ce que c’est.

Le sentiment de présence est lié à celui de l’immersion puisque pour que l’utilisateur se sente immergé, il doit se sentir présent dans cet univers. Il ne faut pas simplement avoir l’impression d’être dans un autre monde, il faut également s’y sentir comme étant un agent actif. L’utilisateur peut agir, il a un impact sur l’environnement qui l’entoure. Même si certains éléments du jeu peuvent être très différents de la réalité, fonctionner d’une façon différente, tant que cela a du sens, le joueur demeure en mesure de rester immergé dans l’univers virtuel et d’y interagir (Wolf 2012). Si la grande majorité des participants à cette recherche se sont sentis immergés et présents physiquement au sein de leur cellule, Rémi*, pour sa part, a décrit son expérience comme étant désagréable à cause de certains de ces détails. Il a souligné que pour lui ce n’était : « pas très réaliste, je ne peux pas dire que ça répondait très bien [...] j’avais comme hâte que cela se termine. Ça serait sûrement différent sur d’autres jeux. » L’aspect réaliste du monde virtuel semble jouer un rôle important pour certains utilisateurs de RV. Wolf (2012) a suggéré que l’aspect réaliste n’était pas essentiel tant que le monde était exhaustif, logique et développé. Ces éléments permettent aux individus d’être absorbés et si Rémi ne s’est pas senti interpellé, Amélia*, elle, a rapidement compris ce nouvel environnement et a été absorbée par tout ce qu’elle a découvert. Elle a souligné que : « même si ce sont des œufs et que tu roules des cigarettes, tu t’habitues à ces choses-là et ça finit par avoir du sens. Tu le sais que ce n’est pas réel, mais ça a du sens. Ça fait plausible ». Elle renchérit en soulignant que : «Si on s’attend à ce qu’il y ait plusieurs couches comme dans la réalité, évidemment on n’en est pas là, mais si tu vois ça juste pour déconnecter de ton environnement habituel et passer un beau moment dans une autre dimension, une perte de repères. Passer un moment pour te refaire des repères, c’est bien réussi ». Pour Amélia*, ce sentiment de déconnexion semble être lié à la réussite de la « colonisation de son imaginaire », c’est-à-dire qu’elle a été absorbée par le contenu offert

par l’univers de PRISON BOSS VR et pour elle, cette déconnexion semble être synonyme d’immersion au sein du virtuel. Les attentes envers la technologie de la réalité virtuelle semblent donc influencer l’expérience. Si Rémi* s’attendait à quelque chose de plus « réel » et s’est vu déçu par son manque d’immersion dans l’environnement de PRISON BOSS VR, Amélia* elle a plongé dans l’expérience avec intérêt et curiosité. L’anthropologue Jeffrey Snodgrass (2013) et ses collègues ont défini cette capacité à s’investir dans un autre univers comme étant la « dissociation » car les joueurs « become unaware of events happening around them in the rooms where they play and feel fully identified with their characters as a kind of second self » (2013:241). Cette dissociation se produit donc lorsque la personne est capable de s’immerger dans cette nouvelle réalité, cette nouvelle culture virtuelle. Mickael*, participant à mon étude, a d’ailleurs souligné cette dissociation en mentionnant que dès que le casque de RV, les écouteurs et les manettes sont installés et fonctionnels : « je perds la notion de tout ce qui m’entoure, je me retrouve dans l’univers virtuel, je n’ai plus conscience de la pièce dans laquelle je me situe ». Cette dissociation, qu’Alexandre et Vincent ont appelée le sentiment de présence, est donc un élément clé pour la réussite d’une expérience sensorielle virtuelle immersive.

L’expérience virtuelle se présente donc comme étant hétérogène, c’est-à-dire que les gens réagissent différemment à ce qui leur est présenté. Les mondes virtuels ne correspondent pas nécessairement aux besoins imaginaires de toutes et tous. Dans le cas d’Amélia* et Rémi*, il est possible de constater que leurs attentes et leur capacité d’absorption étaient différentes. Toutefois, bien que l’environnement présenté soit un facteur important à l’expérience immersive sensorielle, ce n’est pas le seul facteur déterminant de celle-ci. La stimulation sensorielle joue un rôle clé, principalement cette de l’audition et de la proprioception.