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Développement du langage et bases cérébrales

C. Réseaux cérébraux impliqués dans le langage

1) Développement du langage et bases cérébrales

Dans l'espèce humaine, le développement langagier est un processus qui débute très tôt et se poursuit tout au long de la vie de l'individu. L'acquisition du langage procède par apprentissage et imitation, tant pour l'expansion du lexique que pour la maîtrise de la syntaxe. Ces étapes permettent à la fois la compréhension des énoncés linguistiques mais aussi la production des premiers mots du nourrisson jusqu'au discours de l'adulte. Avant même que l'enfant soit capable de parler même avant la naissance, dans l'environnement utérin, le système auditif du fœtus est sensible aux sons si bien que, dès la naissance, le nouveau-né est capable de reconnaître les sons de sa langue maternelle. Dans les premiers mois de la vie, le nourrisson produit ses premières vocalisations : le babillage.

Grâce aux progrès de l’imagerie cérébrale, nous pouvons désormais étudier les corrélats cérébraux des compétences linguistiques précoces. Des résultats obtenus en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle et en potentiels évoqués haute-densité chez des nourrissons pendant les premiers mois de vie montrent que dès cet âge le cerveau est organisé en réseaux fonctionnels proches de ceux de l’adulte. Cette similarité indique une continuité dans les processus et les structures neurales sous-jacentes entre le nourrisson et l’adulte et suggère que l’exposition à la langue maternelle ne crée donc pas de nouveaux réseaux mais façonne des réseaux précontraints par notre patrimoine génétique (Deheane-Lambertz G., 2004). Ces réseaux particulièrement adaptés de la parole permettraient au nourrisson de trouver dans son environnement sonore l’input adéquat. Sous l’influence de cet input et sans doute par une analyse des régularités statistiques présentes dans le signal de parole (Kuhl, 2000; Saffran et al., 1996), ces réseaux vont voir se modifier les poids de leurs connexions et ils vont devenir de plus en plus performants dans le traitement de la langue maternelle.

2) Réseaux cérébraux impliqués dans le langage

Le langage est une des premières fonctions dont les bases cérébrales ont été mises en évidence au XIXème par deux chercheurs qui ont démontré l’implication de certaines zones cérébrales dans les processus langagiers en étudiant des patients aphasiques. En 1861, le chirurgien français, Pierre Paul Broca, décrivit deux patients qui avaient perdu la capacité de parler après une blessure dans le gyrus frontal postérieur gauche. Dès lors, cette aire fut appelée aire de Broca. Quelques années plus tard, Carl Wernicke identifia dans le même

hémisphère gauche une autre aire localisée dans le lobe temporal, proche du cortex auditif primaire, qui était elle indispensable à la compréhension du langage oral, ce fut l’aire de Wernicke. Enfin, en 1887, le neurologue français Jules Dejerine identifia toujours dans le même hémisphère gauche une aire, localisée dans le gyrus angulaire, indispensable à la lecture des lettres et des mots. En effet, une lésion de cette aire faisait perdre la capacité de lire, une personne ayant cette lésion pouvait continuer de parler, de comprendre le langage oral, pouvait même continuer à être capable d’écrire correctement, mais ne pouvait plus lire (Dejerine, 1891) (Figure 31).

Figure 31. Aire classique perisylvienne du langage.

Bien qu’ayant très vite séduit beaucoup de leurs contemporains, les vues de Broca et Wernicke furent contestées par les opposants à une conception « localisationniste » du langage. Dans les années 1960-1970, le neurologue et psychiatre américain Geschwind, s’inspira des études lésionnelles de Wernicke et élabora un modèle « connexionniste » du langage. Le modèle Wernicke-Geschwind est basé sur la localisation anatomique d’aires cérébrales ayant des fonctions distinctes Selon ce modèle, chaque aire cérébrale serait responsable d’une des différentes caractéristiques du langage (perception, compréhension, production) et serait reliée aux autres par une chaîne de connexions bien précise. Ce modèle

fut lui aussi largement critiqué du fait qu’il supposait que chaque étape du processus du langage n’était réalisée qu’à partir du moment où la précédente était achevée, ce qui n’est pas toujours ce que l’on observe. Ce modèle n’expliquant pas non plus certains troubles partiels du langage, d’autres furent proposés pour pallier à ces lacunes.

Dans les années 1980, le neurologue Marsel Mesulam proposa un modèle alternatif à celui de Wernicke-Geschwind pour appréhender les circuits du langage (Mesulam, 1990). Il s’agit d’un modèle en réseaux hiérarchisés où le traitement de l’information procède par paliers de complexité. Par exemple, pour les traitements simples, comme dire les mois de l’année dans l’ordre, les aires motrices et prémotrices du langage sont directement activées. Dire un énoncé nécessitant une analyse sémantique et phonologique plus poussée fera pour sa part intervenir d’autres aires en amont des aires motrices. Pour ce qui est des paroles entendues, elles sont perçues par l’aire auditive primaire, puis traitées par des aires corticales dites associatives unimodales: les régions temporales supérieures et antérieures ainsi que la région operculaire du gyrus frontal inférieur gauche. Mesulam considère qu’il existe néanmoins deux « épicentres » du traitement sémantique, soit les aires de Broca et de Wernicke. Cette nouvelle conception des aires de Broca et de Wercnicke concorde avec le fait que ces deux aires travaillent souvent de façon synchrone lors de la réalisation d’une tâche de traitement des mots, appuyant l’existence de connexions très fortes entre elles. Ce concept d’épicentre rejoint celui de zones de convergences proposé par d’autres auteurs (Damasio, 1989). Il s’agit de zones où l’information en provenance de différentes modalités sensorielles peut être mise en commun. Cette mise en commun se ferait par la formation d’assemblées cellulaires, c’est-à-dire un groupe de neurones interconnectés dont les synapses ont été renforcées suite à leur activation simultanée (Hebb, 1949a). Cette conception des aires du langage comme des zones de convergence où s’établissent des assemblées neuronales accorde donc une place importante à l’influence épigénétique dans l’apprentissage d’une langue.

L’une de ces zones de convergence est sans contredit le lobule pariétal inférieur gauche qui comprend le gyrus angulaire et le gyrus supramarginal. En plus de recevoir de l’information de l’hémisphère droit, le lobule pariétal inférieur gauche intègre aussi des associations émotionnelles en provenance de l’amygdale ou du gyrus cingulaire. Le lobule pariétal inférieur semble donc indispensable pour appréhender les différentes caractéristiques d’un mot : nom, sens, aspect visuel, références sonores. Il participerait à la classification de tout ce qui existe, condition préalable à la pensée abstraite. Cette région jouerait donc un rôle

clé dans l’acquisition du langage : en effet, si les mots et les images permettent une réaction rapide adaptée à un événement en cours, le langage élaboré permet de planifier une action plus complexe.

Aujourd’hui plusieurs chercheurs rejettent les modèles classiques de Geschwind et Mesulam et proposent une conception du langage et des fonctions cognitives en général comme étant distribuées sur des aires anatomiquement distinctes qui traitent l’information en parallèle (plutôt que de façon sérielle d’une «aire du langage» à une autre) (Figure 33). Pour les tenants de cette conception, l’étendue de l’activation des différentes zones de l’hémisphère gauche ainsi que le grand nombre des processus psychologiques impliqués exclut une association précise des fonctions à des aires anatomiques. Seulement pour le rappel des mots par exemple, il est le produit d’un réseau très distribué localisé de façon prédominante à gauche et incluant le lobe temporal inférolatéral, le lobe pariétal postérieur inférieur, les régions prémotrices du lobe frontal, le gyrus cingulaire antérieur et l’aire motrice supplémentaire. Quant à la contribution de chaque région à cette tâche spécifique, un réseau aussi largement distribué exclut, pour les tenants du traitement en parallèle, l’attribution précise de fonctions à des structures (Figure 32). Parmi les chercheurs qui plaident en faveur d’un système de traitement du langage distribué à travers différentes structures cérébrales, certains comme Philip Lieberman (Lieberman, 2002) accordent une grande importance au rôle que joueraient les ganglions de la base dans le langage. D’autres structures sous-corticales traditionnellement impliquées dans le contrôle moteur, comme le cervelet ou le thalamus, seraient également impliquées. Ces conceptions s’opposent à celles du linguiste Chomsky sur la nature exceptionnelle du langage humain et la grammaire universelle (Chomsky, 1957) pour se situer résolument dans une perspective biologiste évolutive « adaptationniste ». Bien que Lieberman reconnaisse que le langage humain soit, et de loin, la forme de communication animale la plus sophistiquée, il ne croit pas qu'il s'agisse d'une forme qualitativement différente comme le prétend Chomsky. Pour lui, point n'est besoin de faire appel à un saut quantique dans l'évolution ou à une région particulière du cerveau qui serait le siège de cette innovation. Le langage peut au contraire être décrit comme un système neurologique fait de plusieurs habiletés fonctionnelles séparées. Ce sont les circuits neuronaux de ce système, et non un quelconque organe du langage, qui constituent un ensemble prédéterminé génétiquement limitant les caractéristiques possibles d'un langage (Deacon, 2000). En d'autres termes, nos ancêtres auraient inventé des modes de communication compatibles avec les habiletés naturelles du cerveau. Et les contraintes

inhérentes à ces habiletés naturelles se traduiraient ensuite concrètement par des structures universelles du langage.

Figure 32. Activité cérébrale associée à différentes fonctions du langage illustratif du traitement en parallèle.

Les découvertes de la neuroscience par l’imagerie cérébrale commencent à fournir des réflexions importantes en matière de langage : différentes parties du cerveau accomplissent différentes tâches. Ce principe de localisation fonctionnelle se vérifie à presque tous les niveaux de l’organisation cérébrale. Apprendre le langage, déclenche l’activation de nouveaux mécanismes cérébraux. C’est une découverte importante pour les orthophonistes. En effet, l’approche des neurosciences cognitives qui met en exergue les capacités mentales pourrait avoir des implications importantes pour les interventions visant les personnes, qui éprouvent des difficultés de langage.