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Chapitre 3 : Question de recherche et méthodologie

3.2 Méthodologie

3.2.2 Techniques de collecte de données

Pour produire les données dont j’ai discuté dans la section précédente, il me fut nécessaire d’avoir recours à plusieurs techniques d’enquêtes que j’ai dû adapter à la place qui m’a été donnée par mes interlocuteurs. Pour être cohérent avec le cadre théorique de la présente recherche, je parle bien de données « produites » et non de données « découvertes » sur le terrain. Cette distinction est évidente en anthropologie aujourd’hui, mais prend un sens particulier ici dans la mesure où j’ai participé, d’une certaine manière, à la production, circulation et utilisation de savoirs concernant les acteurs et le territoire concernés en étant parfois celui qui faisait du projet d’aire protégée une réalité actuelle pour certains acteurs n’y ayant pas participé depuis un certain temps. Trois techniques principales ont été utilisées : l’observation, l’entrevue informelle et semi-dirigée et l’analyse de contenu de documents écrits.

Observations

Il m’a été nécessaire, dans un premier temps, de cibler les lieux névralgiques du processus que je me proposais d’observer. Étant donné que l’objet de ma recherche se produisait en milieu institutionnel, ces lieux névralgiques se matérialisaient lors de réunions où les divers acteurs à la source de la création du projet de l’aire protégée, soit les membres de l’équipe du Bureau du Nionwentsïo, produisaient d’un commun accord les lignes directrices qui orientaient les actions posées au nom de l’institution huronne-wendat.

Je n’ai évidemment pas assisté à toutes les réunions de l’équipe du Bureau du Nionwentsïo, mais seulement à celles portant spécifiquement sur le projet d’aire protégée. Ce qui, durant le temps de ma recherche de terrain, se limita à deux réunions. Durant celles- ci, ma cueillette de données se construisait autour de trois thèmes. Tout en restant attentif à l’ensemble des discussions et à l’apparition de nouveaux éléments de discours, je cherchais principalement à comprendre : quelles actions avaient été menées jusqu’à présent; quels acteurs avaient été impliqués dans ces actions; et quelles étaient les actions futures que l’équipe choisissait d’entreprendre.

Procéder à l’observation de ces évènements m’a aussi permis d’avoir accès à certains éléments qui n’auraient pu être verbalisés lors des entrevues. Comme l’explique Olivier de Sardan : « […] toutes les activités sociales se donnent autant à voir qu’à

entendre, et produisent du sens dans chacun de ces deux registres, mais en outre certaines, qui ne sont pas les moins pertinentes, relèvent plus particulièrement du prédiscursif ou de l’infradiscursif, voir du silence ou de l’informulable » (Olivier de Sardan 2008 : 66). Ajoutons aussi à ces considérations concernant le prédiscursif et l’infradiscursif que l’observation de tels évènements m’a permis de mieux cerner quel était le discours officiel du Bureau du Nionwentsïo et comment il se construisait en fonction des expertises et des opinions de chacun.

Ainsi, bien que les données que j’ai produites aient émané en grande partie des entrevues, les observations m’ont permis d’ajouter des éléments d’informations à ma recherche que je n’aurais pu obtenir autrement. Ce type de collecte de données m’a permis de capter des éléments de discours d’une façon différente, où ils n’étaient pas reconstitués à partir des déclarations et des écrits des acteurs, comme c’est le cas pour des entretiens ou pour l’analyse de sources écrites (Van Campenhoudt & Quivy 2011 : 174). L’observation de ces réunions m’a donc permis concrètement de mieux cerner l’ensemble des efforts faits par le Bureau du Nionwentsïo dans le cadre de ce projet et de constater comment se construisaient les orientations officielles prises par la direction du Bureau.

Entrevues

Les entrevues ont constitué le cœur du corpus de données produit durant mon terrain. Ces entrevues m’ont permis de donner l’occasion à mes interlocuteurs de développer davantage les idées exprimées par certains d’entre eux durant les rencontres auxquelles j’ai participé et ainsi de déterminer quels savoirs ont été mobilisés pour justifier la création de l’aire protégée, à quelles échelles ces savoirs ont circulé et comment ils ont été utilisés dans les politiques de gestion du territoire. Les entrevues m’ont d’ailleurs permis de faire ressortir des éléments de réponse à chacune de mes trois sous-questions.

Les participants choisis pour ces entrevues l’ont été en fonction de leur rôle dans la création de l’aire protégée. J’ai cherché à entrer en contact avec des acteurs qui étaient en mesure de m’informer de façon la plus détaillée possible sur le projet étudié et sur son cheminement institutionnel. Conséquemment, les acteurs retenus pour les entrevues étaient les employés du conseil de la Nation huronne-wendat qui travaillent au Bureau du

Nionwentsïo et plus spécifiquement ceux qui ont eu un rôle à jouer dans le projet d’aire protégée, ainsi que les autres acteurs ayant joué un rôle dans le dossier et qui ont accepté de me rencontrer, soit quelques employés de la fonction publique québécoise.

Étant donné que mon objet de recherche est un projet, mon terrain ne s’est pas construit autour d’un lieu physique particulier, mais bien autour d’un réseau n’existant que dans le cadre du projet d’aire protégée. La figure 1 présente ce réseau, en spécifiant quels acteurs institutionnels il impliquait et le rôle joué par chacun de ces acteurs dans le cadre du projet d’aire protégée.

Ainsi, la première étape que j’ai dû franchir fut de décrire le réseau créé par ce projet de manière à mieux cerner cet objet concret qui faisait initialement défaut à mon terrain. Pour ce faire, j’ai identifié des informateurs clés qui ont joué un rôle central dans le projet d’aire protégée, les employés du Bureau du Nionwentsïo qui étaient à la source du projet, et qui en avait suivi le cheminement depuis le début. Puis, avec leur concours, j’ai produit la liste des individus qui ont eu un rôle à jouer dans le cadre du projet. Conséquemment, j’ai pu mettre à jour l’ensemble des acteurs ayant joué un rôle dans le projet d’aire protégée. Ma première intention était de constituer mon échantillon d’interlocuteurs de l’ensemble de ces acteurs, ce qui ne put cependant pas être le cas, pour

Bureau du NionwentsïoBureau du Nionwentsïo MDDELCC (demandes de financement, demande de création d’une AP) MDDELCC (demandes de financement, demande de création d’une AP) MCC (demandes de financement) MCC (demandes de financement) MRN (demandes de financement/discu

ssion sur les impacts d’une AP)

MRN (demandes de financement/discu

ssion sur les impacts d’une AP)

Compagnie forestière (Discussion sur les impacts d’une AP) Compagnie forestière (Discussion sur les impacts d’une AP) CRÉ (Demande de financement) CRÉ (Demande de financement) SAA (demandes d’aide pour le financement) SAA (demandes d’aide pour le financement)

les raisons que j’expose un peu plus loin. La figure 2 reprend le diagramme du réseau constitué autour de l’aire protégée, mais cette fois avec le nombre d’entrevues obtenues et le nombre d’individus approchés pour une entrevue (ex. : 1/2 entrevue signifie 1 personne rencontrée sur 2 personnes approchées).

La plupart des acteurs qui ont accepté de me rencontrer étaient des employés du Bureau du Nionwentsïo. Leur approche me fut facilitée par les contacts entretenus entre ces derniers et mon directeur de recherche. Il m’a d’ailleurs été mentionné d’emblée par un employé du Bureau du Nionwentsïo que la confiance qui m’était accordée découlait directement de celle accordée à mon directeur et qu’il ne tenait qu’à moi de l’honorer. Bien que rapidement de bons contacts furent établis, il me fut très difficile de conserver des contacts réguliers avec plusieurs de ces personnes étant donné la charge de travail qu’ils avaient à accomplir. Mes rencontres avec eux se tenaient dans leur environnement de travail, je n’avais donc pas le loisir d’arriver à tout moment pour poser des questions. Il fallait que j’entre en contact avec eux par le biais de courriels ou d’appels téléphoniques, et parfois, il pouvait s’écouler plusieurs semaines sans que j’aie de réponse. Nous verrons d’ailleurs plus loin que la surcharge de travail expliquant ces longs délais de réponse fait partie des nombreux défis que doivent relever les porteurs du projet d’aire protégée étudié ici. Bureau du Nionwentsïo 6/7 entrevues Bureau du Nionwentsïo 6/7 entrevues MDDELCC 3/3 entrevues MDDELCC 3/3 entrevues Autre 1/1 entrevue Autre 1/1 entrevue MCC 0/1 entrevue MCC 0/1 entrevue MRN 1/1 entrevue MRN 1/1 entrevue Compagnie forestière 0/2 entrevue Compagnie forestière 0/2 entrevue CRÉ 0/1 entrevue CRÉ 0/1 entrevue SAA 0/2 entrevue SAA 0/2 entrevue

J’ai fait en tout 12 entrevues avec 11 participants sur un total de 18 personnes contactées, qui formaient l’ensemble des personnes ayant eu une quelconque implication dans le projet de l’aire protégée. Les approches des acteurs en dehors du Bureau du Nionwentsïo furent beaucoup plus complexes et ce, pour plusieurs raisons. Par exemple, je n’ai jamais réussi à rencontrer un représentant de l’industrie forestière. J’en ai déduit que les raisons de leur désintérêt devaient tourner autour du fait que le projet d’aire protégée avait possiblement des impacts sur leur approvisionnement en bois et qu’il s’agissait d’un dossier tendu. Il l’était d’autant plus qu’ils entretiennent de nombreuses relations avec la Nation huronne-wendat sur une multitude d’autres dossiers. Je travaillais sur un projet en particulier, mais il s’agissait tout de même d’un projet qui faisait partie d’une toile tissée par de nombreux autres projets eux-mêmes ayant créé des réseaux de relations complexes. Et je crois que dans le cas de l’industrie forestière, c’est l’existence de ces réseaux de relations qu’ils ont choisi de ne pas mettre en péril. Cependant, étant donné que ces acteurs ne m’ont jamais répondu, les explications que je viens d’apporter ne sont que des suppositions, il est aussi possible qu’ils n’aient juste pas eu d’intérêt ou de temps pour répondre à mes questions. L’éventualité de notre insignifiance aux yeux de nos interlocuteurs n’est, je crois, jamais à négliger. Pour d’autres personnes, des règles d’éthiques entourant leur droit de divulgation d’informations sur des dossiers sur lesquels ils ont travaillé les empêchaient tout simplement de répondre à mes questions. Je crois cependant que l’ensemble des refus que j’ai essuyés tournait autour d’une considération particulière qui traduit un enjeu central de l’ethnographie institutionnelle : soit le fait que chaque acteur représente une institution, qu’il soit fonctionnaire ou employé d’un organisme ou d’une industrie, il agit en tant que porte-parole, ce qui le place dans une position très contraignante.

Le moment et le lieu des entrevues furent laissés à la discrétion de mes interlocuteurs. Le temps de ces entrevues variait de 30 minutes à une heure et 30 minutes. J’ai utilisé un format d’entrevue semi-dirigé qui m’a permis de conserver l’espace nécessaire permettant à mon interlocuteur de s’étendre sur une réponse, de digresser ou même de s’engager spontanément sur de nouveaux sujets qui n’auraient pas été abordés dans mes questions (Davies 2008 : 106). Ce format d’entrevue m’a cependant aussi permis de poser des questions assez précises me permettant de stimuler la discussion dans un

contexte où mes interlocuteurs étaient tous des experts dans leur domaine. D’ailleurs, certains auteurs considèrent que dans le cadre de recherches au sein d’organisations où les interlocuteurs sont habitués d’utiliser efficacement leur temps, l’entrevue semi-dirigée s’avère être la plus pertinente (Bernard 1994 : 210).

Mes grilles d’entrevues furent modulées en fonction du rôle qu’avait chacun de mes interlocuteurs dans le cadre du projet d’aire protégée puisqu’il s’est rapidement avéré que de construire un canevas identique pour tous mes interlocuteurs ne serait pas pertinent. Cependant, tout comme pour les observations, je tentais de faire ressortir des entrevues les trois thèmes suivants : quelles actions avaient été menées jusqu’à présent; quels acteurs avaient été impliqués dans ces actions; et quelles étaient les actions futures qui seraient ou pourraient être menées.

Suite à la demande d’un de mes interlocuteurs, j’ai commencé à envoyer mes questions à l’avance avant chacune de mes rencontres pour permettre à la personne que j’allais rencontrer une certaine préparation. Chacun des participants a signé un formulaire de consentement (voir annexe 1) préalablement à chacune des entrevues. Il était décidé par l’interlocuteur au moment de la signature de ces formulaires de consentement si l’entrevue était enregistrée, ou pas. Sept entrevues furent enregistrées.

Dans le présent mémoire, lorsqu’il est fait mention d’une de ces entrevues, que ce soit par citation ou par paraphrase, elle est identifiée à l’aide d’un code alphanumérique. Pour favoriser l’anonymat de chacun de mes interlocuteurs, ce qui n’est pas spécialement aisé lorsque le bassin d’interviewés est aussi réduit que peut l’être le mien, chaque entrevue possède 3 codes, qui lui ont été attribué aléatoirement, qui sont ensuite insérés dans le présent mémoire de façon aléatoire.

Analyse de sources écrites

Comme on peut s’y attendre dans l’étude d’une démarche politique et bureaucratique, l’analyse de documents écrits s’est avérée cruciale à cette recherche. Étant donné que l’objet de ma recherche est un processus qui a commencé avant le début de mon

terrain et qui se continue après sa fin, de même qu’un processus qui implique des communications entre les institutions de la Nation huronne-wendat et d’autres instances, les documents écrits par les divers acteurs impliqués m’ont permis de prendre en considération les actions posées dans le passé et les prévisions faites pour l’avenir. J’ai ainsi consulté 11 rapports et mémoires produits par le Bureau du Nionwentsïo sur divers dossiers touchant la gestion territoriale, 11 articles écrits par des employés du Bureau du Nionwentsïo dans le journal de la communauté huronne-wendat, les plans des unités d’aménagement forestier sur lesquels se situe le projet d’aire protégée, les lois sur le patrimoine naturel et culturel et divers documents produits par des organisations gouvernementales et non- gouvernementales concernant les aires protégées et la région de la Capitale nationale. Ainsi, les productions écrites sur le projet ont été pour mon terrain : « […] un moyen de mise en perspective diachronique et d’élargissement indispensable du contexte et de l’échelle […] » (Olivier de Sardan 2008 : 69). Concrètement, j’ai pu observer la circulation des savoirs en consultant les artéfacts produits à partir de ceux-ci.

Pour ce faire, je me suis inspiré de la méthode utilisée par Bruno Latour lorsqu’il s’est intéressé à la circulation de la référence scientifique (Latour 1999), processus discuté dans le premier chapitre de ce mémoire. À partir des informations obtenues parallèlement avec les autres techniques d’enquêtes que j’ai menées, j’ai pu établir comment le savoir produit initialement pour la création de l’aire protégée a circulé et s’est transformé dans les productions écrites le concernant, de même que les manières dont il a été utilisé (lorsqu’il a été utilisé) dans divers contextes.