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On peut d’abord consid´erer que les connaissances pr´e-r´efl´echies qui sous-tendent la conduite de l’action prennent la forme de «repr´esentations», ou de «mod`eles mentaux», c’est-`a-dire de constructions mentales ´elabor´ees par le sujet sur des objets, des situations ou encore des actions. Richard (2004) d´efinit plus pr´ecis´ement une repr´esentation comme une «construc- tion intellectuelle momentan´ee, qui permet de donner du sens `a une situation, en utilisant les connaissances stock´ees en m´emoire et/ou les donn´ees issues de l’environnement, dans le but d’attribuer une signification d’ensemble aux ´el´ements de l’analyse perceptive.»36 Selon cette d´efinition, une repr´esentation se distingue d’une connaissance par son caract`ere momentan´e. N´eanmoins, pour construire une repr´esentation, le sujet puise dans ses connaissances. En ce sens, les repr´esentations permettent aux connaissances, notamment pr´e-r´efl´echies, d’ap- paraˆıtre. Richard (2004) distingue plusieurs types de repr´esentations : celles qui sont bas´ees sur le langage, c’est-`a-dire sur un mod`ele pr´edicatif, et celles qui sont bas´ees sur la perception et la motricit´e.

• Les repr´esentations bas´ees sur le langage

Les repr´esentations de la premi`ere sorte peuvent ˆetre traduites sous une forme «pr´edicat- argument», c’est-`a-dire sous la forme de propositions attribuant une propri´et´e `a un objet. Au sein de ce premier groupe de repr´esentations doivent encore ˆetre distingu´ees les «cat´egories» des «sch´emas».

Les cat´egories, d’abord, r´esultent du regroupement et de la hi´erarchisation des objets per¸cus en fonction de leurs propri´et´es. Par exemple, les propositions «un canari est un oiseau» et «un oiseau a des ailes» expriment des repr´esentations de type cat´egoriel. Les cat´egories per- mettent d’´economiser la charge d’informations en m´emoire grˆace `a l’h´eritage des propri´et´es

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d’une cat´egorie pour ses exemplaires. Il suffit par exemple de se souvenir qu’un oiseau a des ailes et qu’un canari est un oiseau pour en d´eduire qu’un canari a des ailes. Les r´eseaux s´emantiques (Collins et Quillians 1969)(Sowa 2000), qui mettent graphiquement des concepts en relation, notamment hi´erarchique, formalisent ce premier type de repr´esentations. Nous y reviendrons `a la p. 116.

Les sch´emas, ensuite, d´ecrivent les entit´es comme des objets complexes, compos´es de concepts, d’actions, ou encore de relations, plutˆot que de d´ecrire les relations entre des entit´es consid´er´ees comme des touts. Il s’agit de «blocs de connaissance»,37 c’est-`a-dire d’«unit´es ins´ecables et r´ecup´er´ees en m´emoire comme telles». Les sch´emas ont une forte dimension pragmatique dans le sens o`u ils d´ecrivent la plupart du temps une situation (par exemple, la situation «goˆuter d’anniversaire» ) afin de guider le comportement du sujet dans ce type de situation.

«Le sch´ema d´efinit non pas des propri´et´es intrins`eques des objets mais des contextes dans lesquels se rencontrent les objets et les actions, des contextes qui sont assez fr´equents pour ˆ

etre stabilis´es dans la m´emoire.» (Richard 2004), p.49

Les sch´emas ont une g´en´ericit´e suffisante pour guider l’action du sujet dans plusieurs situa- tions semblables :

«Les sch´emas sont des structures g´en´erales et abstraites qui s’appliquent `a un certain nombre de situations concr`etes diff´erentes. De ce fait, les sch´emas contiennent un certain nombre de variables ou places libres qui sont destin´ees `a ˆetre remplies par des ´el´ements sp´ecifiques de la situation qui sera repr´esent´ee par le sch´ema.» (Richard 2004), pp. 49-50

Intimement li´es `a l’action, les sch´emas sont souvent fortement implicites.

«Le sch`eme, comme les comp´etences incorpor´ees, est organisateur et rapidement dispo- nible. (...) Quand les utilisations sont r´ep´et´ees, les sch`emes d’usage tendent `a prendre le statut de (...) comp´etences incorpor´ees.» (Leplat 1992), p. 107

L’id´ee de «sch´ema» s’exprime `a travers de nombreuses notions. On notera d’abord la notion de «frame» (cadre) (Minsky 1975), utilis´ee dans le domaine informatique. «Se rendre `a un goˆuter d’anniversaire d’enfant» est un exemple de frame. Il est compos´e d’informations sur les comportements et les ´ev´enements attendus en pareille situation. Ces informations sont plus ou moins g´en´eriques et les frames sont organis´es hi´erarchiquement.

«A frame is a data-structure for representing a stereotyped situation, like being in a certain kind of living-room, or going to child’s birthday party. » (Minsky 1975)

La notion de «script » (sc´enario) (Schank et Abelson 1977), proche de celle de «frame», asso- cie une s´equence d’actions `a un type de situation bien connu. Enfin, nous devons mentionner la notion de «sch`eme», n´ee avec la th´eorie de l’apprentissage de Piaget (1974) (2001) (Vergnaud et Recop´e 2000). Un sch`eme est une structure mentale qui organise la perception du sujet et guide son action. Elle sert de support pour l’«assimilation» de nouvelles connaissances et ´evolue en retour au fur et `a mesure que le sujet fait de nouvelles exp´eriences («accomo- dation» ). Dans les termes de Piaget, les sch`emes de la conduite sont «(...) le canevas des actions susceptibles d’ˆetre r´ep´et´ees activement.» 38

37(Richard 2004), p.49. 38

3 La forme des connaissances pr´e-r´efl´echies 77

• Les repr´esentations bas´ees sur la perception et la motricit´e

Parmi les rer´esentations bas´ees sur la perception et la motricit´e, Richard (2004) ´evoque notamment les codes imag´es, c’est-`a-dire les repr´esentations mentales visuelles. Ces images mentales entretiennent des liens ´etroits avec les processus moteurs. Lorsqu’elles constituent de v´eritables connaissances, c’est-`a-dire lorsqu’elles sont gard´ees longtemps en m´emoire et r´eutilis´ees pour la r´ealisation d’un type de tˆache, elles ont la particularit´e de d´eformer la r´ealit´e telle qu’elle est habituellement per¸cue en en exag´erant certains traits et en en minimi- sant d’autres. Par ce m´ecanisme, l’image devient un sch´ema abstrait adapt´e aux besoins de la tˆache. Ochanine (1981) d´esigne ce type de repr´esentation sch´ematique de la situation une «image op´erative». Samur¸cay et Pastr´e (1995) nomme les dimensions pertinentes de la situa- tion repr´esent´ees au sein de cette image des «concepts pragmatiques».39 Les images mentales ne repr´esentent d’ailleurs pas n´ecessairement des informations visuelles, elles peuvent ˆetre construites pour repr´esenter des informations abstraites, non visuelles, comme les donn´ees d’un probl`eme. Il est probable que la compr´ehension du sens d’un concept passe elle-mˆeme par une repr´esentation visuelle concr`ete, celle d’un exemplaire-type de la cat´egorie concep- tuelle en question plutˆot que par la connaissance rationnelle d’un ensemble de caract´eristiques essentielles. Les recherches men´ees aujourd’hui sur la notion de typicit´e tendent `a confirmer cette id´ee (Richard 2004) (Perruchet 1988a). Parmi les diff´erents exemplaires d’une cat´egorie, il y en aurait un qui, partageant le plus de points communs avec les autres exemplaires de la cat´egorie, aurait valeur de «type» de la cat´egorie. Par exemple, pour beaucoup d’entre nous, un marteau est typique de la cat´egorie «outil».

Tout en ayant une dimension abstraite et g´en´erique, les repr´esentations se manifestent donc dans notre exp´erience subjective par une forme concr`ete, intimement li´ee `a nos processus perceptifs et moteurs. En ce sens, il est permis d’esp´erer pouvoir expliciter les repr´esentations pr´e-r´efl´echies des acteurs de la conduite du changement `a partir de la description de leur manifestation subjective.

«Tous les symboles, mˆeme les plus abstraits et donc ceux qui sont exprim´es dans le lan- gage, ont leur base dans la perception.» (Barsalou 1999), cit´e par (Richard 2004), p.63

N´eanmoins, la notion de repr´esentation doit ˆetre utilis´ee avec prudence. D’abord parce que la nature ph´enom´enologique des repr´esentations, en particulier des repr´esentations de na- ture pr´edicative, reste floue : sous quelle forme apparaissent les sch`emes `a la conscience du sujet ? Les r´eseaux s´emantiques d´ecrivent-ils v´eritablement nos repr´esentations o`u sont-ils une construction rationnelle sans lien avec nos v´eritables processus cognitifs pr´e-r´efl´echis ?40 Ensuite parce que, comme le souligne Varela et al. (1993), elle est souvent sous-tendue par des pr´esuppos´es ´epist´emologiques dualistes qui consid`erent soit qu’une repr´esentation est une reproduction d’une r´ealit´e objective dont les qualit´es sont ind´ependantes de sa perception par un sujet (position objectiviste), soit qu’elle est une pure construction mentale sans lien avec la r´ealit´e (position subjectiviste). Nous utilisons pour notre part la notion de «repr´esentation» sans adopter ni l’une ni l’autre de ces positions.

39Samur¸cay et Pastr´e (1995) d´efinissent les concepts pragmatiques comme des «unit´es op´erationnelles or-

ganisatrices et constitutives des savoirs de r´ef´erence». (Samur¸cay et Pastr´e 1995), p.16

40Par exemple, bien que certaines exp´eriences t´emoignent en faveur de la validit´e psychologique de la notion