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Un premier moyen de recueillir les connaissances li´ees `a un savoir-faire consiste `a observer directement la pratique des sujets. Les techniques d’observation peuvent ˆetre r´eparties en deux grandes cat´egories selon qu’elles sont «participantes» ou non.

• Techniques d’observation non participantes

L’observateur «non participant» adopte une position d’´etranger `a la pratique qu’il observe dans le sens o`u il interagit le moins possible avec le sujet ou le groupe dont il souhaite comprendre le comportement. L’objectif est de rester le plus neutre possible afin de ne pas interf´erer avec l’activit´e observ´ee. Ce premier type d’observation est souvent support´e par la vid´eo.

L’observation non participante et, plus pr´ecis´ement, la m´ethode de l’«auto-confrontation», est couramment pratiqu´ee par les ergonomes et les psychologues du travail dans un objectif d’ana- lyse de l’activit´e. Cette m´ethode consiste `a associer l’observation au visionnage comment´e de l’enregistrement vid´eo de la situation film´ee par le sujet film´e lui-mˆeme («auto-confrontation simple») ou par l’un de ses pairs («auto-confrontation crois´ee»). Les ´etudes de Clot et al. (2000) et Rabardel et Six (1995) utilisent la m´ethode de l’auto-confrontation pour faciliter l’auto-analyse de son activit´e par le sujet, qu’il s’agisse d’un collectif de travail dans le cas de Clot et al. (2000) ou d’un apprenti, dans le cas de Rabardel et Six (1995). Mais l’auto- confrontation peut aussi ˆetre utilis´ee dans un objectif de formalisation des comp´etences. C’est le cas de l’´etude de l’activit´e de cueillette r´ealis´ee par Mollo (2002).

• Techniques d’observation participante

L’observateur «participant» cherche au contraire `a faire partie du groupe qu’il observe afin de le comprendre «de l’int´erieur». Ce second type d’observation a ´et´e d´evelopp´e au d´ebut du XX`eme si`ecle par l’ethnologue Malinowski (1933) pour s’opposer aux premiers anthro- pologues qui, `a partir d’informations fragmentaires et d´econnect´ees de la «vie r´eelle», c’est- `

a-dire de leur contexte, ne font que «ridiculiser les sauvages» ou recueillir «des opinions, des g´en´eralisations» et des «constatations banales ». Le principe ´epist´emologique `a l’origine des m´ethodes participantes, qui prend sa forme extrˆeme dans l’ethnom´ethodologie (Garfinkel 2007)12, est le suivant : la neutralit´e objective d’un chercheur «ext´erieur» `a la situation qu’il

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´etudie est un mythe. En se distanciant de son objet, le chercheur risque paradoxalement de faire preuve d’ethnocentrisme, c’est-`a-dire de rester impr´egn´e de ses propres pr´ejug´es cultu- rels. Un moyen pour lui de s’affranchir de sa propre subjectivit´e est d’adopter le point de vue des hommes qu’il souhaite comprendre, et ce en apprenant leur langue et en participant `a leurs activit´es quotidiennes sur une p´eriode de plusieurs mois, voire plusieurs ann´ees, jusqu’`a vivre comme l’un des leurs. Les r´esultats obtenus par cette m´ethode sont cens´es rendre compte de toute la complexit´e et de la subtilit´e de la r´ealit´e humaine ´etudi´ee. L’observation participante «ethnographique» est parfois utilis´ee par les concepteurs de syst`emes informatiques dans la phase de recueil des besoins, pour une meilleure compr´ehension de l’organisation en question (Dieng et al. 2000).13

Dans la mˆeme logique que l’ethnom´ethodologie, la m´ethode de la «recherche-action» (La- passade 1993) cherche `a concilier action et compr´ehension au sein d’une mˆeme activit´e, c’est- `

a-dire `a ´etudier une organisation tout en accompagnant sa transformation.

• Bilan

Observations participante et non participante cherchent l’une comme l’autre `a ´eviter les biais de la subjectivit´e. La premi`ere le fait par la recherche d’une objectivit´e associ´ee `a une position «ext´erieure» du chercheur ; la seconde par l’adoption du point de vue des sujets ´etudi´es et le d´etachement de la subjectivit´e du chercheur cens´e en d´ecouler. Notre premi`ere phase de recueil des connaissances de conduite du changement utilise la m´ethodologie de l’observation (phase 2 de notre d´emarche, voir pp. 36 et 126). Bien que nous pensions que les postures par- ticipantes et non participantes sont toutes deux imparfaites du point de vue de l’objectivit´e recherch´ee, vers laquelle le chercheur ne peut que tendre, nous choisissons plus pr´ecis´ement la m´ethodologie de l’observation non participante. Plusieurs raisons expliquent notre choix.

Tout d’abord, l’objectif de notre phase d’observation n’est pas tant de recueillir les contenus de connaissances des acteurs de la conduite du changement, que de mod´eliser leur syst`eme de connaissances afin de construire un artefact qui permette de repr´esenter ces connaissances.14 Or, les m´ethodes d’observation participante ne visent pas des r´esultats sous forme de mod`eles, qu’elles jugent simplistes et inaptes `a rendre compte de la complexit´e de la r´ealit´e pratique. Notre ´etude s’inscrivant au contraire dans une d´emarche de mod´elisation, nous devons as- sumer le point de vue ext´erieur de l’observateur non participant, aussi subjectif et relatif soit-il. En outre, d’un point de vue pratique, nous ne pouvons consacrer pour une ´etude simplement pr´ealable des connaissances de conduite du changement le temps exig´e par les m´ethodes participantes, lesquelles requi`erent une immersion de plusieurs mois voire ann´ees dans l’environnement ´etudi´e, `a la diff´erence des m´ethodes non participantes qui se focalisent sur une activit´e dans un laps de temps restreint.

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Voir p. 33.

14Pour recueillir les contenus de connaissances pr´e-r´efl´echies en tant que tels (phase 5 de notre d´emarche,

voir pp. 36 et 258) nous pr´ef´erons utiliser une m´ethode d’entretien plutˆot qu’une m´ethode d’observation. Les m´ethodes d’observation ont en effet une limite fondamentale : elles permettent uniquement d’acc´eder aux connaissances qui prennent forme dans un comportement observable. Or, les connaissances pr´e-r´efl´echies de conduite du changement sont en grande partie inaccessibles `a l’observation car de nature strictement mentale. Seules les interactions de l’acteur de conduite du changement avec son environnement, notamment humain, peuvent ˆetre observ´ees. Mais le travail interne qui oriente ses choix, ses gestes et ses paroles, reste invisible de l’ext´erieur.

Par ailleurs, nous nous distinguons radicalement des m´ethodes d’observation qui concilient recherche et action au sein d’une mˆeme dynamique. S’il y a volont´e de changer les connais- sances de conduite du changement `a travers notre recherche, ce n’est qu’indirectement, `a travers le serveur de partage des connaissances de conduite du changement auquel elle doit aboutir.