• Aucun résultat trouvé

Vermersch (1998a) (2000) (2001) (2002) (Vermersch et al. 2003) est `a l’origine de l’introduc- tion des techniques d’explicitation des connaissances en France, qu’il a fait connaˆıtre sous le nom d’«entretien d’explicitation». Le rˆole de Vermersch a notamment ´et´e de pr´eciser les fonde- ments m´ethodologiques et philosophiques de ces techniques en les resituant parmi diff´erents travaux que nous allons ´evoquer au fil des pragraphes suivants. Cette section pr´esente les principes th´eoriques de l’entretien d’explicitation, puis ses principes m´ethodologiques, son d´eroulement, et enfin ses applications.

• Principes th´eoriques de l’entretien d’explicitation L’entretien d’explicitation repose sur trois id´ees centrales :

– Nos processus cognitifs sont en grande partie pr´e-r´efl´echis, c’est-`a-dire r´ealis´es sans conscience directe. Les constats philosophiques et psychologiques au fondement de cette affirmation ont d´ej`a ´et´e d´ecrits `a la p. 67 ;

– Nous pouvons prendre conscience de nos processus cognitifs pr´e-r´efl´echis par «r´efl´echissement» ; – Enfin, cette prise de conscience est difficile et doit ˆetre accompagn´ee par un intervieweur,

lui-mˆeme guid´e par une m´ethode rigoureuse.

Possibilit´e du «r´efl´echissement»

Au fondement de l’entretien d’explicitation se trouve l’id´ee selon laquelle le travail de conscien- tisation du pr´e-r´efl´echi est possible. En s’inspirant de la th´eorie de la prise de conscience de Piaget (1974), qui d´ecrit comment nous passons d’un plan de l’activit´e mentale `a un autre, no- tamment du plan sensori-moteur au plan de la repr´esentation, Vermersch pr´esente le passage du pr´e-r´efl´echi au r´efl´echi comme un processus compos´e de trois ´etapes :

– Par l’´etape de r´efl´echissement, d’abord, le sujet transforme son v´ecu pr´e-r´efl´echi en v´ecu repr´esent´e, c’est-`a-dire revit attentivement ce qu’il a d’abord v´ecu sans s’en apercevoir. L’interview´e soumis `a l’exercice du r´efl´echissement est comme le «dessinateur amateur qui doit p´eniblement apprendre `a ne pas dessiner ce qu’il sait, mais apprendre `a regarder pour

2 Recueil des connaissances 99

dessiner ce qu’il voit.»28 Lorsqu’il y parvient, il adopte une «position de parole incarn´ee» qui traduit sa pr´esence au pass´e.

– Par l’´etape de la th´ematisation, ensuite, le sujet transforme son v´ecu r´efl´echi en savoir exp´erientiel, c’est-`a-dire le verbalise. Le stade du langage constitue un palier dans le pro- cessus de prise de conscience, un pas vers de plus vers la conceptualisation.

– Par l’abstraction r´efl´echie, enfin, le sujet construit des connaissances abstraites `a partir de son v´ecu.

L’objectif de l’entretien d’explicitation est d’accompagner l’interview´e dans les deux premi`eres ´etapes de ce processus de prise de conscience.

Vermersch s’appuie ´egalement sur la psycho-ph´enom´enologie de Husserl (1950) (2001), le- quel a introduit l’attitude r´eflexive en premi`ere personne. L’attitude r´eflexive consiste `a exp´erimenter le passage de la conscience directe `a la conscience r´efl´echie (voir p. 69), c’est- `

a-dire `a prendre conscience de ce qu’on a pr´ec´edemment v´ecu de fa¸con non-r´efl´echie, par un mouvement de «saisie r´eflexive»,29 qui ´equivaut `a l’´etape de «r´efl´echissement» d´ecrite par Piaget. Ce mouvement exige une modification de l’attention qui transforme ce qui a ´et´e simplement «v´ecu» (pr´e-r´efl´echi) en objet «regard´e» (r´efl´echi).30 Nous revenons sur les mo- dalit´es de cet effort dans les lignes qui suivent.

Difficult´es et conditions de possibilit´e du «r´efl´echissement»

Si l’activit´e de r´efl´echissement est possible, elle est difficile et requiert un accompagnement m´ethodique.

«Ce dont j’ai ´et´e conscient de mani`ere directe, je ne peux en devenir r´eflexivement conscient que par la mise en oeuvre d’une activit´e r´efl´echissante qui n’a rien d’auto- matique.» (Vermersch 2000), p. 72

Chacun peut en faire l’exp´erience : sans entraˆınement ni accompagnement, il est quasiment impossible d’acc´eder aux micro-actions physiques ou mentales que l’on a mises en oeuvre pour r´ealiser une activit´e routini`ere, par exemple, pour lire cette phrase. Le r´efl´echissement n’est synonyme ni de facilit´e, ni d’imm´ediatet´e, puisqu’il exige a minima :

– D’interrompre son activit´e initiale, de suspendre «le courant d’activit´e qui nous porte habi- tuellement » avant de le «ressaisir ».31 Par exemple, avant de «regarder» la fa¸con dont je

m’y suis prise pour r´ediger la phrase pr´ec´edente, je dois d’abord interrompre la r´edaction de cette phrase-ci.

– De maintenir son attention sur le nouvel objet que constitue le v´ecu `a r´efl´echir, lequel ne se donne pas imm´ediatement `a la conscience. La «premi`ere couche de ressouvenir » per¸cue est d’abord «tr`es pauvre».32

– De recomposer l’ensemble du v´ecu d’abord saisi par morceaux ´eparpill´es.

Ensuite, l’activit´e de r´efl´echissement est facilit´ee par un accompagnement m´ethodologique et humain dans la mesure o`u «la cause de la prise de conscience est essentiellement extrins`eque

28

(Vermersch 2001), p. 81

29(Vermersch 2000), p. 11 30

Selon Vermersch (2000) (p. 13), qui se distingue en ceci de Husserl, l’activit´e de r´efl´echissement n’entraˆıne pas le d´edoublement du moi entre un sujet et un objet de r´eflexion mais l’apparition d’un nouveau moi observateur, qui englobe le premier.

31(Vermersch 2000), p. 14 32

au sujet ».33Par exemple, le processus de prise de conscience d´ecrit par Piaget s’op`ere lorsque le sujet de l’action est soumis `a des ´echecs et des obstacles. Les techniques d’entretien d’ex- plicitation constituent un autre moyen de provoquer ce processus.

• Principes m´ethodologiques de l’entretien d’explicitation

En cours d’entretien d’explicitation, l’intervieweur poursuit trois grands objectifs :

– Mettre le sujet en ´etat d’´evocation d’une situation pass´ee pendant laquelle il a mis en œuvre son savoir-faire ;

– Aider le sujet `a retourner son attention vers la dimension pr´e-r´efl´echie de son v´ecu ; – L’aider `a d´ecrire cette dimension.

La mise en ´evocation

L’entretien d’explicitation a pour finalit´e la «connaissance pr´ecise des d´emarches intellec- tuelles individuelles mises en œuvre dans la r´ealisation d’une tˆache» (Vermersch 2001). En d’autres termes, il s’agit de comprendre l’action dans ses dimensions v´ecue plutˆot qu’imaginaire, proc´edurale (d´eroulement r´eel de l’action) plutˆot qu’intentionnelle (buts de l’action) .34 Or cette d´emarche est plus originale qu’elle n’y paraˆıt. La m´ethode d´ecrite par

Sebillotte (1991) (voir p. 95), par exemple, ne cherche pas `a expliciter l’activit´e r´eelle des sujets interrog´es mais leur tˆache, c’est-`a-dire la repr´esentation qu’ils se font de ce qui est `a faire.35

Pour acc´eder aux processus, en particulier mentaux, r´eellement suivis par le sujet en cours d’action, l’intervieweur doit amener l’interview´e `a d´ecrire une exp´erience particuli`ere pen- dant laquelle il a exerc´e son savoir-faire. Le principe `a l’origine de cette d´emarche ´etant que le moyen le plus efficace pour que la personne interrog´ee d´ecrive ce qu’elle fait r´eellement pendant son expertise est de l’immerger dans une exp´erience qui prend place dans un cadre spatio-temporel pr´ecis. Sans ce recours `a une exp´erience particuli`ere, l’expert risque, d’une part, de d´ecrire des actions g´en´erales et impr´ecises, d’autre part, de d´ecrire ce qu’il suppose faire sans prendre conscience de ce qu’il fait r´eellement.

La strat´egie de l’entretien d’explicitation est donc motiv´ee par le mˆeme type de constat `a l’origine de ce que nous avons appel´e la m´ethode du «recueil de connaissances `a partir de cas» `a la p. 95, utilis´ee en ing´enierie des connaissances, qu’est le constat de la difficult´e pour l’expert de partager ses connaissances sans les rattacher `a une situation d’usage (Hart 1985). N´eanmoins, l’entretien d’explicitation fait un pas de plus vers la mise en situation de l’expert : – D’une part, il ne s’agit pas d’´evoquer un cas imaginaire mais bien un cas r´eel. Compte tenu de la difficult´e pratique qui consiste `a mener l’entretien d’explicitation `a l’instant mˆeme o`u l’interview´e r´ealise son savoir-faire, l’expert est g´en´eralement incit´e `a d´ecrire un cas pass´e.

33

(Vermersch 2001), p. 84

34

Une action peut ˆetre «tout aussi bien une action visible (un mouvement du corps par exemple) qu’il serait possible de filmer, qu’une action mentale (se faire un commentaire sur la situation ou visualiser quelque chose par exemple) qu’on ne pourrait pas observer directement de l’ext´erieur. On parlera aussi d’actions pour d´esigner des exp´eriences g´en´eralement v´ecues comme passives ou r´eceptrices (...) L’entretien d’explicitation pr´esuppose qu’il y a toujours une activit´e sensorielle et mentale, mˆeme si la personne a l’impression d’ˆetre inactive.» (Bezieux 1999), p. 235.

35

«Ce qu’on cherche `a obtenir n’est (donc) pas la description de la tˆache effectu´ee `a un moment pr´ecis, dans une situation donn´ee, mais une repr´esentation qu’en a le sujet, repr´esentation rationalis´ee, ce qu’il pourrait expliquer et conseiller `a un d´ebutant.» (Sebillotte 1991), p. 194-195

2 Recueil des connaissances 101

– D’autre part, il ne s’agit pas de se contenter d’une rem´emoration superficielle de ce cas mais d’inciter l’interview´e `a se souvenir de l’exp´erience qu’il a v´ecue jusqu’`a la revivre dans ses moindres d´etails.

Ces deux objectifs constituent l’objectif de «mise en ´evocation», c’est-`a-dire de mise en contact directe du sujet avec un v´ecu pass´e. Nous allons voir que laisser l’expert d´ecrire son expertise de la fa¸con la plus naturelle pour lui, comme le pr´econise Hart (1985), est in- suffisant pour atteindre cet objectif. Il faut au contraire guider m´ethodiquement l’interview´e, plus enclin `a se lancer dans des g´en´eralit´es et des explications qu’`a se mettre spontan´ement en ´etat d’´evocation.

Les fondements th´eoriques de la mise en ´evocation

Pour ´elaborer les techniques qui permettent de mettre l’interview´e en ´etat d’´evocation, Ver- mersch s’inspire d’abord des th´eories de la m´emoire concr`ete, ´elabor´ees par des psychologues du d´ebut du si`ecle comme Gusdorf et Ribot. Ces psychologues s’int´eressent `a la «m´emoire affective, ou encore m´emoire involontaire qui lors du rappel s’accompagne d’un sentiment subjectif de rev´ecu, riche en sensorialit´e et en ´emotion».36 Les souvenirs li´es `a la m´emoire affective, profond´ement ancr´es dans l’exp´erience affective et sensorielle du sujet et acquis sans effort d’apprentissage ont la particularit´e de ne pouvoir ˆetre rappel´es par le contrˆole de la pens´ee discursive mais `a partir d’impressions, de sensations.

Pour d´epasser le caract`ere fortuit et incontrˆolable de l’´evocation de souvenirs concrets sou- lign´e par les th´eories de la m´emoire concr`ete, Vermersch s’inspire en partie des travaux des psychoth´erapies ´emotionnelles et sensorielles dont la pratique s’est d´evelopp´ee dans les ann´ees 70 dans l’objectif d’aider les patients `a acc´eder rapidement `a des souvenirs de sc`enes trau- matiques. Divers proc´ed´es sensoriels pratiqu´es en groupe ont ´et´e mis en place dans ce cadre pour r´eactiver les souvenirs des participants. Par exemple, en s’agenouillant progressivement face `a un autre participant, le patient peut r´eactiver son point de vue d’enfant. Enfin, la technique de formation de l’Actors Studio, mise au point aux Etats-Unis `a partir des travaux du metteur en sc`ene Stanislavski, consiste `a former le com´edien `a la recherche de ses ´emotions d’acteur dans ses ´emotions v´ecues. Pour cela, le com´edien doit s’entraˆıner `a ´evoquer finement les sensations qu’il ressent dans diverses situations, par exemple lorsqu’il se lave les mains.

Le paragraphe suivant pr´ecise les apports m´ethodologiques de ces diff´erents travaux pour l’entretien d’explicitation.37

Les techniques de mise en ´evocation

Pour mettre l’interview´e en ´etat d’«´evocation», c’est-`a-dire faire en sorte que la situation pass´ee devienne plus pr´esente en lui que ne l’est la situation pr´esente, l’intervieweur doit d’abord ´eviter que l’interview´e ne recherche volontairement et directement son v´ecu. Deux attitudes sont totalement inefficaces pour acc´eder `a la m´emoire concr`ete : le fait de solliciter sa m´emoire intellectuelle d’abord, c’est-`a-dire de tenter de se souvenir de son v´ecu comme on se souviendrait de concepts abstraits, d’une part, et le fait de viser l’´etat d’´evocation par un effort crisp´e, une volont´e trop directe, d’autre part. Il ne s’agit pas de rechercher

36(Vermersch 2001), p. 91 37

directement `a retrouver les sensations ressenties dans la situation pass´ee, mais de viser le d´eclencheur sensoriel de ces sensations. Par exemple, il est inutile d’essayer de se souvenir de ce que l’on ressent en buvant une tasse de th´e sans commencer par se demander comment ´

etait la tasse, si elle ´etait chaude ou brˆulante, etc. C’est pourquoi l’intervieweur doit d’abord questionner pr´ecis´ement l’interview´e sur le contexte concret dans lequel s’est d´eroul´ee la situation d´ecrite (voir point suivant). Par ailleurs, il doit inciter l’interview´e `a «accueillir» les souvenirs plutˆot qu’`a «aller les chercher», en proposant par exemple `a l’interview´e de laisser de cˆot´e la recherche des souvenirs qui auraient du mal `a refaire surface.

Pour activer les d´eclencheurs sensoriels de l’´evocation, l’intervieweur doit questionner l’interview´e sur le contexte spatio-temporel de la situation ´evoqu´ee grˆace `a des questions comme «o`u ´etais-tu quand tu as commenc´e `a travailler sur ce cas ?», «`a quel moment de la journ´ee ´etait-ce ?». Il pourra aussi l’interroger sur ses sensations du moment («d´ecris-moi ce que tu voyais autour de toi quand tu travaillais», «qu’entends-tu ?», «que ressens-tu ?»).

Enfin, l’intervieweur doit ˆetre attentif aux indices observables qui permettent de savoir si la personne interrog´ee se trouve en ´etat d’´evocation ou non. Par exemple, le ralentissement de son rythme d’´elocution, la survenue de silences, le d´ecrochage du regard, l’usage du «je» ou encore l’utilisation de verbes au pr´esent sont autant de signes que l’interview´e est en train de revivre l’exp´erience qu’il d´ecrit.38

La conversion de l’attention

Pour prendre conscience de ses processus cognitifs pr´e-r´efl´echis, l’interview´e doit non seule- ment se souvenir d’une situation pr´ecise pendant laquelle il a mis en oeuvre son savoir-faire, mais en plus, il doit le faire avec une attention modifi´ee. Tandis qu’au moment de son action, il ´etait enti`erement pr´eoccup´e par ses objectifs, par l’objet de son action, il doit maintenant s’int´eresser `a son action elle-mˆeme, c’est-`a-dire au processus qu’il suit pour agir et `a ce qui se passe `a l’int´erieur de lui `a ce moment-l`a. Par exemple, un expert en peinture devra mettre de cˆot´e le contenu du tableau qu’il scrute pour s’int´eresser `a la fa¸con dont il le scrute. Cette d´emarche qui consiste `a d´etourner l’attention des objets de notre conscience vers la fa¸con dont les objets apparaissent `a notre conscience correspond `a la «conversion ph´enom´enologique» recommand´ee par Husserl (2001).

Concr`etement, la conversion de l’attention de l’interview´e peut ˆetre incit´ee par :

– L’´elimination syst´ematique des «pourquoi» au profit des «comment» afin d’´eviter que le discours de l’interview´e ne prenne la tournure abstraite et g´en´erale que les hommes sont naturellement enclins `a adopter. Tandis que le «pourquoi» pousse `a la th´eorisation et `

a l’explication, le «comment» d´etourne l’attention de l’interlocuteur vers la description d’actions temporellement et spatialement situ´ees.

– L’utilisation de questions portant sur les sensations et les actions de l’interview´e («comment fais-tu pour faire ¸ca», «que se passe-t-il en toi `a ce moment l`a ? ») ;

– L’invitation de la personne interrog´ee `a «ralentir le film» que constitue le souvenir de son exp´erience pass´ee.

38

2 Recueil des connaissances 103

L’accompagnement de la description du v´ecu

Le dernier grand objectif poursuivi par l’intervieweur en cours d’explicitation est d’aider plus g´en´eralement son interlocuteur `a d´ecrire, `a verbaliser son v´ecu. Pour cela, il dispose des techniques de communication non sp´ecifiques `a l’entretien d’explicitation que sont le questionnement de l’implicite, la reformulation, la non-induction, la synchronisation ou encore l’attention aux indicateurs p´eri verbaux (voir p. 93).

• D´eroulement d’un entretien d’explicitation

Maintenant que nous avons compris les grands principes m´ethodologiques de l’entretien d’explicitation, d´ecrivons succinctement son d´eroulement type. Tout d’abord, l’intervieweur doit ´etablir un contrat de communication avec son interlocuteur, c’est-`a-dire pr´esenter le contexte et l’objectif de l’entretien et s’accorder avec lui sur ses modalit´es pratiques et l’utilisation des informations recueillies. Cette ´etape est fondamentale pour la cr´eation d’une relation de confiance avec l’interview´e.

La description d’une exp´erience de mise en œuvre de son savoir-faire par l’interview´e peut alors commencer. Une fois que cette exp´erience a ´et´e choisie en fonction de crit`eres sp´ecifiques au contexte de recueil, l’intervieweur commence par rechercher les «dimensions satellites de l’action», lesquelles le renseignent sur le cadre de l’exp´erience. Ainsi, il peut ˆetre int´eressant de savoir o`u et quand s’est d´eroul´ee cette exp´erience («contexte»), de connaˆıtre les opinions de l’interview´e qui ont accompagn´e son exp´erience («jugements»), les «savoirs th´eoriques» dont il s’est servi, ou encore les «buts» qu’il a poursuivis pendant l’exp´erience. Toutes ces informations ne concernent pas directement l’action et doivent en ˆetre clairement distingu´ees. N´eanmoins elles ont entre autres m´erites celui d’engager l’immersion de l’interview´e dans l’exp´erience qu’il doit d´ecrire et de faciliter ainsi sa mise en ´evocation.

L’intervieweur encourage ensuite son interlocuteur `a d´ecrire progressivement son action tout en entretenant des aller-retour in´evitables vers les informations satellites. Pour cela, il aide plus pr´ecis´ement l’interview´e `a d´ecrire le processus g´en´eral qu’il a suivi puis `a «zoomer» sur :

– La dimension «diachronique» de son exp´erience, c’est-`a-dire sur certaines sous-´etapes int´eressantes du processus g´en´eral ;

– La dimension «synchronique», ou non temporelle, de l’exp´erience, en l’incitant `a r´ealiser une esp`ece d’«arrˆet sur image» sur une ´etape puis `a en sp´ecifier les composantes sensorielles.39

• Applications40

Largement enseign´ees dans les IUFM, les techniques d’entretien d’explicitation sont es- sentiellement utilis´ees dans le domaine de la p´edagogie et de la formation. Les techniques d’explicitation permettent en effet au personnel ´educatif et aux apprenants eux-mˆemes de prendre conscience de leurs fa¸cons de proc´eder et de l’origine de leurs difficult´es. Cette prise de conscience permet notamment d’apprendre `a apprendre, c’est-`a-dire de prendre du recul, et donc d’acqu´erir une certaine libert´e face `a ses propres processus cognitifs.

39Nous reviendrons sur la distinction entre les dimensions synchronique et diachronique de l’action lorsqu’il

sera question de mod´elisation (voir p. 114.)

40Pour un bilan d´etaill´e des applications de l’entretien d’explicitation aujourd’hui, voir Maurel (2009) et le

La description d´etaill´ee de l’exp´erience v´ecue du sujet permettant d’obtenir une description de ses processus cognitifs, elle s’inscrit aussi dans l’objectif g´en´eral des sciences cognitives qu’est la connaissance du fonctionnement cognitif de l’esprit. Et si la d´emarche qui consiste `

a recueillir des descriptions sur l’activit´e mentale autrement que par les observables que sont le comportement du sujet ou encore l’imagerie c´er´ebrale est encore sujette aux pol´emiques, un courant de chercheurs t´emoignent d’une nouvelle tendance (voir p. 21). Par exemple, Petitmengin (2001) a pu d´egager une structure g´en´erique de l’exp´erience subjective associ´ee `

a la survenue d’une intuition `a partir de descriptions recueillies par entretiens d’explicitation aupr`es de psychoth´erapeutes, de m´editants, ou encore de scientifiques. C’est aussi `a l’aide des entretiens d’explicitation que Petitmengin (2005) compl`ete les d´ecouvertes faites en neuro-imagerie sur l’existence de signes neurologiques pr´ec´edant la survenue d’une crise