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Chapitre 4 : Analyse ethnographique; simuler et stimuler les sens

4.5 Les limites technologiques

4.5.1 Mouvement dans la RV; les enjeux

Si le sens de la proprioception est mis de l’avant au sein de l’expérience virtuelle offerte par les créateurs de PRISON BOSS VR, la possibilité de se mouvoir tel que dans la réalité reste un enjeu bien présent. L’expert en informatique Anatole Lécuyer (2017) explique ce

phénomène ainsi :

the VR experience is usually a situation of “sensory deprivation”: a perceptual isolation with multiple senses being removed or cut off. Incidentally, in terms of interaction capabilities, the user is mostly in situation of handicap, being unable to achieve basic operations, provided with limited possibilities of perception and action. (2017: 21)

En coupant l’accès à certains sens, l’utilisateur se retrouve donc en difficulté de se mouvoir et de se retrouver dans l’espace virtuel. Un des effets principaux est la « cybersickness » ou

la « cybermaladie », qui se compare au mal des transports, mais en virtuel. Gianluca Macauda, neuroscientifique, et ses collègues (2015) ont discuté de ces enjeux comme étant liés à l’illusion du corps virtuel. L’illusion d’un corps visuel, que l’utilisateur incarne pleinement lors de son expérience virtuelle, peut modifier la stimulation vestibulaire et de ce fait entraîner un malaise chez celui-ci. Ce malaise est entre autres créé par la désorientation de nos sens (Sommerseth 2010). La philosophe Hannah Mathilde Sommerseth (2010) présente cette réalité ainsi :

The importance of technology reveals a paradoxical gap between the present actuality and the romantic ideal of VR as well as computer games. The ideal of VR is as a technology that works as a means for escaping the confines of the body, yet it is a technology that is entirely created around the body. (2010:101) Cette compréhension des objectifs en lien avec la RV s’arrime avec celle des psychologues Craig D. Murray et Judith Sixsmith (1999) qui stipule que la RV s’est bel et bien développée en lien avec le corps humain. La dissociation entre le corps virtuel et le corps de l’utilisateur mène à une confusion prenant la forme d’un malaise virtuel, soit la « cybermaladie ». En supprimant ou diminuant certains sens spécifiques, il devient difficile de naviguer et de bouger au sein de cette expérience virtuelle. Il est alors possible de constater que les sens sont interreliés et indissociables (Shinkle 2008, Pink 2011, Vannini et all. 2011).

Toutefois, ce n’est que certaines personnes qui éprouveront ces malaises. Certains ressentent simplement les limites physiques de la RV, telles que la grandeur de la pièce et la capacité de mobilité du matériel. Certains participants, tels que Anna*, Amélie* et Rémi*, ont décrit cette réalité telle que mentionnée plus haut. Cette coupure entre la capacité de mouvement du corps virtuel et celle du corps physique vient créer une barrière importante à l’immersion puisque l’utilisateur ne peut bouger comme il le ferait dans la réalité. Mickael souligne que : « Le fait qu’on soit capable de passer au travers des meubles vient créer un sentiment de dissociation avec l’univers virtuel. Admettons qu’il y a une table à côté de toi et que tu mets ta main sur la table, dans le jeu, ta main va passer à travers. C’est sûr que ça te fait décrocher un peu ». Le sens de la proprioception se voit donc limité, ce qui est impensable dans notre

explique que le rôle des sens est important, mais qu’il est très limitant. Ils doivent être intégrés et manipulés pour créer une expérience voulue, mais leur utilisation est limitée. Elle donne l’exemple suivant : « Lorsqu’il y a un impact entre l’objet que tu tiens dans la VR et un mur par exemple, il y aura une vibration, mais c’est le rôle du visuel et du son de faire comprendre à l’utilisateur cette réalité de l’impression d’impact ». Avec l’expérience PRISON BOSS VR, il est possible de constater que la manipulation des sens, autant qu’elle puisse aider à l’immersion, peut également mener à des problèmes autant physiques qu’expérientiel chez l’utilisateur. De ce fait, l’immersion n’est pas une expérience forcément bien vécue par les utilisateurs. Cette immersion dépend de la réception corporelle et sensorielle de l’utilisateur. En limitant le sens de la proprioception (en empêchant certains mouvements de base tels que prendre des objets, courir, etc.), cela crée une dissociation entre le corps virtuel et le corps physique de l’utilisateur puisque dans le quotidien de l’utilisateur ces mouvements sont possibles. L’intégration des sens doit donc être pensée par les créateurs comme étant un facteur important d’immersion puisque si un de nos sens se voit limité, notre compréhension de l’environnement l’est également.

Un des enjeux du mouvement et que la RV est un médium qui, avec la création de codes et de commandes, permet de transmettre des informations sensorielles ainsi que des indications liées aux mouvements (Strickland 2007). Si le concept de l’immersion tout comme celui du rôle des sens et du corps ont été abordés, la notion de transmission des stimulations virtuelles reste un enjeu clé à la compréhension de l’immersion sensorielle virtuelle. Dans le domaine de la RV, la transmission repose sur la rétroaction sensorielle et sur l’interaction (Sherman et Craig 2003). Le principe de la rétroaction permet au participant de directement recevoir les informations sensorielles et physiques nécessaires au bon fonctionnement de l’expérience. L’interaction, quant à elle, permet au programme de répondre aux actions de l’utilisateur. Pour convaincre l’utilisateur de son expérience, il doit y avoir une interaction concrète. Par exemple, si l’utilisateur décide de se promener avec son avatar ou de prendre un objet, le programme doit comprendre et répondre correctement à ces actions. Pour mettre au point l’expérience immersive, un concepteur de réalité virtuelle peut également introduire des repères sensoriels au besoin lors de l’essai du programme de RV. Un exemple de ces

repères est le principe de spatialisation du son, qui est l'acte de créer l'illusion qu'un son émane d'un emplacement 3D spécifique (Sherman et Craig, 2003).

Cette problématique représente donc des formes désagréables d’immersion. Tel que discuté précédemment, les sens fonctionnent ensemble et dépendent du corps, les isolés les uns des autres au sein de la RV provoquent des situations désagréables telles que la « cybermaladie ». Une meilleure compréhension des liens entre les sens semble nécessaire pour les créateurs de contenu virtuel afin que l’expérience immersive devienne plus convaincante.