• Aucun résultat trouvé

1.3 Analyses de l’individu (connaissance de l’homme)

1.3.3 Le processus psychique du changement

Un dernier moyen de s’int´eresser aux facteurs psychologiques de la conduite du changement est de d´ecrire le processus par lequel le changement est progressivement accept´e et appropri´e par les sujets.

• Le processus d’acceptation du changement dans une organisation (Lewin) Nous nous r´ef´erons ici `a l’expos´e d´etaill´e que font Grouard et Meston (1993) de la th´eorie de Lewin, convoqu´ee par un grand nombre d’auteurs sur la conduite du changement. Cette th´eorie identifie trois phases dans la fa¸con dont un changement est progressivement appropri´e par les membres d’une organisation :

1. La phase de d´egel, pendant laquelle les individus acceptent petit `a petit de changer en suivant un sous-processus lui-mˆeme compos´e de trois ´etapes (´etapes de rupture, d’anxi´et´e et culpabilit´e et enfin de s´ecurit´e).

2. La phase de transformation, pendant laquelle les individus s’acheminent vers la nouvelle situation.

3. La consolidation, enfin, pendant laquelle les personnels se confortent dans leur nouveau comportement. L’enjeu est ici, pr´ecisent Grouard et Meston (1993), de les «empˆecher de retourner en arri`ere».

Nous retenons surtout du processus de Lewin la mise en ´evidence d’une phase de rupture.33

• Le processus de deuil (Kubler- Ross)

La description d’un autre processus peut ˆetre utile `a notre sujet, et ce mˆeme si, `a la diff´erence du processus de Lewin, il concerne un changement tr`es sp´ecifique et hors de la sph`ere de l’or- ganisation. Il s’agit du processus de deuil, et plus pr´ecis´ement encore, du processus par lequel des patients atteints de maladie incurable acceptent petit `a petit l’id´ee de leur propre mort. On peut faire l’hypoth`ese d’un lien entre ce processus et celui d’acceptation du changement au sein d’une organisation, l’un comme l’autre supposant de faire le «deuil» de la situation pr´esente. Les observations de Zell (2003) concernant la fa¸con dont les personnels d’un hˆopital vivent le changement organisationnel tendent `a confirmer cette hypoth`ese. L’auteur a en effet retrouv´e les cinq ´etapes identifi´ees par Kubler-Ross (1969) dans sa propre analyse. Voici les cinq ´etapes en question :

1. Le d´eni. La premi`ere r´eaction des patients est de nier le verdict et de s’isoler. 2. L’irritation. La phase de d´eni fait ensuite place `a une phase de col`ere.

3. Le marchandage. Voyant que leur col`ere ne m`ene `a rien, les sujets revoient finalement leurs attentes (ils ne cherchent plus `a ´eviter l’issue dans sa totalit´e, mais simplement `a retarder les ´ev´enements, `a obtenir des compensations) et leur m´ethode (ils sont prˆets `a n´egocier).

33

1 Fondements th´eoriques 51

4. La d´epression. A cette ´etape, les personnes ne recherchent plus ni `a s’affronter, ni `a n´egocier pour ´eviter ou att´enuer le verdict. Elles savent que le changement se produira et tombent alors dans un ´etat de tristesse, `a la fois relatif `a ce qu’elles ont d´ej`a perdu et `a ce qu’elles vont continuer de perdre.

5. L’acceptation. Enfin, l’amorce vers l’´etat futur s’engage : les patients se d´etachent petit `

a petit du monde et de leurs ´emotions.

Face `a ce processus, les principales recommandations de Kubler-Ross (1969) sont les sui- vantes :

– S’adapter aux besoins du sujet en fonction de l’´etape dans laquelle il se trouve (la dur´ee de chaque ´etape ´etant variable selon les personnes), d’une part.

– L’aider `a op´erer le passage d’une ´etape `a l’autre, d’autre part, sachant que l’´ecoute de ses souffrances est l’un des principaux moyens d’y arriver.

• Le processus de changement en psychoth´erapie (Ecole de Palo Alto)

Pour finir, les recherches de l’Ecole de Palo Alto (Watzlawick et al. 1975), (Watzlawick 1980), donnent des ´eclairages sur les m´ecanismes qui empˆechent le changement. Ces ´eclairages sont utiles pour notre sujet bien que le contexte des recherches en question diff`ere en plusieurs points de celui qui nous int´eresse : la question est ici de savoir comment aider `a faire changer quelqu’un qui veut changer mais n’y parvient pas (dans le cadre d’une th´erapie). Par ailleurs, comme Kubler-Ross (1969), les auteurs ne s’int´eressent pas au changement collectif mais au changement individuel.

Se pr´eoccuper de l’individu plutˆot que de l’organisation n’empˆeche pas les chercheurs de Palo Alto d’adopter une perspective syst´emique. Ils consid`erent en effet que changer consiste `a modifier un syst`eme, que ce syst`eme soit un syst`eme de repr´esentations, de personnes ou encore de comportements. Watzlawick et al. (1975) partent de la th´eorie math´ematique des groupes et de la th´eorie des types logiques pour aboutir `a l’id´ee selon laquelle il y aurait deux sortes de changement :

– Les changements de type 1 (hom´eostasie), par lesquels «plus ¸ca change, plus c’est la mˆeme chose».34 Le syst`eme reste ici invariant malgr´e les modifications subies par ses ´el´ements. Par exemple, lorsqu’un thermostat r´egule la temp´erature en fonction des variations ther- miques, le syst`eme reste le mˆeme (temp´erature identique) malgr´e une modification interne (modification de la puissance du chauffage).

– Les changements de type 2 (´evolution), qui consistent en une modification du syst`eme lui- mˆeme, laquelle passe par une remise en cause de ses r`egles de fonctionnement. La r´esolution subite des «insights problems», par exemple, consiste `a op´erer un changement de type 2, c’est-`a-dire `a rompre avec un syst`eme de raisonnement inefficace dans le contexte en ques- tion. Ce type de changement, seul capable de r´esoudre un probl`eme pos´e par la nature mˆeme du syst`eme, a quatre caract´eristiques. D’abord, il «modifie ce qui apparaˆıt, vu du changement 1, comme une solution.»35Autrement dit, la solution que les acteurs n’arrivent pas `a atteindre mais se fixent comme objectif est en fait la cl´e de voˆute du probl`eme. Il semble par ailleurs inattendu, bizarre, contraire au bon sens, car hors du syst`eme existant. Ensuite, il s’obtient en s’occupant des effets et non des causes du probl`eme. Autrement

34(Watzlawick et al. 1975), p.23. 35

dit, il ne s’agit pas de comprendre pourquoi la situation actuelle est comme elle est mais de comprendre comment elle est. A l’instar des th´eories de l’engagement, l’Ecole de Palo Alto consid`ere le comportement comme un levier plus efficace pour le changement que la compr´ehension. 36 Enfin, il s’obtient en pla¸cant la situation dans un nouveau cadre de repr´esentations. Car le changement ne concerne pas tant la situation elle-mˆeme que la per- ception, le sens de cette situation.

A partir de ces caract´eristiques, Watzlawick et al. (1975) construisent un certain nombre de proc´ed´es efficaces pour impulser un changement de type 2, parmi lesquels la technique de la «prescription inverse», conseill´ee dans les cas de r´esistance. Devant un patient qui, bien qu’il croie vouloir changer, ne le veut pas tout `a fait, cette technique consiste `a inciter le patient `a renforcer son comportement (identifi´e comme r´esistant) ; le statut de la r´esistance sera ainsi transform´e en «condition n´ecessaire au changement ».37

2

Litt´erature appliqu´ee

Il existe aux cˆot´es de la litt´erature th´eorique un grand nombre de «manuels» de conduite du changement (litt´erature «appliqu´ee» ). Les diff´erences entre les auteurs de ces manuels sont `a la fois nombreuses et rarement d´ecisives. Il s’agit par exemple de la fa¸con d’aborder la probl´ematique, du nombre et de l’ordonnancement des ´etapes de la m´ethodologie propos´ee, ou encore des vocables utilis´es. Structurer notre compte-rendu selon une classification de ces auteurs serait `a la fois fastidieux et d´enu´e de sens. Au lieu de cela, nous nous conten- tons de dresser un descriptif tr`es g´en´eral de la litt´erature appliqu´ee avant d’en exposer plus pr´ecis´ement le contenu au moment de synth´etiser les discours sur la fa¸con dont le changement doit ˆetre conduit (voir p. 56).

La plupart des auteurs de manuels de conduite du changement se situent dans une perspective transversale de gestion de projet et de management (Gilbert 1988), (Br´enot et Tuv´ee 1996), (Grouard et Meston 1993), (Acuit´e 1994), (D’Herbemont et C´esar 1999), (Kotter et Cohen 2002), (Autissier et Moutot 2007). Leurs ouvrages sont des manuels `a l’usage des personnes en charge d’un projet (chefs de projet ou dirigeants) et proposent essentiellement trois types de contenus :

– Une m´ethodologie, c’est-`a-dire un processus `a suivre.

– Des outils d’analyses et de r´eflexion (grille d’analyse socio-dynamique pour identifier les types d’acteurs `a mobiliser (D’Herbemont et C´esar 1999), «marguerite sociologique» pour s’adapter au syst`eme de valeurs de l’entreprise (Autissier et Moutot 2007), etc.).

– Des principes d’action `a suivre, parfois pr´esent´es sous forme de «pense-bˆete» `a la fa¸con des encadr´es «ce qu’il faut retenir » propos´es par D’Herbemont et C´esar (1999).

D’autres auteurs se focalisent sur une activit´e pr´ecise de l’entreprise, qu’il s’agisse du mana- gement op´erationnel (le rˆole de l’encadrement de proximit´e est primordial pour la conduite du changement au niveau local) (Barel 2000), des relations sociales (les relations avec les organisations syndicales repr´esentent la face ´emerg´ee du travail de n´egociation impliqu´e par

36Nous revenons sur ce point `a la p. 407. 37

3 Litt´erature interne 53

le changement) (Nanteuil 1998)(D’Herbemont et C´esar 1999), des ressources humaines (elles permettent de mettre en place des dispositifs d’accompagnement du changement comme les outils de gestion de carri`ere, de formation, ou de recrutement) (Delaval´ee 1995)(Romelaer 1997), ou encore de la communication (nous nous attarderons sur le rˆole fondamental de la communication en conduite du changement `a la p. 57) (Virgili 2002).

3

Litt´erature interne

Maintenant que nous avons dress´e l’´etat de l’art de la litt´erature externe sur la conduite du changement, nous pouvons nous int´eresser `a l’approche propre de la SNCF en la mati`ere. Evidemment, la plupart des informations que nous avons obtenues l’ont ´et´e `a partir de la documentation interne. Les documents que nous avons pr´ecis´ement utilis´es sont cat´egoris´es et pr´esent´es en annexe (p. 398). Le lecteur int´eress´e par les travaux existants en mati`ere de formalisation des connaissances de conduite du changement `a la SNCF est renvoy´e `a la p. 400. Nous pr´esentons notamment la M´ethodologie d’Accompagnement du Changement (MAC), mise au point par le sociologue De Terssac (Terssac Non Dat´e) pour l’entreprise (voir p. 401). Mais nous devons aussi signaler l’apport qu’ont constitu´e les six entretiens exploratoires que nous avons men´es en d´ebut de th`ese aupr`es d’acteurs impliqu´es d’une fa¸con ou d’une autre dans la conduite du changement `a la SNCF.38

Depuis les ann´ees 1990, l’entreprise s’est engag´ee dans la voie socio-technique pour g´erer les projets de changement. Cet engagement apparaˆıt `a la fois au travers de documents prescriptifs (document SNCF 1995 cit´e par Beauquier et al. (2005)) , (Projet Industriel de 1999), (DRH 2000) et non prescriptifs (Roy 1993), (Loncle 1994), (Beyrac-Causin 1993), (Desmis 2001). Le choix d’un courant «socio-technique»,39 que nous allons bientˆot d´efinir en quatre points,

t´emoigne de deux sp´ecificit´es de l’entreprise en mati`ere de conduite du changement :

– D’abord, la SNCF inscrit la conduite du changement dans une probl´ematique de gestion de projet, `a laquelle la d´emarche «socio-technique» est clairement rattach´ee. La plupart des documents internes associent en effet la conduite du changement `a des questions globales de management de projet (document SNCF 1995 cit´e par Beauquier, Blatter, et Desmis (2005)), (DRH 2000), (Pons Non Dat´e). Par ailleurs, la demande formul´ee par la SNCF `a l’origine de notre projet (voir p. 13) associe essentiellement les lacunes de l’entreprise en mati`ere de conduite du changement aux projets de moindre envergure, men´es hors d’une structure manag´eriale en mode projet.

– D’autre part, adopter une d´emarche «socio-technique» consiste `a prendre conjointement en compte les aspects techniques et humains d’un projet. Cette compr´ehension de la conduite du changement illustre la culture «technicienne» de la SNCF. Nous empruntons `a Jost (2000) l’attribut «technicienne» pour qualifier une entreprise qui repose sur des m´etiers majoritairement techniques, d’une part, et accorde une grande importance aux proc´edures, d’autre part (AEGIST 1996). Or, la conduite du changement s’est construite `a la SNCF autour de ce pilier technique, comme mise en lien progressive avec les sciences humaines, notamment sous l’impulsion du r´eseau interne des ergonomes et de certains ing´enieurs.

38Ces acteurs ´etaient deux chefs de projet, dont l’un d’entre eux a aussi ´et´e Directeur d’Etablissement, deux

intervenants internes dans un projet de changement, le responsable du r´eseau des consultants internes et enfin l’auteur d’un m´emoire sur la conduite du changement dans l’entreprise.

39

Nous avons d´ej`a d´efini la d´emarche «socio-technique» telle qu’elle apparaissait dans la litt´erature externe,40 voyons maintenant comment elle est appropri´ee, voire compl´et´ee, par la SNCF. L’entreprise retient quatre points principaux, lesquels peuvent aussi ˆetre com- pris comme des sp´ecialisations des quatre recommandations g´en´eriques que nous avons rep´er´ees dans l’ensemble de la litt´erature (voir p. 56) (transversalit´e/multidisciplinarit´e, anticipation/connaissance de la situation `a changer, it´erativit´e/souplesse, participa- tion/communication).