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1. Le recueil des rêves

Différentes méthodes peuvent être utilisées pour recueillir les rêves des sujets. Nous pouvons en distinguer principalement trois :

La première est celle du recueil à travers l’agenda de rêve qui peut être rempli au laboratoire comme à domicile. Cette méthode de recueil, contrairement aux méthodes rétrospectives de rappel de rêves effectuées uniquement en laboratoire permet de diminuer les risques d’oubli et de représentations cognitives de l’activité onirique propre du sujet. L’agenda de rêve permet des comparaisons intra-individuelles ainsi qu’un accès unique à l’activité onirique d’un même individu sur une longue période de temps. Néanmoins, cette méthode ne permet de conserver que les souvenirs saillants du rêve, avec un taux de recueil faible : la moyenne, dans la population adulte, est de 2,29 souvenirs de rêve par semaine (ce chiffre s’améliore cependant avec l’entraînement).

Une autre technique est celle des réveils forcés de sujets dormant au laboratoire, durant des stades de sommeil choisis par l’expérimentateur, et du recueil direct des récits de rêves survenus juste avant le réveil. Cette méthode permet d’analyser les caractéristiques du sommeil en fonction des différents stades de sommeil. Comme précédemment énoncé dans la partie III/ B., le récit des rêves par le sujet peut cependant être influencé par la façon dont est posée la question de l’expérimentateur (« a quoi rêviez-vous avant que je vous réveille » versus « qu’est-ce qui vous passait par la tête au moment où je vous ai réveillé? »)

Enfin, une troisième méthode utilisée plus récemment est celle ayant recours au

Nightcap (Ajilore et al., 1995). Celui-ci est un instrument sensible aux changements cliniques

importants pour la qualité du sommeil et qui utilise des détecteurs de mouvements des paupières et du corps. C’est donc une technique de recueil à la maison dans des conditions naturelles d’apparition du rêve qui permet de distinguer, avec une précision de 86%, l’éveil du sommeil lent (sans en différencier les sous-stades) et du sommeil paradoxal (Mamelak and Hobson, 1989). De façon programmée, un signal sonore se met en marche et indique au sujet qu’il doit enregistrer ses souvenirs de rêve sur un magnétophone synchronisé avant de se rendormir.

Ces méthodes de recueil de rêves et plus généralement l’étude scientifique des rêves se heurtent malheureusement à plusieurs biais : l’oubli, la reconstruction, l’interprétation, la censure et la saillance. L’oubli du rêve est l’un des plus grands obstacles à son étude, et la capacité de se souvenir de ses rêves varie beaucoup d’un individu à l’autre (selon l’âge, l’intérêt porté aux rêves, l’environnement…). D’autre part, de nombreuses distorsions mnésiques peuvent affecter les récits de rêves à cause de phénomènes de reconstruction et de réinterprétation du rêve au moment où celui-ci est rapporté. En outre, certaines expériences subjectives peuvent être difficiles à décrire verbalement (par exemple, les émotions, les scènes complexes, les objets qui n’existent pas dans la réalité, les expériences

inhabituelles…). Enfin, certains contenus de rêve jugés embarrassants (pensées immorales, contenu sexuel…) peuvent être tout simplement censurés par le sujet, alors que d’autres contenus plus marquants, inhabituels et qui provoquent un réveil seront plus facilement mémorisés (saillance) (Schwartz and Maquet, 2002).

2. L’analyse du contenu des rêves

Une fois collectés les rêves doivent être analysés. Dans cette perspective, il n'est pas question de s'adonner à une traduction psychanalytique des rêves manifestes en contenus latents, mais plutôt d’explorer certaines caractéristiques spécifiques des rêves. Plusieurs psychologues scientifiques se sont intéressés à l’analyse du contenu des rêves et ont mis au point des échelles de cotation. Nous exposerons dans cette partie la toute première échelle d’analyse du contenu des rêves ainsi que les échelles qui nous ont servs pour notre étude sur les rêves, et les développeront dans le détail par la suite dans la partie « Méthodologie » de cette thèse.

Avant d’aborder l’analyse du contenu des rêves à travers ces différentes échelles, il est important d’effectuer un travail préliminaire qui consiste à compter, pour chaque récit de rêve, le nombre de mots significatifs en excluant les mots introducteurs (tels que « j’ai rêvé que », « je ne sais pas exactement »…) et les articles. Cela fournit une première information sur la longueur du rêve.

a. Les rêves en chiffres

En 1893, Mary Calkins effectua ce qui peut être aujourd’hui considéré comme la première étude statistique des rêves. A travers son étude elle montra que différents aspects ou contenus de rêves peuvent être quantifiés. Elle récolta 275 rêves (dont environ la moitié provenait d’elle-même) et identifia plus de dix paramètres issus de ces rêves. Parmi les résultats qu’elle obtint certains sont dignes d’intérêt et restent valables encore aujourd’hui : les rêves sont plus fréquents et intenses dans la seconde partie de la nuit ; ils se caractérisent, sur le plan sensoriel par des expériences principalement visuelles (57%), puis auditives (37%) et enfin gustatives et/ou olfactives (seulement 1%) ; les émotions négatives priment sur celles positives. Enfin, elle décrivit différentes formes de fausses reconnaissances ou paramnésies habituelles dans les rêves.

b. L’échelle de Hall et Van de Castle

Plus d'un demi siècle après le travail précurseur de Mary Calkins en matière de taxonomie des composantes phénoménologiques des rêves, Hall et Van De Castle développèrent une méthodologie d'évaluation objective des rêves qui non seulement se base sur un large échantillon de rêves, mais qui identifie, classe, et formalise leurs composantes phénoménologiques selon différentes échelles et différents niveaux de précision. L'objectif de Hall et Van De Castle s'est donc principalement limité à l'identification et à la classification des éléments qui forment le spectre des expériences oniriques (Hall and Van De Castle, 1966a). Cette échelle constitue la méthode la plus complète et la plus utilisée pour étudier le contenu onirique grâce à laquelle les auteurs ont pu établir des normes selon l’âge et le sexe, permettant de nombreuses comparaisons intra-groupes. Ils ont en effet retenu comme matériel d'analyse quelques 1.000 comptes rendus de rêves provenant d'étudiants américains âgés entre 19 et 25 ans, 100 femmes et 100 hommes, soit cinq rêves de 50 à 300 mots de long par individu.

c. Les échelles de bizarrerie et menace de Revonsuo

Revonsuo étudia les rêves avec une perspective évolutive. Il émit l’hypothèse à travers laquelle il élabora sa théorie « Threat simulation theory » (TST) présentée en six propositions, que les rêves sont essentiellement des simulations d’évènements menaçants, permettant de répéter les comportements à adopter contre ce danger et donc d’augmenter la probabilité de se défendre efficacement s’il se produit dans la vie réelle (Revonsuo, 2000a). En ce sens, les rêves confèreraient un avantage évolutif et seraient donc le résultat de la sélection naturelle.

Voyons brièvement les six points élaborés par Revonsuo dans sa théorie : Premièrement, il affirme que le rêve n’est pas aléatoire ou désorganisé mais, qu’au contraire, il constitue une simulation du monde, un peu comme une réalité virtuelle. Deuxièmement, le rêve n’est pas une simulation généralisée du monde mais spécialisée dans la simulation d’évènements menaçants. Troisièmement, seuls les évènements menaçants réels activent pleinement le système de simulation de menaces du rêve. Quatrièmement, les menaces du rêve sont réalistes et constituent donc une répétition efficace à la fois de la perception du danger et des réponses comportementales à adopter pour l’éviter. Cinquièmement, la simulation et la répétition de compétences (dans ce cas la reconnaissance de la menace, l’évitement et la capacité d’adaptation) réalistes en rêve améliore les performances à l’éveil. Enfin, l’environnement originel dans lequel ont vécu les humains est dangereux et rempli de menace, ce qui représentait une pression de sélection pour la population. La simulation

réaliste de ces menaces durant le sommeil aurait donc conféré un avantage adaptatif aux individus bénéficiaires de ces rêves.

Il mit en place deux échelles pour l’étude du contenu des rêves. La première pour l’analyse du contenu des bizarreries, « Content analysis of bizarreness scale » (Revonsuo and Salmivalli, 1995), qui évalue la mesure dans laquelle les différents types d’éléments de rêves sont affectés par différents types de bizarreries de rêves. Par le terme bizarrerie l’échelle inclue tous les éléments absurdes, incongrus, vagues et discontinus. La deuxième échelle, « Dream threat scale » (Valli and Revonsuo, 2009), fut développée dans le but de tester sa théorie TST en identifiant, classifiant et mesurant la fréquence et la qualité des évènements menaçants dans les rêves.

IV. SOMMEIL ET MEMOIRE