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B. Le trouble du comportement en sommeil paradoxal

1. Historique

Le trouble du comportement en sommeil paradoxal (TCSP) a été décrit pour la première fois chez l’homme en 1986 par le psychiatre Schenck et le neurologue Mahowald à travers une étude d’une série de 5 cas cliniques. Dans cette étude ils décrivent les histoires

cliniques de ces 5 patients, âgés entre 67 et 72 ans, venus consulter parce qu’ils s’étaient

blessés en dormant (ou avaient blessé leur conjoint). Le premier patient donnait régulièrement des coups de pied et de poing à sa femme pendant son sommeil. Une nuit, il rêva que quelqu’un lui tirait dessus avec une carabine. Il était dans un champ et rampa pour se cacher derrière une petite crête. Ainsi à couvert, il tira en retour sur son agresseur avec un pistolet. Lorsqu’il se réveilla de son rêve, le patient était à genoux à côté de son lit avec les bras en l’air comme s’il s’apprêtait à tirer un coup de feu. Un autre patient racontait qu’il avait tenté d’étrangler sa femme lors d’un épisode nocturne au cours duquel il essayait de repousser un ours menaçant. Un troisième patient disait être tellement gêné par ses comportements

nocturnes, -souvent extrêmement violents-, qu’il s’attachait sur le lit avec une corde pour éviter de se blesser. Lors d’un épisode, cet homme de 70 ans avait failli briser le cou de sa femme en croyant attaquer un cerf. Depuis lors, le couple faisait généralement chambre à part. Une autre fois, le patient rêva qu’il était poursuivi et que la seule issue était de sauter par la fenêtre alors… il sauta hors du lit et heurta si violemment le mur qu’il le cabossa et perdit une dent dans la bataille. Carlos Schenck a enregistré le sommeil de ces différents patients. Il a constaté qu’ils présentaient tous un sommeil paradoxal anormal avec une perte variable de l’atonie du menton et une augmentation importante de l’activité phasique des membres. Il en conclut que ces anomalies du sommeil paradoxal associées à une extériorisation des rêves constituaient une nouvelle catégorie de parasomnie humaine, répliquant les comportements oniriques du chat (Schenck et al., 1986). Il a appelé cette parasomnie « le trouble comportemental en sommeil paradoxal » (TCSP ; en anglais, REM sleep behavior disorder, RBD).

Ces comportements oniriques avaient été précédemment décrits chez le chat par Michel Jouvet en 1965 (Figure 9) mais avaient longtemps été ignorés par la majorité des neurologues. Cette découverte de Jouvet était survenue de façon inattendue suite à des études sur l’apprentissage des réflexes conditionnés chez le chat, et plus particulièrement l’habituation de la réaction d’éveil. A travers ces études il a découvert que la lésion de la région du locus subcoeruleus fait disparaître le sommeil paradoxal : le système exécutif est touché. Peu à peu, quand l’animal récupère, le sommeil paradoxal réapparait sous la forme de l’activité ponto-géniculo-occipitale et de l’activité corticale rapide, mais sans atonie : « l’animal. semble alors participer à une scène onirique. Dressé sur ses pattes, il semble

parfois lutter contre des ennemis imaginaires pendant plusieurs minutes. Son comportement évoque la rage et il semblerait totalement éveillé bien qu’il ne réagisse pas aux différentes stimulations sensorielles … la destruction des locus subcoeruleus, en supprimant l’inhibition supraspinale du tonus, laisse la possibilité aux effecteurs moteurs d’être mis en jeu alors que les phénomènes phasiques pontogéniculooccipitaux apparaissent. L’animal participe ainsi avec sa sphère motrice aux évènements cérébraux qui se traduisent normalement par l’imagerie onirique» (Jouvet et al., 1965).

Figure 9. Comportement onirique d’attaque dans un contexte agressif.

L’animal s’élance et donne des coups de pattes dans l’espace. Les oreilles sont dirigées vers l’arrière (photos 1 et 2). Extrait de la thèse de Sastre, 1978.

2. Définition

Les TCSP se définissent par la description de comportements nocturnes anormaux (généralement identifiés comme des rêves en acte), une plainte clinique de gêne nocturne du patient ou de son conjoint (souvent avec blessures), et une abolition imparfaite du tonus musculaire en sommeil paradoxal sur les enregistrements nocturnes. Sur la vidéo-polysomnographie, ces comportements sont observés uniquement en sommeil paradoxal. Au cours des TCSP, le sujet présente donc des comportements moteurs complexes, non stéréotypés, souvent violents et des paroles. Réveillé pendant ces comportements, il raconte un rêve parfaitement congruent (« isomorphisme ») avec les mouvements observés : il

«combattait un dragon», «jouait au foot», «se disputait avec des personnes», «cueillait des pommes» ou «prononçait un discours à la Mairie» (AASM, 2005).

Ces manifestations comportementales sont associées à des rêves très vifs et souvent désagréables (bagarre, insulte, coups de pieds). Cependant, certains comportements complexes non violents ont été observés, ils sont généralement appris et dépendent du contexte socioculturel du patient (manger, fumer, faire du vélo, vocalisations, etc…). Les comportements associés à ce trouble spécifique du sommeil paradoxal vont donc de comportements archaïques communs à presque tous les patients à des comportements acquis selon l’expérience.

3. Epidémiologie

Une étude épidémiologique visant un large panel de personnes d’âge compris entre 15 et 100 ans a estimé les comportements violents pendant le sommeil chez 2,1% de la population générale (Ohayon et al., 2012). Parmi ceux-ci les comportements associés à un souvenir de rêve, et donc les TCSP, représentent 0,5% de la population générale. Typiquement, le TCSP survient chez des personnes âgées de plus de 60 ans.

Dans trois grandes séries de 52 à 96 patients avec TCSP idiopathiques observés dans le Minnesota, à la Mayo Clinic et à Strasbourg (Olson et al., 2000; Schenck and Mahowald, 2002; Sforza et al., 1997), plusieurs caractéristiques communes ont été observées : une nette prépondérance masculine (87%), et jusqu’à 69% des patients qui se sont au moins blessés ou ont blessé leur conjoint pendant ces comportements. Leur fréquence rapportée est variable, avec 35% des patients présentant plus de deux épisodes par semaine.