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Les techniques d’entretien sont les techniques de recueil les plus courantes et vari´ees. In- terroger directement l’expert sur ses connaissances permet, que ce soit par questionnaire ou entretien, de recueillir des informations en «premi`ere personne», c’est-`a-dire des informations ´

enonc´ees par le sujet lui-mˆeme. Dans le cas de l’entretien, il s’agit plus exactement d’informa- tions en «seconde personne», dans la mesure o`u le sujet est accompagn´e par un intervieweur.15 Ce type d’informations permet de d´epasser le niveau des connaissances accessibles `a partir de l’observation du comportement de l’expert. Cette section pr´esente les techniques d’entretien classiquement utilis´ees en psychologie et en ing´enierie des connaissances. Si ces techniques se r´ev`eleront en partie utiles pour notre objectif, nous allons voir qu’aucune d’entre elles n’est suffisante pour le recueil des connaissances pr´e-r´efl´echies.

• Entretiens non directifs / directifs / semi-directifs

On distingue couramment trois types d’entretiens en fonction de la force avec laquelle ils guident l’interview´e. L’entretien non directif, ou «centr´e sur la personne» (Rogers 1968), d’abord, laisse une quasi totale libert´e `a l’interview´e. L’intervieweur se contente d’orienter la discussion par une amorce th´ematique tr`es g´en´erale afin de laisser l’interview´e aborder ses propres pr´eoccupations. Ce type d’entretien est trop ouvert pour recueillir des connaissances d’experts, `a moins de l’utiliser dans une phase exploratoire. L’entretien directif, `a l’inverse, est guid´e par une liste de questions que l’intervieweur tˆache de suivre dans un ordre d´etermin´e. Il ne se distingue du questionnaire que par la pr´esence de l’interview´e. Entre ces deux formes extrˆemes, l’entretien semi-directif est orient´e par une trame de th`emes que l’intervieweur

15Les trois positions du mod´elisateur que sont la premi`ere, la seconde et la troisi`eme personne sont expliqu´ees

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aborde au gr´e des interventions de son interlocuteur. La plupart des entretiens utilis´es en ing´enierie des connaissances sont de type semi-directif.

Quel que soit le degr´e de directivit´e de l’entretien, l’intervieweur dispose de techniques pour faciliter une expression pr´ecise et exacte de la personne interrog´ee. Petitmengin (2002) fait une synth`ese de ces techniques utiles pour l’explicitation des connaissances. On notera en particulier le fait de :

– Reformuler r´eguli`erement le discours de l’interlocuteur, afin de s’assurer qu’on l’a bien compris mais aussi de stimuler son expression. Les techniques de reformulation ont ´et´e d´evelopp´ees dans le cadre de l’«entretien centr´e sur la personne» de Rogers (1968).

– Eviter l’induction, c’est-`a-dire de ne pas orienter la r´eponse de l’interlocuteur en la sugg´erant. Les fa¸cons d’induire la r´eponse de l’interview´e sont nombreuses et tr`es souvent incons- cientes. Par exemple, le fait de porter un jugement, de proposer une explication, ou encore un conseil `a l’expert risque de d´eclencher en lui diverses r´eactions affectives qui le freineront dans la stricte description de son souvenir.

– Questionner ce que le discours de l’expert a d’implicite. Dans la vie quotidienne, la di- mension implicite du langage est n´ecessaire `a son efficacit´e. Elle nous permet de dire «j’ai fait une tarte aux pommes» plutˆot que de dire «j’ai fait ce matin entre 11h26 et 12h14 une pˆate bris´ee avec six pommes Golden coup´ees en rondelles». Mais celui qui veut une description d´etaill´ee, exacte et pr´ecise d’une activit´e qu’il ne connaˆıt pas doit lutter contre ces habitudes de langage dont est impr´egn´e l’expert (g´en´eralisations, omissions, jugements incomplets ou encore pr´esuppos´es).

– Se synchroniser, c’est-`a-dire harmoniser sa posture physique, son vocabulaire, son intona- tion, ou encore le rythme de son ´elocution avec ceux de l’interlocuteur.

– Etre attentif `a l’expression non verbale (posture, gestes) et para verbale (tonalit´e, volume sonore, d´ebit) de son interlocuteur. Les travaux de la PNL 16 permettent de d´ecoder les indicateurs p´eri-verbaux que nous utilisons sans le savoir chaque fois que nous communi- quons, comme la direction du regard, laquelle serait un signe de notre registre sensoriel du moment.

• L’entretien utilis´e en ing´enierie des connaissances

L’entretien est la m´ethode de recueil la plus utilis´ee dans le domaine de l’ing´enierie des connaissances (Dieng et al. 2000). Pourtant, `a en croire la similitude entre les techniques de recueil recens´ees dans les ann´ees 1980 par Hart (1985)(1988) et celles identifi´ees quinze ans plus tard par Dieng et al. (2000), les techniques d’entretien utilis´ees dans ce domaine semblent avoir peu ´evolu´e depuis que les concepteurs de syst`emes experts en ont ´enonc´e les principes. Aujourd’hui encore, il n’existe aucune description pr´ecise et normalis´ee des tech- niques d’entretien propres `a l’ing´enierie des connaissances. Comme l’explique Dieng (1993), le «cogniticien» dispose d’une grande marge de manoeuvre : il peut adopter un rˆole plus ou moins actif en cours d’entretien, ˆetre plus ou moins guid´e par une grille de question pr´eparatoires, etc.

16La PNL (Programmation Neuro Linguistique) est n´ee de l’´etude par Bandler et Gindler de la pratique de

psychoth´erapeutes am´ericains comme Erickson dans l’objectif de comprendre les strat´egies internes utilis´ees par les professionnels de la communication. Comme le r´esume Vermersch (2001) (p. 212), la PNL est maintenant constitu´ee autour de trois domaines : l’´etude des indicateurs para-verbaux et non verbaux, la cat´egorisation de ce qui compose l’exp´erience subjective et enfin l’accompagnement du changement, inspir´e de l’Ecole de Palo Alto (Watzlawick et al. 1975), (Watzlawick 1980).

Diff´erentes techniques ont n´eanmoins ´et´e d´efinies. Pour les pr´esenter, nous commen¸cons par identifier les principales difficult´es associ´ees `a la mise en place d’entretiens dans un but d’ing´enierie des connaissances. Nous pr´esentons ensuite les trois types de solutions que l’ing´enierie des connaissances a selon nous mises en place pour surmonter ces difficult´es et qui d´efinissent la sp´ecificit´e de ses techniques d’entretien. Il s’agit du fait de r´ealiser les en- tretiens aupr`es de multiples experts pour garantir la qualit´e des contenus collect´es, d’abord, d’organiser le recueil `a partir de cas pour surmonter la difficult´e de l’expert `a exprimer ses connaissances, ensuite, et de relier l’entretien avec des questions de mod´elisation afin d’orien- ter l’intervieweur vers un discours pertinent pour le projet, enfin. Apr`es avoir d´etaill´e chacune de ces orientations, nous expliquerons pourquoi elles nous semblent insuffisantes pour r´esoudre les difficult´es pos´ees par l’explicitation des connaissances, en particulier pr´e-r´efl´echies. Un as- pect fondamental semble avoir en effet ´et´e n´eglig´e par l’ing´enierie des connaissances : celui de la facilitation du processus de prise de conscience de ses propres connaissances par l’expert.

Les difficult´es `a surmonter

Celui qui souhaite recueillir les connaissances d’un expert se trouve vite confront´e `a plusieurs difficult´es. Ces difficult´es, que nous avons nous-mˆeme rencontr´ees dans le cadre de notre recherche, ont ´et´e rapidement rep´er´ees par les concepteurs de syst`emes `a base de connaissances et r´esum´ees par Hart (1985). Il s’agit de :

– La difficult´e de recueillir des informations de qualit´e, c’est-`a-dire repr´esentatives des pro- cessus r´eellement suivis par l’expert et d´enu´ees de contradictions.

– La difficult´e pour l’expert d’exprimer sans contradiction les connaissances pratiques qu’il utilise pour r´esoudre un probl`eme, en particulier lorsqu’il ´evoque un cas typique et non r´eel.

– La difficult´e d’orienter l’intervieweur vers un discours pertinent pour le projet d’ing´enierie des connaissances concern´e, c’est-`a-dire de limiter la quantit´e de donn´ees d´enu´ees de valeur informative recueillies ainsi que le temps, non seulement de recueil, mais aussi d’analyse, qui en r´esulte.

Le recueil de connaissances `a partir de multiples experts

Une fa¸con d’am´eliorer la qualit´e des informations recueillies en termes de richesse et/ou de vision partag´ee est d’impliquer plusieurs sp´ecialistes du domaine concern´e, afin de, soit confronter divers points de vue dans la base de connaissances finale, soit formaliser une vi- sion consensuelle `a partir de ces points de vue. Pour aboutir plus facilement au consensus entre experts, le cogniticien peut choisir de mettre en oeuvre des entretiens collectifs (Dieng 1993), (Dieng et al. 2000),17 (Prax 2003),18 soit d`es le d´ebut de la phase de recueil dans le

cadre de s´eances de «braintorming» pendant lesquelles les experts sont invit´es `a exprimer librement des propositions de solutions pour r´esoudre un probl`eme, puis `a s´electionner leurs id´ees, soit `a l’occasion de la phase de validation, dans le cadre d’une s´eance de «prise de d´ecision consensuelle» ou de «groupe nominal» (pour garantir l’anonymat des votants).

17pp. 168 et suivantes 18

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Le recueil de connaissances `a partir de cas

Deux m´ethodes ont par ailleurs ´et´e mises en place par l’ing´enierie des connaissances pour faciliter l’expression de l’expert en lui permettant de s’int´eresser `a un cas pr´ecis. Car, comme l’exprime Hart (1988) `a travers l’injonction faites aux cogniticiens «soyez sp´ecifique, non g´en´eral », il est beaucoup plus facile pour l’expert d’exprimer ses connaissances relativement `

a un contexte d´etermin´e plutˆot qu’ind´etermin´e.

Les verbalisations r´etrospectives, d’abord, invitent l’expert `a «reprendre et commenter un cas d´ej`a trait´e» par l’expert lui-mˆeme ou l’un de ses coll`egues (Dieng 1993). La «technique de l’incident critique» (Hart 1988) attire plus pr´ecis´ement l’attention de l’expert sur les cas int´eressants ou difficiles qu’il a trait´es. Mais Dieng insiste sur la possible inexactitude des sou- venirs de l’interview´e, laquelle risque de «d´eformer» le processus de r´esolution de probl`eme r´eellement suivi par l’expert dans le pass´e.

La m´ethode d’analyse des protocoles verbaux, ensuite, demande `a l’expert de simuler `a voix haute comment il se comporterait dans certaines conditions pr´ecises d´efinies en amont par le cogniticien en collaboration avec un autre expert du domaine. Si Dieng (1993) insiste sur le coˆut de ce dispositif en termes de temps de pr´eparation et Aussenac (1989) sur l’´eventuelle per- turbation de la tˆache de r´esolution induite par la verbalisation, Hart (1985) insiste au contraire sur la plus grande structuration et coh´erence des commentaires recueillis par cette m´ethode. Aussenac (1989) explore par ailleurs certaines variantes possibles de l’analyse des protocoles verbaux comme l’analyse des interruptions, l’analyse des verbalisations cons´ecutives `a la r´esolution du probl`eme, l’ajout de contraintes dans l’´enonc´e de probl`eme, ou encore la com- paraison de probl`emes. Nous retenons de cette m´ethode la possibilit´e d’immerger l’expert dans la description d’un cas concret tout en ´evitant de lui demander de fournir un effort de rem´emoration (voir notre adaptation des techniques d’explicitation, p. 261).

Le recueil de connaissances support´e par la mod´elisation

Enfin, pour faciliter l’orientation du discours de l’interview´e vers un propos pertinent, l’ing´enierie des connaissances a orient´e ses efforts vers des questions de mod´elisation afin de mieux structurer les entretiens. En d’autres termes, la plupart des m´ethodes d’acquisition des connaissances proposent un seul et mˆeme outil pour les ´etapes de recueil proprement dit et de mod´elisation des connaissances, en t´emoignent les quelques exemples suivants.

La m´ethode d’entretien de description des tˆaches selon les objectifs des op´erateurs pr´econis´ee par Sebillotte (1991), d’abord, est profond´ement conditionn´ee par le formalisme MAD,19 choisi pour l’´etape de mod´elisation. Ce formalisme, con¸cu par le psycho-ergonome Scapin (1988)20 afin d’instrumenter la conception d’interface utilisateurs, permet de construire une

repr´esentation hi´erarchique de l’action en la d´ecomposant en tˆaches (buts) et sous-tˆaches (proc´edures). Or, la technique d’interview d´efinie par Sebillotte respecte cette repr´esentation hi´erarchique de la planification de l’action, en utilisant la technique du «pourquoi/comment».21

19

M´ethode Analytique de Description des tˆaches

20A partir de la technique de la planification hi´erarchique, d´evelopp´ee par Sacerdoti dans le domaine de

l’intelligence artificielle.

21Notons n´eanmoins que, plutˆot que de soumettre sa m´ethode d’entretien `a sa m´ethode de formalisa-

Les questions de type «pourquoi» permettent de recueillir les buts poursuivis par l’interview´e (tˆaches de niveau sup´erieur dans la hi´erarchie), tandis que les questions de type «comment» permettent d’acc´eder aux tˆaches qu’il a suivies pour les atteindre (tˆaches de niveau inf´erieur dans la hi´erarchie).

La m´ethode d’explicitation des connaissances support´ee par les «cartes cognitives»(«cognitive mapping»), ensuite, consiste `a faciliter l’explicitation et la communication des processus de pens´ee d’experts par la repr´esentation visuelle de ces processus. Rodhain (1999) d´ecrit com- ment les cartes cognitives peuvent ˆetre utilis´ees pour expliciter les connaissances d’experts dans le cadre de brainstormings pendant lesquels sont collectivement r´ealis´es des sch´emas enchaˆınant des actions, des facteurs critiques de succ`es, des id´ees et des buts.

La technique de la «grille r´epertoire», d´ecrite par Hart (1985)22, ensuite, consiste `a deman- der `a l’expert d’identifier un ensemble de cas et d’attributs puis de mettre en relation cas et attributs. Cette technique est destin´ee `a mettre `a jour les param`etres qu’utilise sans le savoir l’expert pour ´evaluer une situation et la comparer avec d’autres.

La m´ethode de l’induction, ´egalement d´ecrite par Hart, utilise un syst`eme d’apprentissage automatique en support du travail d’explicitation r´ealis´e aupr`es de l’expert. Cette m´ethode consiste `a recueillir des cas de r´esolution de probl`emes aupr`es de l’expert et `a charger le syst`eme informatique d’induire des r`egles `a partir de ces cas. Mais le syst`eme ne remplace pas l’expert, seul capable de d´eterminer les cas et attributs fournis en entr´ee du syst`eme. Enfin, la technique de l’´echelonnement et du tri, rapport´ee par Dieng (1993), invite ´egalement l’expert `a participer activement `a l’analyse de son savoir-faire en lui demandant de trier les probl`emes qu’il rencontre en fonction de leur difficult´e ou du type de proc´edure par laquelle ils sont respectivement r´esolus.

Plus g´en´eralement, les m´ethodes de «capitalisation» des connaissances que sont KOD, Com- monKADS ou encore MASK (voir p. 108) peuvent `a la fois ˆetre d´efinies comme des m´ethodes de recueil et de mod´elisation des connaissances.

Toutes ces m´ethodes illustrent la fa¸con dont l’ing´enierie des connaissances a r´esolu jusqu’ici le probl`eme de l’explicitation des connaissances, `a savoir par la conception de mod`eles destin´es `

a structurer l’´etape d’explicitation. Dans ce contexte, on comprend pourquoi les entretiens men´es dans le cadre de projets d’ing´enierie des connaissances prennent la plupart du temps la forme d’entretiens de «co-construction», c’est-`a-dire d’entretiens qui font participer l’expert `

a la mod´elisation de ses propres connaissances.23 Cette participation est plus ou moins directe. Si l’expert parvient facilement `a «entrer» dans les mod`eles propos´es (Aries et al. 2008), il pourra s’en servir pour formaliser ses connaissances d`es le d´ebut de la d´emarche de recueil et acc´eder ainsi au stade de la «co-construction» d´efinie par Benhamou (2007) comme «compr´ehension mutuelle (du cogniticien et de l’expert) qui conduit `a une co-construction effective des mod`eles directement lors des s´eances d’interview ».24 S’il pr´esente au contraire des signes de «r´esistance `a la mod´elisation » (Benhamou 2007), on le laissera raconter plus librement son activit´e pour limiter son implication dans les mod`eles aux phases de validation, c’est-`a-dire une fois les mod`eles, interm´ediaires ou d´efinitifs, construits par le

hi´erarchique des repr´esentations des op´erateurs.

22p. 461 23

La technique de l’entretien de co-construction est particuli`erement d´etaill´ee dans les documents relatifs `a la m´ethode MASK (voir p. 110) (Ermine 2002), (2003), (Benhamou 2007) et (Aries et al. 2008).

24

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cogniticien `a la suite des entretiens.25 Il s’agit de toute fa¸con de soumettre r´eguli`erement les mod`eles `a l’expert pour validation et d’engager un cycle entre interview, mod´elisation et validation jusqu’`a ce que l’expert consid`ere que les mod`eles construits sont justes et complets (Benhamou 2007) (Aries et al. 2008) (Ermine 2003) (Hart 1988).

La d´emarche de co-construction aurait un double avantage, l’un en termes de motivation de l’expert26 et l’autre en termes d’explicitation.

«La mod´elisation permet `a l’expert de structurer son r´ecit. Le mod`ele met l’expert dans le contexte et canalise la pens´ee de la personne interview´ee. Elle la fait r´eagir sur la repr´esentation et l’aide `a se construire sa propre structure, structure qui va se formaliser petit `a petit dans la mod´elisation» (Aries et al. 2008), p. 295

Benhamou (2007) d´ecrit plus particuli`erement le rˆole du cogniticien comme celui d’un ma¨ıeuti- cien, qui am`ene son interlocuteur `a pr´eciser ses connaissances en «renvoyant les incoh´erences, d´emontant les ´evidences», c’est-`a-dire en attirant son attention sur la logique de ses propos. Le mod`ele co-construit est d’ailleurs un parfait support pour la visualisation des aspects formels et logiques de son propre discours par l’interview´e. Fang et Shivathaya (1995) vont jusqu’`a pr´econiser une communication entre expert et cogniticien enti`erement m´ediatis´ee par les documents, la «non-interview technique».

• Bilan et limites des techniques d’entretien utilis´ees en ing´enierie des connais- sances

Malgr´e leurs avantages, les entretiens de type co-construction pr´esentent selon nous deux limites importantes. Tout d’abord, nous pensons qu’en soumettant la question du recueil des connaissances `a celle de leur mod´elisation, l’ing´enierie des connaissances a tendance `a contourner certaines questions li´ees aux modalit´es de mise en œuvre d’un entretien. La des- cription du d´eroulement concret d’un entretien ou encore de la relation entre intervieweur et interview´e reste rudimentaire. Les indications concernant le moment mˆeme de l’entretien se limitent `a quelques recommandations g´en´erales relatives `a la question de l’enregistrement,27 la n´ecessit´e de pr´esenter clairement le projet, de ne pas juger son interlocuteur, d’approfondir certains concepts, ou encore de respecter la confidentialit´e des informations obtenues. Les enseignements des autres disciplines sur la conduite d’entretiens semblent en partie ignor´es (voir p. 93).

Ensuite, le probl`eme de l’authenticit´e des informations recueillies, c’est-`a-dire de l’ad´equation entre le discours de l’expert et la fa¸con dont il proc`ede r´eellement, est peu abord´e par la litt´erature en ing´enierie des connaissances. Le crit`ere d’authenticit´e utilis´e se limite souvent `

a celui de la coh´erence des informations recueillies. Mais l’expert peut ´evaluer et modifier ses

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Notons que certains auteurs, tout en pr´econisant une d´emarche globale de co-construction, refusent que l’expression de l’interview´e soit pr´ematur´ement contrainte par le mod`ele choisi. C’est notamment le cas de Sebillotte (1991) et Hart (1988). Selon cette derni`ere, «l’expert ne doit pas ˆetre forc´e de produire une repr´esentation (c’est-`a-dire un plan d´etaill´e) qu’il n’utiliserait pas ordinairement » (Hart 1988), p. 32, et l’ing´enieur de la connaissance lui-mˆeme «doit r´esister `a la tentation d’anticiper la repr´esentation de cette connaissance trop tˆot.» (Hart 1985), p 461 (il s’agit de notre propre traduction).

26Selon Hart (1988), la d´emarche de co-construction aide l’expert «`a garder son int´erˆet et son enthousisame»

pour le projet (Hart 1988), p. 35.

27L’enregistrement de l’entretien ainsi que sa transcription compl`ete est recommand´e par la plupart des

dires en fonction de la logique du mod`ele propos´e sans se r´ef´erer pour autant `a son exp´erience. La nature rationnellement acceptable du mod`ele construit n’implique pas sa proximit´e avec le v´ecu de l’expert. L’ing´enierie des connaissances situe l’expert sur les plans de la raison, de