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Par la notion de «mod`eles d’aide au raisonnement», nous regroupons deux types de mod`eles destin´es `a faciliter les processus de d´ecision rationnelle, souvent collectifs : les mod`eles argumentatifs, d’une part, et les mod`eles orient´es par les buts, d’autre part.

• Les mod`eles argumentatifs

Les mod`eles argumentatifs («argumentation models») mod´elisent le raisonnement. Plus pr´ecis´ement, soit ils repr´esentent la structure d’un argument, soit ils mod´elisent l’en- chaˆınement logique d’arguments au cours d’un dialogue, soit encore ils identifient des moyens de rep´erer des arguments fallacieux (B´elanger et Auger 2007). Ces mod`eles sont souvent utilis´es pour sp´ecifier des syst`emes intelligents destin´es `a supporter le dialogue entre agents dans le cadre de la r´esolution de divergences d’opinion, de conflits d’int´erˆets, ou encore de dilemmes. Amgoud et al. (2000) fournissent par exemple un mod`ele formel pour la conception d’un syst`eme multi-agents confrontant deux joueurs ayant chacun pour objectif de convaincre l’autre.

Dans un autre registre, le mod`ele conceptuel Toulmin (Toulmin 1958) a ´et´e utilis´e dans un objectif d’explicitation des connaissances par B´elanger et Auger (2007). Le mod`ele en question

3 Mod´elisation et formalisation des connaissances 115

repr´esente l’argumentation juridique `a partir des 6 ´el´ements suivants :

– La revendication («claim»), ou assertion au cœur de la controverse pr´esent´ee `a l’audience ; – La donn´ee, («datum»), qui affirme les faits ou croyances `a la source de la revendication ; – Le mandat («warrant»), qui justifie l’inf´erence de la revendication `a partir de la donn´ee ; – Le soutien («backing»), ou ensemble d’informations qui soutiennent le mandat ;

– Le qualificatif («qualifier») ou degr´e de certitude de la revendication ;

– La r´efutation («rebuttal»), enfin, qui affirme l’existence d’une situation capable de remettre en cause la revendication.

B´elanger et Auger (2007) ont compl´et´e et traduit en questionnaire le mod`ele Toulmin afin d’amener un ancien officier des Forces canadiennes `a expliciter son ´evaluation de strat´egies militaires.56

Enfin, l’Argumentation Ontology (ArgOn), exprim´ee en OWL57 par Echtler (2006), fournit

au web s´emantique un mod`ele capable de repr´esenter les informations de l’ordre de l’argu- mentation qui sont contenues dans les documents du web. Parmi les diff´erentes classes de l’ontologie (acteur, ressource, action, objet, etc.), la classe «information» est sp´ecifique `a l’argumentation. Elle permet de repr´esenter des propositions (qui formellement, s’expriment par un graphe RDF «r´eifi´e»58) et de les relier `a un sujet, un pr´edicat et un objet. Grˆace `a cette classe, il est par exemple possible d’attribuer une valeur de v´erit´e `a une proposition.

En mod´elisant la structure de l’argumentation, les mod`eles argumentatifs accompagnent la construction de choix `a partir d’une base d’informations. Or, nous le comprendrons mieux `a la p.227, le futur serveur de connaissances de conduite du changement auquel doit aboutir notre projet doit avoir entre autres fonctionnalit´es celle d’aider l’utilisateur `a comparer, critiquer, et juger en connaissance de cause les connaissances et cas qui lui sont propos´es. En ce sens, nous nous inspirerons des mod`eles argumentatifs pour la conception de notre propre mod`ele (voir partie III). En revanche, ces mod`eles se r´ev`elent inadapt´es pour les autres sp´ecificit´es de notre objectif que sont le partage des connaissances, la prise en compte du domaine de la conduite du changement ou encore la formalisation du pr´e-r´efl´echi.

• Les mod`eles orient´es par les buts

Comme leur nom l’indique, les mod`eles orient´es par les buts («goal-oriented models») sont des outils d’aide `a la d´ecision qui reposent sur une hi´erarchie de buts. Ces mod`eles peuvent ˆetre impl´ement´es dans un support informatique ou non. Ils sont souvent utilis´es pour l’ing´enierie des exigences, ou conception de besoins («requirements engineering»), c’est-`a-dire pour recenser, mod´eliser, sp´ecifier, ou encore valider les buts d’un syst`eme en aidant les acteurs impliqu´es dans sa conception `a r´efl´echir, communiquer et prendre des d´ecisions (Lamsweerde 2001). Les buts sont class´es en fonction de crit`eres variables selon les mod`eles et peuvent la plupart du temps ˆetre reli´es `a des attributs (nom, priorit´e, faisabilit´e, utilit´e, etc.) et des liens (vers d’autres buts, des agents, des op´erations, etc.). La m´ethode

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Nous consid´erons que cette m´ethode, en incitant l’expert `a critiquer et ´etoffer ses propres choix, sert davantage d’outil d’aide `a la d´ecision que de m´ethode d’explicitation des processus de d´ecision de l’expert. C’est pourquoi nous ne l’avons pas mentionn´ee dans notre partie consacr´ee au recueil des connaissances.

57OWL (Web Ontology Language) est un langage informatique utilis´e pour repr´esenter une ontologie `a

destination du web s´emantique. Voir la d´efinition d’une ontologie p. 117.

58La r´eification consiste `a consid´erer comme un tout, c’est-`a-dire comme une classe, la mise en lien de classes.

KAOS, utilis´ee par la maˆıtrise d’ouvrage de nombreux projets informatiques depuis les ann´ees 1990, est un exemple de m´ethode d’ing´enierie des exigences qui repose sur une mod´elisation orient´ee par les buts.

Dans un registre plus proche de notre sujet, la mod´elisation orient´ee par les buts a ´et´e utilis´ee par Kavakli et Loucopoulos (2006) pour accompagner les d´ecisions de changement r´eorganisationnel d’une compagnie d’´electricit´e. Kavakli et al. con¸coivent la conduite du changement organisationnel comme un travail de d´etermination d’une nouvelle situation organisationnelle, d’une part, et des moyens d’y parvenir, d’autre part. Pour accompagner les d´ecideurs dans ce travail, la d´emarche propos´ee par les auteurs les aide `a formuler leurs intentions, l’impact de ces intentions sur l’organisation, et enfin les diff´erents sc´enarios par lesquels ces intentions peuvent ˆetre satisfaites. Plus pr´ecis´ement, cette d´emarche est compos´ee de 4 ´etapes : l’explicitation des buts actuels de l’organisation, notamment par l’analyse des organigrammes de l’entreprise (d´emarche «bottom up», descriptive) ; l’explicitation des buts futurs, c’est-`a-dire des intentions des diff´erents acteurs impliqu´es dans le changement, lors de sessions de groupes (d´emarche «top down», prescriptive) ; l’analyse des sc´enarios de changement permettant d’aboutir aux buts sp´ecifi´es en amont, notamment par l’analyse de l’impact de chaque but futur sur les buts actuels ; et enfin, l’´evaluation des diff´erents sc´enarios de changement.

Si la mod´elisation par les buts est utile pour aider les acteurs dans leurs prises de d´ecision de conduite du changement, elle est insuffisante pour notre objectif. Tout d’abord parce que, tandis que Kavakli et al. s’int´eressent `a la conduite du changement `a un niveau exclusivement strat´egique, nous nous focalisons surtout sur la conduite du changement dans sa dimension d’accompagnement humain. Ensuite, nous ne souhaitons pas tant accompagner le processus de d´ecision des acteurs de la conduite du changement dans le cadre d’un projet pr´ecis que leur fournir des informations susceptibles de d´evelopper leur savoir-faire en la mati`ere. Aspect li´e au pr´ec´edent, nous ne cherchons pas tant `a mod´eliser l’environnement des acteurs de la conduite du changement que la fa¸con dont ils connaissent et per¸coivent cet environnement. D’une fa¸con g´en´erale, la mod´elisation par les buts permet davantage d’expliciter les souhaits des acteurs de la conduite du changement que de recueillir leurs connaissances pr´e-r´efl´echies.